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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-2
ARRÊT AU FOND
DU 08 DECEMBRE 2022
N° 2022/536
Rôle N° RG 19/07730 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BEIED
[Y] [O]
[W] [U] épouse [O]
[S] [O]
C/
Madame LA PROCUREURE GENERALE
[P] [K]
SA GROUPE CARNIVOR
SA SAPRIMEX
SCP BR ASSOCIES
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Sandra JUSTON
Me Christian DUREUIL
Me Michel MOATTI
PG
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce de SALON DE PROVENCE en date du 22 Novembre 2016 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 2015-5911.
APPELANTS
Monsieur [Y] [O]
né le [Date naissance 3] 1984, de nationalité Française, demeurant [Adresse 9]
représenté par Me Sandra JUSTON de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,
assisté de Me Jean pierre BINON, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant
Madame [W] [U] épouse [O]
née le [Date naissance 5] 1947 à [Localité 10], de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Sandra JUSTON de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,
assistée de Me Jean pierre BINON, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant
Monsieur [S] [O]
né le [Date naissance 2] 1975 à [Localité 10], de nationalité Française, demeurant [Adresse 6]
représenté par Me Sandra JUSTON de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,
assisté de Me Jean pierre BINON, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant
INTIMES
SA GROUPE CARNIVOR,
dont le siège social est [Adresse 13], prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualité audit siège
représentée par Me Michel MOATTI, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Vincent CARADEC, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant
SA SAPRIMEX,
dont le siège social est [Adresse 13], prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualité audit siège
représentée par Me Michel MOATTI, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Vincent CARADEC, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant
Madame [P] [K]
prise en sa qualité de mandataire liquidateur de la SA COMMERCE DE BOVIDES né le [Date naissance 4] 1959 à [Localité 12], demeurant [Adresse 8]
représenté par Me Christian DUREUIL de la SCP DUREUIL GUETCHIDJIAN, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Laura QUILLIEN, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE, plaidant
Madame LA PROCUREURE GENERALE,
demeurant [Adresse 11]
défaillante
PARTIE INTERVENANTE
SCP BR ASSOCIES,
représentée par Mesdames [P] [K] et [D] [G],agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la SA COMMERCE DE BOVIDES DU SUD désigné en remplacement de Me [P] [K], par jugement du Tribunal de Commerce de Salon de Provence en date du 10/01/2017 dont le siège social est sis [Adresse 7], prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualité audit siège
représentée par Me Christian DUREUIL de la SCP DUREUIL GUETCHIDJIAN, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Laura QUILLIEN, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, plaidant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 12 Octobre 2022 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Madame Muriel VASSAIL, Conseiller a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Michèle LIS-SCHAAL, Président de chambre
Madame Muriel VASSAIL, Conseiller
Madame Agnès VADROT, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Chantal DESSI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 08 Décembre 2022.
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l’affaire a été régulièrement communiquée.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 08 Décembre 2022,
Signé par Madame Michèle LIS-SCHAAL, Président de chambre et Madame Chantal DESSI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS PROCEDURES ET PRETENTIONS DES PARTIES
La société COMMERCE DE BOVIDES DU SUD (CBS) a été créée en 1997, elle avait pour activité le commerce de gros et demi-gros de viande et charcuterie à destination essentiellement des grandes et moyennes surfaces.
Elle avait pour PDG Mme [W] [U], veuve [O], pour directeur général M. [S] [O] et pour administrateur M. [Y] [O].
Par jugement du 14 mars 2011, elle a été placée en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de SALON DE PROVENCE. La SCP DOUHAIRE [J] a été désignée administrateur judiciaire et Mme [K] a été désignée mandataire judiciaire.
Par ordonnance du 18 avril 2012, le juge commissaire du tribunal de commerce de SALON DE PROVENCE a autorisé un protocole d’accord aux termes duquel le groupe CARNIVOR s’engageait à participer au plan de redressement de la société CBS sous les conditions suivantes:
-cession par la société GREFFEUILLE, principal fournisseur et créancier de la société CBS et actionnaire de son bailleur, la SOCIETE INDUSTRIELLE ET COMMERCIALE DE VITROLLES (la société SICV), de sa créance d’un montant de 1 028 898, 08 euros à la société SAPRIMEX pour 102 889, 80 euros,
-abandon par la société GREFFEUILLE du surplus de sa créance et de tous droits, instances et actions à l’encontre de la société CBS,
-rachat par la société GROUPE CARNIVOR des 7 335 actions détenues par la société GREFFEUILLE (qu’elle avait précédemment achetées à la famille [O] pour le même montant) dans le capital de la société SICV au prix de 500 000 euros avec faculté de substitution,
-apport, avec faculté de substitution, par le groupe CARNIVOR de 360 000 euros de liquidités par le biais d’une augmentation de capital de la société CBS afin de détenir 2/3 du capital et d’en devenir l’associé majoritaire.
Le 7 mai 2012, le tribunal de commerce de SALON DE PROVENCE a arrêté le plan de redressement par voie de continuation de la société CBS et désigné Mme [K] commissaire à l’exécution du plan.
L’augmentation de capital au bénéfice de la société GROUPE CARNIVOR n’a pas été réalisée et la société SAPRIMEX, qui devait se substituer à la société GROUPE CARNIVOR pour cette opération, a apporté massivement son concours financier à la société CBS par le biais de crédits fournisseur.
Un litige étant intervenu entre elles et la société CBS relativement à un supposé détournement de clientèle et d’activité commis par M. [S] [O] aux détriments de la société CBS et au bénéfice de la société SODEM, les sociétés GROUPE CARNIVOR et SAPRIMEX ont, début novembre 2012, cessé d’approvisionner la société CBS alors qu’elles étaient ses principaux fournisseurs.
A la requête de la société CBS, par ordonnance du 15 novembre 2012, le tribunal de commerce de SALON DE PROVENCE a désigné M. [J] en qualité de mandataire ad hoc avec pour mission de proposer toutes solutions pour régler le différent entre les parties.
A défaut d’accord entre elles, la société CBS, constatant la perte de son activité et de sa clientèle, a sollicité son placement en liquidation judiciaire.
Faisant droit à sa requête, par jugement du 26 décembre 2012, le tribunal de commerce de SALON DE PROVENCE a prononcé la résolution du plan de redressement et ouvert la liquidation judiciaire de la société CBS.
Mme [K] a été désignée liquidateur judiciaire et la date de cessation des paiements a été fixée au 14 décembre 2012.
Sur assignation délivrée à la requête de Mme [K], par jugement du 17 décembre 2015, le tribunal de commerce de SALON DE PROVENCE a condamné solidairement les sociétés GROUPE CARNIVOR et SAPRIMEX à lui payer ès qualités :
-360 000 euros en exécution des accords pris,
-2 000 euros du chef de l’article 700 du code de procédure civile.
Cette décision a été frappée d’appel.
Par acte du 14 octobre 2015, Mme [K] a assigné Mme [W] [U], veuve [O], M. [S] [O] et M. [Y] [O] (les consorts [O]) devant le tribunal de commerce de SALON DE PROVENCE pour obtenir leur condamnation in solidum à supporter l’insuffisance d’actif de la société CBS.
Par jugement du 22 novembre 2016, le tribunal de commerce de SALON DE PROVENCE a:
-déclaré l’action recevable,
-rejeté la demande de sursis à statuer des consorts [O],
-condamné à payer à Mme [K] ès qualités au titre de l’insuffisance d’actif de la société CBS :
– M. [S] [O], la somme de 1 000 000 euros,
-solidairement Mme [W] [O] et M. [Y] [O], la somme de 300 000 euros,
-condamné solidairement les consorts [O] aux dépens et à payer au titre des frais irrépétibles:
-à Mme [K] ès qualités, la somme de 2 500 euros,
-aux sociétés GROUPE CARNIVOR et SAPRIMEX la somme de 2 500 euros.
Pour prendre leur décision les premiers juges ont retenu que :
-les sociétés GROUPE CARNIVOR et SAPRIMEX n’ont jamais été dirigeantes de la société CBS que ce soit en droit ou en fait et ne sont présentes à l’instance que pour éclairer la juridiction,
-il n’y a pas lieu de sursoir à statuer dans la mesure où la procédure opposant Mme [K] et les sociétés GROUPE CARNIVOR et SAPRIMEX est distincte de l’action en participation à l’insuffisance d’actif de la société CBS,
-l’action n’est pas prescrite, elle est donc recevable,
-l’existence d’une insuffisance d’actif est établie,
-il existe un montage frauduleux à hauteur de 500 000 euros par remboursement partiel, de la part de M. [S] [O], de la créance de la société GREFFEUILLE aux détriments des autres créanciers,
-la société SAPRIMEX produit des mails qui montrent que M. [S] [O] a organisé la divulgation à un concurrent de toute la politique commerciale de sa propre société (CBS),
-la clientèle d’une société est un élément d’actif et le détournement de clientèle est à ce titre répréhensible,
-l’augmentation du capital de la société CBS n’a pas eu lieu par la faute des consorts [O], en qualité de dirigeants, qui ont ainsi gardé les pleins pouvoirs sur l’entreprise en qualité d’associés,
-ces trois fautes ont participé à l’insuffisance d’actif de la société CBS car l’actif est faible et le passif important,
-en qualité de PDG, rien ne pouvait se faire dans l’entreprise sans l’accord de Mme [W] [U], veuve [O],
-M. [S] [O] est le directeur général,
-M. [Y] [O] est administrateur de la société,
-les mails de divulgation émanent tous de M. [S] [O], cela laisse supposer que sa participation a été principale, active et déterminante,
-l’analyse de l’état du passif de la société CBS démontre que Mme [K] a rejeté les comptes courants d’associés des consorts [O] de sorte qu’ils ont déjà partiellement contribué à l’insuffisance d’actif de la société,
-les agissements n’ont pu avoir lieu qu’en raison du lien familial unissant la présidente à ses deux fils.
Les consorts [O] ont fait appel de cette décision le 2 décembre 2016.
Par arrêt du 23 septembre 2017, la cour de ce siège a :
-déclaré irrecevable la demande de sursis à statuer présentée par les consorts [O],
-ordonné d’office le sursis à statuer dans l’attente de la décision définitive à intervenir sur l’appel du jugement du 17 décembre 2015 dans l’instance opposant Mme [K] ès qualités et les sociétés GROUPE CARNIVOR et SAPRIMEX,
-ordonné la radiation de l’affaire,
-précisé qu’elle sera rétablie sur justificatif d’une décision définitive dans cette instance.
Par arrêt du 28 février 2019, la cour de céans a infirmé le jugement du 17 décembre 2015.
Au vu de cette décision qui n’a pas fait l’objet d’un pourvoi en cassation, l’affaire concernant l’action en participation à l’insuffisance d’actif a été réenrôlée selon demande du 7 mai 2019.
Dans leurs dernières conclusions, notifiées au RPVA le 25 août 2022, les consorts [O] demandent à la cour de juger un certain nombre de choses qui sont autant de moyens et de :
-débouter la société BR ASSOCIES ès qualités et les sociétés GROUPE CARNIVOR et SAPRIMEX de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
-mettre M. [Y] [O] hors de cause,
-condamner conjointement et solidairement les sociétés GROUPE CARNIVOR et SAPRIMEX à leur payer à chacun :
-20 000 euros de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral,
-6 000 euros au visa de l’article 700 du code de procédure civile,
-condamner conjointement et solidairement les sociétés GROUPE CARNIVOR et SAPRIMEX aux dépens de première instance et d’appel.
Dans ses dernières conclusions, déposées au RPVA le 24 avril 2019, la SCP BR ASSOCIES demande à la cour de ;
-confirmer le jugement du 22 novembre 2016,
-condamner les appelants aux entiers dépens avec distraction et à lui payer ès qualités la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans leurs dernières conclusions, signifiées au RPVA le 28 novembre 2019, les sociétés GROUPE CARNIVOR et SAPRIMEX demandent à la cour de constater et dire un certain nombre de choses qui sont autant de moyens et de ;
-confirmer en toutes ses dispositions le jugement attaqué,
-déclarer irrecevables les demandes nouvelles des consorts [O] en appel et, à tout le moins, les en débouter,
-condamner in solidum les consorts [O] aux dépens avec distraction et à leur payer la somme de 5 000 euros du chef de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières réquisitions, communiquées au RPVA le 13 septembre 2022, le ministère public poursuit la confirmation du jugement frappé d’appel.
Le 12 mai 2022, les parties ont été avisées de la fixation du dossier à l’audience du 12 octobre 2022.
La procédure a été clôturée le 15 septembre 2022 avec rappel de la date de fixation.
Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, il conviendra de se référer aux écritures des parties pour l’exposé de leurs moyens de fait et de droit.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur les limites de la saisine de la cour
Bien que l’appel n’ai pas été limité, il apparaît qu’aucune des parties ne conteste la décision des premiers juges en ce qu’ils ont déclaré l’action recevable pour ne pas avoir été prescrite.
La décision frappée d’appel sera donc confirmée de ce chef.
Sur les mérites de l’appel
Comme le rappelle l’article L651-2 du code de commerce, le tribunal de commerce peut condamner à supporter l’insuffisance d’actif d’une société placée en liquidation judiciaire tout dirigeant de droit ou de fait responsable d’une faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif.
Pour que l’action initiée et poursuivie par la SCP BR ASSOCIES, représentée par Mme [K], ès qualités, soutenue par les sociétés GROUPE CARNIVOR et SAPRIMEX, puisse prospérer il faut donc que soient établis :
-une insuffisance d’actif,
-une ou plusieurs fautes de gestion imputables aux consorts [O],
-un lien de causalité entre la ou les fautes commises et l’insuffisance d’actif.
Sur l’insuffisance d’actif
Ainsi que les consorts [O] le leur reprochent à juste titre, les premiers juges n’ont pas déterminé l’insuffisance d’actif de la société CBS, se contentant d’une appréciation générale peu efficiente.
S’agissant du passif de la société CBS, les appelants se prévalent d’un passif définitif de 2 157 100, 06 euros dont 1 570 142, 21 euros à titre chirographaire, faisant observer que par ordonnances du 5 mai 2022 le juge commissaire a rejeté les créances suivantes :
-SCHLACHTHOF-AUGSBURG pour 60 270, 60 euros,
-INITIAL BTB pour 14 677, 40 euros,
-AIR LIQUIDE pour 50 423, 18 euros.
Pour sa part, la SCP BR ASSOCIES, sans aucune explication complémentaire, allègue un passif définitif de 2 157 100, 06 euros avant résolution du plan auquel il faudrait ajouter 574 289, 35 euros de passif supplémentaire après résolution du plan.
Elle ne verse aux débats aucun élément concret, clair et précis pour en rapporter la preuve (sa pièce 1 datant de 2013 et 2014 et sa pièce 2 de 2015) alors que les consorts [O] se fondent sur des états des admissions de créances plus récents (pièces 120, 121 et 122) dont l’un datant de mai 2022 (leur pièce 121).
Dans ces conditions, la cour ne peut qu’arrêter le passif définitif de la société CBS à la somme de 2 157 100, 06 euros.
L’actif de la société CBS tel que la SCP BR ASSOCIES l’évalue n’est pas contesté. Il doit donc être arrêté à la somme de 392 283, 84 euros.
Il en résulte une insuffisance d’actif de 1 764 816, 22 euros pour la liquidation judiciaire de la société CBS.
Le jugement frappé d’appel sera, en conséquence, complété.
Sur l’existence de fautes de gestion imputables aux consorts [O]
La cour peine à déterminer quelles sont les fautes de gestion que la SCP BR ASSOCIES reproche à chacun des appelants d’autant que dans ses écritures, qui sont particulièrement lapidaires, elle semble faire un amalgame entre le jugement frappé d’appel et l’arrêt rendu le 28 février 2019 dans l’instance l’opposant aux sociétés GROUPE CARNIVOR et SAPRIMEX.
Or, cette décision concernait une éventuelle faute commise par les sociétés GROUPE CARNIVOR et SAPRIMEX dans leurs relations avec la société CBS et ne saurait valablement être opposée aux consorts [O] dans le cadre d’une action en responsabilité.
Cette analyse s’impose d’autant qu’ils n’étaient pas parties à cette instance de sorte qu’ils n’ont pas pu s’expliquer contradictoirement.
Il en résulte que la SCP BR ASSOCIES, qui en supporte la charge exclusive, n’est pas dispensée de rapporter la preuve des fautes de gestion qu’elle prétend reprocher aux consorts [O] et qui lui appartient de lister et expliciter clairement.
A en croire son assignation devant le premier juge, elle se référait aux fautes de gestion dénoncées par le GROUPE CARNIVOR dans ses écritures déposées le 17 septembre 2015 dans l’instance qui les opposait et qui auraient été annexées à l’acte introductif d’instance.
Pour autant, alors qu’il est bien cavalier de la voir sous-traiter une action en responsabilité, pas plus que les sociétés GROUPE CARNIVOR ou SAPRIMEX elle ne soumet ces écritures à la cour.
Les deux dernières font grief aux dirigeants de la société CBS d’avoir trompé le tribunal lors de l’adoption du plan de redressement en lui présentant une comptabilité insincère où :
-le résultat d’exploitation était à l’équilibre,
-les pertes étaient minorées.
Les premiers juges n’ont pas examiné ce grief et, faute pour les intimées de produire les conclusions du 17 septembre 2015 qui les saisissait, la cour n’est pas en mesure de s’assurer qu’il était bien dans le périmètre de leur saisine.
Dans ces conditions la cour n’examinera pas non plus ce grief.
Cette solution s’impose d’autant qu’aucune des intimées ne critique la décision frappé d’appel et n’allègue une omission de statuer sur ce point.
Les premiers juges ont analysé et retenu :
-contre les consorts [O], l’absence de mise en place d’un processus d’augmentation du capital de la société CBS,
-contre M. [S] [O] seul, le traitement préférentiel d’un créancier (la société GREFEUILLE) et la divulgation de la politique commerciale de la société CBS à un concurrent.
Il n’est pas remis en cause qu’il s’agit de fautes susceptibles d’être sanctionnées au sens de l’article L 651-2 du code de commerce sus-visé.
Sur la demande de mise hors de cause de M. [Y] [O]
Au vu de l’extrait Kbis produit par les sociétés GROUPE CARNIVOR et SAPRIMEX (pièce 1), il ne saurait valablement être contesté que M. [Y] [O] avait la qualité d’administrateur de la société CBS.
Pour autant, il n’est pas démontré que l’intéressé, qui a toujours été salarié de cette société au plus haut poste de chef d’atelier, ait pu exercer des pouvoirs de direction et de contrôle lui permettant de se rendre coupable d’une faute de gestion volontaire dans la conduite des affaires de cette entreprise.
Il en résulte que le seul défaut de mise en place d’un processus d’augmentation du capital qui pourrait lui être reproché en qualité d’administrateur ne peut être retenu à défaut pour la SCP BR ASSOCIES de rapporter la preuve d’une abstention volontaire et consciente et non d’une simple négligence.
Dans ces conditions, M. [Y] [O] doit effectivement être mis hors de cause et le jugement frappé d’appel sera infirmé de ce chef.
Sur le défaut de mise en place d’un processus d’augmentation du capital de la société CBS
Il n’est pas discuté que :
-l’augmentation du capital de la société CBS était l’une des conditions d’adoption de son plan de redressement,
-toute augmentation du capital d’une société requiert la convocation, la tenue et le vote d’une assemblée générale extraordinaire,
-ni Mme [O], ni son fils [S] [O] n’ont procédé à la convocation d’une telle assemblée générale.
Une telle abstention ne peut qu’être volontaire et ces derniers, qui ont tous les deux la qualité de dirigeants de l’entreprise pour être présidente du conseil d’administration et directeur général, ne peuvent valablement se dédouaner, comme ils prétendent le faire, en reportant cette faute sur les organes de la procédure collective, administrateur et commissaire à l’exécution du plan, ou sur les sociétés GROUPE CARNIVOR et SAPRIMEX qui n’auraient pas agi en ce sens et ne leur aurait adressé aucun rappel sur ce point.
Il en résulte que le jugement frappé d’appel sera confirmé en ce qu’il a retenu contre M. [S] [O] et Mme [O] la faute de gestion constituée par l’absence de mise en ‘uvre du processus d’augmentation du capital de la société CBS.
Sur le traitement préférentiel d’un créancier (la société GREFEUILLE)
Les premiers juges ont retenu à l’encontre de M. [S] [O] le traitement préférentiel d’un créancier, en l’espèce la société GREFFEUILLE, qui aurait été partiellement réglé à hauteur de 500 000 euros au détriment des autres créanciers de la société CBS.
Ils ont indiqué que cette faute de gestion avait été pointée par maître [M] [J] sans préciser en quelle qualité et sans s’appuyer sur aucun autre élément du dossier.
M. [S] [O] conteste avoir commis cette faute.
Bien qu’elles poursuivent la confirmation du jugement frappé d’appel, la cour relève que les intimées ne visent pas cette faute et ne produisent aucun élément pour en établir la matérialité.
Dans ces conditions, le jugement frappé d’appel sera infirmé en ce qu’il a retenu à l’encontre de M. [S] [O] la faute de gestion de traitement préférentiel d’un créancier.
Sur la communication organisée à un concurrent de toute la politique commerciale de la société CBS
Les premiers juges ont considéré que M. [S] [O] avait commis une faute en divulguant à la société SODEM toute la politique commerciale de la société CBS et en ont conclu qu’il avait commis un détournement de clientèle.
Même si la clientèle d’une société n’est pas un élément de son actif, il ne peut sérieusement être remis en cause qu’un détournement de clientèle est un acte contraire à l’intérêt social de l’entreprise puisqu’il est de nature à faire baisser son activité.
Comme les premiers juges, les sociétés GROUPE CARNIVOR et SAPRIMEX s’appuient sur un échange de courriels entre M. [S] [O] et des salariés de la société SODEM.
M.[S] [O] ne conteste pas ces relations mais fait valoir que :
-dès le jugement d’ouverture de la procédure collective il avait perdu tout pouvoir de direction de l’entreprise, le pouvoir exécutif de la société CBS ayant été transféré de fait aux sociétés CARNIVOR/SAPRIMEX qui y avait installé un contrôleur de gestion,
-les sociétés CARNIVOR/SAPRIMEX avaient le monopole des approvisionnements de la société CBS et la maîtrise de l’informatique leur permettant de traiter directement avec ses différents clients,
-les sociétés CARNIVOR/SAPRIMEX sont seules responsables de l’échec du plan de redressement de la société CBS en ayant arrêté de l’approvisionner,
-dans ce contexte, il s’est légitimement tourné vers la société SODEM pour tenter de sauver son entreprise,
-en tout état de cause, il n’a jamais communiqué d’informations cruciales à un concurrent.
Les sociétés GROUPE CARNIVOR et SAPRIMEX produisent divers courriels (leurs pièces 4 à 20) qui établissent sans contestation possible que, dès le 10 octobre 2012, M. [S] [O] était en contact avec la société SODEM et lui communiquait divers éléments concernant la politique commerciale de la société CBS et cherchait à établir un nouveau partenariat.
Pour autant, s’il apparaît que ce faisant il tentait d’évincer les sociétés GROUPE CARNIVOR et SAPRIMEX, il n’est pas démontré qu’il poursuivait un but contraire à l’intérêt social de la société CBS.
Cette analyse s’impose d’autant que les consorts [O] soumettent à la cour divers documents qui font effectivement apparaître que :
-les sociétés GROUPE CARNIVOR et SAPRIMEX avaient un monopole relativement à l’approvisionnement de la société CBS (pièces 40 à 43),
-les sociétés GROUPE CARNIVOR et SAPRIMEX avaient pour objectif de prendre le contrôle de la société CBS et d’évincer M. [O] (pièces 9 et 36), ce qui résulte également du plan de redressement avec augmentation du capital à leur profit et de leur volonté affichée de déménager la société et de licencier un certain nombre de ses salariés (ce qui n’est pas contesté),
-dès le mois de juillet 2012, les sociétés GROUPE CARNIVOR et SAPRIMEX ont servi directement des clients de la société CBS pour leur propre compte (pièce 36),
-à partir de la fin du mois d’octobre 2012 les sociétés GROUPE CARNIVOR et SAPRIMEX ont cessé de livrer la société CBS, l’empêchant d’honorer ses commandes, ce qui, en outre, n’est pas contesté (pièces 16, 18, 19 et 20).
Dans ces conditions, même s’il est possible de lui imputer un comportement peu loyal envers ses partenaires qui ne semblent pas non plus avoir été totalement loyaux envers lui, contrairement à ce qu’ont considéré les premiers juges, la cour estime que la SCP BR ASSOCIES ne rapporte pas la preuve d’une faute de gestion qui aurait été commise par M. [S] [O] et qui soit directement à l’origine de la déconfiture de la société CBS ou qui ait pu contribuer à aggraver son insuffisance d’actif.
Il en résulte que la faute de détournement de clientèle ne peut être retenue contre M. [S] [O] de sorte que le jugement frappé d’appel doit être infirmé sur ce point.
Sur le lien de causalité qui existe entre la faute de gestion commise par M. [S] [O] et Mme [O] et l’insuffisance d’actif
M.[S] [O] et sa mère, Mme [W] [O], née [U], se sont donc rendus coupables de la faute ayant consisté à ne rien mettre en ‘uvre pour que l’augmentation du capital de la société CBS ait lieu.
Comme ils le soutiennent eux-mêmes en page 19 de leurs conclusions, cette recapitalisation aurait apporté à la société CBS des fonds supplémentaires à hauteur de 360 000 euros qui auraient réduit d’autant son insuffisance d’actif.
Ils ne peuvent donc être tenus pour responsables de l’insuffisance d’actif de la société CBS qu’à hauteur de 360 000 euros.
A défaut de savoir pourquoi leurs déclarations de créance ont été écartées par le juge commissaire, la cour ne saurait prendre en considération le fait que leur comptes courants d’associés ont été rejetés du passif de la société CBS.
Par ailleurs, dans la mesure où les intimées se bornent à solliciter la confirmation du jugement frappé d’appel, Mme [O] ne peut être tenue de l’insuffisance d’actif de la société CBS qu’à concurrence de la somme de 300 000 euros telle que le tribunal de commerce de SALON DE PROVENCE l’a arrêtée.
Considérant l’unicité de la faute commise, M. [S] [O] sera condamné à payer à la SCP BR ASSOCIES ès qualités la somme de 360 000 euros au titre de l’insuffisance d’actif de la société CBS et Mme [W] [O] sera tenue in solidum de cette condamnation à hauteur de la somme de 300 000 euros.
Le jugement frappé d’appel sera donc partiellement infirmé sur le quantum et la nature des condamnations prononcées.
Sur les demandes de dommages et intérêts présentées par les consorts [O]
Contrairement à ce que prétendent les sociétés GROUPE CARNIVOR et SAPRIMEX, les demandes de dommages et intérêts présentées par les consorts [O] en cause d’appel sont parfaitement recevables au visa de l’article 566 du code de procédure civile puisqu’elles sont l’accessoire et la conséquence de celles présentées au premier juge.
Leur exception d’irrecevabilité sera donc rejetée.
Alors que la mauvaise appréciation qu’une partie peut faire de ses droits n’est pas fautive en elle-même, les consorts [O] ne rapportent pas la preuve de la mauvaise foi des sociétés GROUPE CARNIVOR et SAPRIMEX qui n’ont fait que se défendre dans le cadre d’une autre instance et se sont trouvées appelées dans celle-ci sans qu’il soit démontré qu’elles aient eu la volonté de l’initier.
Il s’ensuit que les consorts [O] doivent être déboutés de leurs demandes de dommages et intérêts.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Le jugement frappé d’appel sera infirmé en ce qu’il a condamné les consorts [O] à payer des sommes au visa de l’article 700 du code de procédure civile et confirmé en ce qu’il a employé les dépens en frais privilégiés de la procédure collective de la société CBS.
Les dépens d’appel seront employés de même.
La SCP BR ASSOCIES ès qualités se trouve donc infondée en sa demande tendant à ce que son conseil bénéficie de la distraction des dépens.
Au vu des circonstances de l’espèce et de la manière dont l’action a été introduite et poursuivie, aucune considération d’équité n’impose de faire application de l’article 700 du code de procédure civile au bénéfice de l’une quelconque des parties.
Elles seront toutes pareillement déboutées de leurs prétentions au titre des frais irrépétibles.
La distraction des dépens sera autorisée au bénéfice du conseil des sociétés GROUPE CARNIVOR et SAPRIMEX.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, après débats publics et par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe ;
Confirme le jugement rendu le 22 novembre 2016 par le tribunal de commerce de SALON DE PROVENCE en ses dispositions relatives aux dépens et en ce qu’il a :
-déclaré l’action recevable,
-retenu à l’encontre de M. [S] [O] et de Mme [W] [O], née [U], la faute de gestion de défaut de mise en ‘uvre du processus d’augmentation du capital de la société CBS,
Infirme la décision frappée d’appel pour le surplus ;
Statuant à nouveau des chefs d’infirmation et y ajoutant :
Arrête l’insuffisance d’actif de la société CBS à la somme de 1 764 816, 22 euros ;
Met hors de cause M. [Y] [O] ;
Condamne M. [S] [O] à payer à la SCP BR ASSOCIES ès qualités la somme de 360 000 euros au titre de sa participation à l’insuffisance d’actif de la société CBS ;
Condamne Mme [W] [O], née [U], au paiement in solidum de cette condamnation à concurrence de la somme de 300 000 euros ;
Déboute la SCP BR ASSOCIES et les sociétés GROUPE CARNIVOR et SAPRIMEX du surplus de leurs demandes ;
Rejette l’exception d’irrecevabilité opposée par les sociétés GROUPE CARNIVOR et SAPRIMEX aux demandes de dommages et intérêts présentées par les consorts [O] ;
Déboute les consorts [O] de leurs demandes de dommages et intérêts ;
Déboute les consorts [O] de leurs prétentions au titre des frais irrépétibles ;
Déboute les sociétés GROUPE CARNIVOR et SAPRIMEX et la SCP BR ASSOCIES ès qualités de leur demande au visa de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déclare la SCP BR ASSOCIES, ès qualités, infondée en sa demande tendant à ce que son conseil bénéficie de la distraction des dépens ;
Autorise l’application de l’article 699 du code de procédure civile au bénéfice du conseil des sociétés GROUPE CARNIVOR et SAPRIMEX ;
Ordonne l’emploi des dépens d’appel en frais privilégiés de la procédure collective de la société CBS.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,