6 juillet 2022 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/00126

·

·

6 juillet 2022 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/00126

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

17e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 6 JUILLET 2022

N° RG 20/00126

N° Portalis DBV3-V-B7E-TWBH

AFFAIRE :

SAS CLEAR CHANNEL FRANCE

C/

[Z] [O]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 6 décembre 2019 par le Conseil de Prud’hommes Formation de départage de BOULOGNE BILLANCOURT

Section : AD

N° RG : F 17/00692

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Franck LAFON

Me Khalil MIHOUBI

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SIX JUILLET DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

SAS CLEAR CHANNEL FRANCE

N° SIRET : 572 050 344

[Adresse 2]

[Adresse 7]

[Localité 4]

Représentant : Me Franck LAFON, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 618 et Me Jérôme DANIEL de l’AARPI EUNOMIE AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire: G0035, substitué à l’audience par Me Lionel SEBILLE, avocat au barreau de Paris

APPELANTE

****************

Monsieur [Z] [O]

de nationalité française

[Adresse 1]

[Adresse 10]

[Localité 3]

Représentant : Me Khalil MIHOUBI, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D653

INTIME

****************

Composition de la cour :

chapeau vérifié

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 13 mai 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent BABY, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Clotilde MAUGENDRE, Présidente,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

Par jugement du 6 décembre 2019, le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt (section activités diverses), en sa formation de départage, a :

– dit que le licenciement de M. [Z] [O] est nul,

– ordonné la réintégration de M. [O] au sein de la société Clear Channel France dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement, et ce sous astreinte provisoire de 50 euros par jour de retard passé ce délai pendant une durée de six mois,

– condamné la société Clear Channel France à payer M. [O] les sommes suivantes :

. 55 524,84 euros à titre d’indemnité d’éviction portant sur la période du 7 avril 2017 au 30 septembre 2019,

. 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination,

– dit que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement conformément aux dispositions de l’article 1231-7 du code civil,

– condamné la société Clear Channel France à verser à M. [O] une indemnité d’éviction d’un montant de 1 983,03 euros par mois qui sera due au prorata temporis à compter du jugement et jusqu’à la réintégration effective de M. [O],

– débouté les parties de toutes leurs autres demandes,

– ordonné l’exécution provisoire,

– condamné la société Clear Channel France à payer à M. [O] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la société Clear Channel France aux dépens.

Par déclaration adressée au greffe le 13 janvier 2020, la société Clear Channel France a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 10 mai 2022.

Par dernières conclusions remises au greffe le 4 mars 2022, la société Clear Channel France demande à la cour de :

– déclarer son appel recevable,

– la déclarer bien fondée en son appel,

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé nul le licenciement et a prononcé la réintégration de M. [O],

rejugeant à nouveau,

– débouter M. [O] de sa demande de nullité et de réintégration, ainsi que de toutes demandes subséquentes,

– dire que le licenciement pour inaptitude repose bien sur une cause réelle et sérieuse,

en conséquence,

– débouter M. [O] de ses demandes d’indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [O] :

. de ses demandes de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

. de ses demandes de dommages-intérêts pour remise tardive de l’attestation Pôle emploi,

– débouter en conséquence M. [O] de son appel incident et de toutes fins qu’il comporte,

y ajoutant,

– condamner M. [O] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens dont distraction au profit de M Franck Lafon, Avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions remises au greffe le 1er avril 2022, M. [O] demande à la cour de :

à titre principal,

– confirmer le jugement de départage rendu le 6 décembre 2019 par le conseil de prud’hommes de Boulogne Billancourt en ce qu’il a :

. dit que le licenciement est nul,

. ordonné sa réintégration au sein de la société Clear Channel France,

. condamné la société Clear Channel à lui verser la somme de 55 524,84 euros à titre d’indemnité d’éviction et la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination,

. condamné la société Clear Channel à lui verser la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– infirmer le jugement pour le surplus,

et statuant à nouveau,

– constater le harcèlement moral qu’il a subi et condamner la société Clear Channel à lui verser la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le harcèlement moral subi,

– condamner la société Clear Channel à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour délivrance tardive de l’attestation Pôle emploi,

à titre subsidiaire,

– constater que la société Clear Channel France a violé son obligation de sécurité de résultat cause de son inaptitude,

– dire que le licenciement notifié le 7 avril 2017 est privé de cause réelle et sérieuse,

– condamner la société Clear Channel à lui verser la somme de 35 000 euros à titre de dommages et intérêts,

– condamner la société Clear Channel à lui verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité de résultat,

– condamner la Société Clear Channel à verser à M. [O] la somme de 6 031,14 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 603,11euros au titre des congés payés afférents,

à titre infiniment subsidiaire,

– constater que la société a violé son obligation de reclassement et dire que le licenciement notifié par la société Clear Channel à son encontre est dénué de cause réelle et sérieuse,

– condamner par voie de conséquence la Société Clear Channel à lui verser la somme de

35 000 euros à titre de dommages et intérêts,

– condamner la société Clear Channel à lui verser la somme de 5 949,09 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 594,90 au titre des congés payés afférents,

en tout état de cause,

– débouter la société Clear Channel de son appel et de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

– condamner la société Clear Channel à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société Clear Channel aux entiers dépens.

LA COUR,

La société Clear Channel France a pour activité principale l’affichage publicitaire.

M. [Z] [O] a été engagé par la société Clear Channel France, en qualité de magasinier plieur, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 11 août 2008.

Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective de la Publicité.

L’effectif de la société était de plus de 10 salariés.

Le 31 juillet 2009, M. [O] a été victime d’un accident sur son lieu de travail en chutant d’un rack de stockage.

A compter de 2012, plusieurs périodes d’arrêt pour cause de maladie et de reprise du travail se sont succédé.

Parallèlement, la médecine du travail a rendu, en 2012 et 2013, plusieurs avis concernant 1’aptitude de M. [O] et les aménagements de poste nécessaires.

En 2015, M. [O] s’est vu reconnaître la qualité de travailleur handicapé.

Le 4 janvier 2016, après un arrêt maladie d’un an et demi, M. [O] s’est présenté à son travail pour reprendre son activité.

Le 6 janvier 2016, à l’issue de la visite de reprise, le médecin du travail a conclu à son aptitude avec aménagement du poste de travail sous la forme d’une reprise à temps partiel, soit à un poste administratif avec formation adéquate mais avec fourniture d’un fauteuil ergonomique, et éventuellement à un poste de plieur avec chaussures de sécurité permettant 1’insertion de semelles.

Peu après sa reprise, M. [O] a été placé en absence rémunérée puis en congés payés.

Le 8 février 2016, le médecin du travail a rendu un avis d’inaptitude au poste de magasinier concernant M. [O].

Le 7 mars 2016, le médecin du travail a conclu à son aptitude avec aménagement du poste de travail, à savoir une reprise à 80%, la fourniture d’un fauteuil ergonomique, la fourniture de chaussures de sécurité adaptées et l’absence de manutentions lourdes seul.

Le 14 avril 2016, le médecin du travail a également conclu à 1’aptitude de M. [O] avec nécessité toutefois de porter en binôme les charges de plus de 25 kilogrammes et de prévoir un fauteuil ergonomique.

A la demande de la société Clear Channel France, M. [O] a repris son emploi le 17 mai 2016 puis il a été placé en arrêt maladie du 30 mai au 9 septembre 2016.

Le 12 septembre 2016, M. [O] a été déclaré inapte au poste de magasinier, inaptitude confirmée aux termes d’un second avis médical rendu le 28 septembre 2016.

Le 12 janvier 2017, la société Clear Channel France a proposé à M. [O] trois postes correspondant aux recommandations du médecin du travail.

M. [O] a refusé de se positionner sur ces postes.

La société Clear Channel France a proposé à M. [O] de nouveaux postes le 31 janvier 2017.

Par lettre du 14 février 2017, M. [O] a été convoqué à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé le 21 mars 2017.

M. [O] a été licencié par lettre du 7 avril 2017 pour inaptitude dans les termes suivants :

« Nous sommes malheureusement contraints de procéder à votre licenciement, au motif de votre inaptitude médicalement constatée au poste de Magasinier et de l’échec de la procédure de reclassement.

Après des incertitudes sur votre aptitude médicale entre janvier et avril 2016, le médecin du travail, après deux études de poste, vous avait finalement déclaré apte à votre poste de travail.

Son avis du 14 avril 2016 était le suivant :

« Apte au poste de magasinier sans restriction. Les charges de plus de 25kg comme les scrollings et les vitres doivent être portées systématiquement en binôme (comme convenu lors de l’étude de poste du 25/03/2016). Prévoir un fauteuil ergonomique pour le poste sur écran  ».

Par la suite, après la prise de vos congés payés et de jours de RTT entre le 15 avril 2016 et le 16 mai 2016, vous aviez repris votre poste, aménagé conformément aux recommandations du médecin du travail, le 17 mai 2016.

Le 30 mai 2016, vous étiez placé en arrêt de travail pour maladie.

Après cet arrêt de travail qui s’est terminé le 9 septembre 2016, vous avez passé une première visite médicale de reprise le 12 septembre 2016. Le médecin du travail nous a alors précisé :

« 1er avis d’inaptitude. Inaptitude au poste de magasinier: 2nd RV le 28 septembre »

Nous avons donc initié des recherches de reclassement globales au sein de toutes les sociétés et établissements de notre Groupe dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation permettent d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel. Et ce, afin de trouver un poste de reclassement disponible correspondant aux recommandations du médecin du travail.

Afin d’affiner nos recherches, le 14 septembre 2016 nous vous avons écrit pour :

– vous informer de la procédure en cours;

– vous demander vos différentes expériences, formations, compétences en langue étrangère, souhaits en matière de reclassement, degré de mobilité géographique… ;

– vous proposer de réaliser un bilan de compétences.

Le 28 septembre 2016, ne recevant pas de réponse de votre part sur le sujet, nous vous avons de nouveau posé ces questions.

Le 29 septembre 2016, le médecin du travail vous a reçu dans le cadre de la seconde visite de reprise. Ses conclusions étaient les suivantes :

« Inapte au poste  »

Le 29 septembre 2016, nous avons écrit au médecin du travail pour lui demander des précisions sur d’éventuelles mesures d’aménagement, adaptation, transformation de votre poste de travail, des mesures d’aménagement de votre temps de travail ou des indications relatives à votre reclassement.

Nous lui avons également demandé si nous pouvions vous proposer des postes de reclassement administratif.

Le 5 octobre 2016, le médecin du travail nous a indiqué qu’aucun aménagement du temps n’est envisageable et que vous étiez inapte à tous les postes de l’établissement de [Localité 6].

Le 10 octobre 2016, nous avons écrit au médecin du travail pour lui demander une orientation sur les postes hors établissement de [Localité 6] pouvant vous être proposés (exemple : poste administratif).

Le 26 octobre 2016, le médecin du travail nous a indiqué que selon sa connaissance des métiers de l’entreprise, aucun poste de l’entreprise n’était compatible avec votre état de santé.

Le 4 novembre 2016, nous avons écrit au médecin du travail pour lui présenter les éventuels postes de reclassement possibles au siège et au sein de nos deux plate-formes de préparation d’affiches et lui demander si vous étiez éventuellement apte à ces postes.

Le 7 novembre 2016, nous vous avons de nouveau écrit car nous n’avons pas reçu de réponse à nos questions des 14 et 28 septembre 2016.

Le 25 novembre 2016, vous nous avez communiqué votre CV mais vous n’avez pas répondu à nos questions.

Le 7 décembre 2016, nous avons écrit au médecin du travail car nous n’avions pas reçu de réponse à notre courrier du 4 novembre 2016.

Le 12 décembre 2016, le médecin du travail nous a répondu qu’elle n’avait pas besoin de préciser autrement vos aptitudes et qu’il ne devait pas s’occuper de cette question depuis le second avis d’inaptitude.

Le 19 décembre 2016, nous avons partagé avec le médecin du travail plusieurs jurisprudences rappelant son rôle d’accompagnement et de conseil de l’employeur dans le cadre de la procédure de reclassement, même après les avis d’inaptitude

A cette même date, nous vous avons écrit pour accuser-réception de votre CV et pour de nouveau vous poser les différentes questions de notre premier courrier du 14 septembre 2016 afin d’améliorer nos recherches de reclassement.

Vous n’avez jamais répondu à ces différentes questions (sauf en ce qui concerne le bilan de compétences – cf supra).

Le 6 janvier 2017, le nouveau médecin du travail nous a écrit pour nous indiquer :

« Tout comme te Docteur [J] et d’après ma connaissance des postes et des conditions de travail du site de [Localité 6] (j’avais moi-même procédé à l’étude de poste de Monsieur [O] en février 2016), je ne vois aucun poste, qui s’apparenterait à ses missions précédentes et corrélés à son niveau de qualification, susceptible d’être compatible avec son état de santé, y compris avec adaptation du poste ou aménagement du temps de travail.

Il n’existe, en revanche, pas de contre-indication médicale à une formation à un poste sans manutention, de type administratif accueil ou commercial sur le site de [Localité 6] ou dans une autre filière (après validation d’aptitude par le médecin du travail local).  »

Dès lors, il était possible d’envisager un reclassement à un poste de type administratif accueil ou commercial.

Dans ces conditions, le 11 janvier 2017, nous avons consulte’ les délégués du personnel de l’établissement de [Localité 6] sur le projet de vous proposer tous les postes vacants de ce type.

Les délégués du personnel ont également suggéré de vous transmettre des informations sur notre prestataire Action logement.

Le 12 janvier 2017, nous vous avons proposé les 3 postes de reclassement actuellement vacants correspondant aux recommandations du médecin du travail :

– Assistant offre à [Localité 5] (33);

– Gestionnaire logistique à [Localité 8] (57);

– Assistant commercial au sein de la Direction commerciale nationale à [Localité 4] (92).

Ces propositions étaient conditionnées à la validation finale de votre aptitude à exercer’ ces postes par les médecins du travail des établissements concernés.

Toutes les solutions de formation adéquates auraient également été envisagées.

Dans la mesure ou ces propositions induisaient une mobilité géographique, nous vous avons également communiqué notre brochure sur nos aides à la mobilité géographique ainsi qu’une communication de la part de notre prestataire Action logement.

Le 12 janvier 2017, vous nous avez écrit au sujet de notre proposition de réaliser un bilan de compétences :

« Je suis extrêmement réservé sur cet outil. J’ai questionné les représentants du personnel qui m’ont confirmé qu’il s’agissait d’un gadget proposé systématiquement dans les situations d’inaptitude.

Quoi qu’il en soit et selon toute vraisemblance puisque vous me reprocherez ultérieurement d’avoir refusé ce bilan de compétence, je n’ai d’autres choix que de l’accepter  » Malgré vos réticences, vous avez finalement réalisé un bilan de compétences.

Le 24 janvier 2017, nous vous avons con1muniqué notre procédure interne sur le bilan de compétence, le formulaire d’inscription ainsi que la liste des prestataires de bilan de compétences.

Le 30 janvier 2017 (courrier reçu le 3 février 2017), vous avez refusé de vous prononcer sur nos différentes propositions de reclassement.

Le 31 janvier 201 7, nous vous avons proposé un nouveau poste de reclassement :

– Assistant commercial à [Localité 9] (92).

Vous n ‘avez pas répondu à cette proposition.

Le 10février 201 7, nous avons été contraints de constater l’échec de la procédure de reclassement.

En effet, nous vous avons proposé tous les postes vacants correspondant à votre aptitude et vous les avez refusés et/ou refusé d’y répondre.

En conséquence, compte-tenu de l’échec de la procédure de reclassement, nous vous informons donc par la présente que nous sommes dans l’obligation de vous notifier votre licenciement pour inaptitude physique à votre emploi et échec de la procédure de reclassement ».

Le 12 juin 2017, M. [O] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt pour principalement faire constater qu’il a fait l’objet de mesures discriminatoires en raison de son état de santé et son handicap, prononcer la nullité de son licenciement, ordonner sa réintégration dans les effectifs de la société et obtenir le paiement de diverses sommes de nature indemnitaire.

Par décision du 19 mars 2020, la Cour d’appel a débouté la société Clear Channel France de son action aux fins de suspension de l’exécution provisoire.

M. [O] a réintégré la société Clear Channel France.

A la suite d’un examen qui s’est tenu le 8 juin 2020, le médecin du travail a rendu un avis d’inaptitude concernant M. [O], dans les termes suivants :

« Reste inapte au poste de Magasinier tel que décrit dans la fiche de poste transmise par l’employeur (missions et matériel non modifiés par rapport à l’avis d’inaptitude de septembre 2016).

Serait apte sur un poste ne comprenant pas de manutention : type poste de bureau, gestion de stock informatique, poste de type administratif ».

Par lettre du 12 juin 2020, la société Clear Channel France a informé M. [O] qu’elle entamait des recherches de reclassement en adéquation avec les préconisations de la médecine du travail.

Par courriel du 13 juin 2020, M. [O] a indiqué à son employeur qu’il « refuserait de répondre à toute demande au titre d’un reclassement ».

Le 17 juin 2020, M. [O] a déposé une requête en référé auprès du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt, aux fins de contester l’avis d’inaptitude du médecin du travail du 8 juin 2020.

Le 18 août 2020, la médecine du travail a confirmé à la société Clear Channel France que

M. [O] ne s’était pas rendu à un deuxième examen médical prévu le matin même à 11 heures.

Par ordonnance de référé avant-dire droit du 18 décembre 2020, le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt a fait droit à la mesure d’instruction sollicitée par M. [O], en désignant un médecin inspecteur du travail.

Le 22 novembre 2021, le docteur [F] a remis son rapport d’expertise médicale, concluant finalement à l’inaptitude de M. [O] et à l’impossibilité de reclassement.

Par ordonnance du 17 décembre 2021, la formation de référé du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt a :

– pris acte des conclusions du médecin inspecteur du travail,

– dit que M. [O] est inapte à tout poste de magasinier,

– débouté la société Clear Channel France de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– laissé les dépens à la charge de chacune des parties pour la part lui incombant.

SUR CE,

Sur la discrimination :

Le salarié affirme avoir fait l’objet d’une discrimination en raison de son état de santé, ce que conteste la société.

L’article L. 1132-1 du code du travail dispose qu’aucun salarié ne peut être (‘) sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire (‘) en raison de (‘) son état de santé.

Sur le terrain de la preuve, il n’appartient pas au salarié qui s’estime victime d’une discrimination d’en prouver l’existence. Suivant l’article L. 1134-1, il doit seulement présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination. Au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

En l’espèce, le salarié se prévaut des faits suivants :

. des actes vexatoires au cours du mois de janvier 2016 (1),

. des propos injurieux et humiliants (2),

. des instructions incompatibles avec son état de santé (3),

. l’absence de mesure de prévention pour lui permettre de travailler dans des conditions compatibles avec son état de santé (4),

. l’absence de mesure d’aménagement, d’adaptation ou de transformation de postes existants ou d’aménagement du temps de travail et la rupture d’égalité avec les salariés occupant le même emploi (5).

Préalablement à l’examen de la matérialité des faits invoqués par le salarié, il importe de rappeler que ce dernier a la qualité de travailleur handicapé (pièce 14 S : reconnaissance du statut de travailleur handicapé par la CDAPH en date du 8 janvier 2015 pour la période comprise entre le 1er mars 2015 et le 28 février 2018) et présente des problèmes de santé. Le salarié bénéficie d’un titre de pension d’invalidité (pièce 15 S). Il n’est par ailleurs pas contesté que ces problèmes de santé ont été à l’origine de très nombreux arrêts de travail.

(1) Le salarié explique qu’à son retour après ses arrêts de travail, le 4 janvier 2016, il a été placé dans une salle vitrée et a dû y demeurer enfermé toute la journée assis sur une chaise ; situation qui a duré pendant une semaine.

Émanant du salarié lui-même, le courrier qu’il a adressé à sa hiérarchie le 22 septembre 2016 (pièce 23 S) est dépourvu de caractère probant.

En revanche, en pièce 17, le salarié produit un rapport du CHSCT du 11 février 2016 duquel il ressort que le CHSCT s’est interrogé sur les raisons pour lesquelles en dépit d’un avis d’aptitude que le médecin du travail avait rendu le 6 janvier 2016, le salarié « s’est retrouvé durant 4 jours dans une salle de réunion, dés’uvré, à compter les heures ».

Par ailleurs, de l’attestation de M. [C], délégué du personnel, il ressort notamment qu’en janvier 2016, le salarié a repris provisoirement son travail et qu’il a été « enfermé dans un bureau que certains appellent le bocal à poissons et qu’il n’avait rien d’autre à y faire que de plier quelques cartons ; qu’il n’avait pas le droit de sortir » (pièce 35 S).

Il en résulte que le fait, pour la société, d’avoir demandé au salarié de rester dans une salle sans travail pendant une semaine à compter de la reprise de son travail le 4 janvier 2016 est établi. En revanche, il n’est pas établi qu’il y a été « enfermé ».

(2) L’attestation de M. [C] susvisée (pièce 35 S) fait aussi ressortir que le salarié l’a avisé de ce qu’il faisait l’objet d’insultes et de moqueries de sa hiérarchie. Mais par son attestation, M. [C] n’apporte sur le fait ici étudié qu’un témoignage indirect. S’il peut témoigner de ce que le salarié s’est plaint auprès de lui de propos injurieux ou humiliants, ce témoignage n’établit pas pour autant la matérialité de ce dont s’est plaint le salarié. Comme rappelé plus haut, la pièce 23 du salarié est elle aussi impuissante à démontrer la réalité des propos injurieux ou humiliants proférés par sa hiérarchie à son endroit.

Le fait ici étudié n’est pas démontré.

(3) Le salarié veut faire admettre la réalité des instructions incompatibles avec son état de santé par la production de ses pièces 21 et 22. La première de ces pièces est un document dactylographié non daté, non signé dont l’auteur n’est pas mentionné. La seconde est une série de 3 photographies non datées. Ces pièces sont dépourvues de tout caractère probant ainsi que le relève à juste titre la société.

Toutefois, le salarié soutient aussi qu’il a été amené à manipuler des charges lourdes, exposant qu’il « doit déplacer des vitres pesantes entre 26 et 66 kg, des moteurs de 15 kg et des plaques de très grand encombrement ». Cette allégation ne se conçoit que pour le travail que le salarié a réalisé à partir du 17 mai 2016 puisqu’il apparaît que lors de sa première semaine (4-7 janvier) il ne lui a été confié aucun travail et puisqu’il est admis comme un fait constant que le salarié a en réalité repris son travail le 17 mai 2016 pour le cesser le 30 mai 2016 en raison d’un nouvel arrêt de travail.

La cour dispose donc d’éléments pour situer la période litigieuse entre le 17 et le 30 mai 2016. Au cours de cette période, le salarié avait été déclaré apte avec notamment une restriction liée au port de charges de plus de 25 kgs (cf. infra et pièce 15 E).

La société reproche au premier juge de ne pas avoir recherché « si dans les faits, le salarié avait réellement porté seul des charges de plus de 25 kg ».

Mais cet argument est inopérant dès lors qu’en matière de sécurité, il revient à l’employeur et à lui seul d’établir qu’il s’est conformé à l’avis du médecin du travail et, pour ce qui concerne le cas d’espèce, à la restriction liée au port de charges. En termes probatoires, il revient seulement au salarié d’alléguer le fait constituant un manquement ‘ ce qu’il fait ‘ et non de le prouver. Il revient ensuite à la société de prouver qu’elle s’est conformée à l’avis médical, ce qu’elle ne fait pas.

Il en résulte que le manquement, présenté par le salarié comme contribuant à la discrimination qu’il dénonce, est établi.

(4) et (5) Comme le montre la pièce 1 du salarié, la société et plusieurs organisations syndicales (CGT, CFE/CGC, CFDT, FO, CFTC, FLAG) ont conclu un protocole d’accord « mesures préventives pour les salariés en longue maladie ou en accident du travail et mesures de reclassement des salariés en inaptitude » daté du 8 avril 2004. De ce protocole, il ressort qu’afin de préparer la réinsertion des salariés dont l’état de santé risque d’avoir pour conséquence une inaptitude, la société et le CHSCT rencontreront ces salariés afin de déterminer avec eux quelles pourraient être leurs conditions de reprise d’activité dans l’entreprise et préparer les mesures permettant un reclassement si celui-ci est possible.

En pièce 5, le salarié produit également un accord « handicap » conclu le 24 juin 2014 avec plusieurs organisations syndicales (FO-SNPEP et UNSA Publicité) dont il ressort notamment que la société doit maintenir le contact avec le salarié pendant la durée de son arrêt de travail, non pas pour savoir quand il reprendra son travail mais pour savoir comment anticiper un retour du salarié. Des mesures sont aussi prévues au titre de l’aménagement des postes de travail.

Ces accords n’ont pas été mis en ‘uvre, faute d’anticipation, par la société, du retour du salarié ainsi que l’a relevé à juste titre le premier juge. Certes, la société invoque un entretien de retour du 4 janvier 2016 avec ses supérieurs hiérarchiques, MM. [L] et [S], lesquels ont témoigné en faveur de l’employeur (pièces 74 et 75). Mais de toute évidence, il ressort de leurs témoignages que le retour du salarié n’avait pas été préparé ni anticipé, raison pour laquelle il est admis que ce dernier a été invité à demeurer dans une salle (« le bureau vitré sur le plateau technique ») sans travail, ou à tout le moins, avec un travail qui n’avait pas vocation à l’occuper pour un temps plein : il s’agissait en effet de confier au salarié « des cartons d’archives à plier pour l’occuper ».

Il ressort de la fiche d’aptitude du salarié en date du 6 janvier 2016 (pièce 12 E ‘ fiche d’aptitude du 6 janvier 2016 faisant suite à la visite de reprise du salarié) que le médecin du travail a conclu : « Apte avec aménagement du poste de travail. Reprise à temps partiel à l’essai sur 4 jours soit à un poste administratif après formation adéquate selon vos besoins mais avec fourniture d’un fauteuil ergonomique et un bureau permettant le travail assis-debout et un poste éventuel de plieur avec chaussures de sécurité choisies par lui afin qu’il puisse y glisser ses semelles. Je rappelle qu’étant reconnu travailleur handicapé vous pouvez bénéficier d’aides à l’achat de ces équipements pour M. [O] ».

Le salarié a pourtant, à partir du 7 janvier 2016, été dispensé de travail ; travail qu’il n’a repris que le 17 mai 2016 après plusieurs visites médicales auprès de la médecine du travail :

. visite du 8 février 2016 qui a donné lieu à un avis d’inaptitude au poste de magasinier (pièce 13 E) après une étude de poste réalisée le 5 février 2016,

. visite du 7 mars 2016 qui a donné lieu à un avis d’aptitude au poste de magasinier (pièce 14 E) : « Apte avec aménagement du poste de travail. Apte à la reprise de son poste de magasinier à 80 % soit sur 4 jours ou 8 demi-journées à organiser par l’employeur et le salarié. Fourniture d’un fauteuil ergonomique pour le travail de bureau. Fournitures de chaussures de sécurité adaptées. L’accord handicap de l’entreprise devrait permettre ces achats. Pas de manutentions lourdes seul. Poste sera réévalué dans le mois en cours lors de l’étude de poste sur place du salarié présent par le docteur [Y] »,

. visite du 14 avril 2016 qui a donné lieu à un avis d’aptitude (pièce 15 E) : « Apte au poste de magasinier sans restriction. Les charges de plus de 25 kilos comme les scollings et les vitres doivent être portées systématiquement en binôme (comme convenu lors de l’étude de poste du 25/03/2016). Prévoir un fauteuil ergonomique pour le poste sur écran ».

Le salarié qui avait repris son travail le 17 mai 2016 a de nouveau été placé en arrêt de travail le 30 mai 2016.

En tout état de cause, il apparaît qu’entre le 6 janvier 2016 et le 8 février 2016 soit pendant près d’un mois, le salarié avait été déclaré apte avec un aménagement de poste. Pourtant, il a été dispensé de travail.

En synthèse de ce qui précède, ont été démontrés les faits suivants, relatifs à un salarié qui avait été placé en arrêt de travail pendant 18 mois et qui jouissait du statut de travailleur handicapé :

(1) Le fait que le salarié a été invité à demeurer du lundi 4 au vendredi 8 janvier 2016 dans un bureau vitré et le fait d’y être dés’uvré,

(3) le non-respect des restrictions relatives au port de charges,

(4) et (5) la non-mise ‘uvre du protocole d’accord « mesures préventives pour les salariés en longue maladie ou en accident du travail et mesures de reclassement des salariés en inaptitude » du 8 avril 2004 et l’accord « handicap » du 24 juin 2014 et l’absence de fourniture de travail alors qu’il avait été déclaré apte par le médecin du travail.

Ces faits, qu’ils soient pris isolément ou ensemble, font présumer une discrimination en raison de l’état de santé du salarié. Il revient en conséquence à l’employeur de démontrer que ses décisions sont justifiées par des raisons objectives étrangères à toute discrimination.

(1) Le fait, pour la société, d’avoir demandé au salarié de rester dans une pièce ‘ que les uns appellent le bocal à poissons et les autres le bureau vitré sur le plateau technique ‘ s’explique, selon la société, par le fait qu’elle n’avait pas été avisée du retour du salarié le lundi 4 janvier 2016.

Néanmoins, en pièce 80, l’employeur produit les échanges de courriels entre M. [X] (ancien supérieur hiérarchique du salarié) et M. [R], DRH. Ces échanges font suite à un courriel adressé à M. [R] par M. [E], membre élu du CHSCT et délégué syndical, qui dénonçait les conditions dans lesquelles le salarié avait été accueilli le 4 janvier. De cet échange (pièce 80), il ressort notamment que M. [X] indiquait avoir été régulièrement avisé par le salarié de ses avis d’arrêt de travail. Dans le courriel qu’il adressait à M. [R] le 8 janvier 2016, il faisait apparaître une copie d’écran des textos qu’il recevait du salarié depuis décembre 2014. Il s’agit de 12 textos brefs contenant pour seule indication la date de prolongation des arrêts de travail du salarié (« arrêt jusqu’au [date] »). La cour observe que le salarié avisait généralement M. [X] des prolongations de ses arrêts de travail dans des délais lui permettant de justifier immédiatement ou quasi immédiatement de ses absences. Pour prendre deux exemples de textos :

. le salarié avisait le 20 décembre 2014 son supérieur hiérarchique de ce que son arrêt était prolongé jusqu’au 17 janvier 2015. Et le 16 janvier 2015, il l’avisait d’une nouvelle prolongation jusqu’au 13 février 2015 ;

. le salarié avisait le 16 février son employeur de la prolongation de son arrêt de travail jusqu’au 15 mars et le 16 mars, il l’avisait d’une nouvelle prolongation jusqu’au 16 avril.

Le dernier texto est daté du 14 décembre 2015. Il y apparaît que le salarié indiquait : « arrêt jusqu’au 31 12 »).

Le salarié n’a pas adressé à M. [X] d’autre texto par la suite. Par conséquent, la société doit être considérée comme ayant été avisée de la fin de l’arrêt de travail du salarié le 31 décembre 2015 et donc d’une reprise le premier lundi suivant, soit le 4 janvier 2016.

S’il peut se comprendre de la situation que la société n’escomptait pas de retour du salarié à cette date en raison des échanges antérieurs et de la longueur de l’arrêt de travail du salarié, il doit toutefois être relevé que l’accord « handicap » du 24 juin 2014 faisait obligation à la société de maintenir le contact avec le salarié pendant la durée de son arrêt de travail, pas seulement pour savoir quand il devait reprendre son travail mais pour savoir comment anticiper un retour du salarié. Et de toute évidence, comme relevé plus haut, cette obligation a été méconnue ; méconnaissance qui n’est pas justifiée par des raisons objectives.

Cette méconnaissance s’explique en réalité par la longueur de l’arrêt de travail et par les nombreux renouvellements des arrêts de travail. C’est donc par une raison intrinsèquement liée à l’état de santé du salarié que l’employeur n’a pas anticipé le retour du salarié. La méprise de la société, caractérisée par un manque d’anticipation, ne s’explique donc que par l’état de santé du salarié. Dès lors et de ce chef, l’employeur est dans l’impossibilité d’expliquer par des raisons objectives étrangères à toute discrimination les conditions dans lesquelles elle a accueilli son salarié le premier jour de sa reprise.

Par ailleurs, le salarié, qui avait été absent durant 18 mois, devait effectivement préalablement passer une visite de reprise, laquelle n’a eu lieu que le jeudi 6 janvier et dont les résultats n’ont été connus que le vendredi 7 janvier. Il résulte des attestations concordantes de ses supérieurs hiérarchiques que le salarié n’a pas été « enfermé » dans cette salle comme il l’indique, mais qu’il a reçu pour instruction de ne pas se rendre dans un autre lieu, particulièrement un lieu où il devait être revêtu d’EPI. Mais les conditions dans lesquelles le salarié a été accueilli les jours suivant le 4 janvier s’expliquent exclusivement par le manque d’anticipation du retour du salarié, ce qui n’est pas une cause objective étrangère à toute discrimination.

(3) La société se contente de nier le fait, pour le salarié d’avoir porté des charges de plus de 25 kgs alors que la cour l’a reconnu comme établi. Elle n’apporte donc pas aux débats d’élément propre à établir la réalité d’une cause objective étrangère à toute discrimination.

(4) et (5) Il apparaît que la société n’a pas entendu immédiatement ‘ dès le lundi 4 janvier 2016 à sa reprise de travail ‘ affecter le salarié sur le poste de magasinier qu’il occupait antérieurement parce qu’il n’avait pas encore passé sa visite de reprise, laquelle n’a eu lieu que le 6 janvier 2016.

Il ressort d’un courriel interne de la société (pièce 80 E ‘ courriel du 7 janvier 2016), que cette dernière était avisée le 7 janvier 2016 de ce que le salarié avait été déclaré apte par le médecin du travail, lequel avait conclu, ainsi qu’il ressort du courriel, à « une aptitude partielle temporaire à temps partiel ». Il ressort aussi de ce courriel qu’il subsistait « encore quelques incertitudes quant à cet avis médical », raison pour laquelle la société souhaitait entrer en contact avec le médecin du travail pour obtenir de lui des éclaircissements ; que dans l’attente, la société allait dispenser le salarié « dès ce soir » de toute activité avec maintien de sa rémunération. De fait, dans la fiche d’aptitude du 6 janvier 2016 (pièce 12 E déjà citée supra) le médecin du travail avait conclu que le salarié était apte pour une reprise à temps partiel avec un aménagement de poste et près d’un mois plus tard (8 février 2016), après une étude de poste réalisée le 5 février 2016, le même médecin l’avait déclaré inapte.

Toutefois, là encore, la société était tenue par l’accord « mesures préventives pour les salariés en longue maladie ou en accident du travail et mesures de reclassement des salariés en inaptitude » du 8 avril 2004 et donc, elle devait préparer la réinsertion des salariés dont l’état de santé risquait d’avoir pour conséquence une inaptitude. Elle était aussi tenue par l’accord « handicap » du 24 juin 2014 qui prévoit un maintien du contact avec le salarié pendant la durée de son arrêt de travail et pas uniquement pour savoir quand il reprendra son travail. En outre, entre le 6 janvier 2016 et le 8 février 2016, la société devait fournir un travail au salarié qui avait été déclaré apte. Aussi, à partir du 7 mars 2016 ‘ date à laquelle le salarié a de nouveau été déclaré apte par le médecin du travail ‘ la société devait aménager le poste de travail du salarié pour sa reprise. Certes, la société soutient qu’elle a « toujours pris soin de respecter les préconisations de la médecine du travail », se fondant en cela sur ses pièces 19 et 83. Mais la pièce 19 est un document intitulé « aménagement du futur poste de travail du magasinier du dépôt de [Localité 6] » qui n’est pas daté, pas signé et dont l’auteur est inconnu ce qui lui ôte tout caractère probant. Quant à la pièce 83, il s’agit d’une commande, par la société, d’un siège ergonomique ; commande datée du 6 avril 2016, ce qui apparaît très tardif compte tenu de ce que l’avis d’aptitude recommandant un siège ergonomique avait été prononcé le 7 mars 2016. Ce retard ne s’explique par aucune raison objective étrangère à toute discrimination.

En synthèse de ce qui précède, la discrimination du salarié en raison de son état de santé est établie ainsi que l’a retenu à juste titre le juge départiteur.

Il en est résulté, pour le salarié, un préjudice qui sera intégralement réparé par une indemnité de 8 000 euros, somme au paiement de laquelle, infirmant le jugement, la société sera condamnée.

En revanche, le licenciement pour inaptitude du salarié, prononcé le 7 avril 2017 soit près d’un an après les faits de discrimination lesquels ont été circonscrits sur une période très réduite, est sans lien avec ladite discrimination.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu’il a dit le licenciement nul en application de l’article

L. 1132-4 du code du travail et en ce qu’il a ordonné la réintégration du salarié.

Statuant à nouveau, il conviendra de débouter le salarié :

. de sa demande tendant à dire nul son licenciement,

. de sa demande de réintégration,

. de sa demande tendant au paiement d’une indemnité d’éviction.

Sur le harcèlement moral :

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de l’article L. 1154-1 dans sa version applicable à l’espèce, interprété à la lumière de la directive n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, lorsque survient un litige relatif à l’application de ce texte, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il se déduit de l’argumentation du salarié qu’il se fonde en réalité sur les mêmes motifs que ceux qu’il présentait au titre de la discrimination.

Il a été jugé qu’étaient établis le fait que le salarié a été invité à demeurer du lundi 4 au vendredi 8 janvier 2016 dans un bureau vitré et le fait d’y être resté dés’uvré, le manquement relatif au non respect des restrictions relatives au port de charges, le fait que la société n’a pas mis en ‘uvre le protocole d’accord « mesures préventives pour les salariés en longue maladie ou en accident du travail et mesures de reclassement des salariés en inaptitude » du 8 avril 2004 et l’accord « handicap » du 24 juin 2014 et n’a pas donné de travail alors qu’il avait été déclaré apte par le médecin du travail.

Ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent présumer un harcèlement moral.

L’employeur n’établit pas que les décisions qu’il a prises sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le harcèlement moral est donc établi.

Toutefois, le salarié n’apporte pas la démonstration d’un préjudice distinct de celui déjà réparé, pour les mêmes faits, par les dommages-intérêts qui lui ont été accordés au titre de la discrimination.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de ce chef de demande.

Sur la rupture du contrat de travail :

Ainsi que le soutient à juste titre le salarié et ainsi qu’il a été jugé lorsque a été examinée la question de la discrimination, le salarié a été amené à porter des charges lourdes en dépit des recommandations contraires du médecin du travail. Il s’agit d’une violation de l’obligation de sécurité pesant sur l’employeur ; violation constatée entre le 17 et le 30 mai 2016.

Cette violation n’est pas sans lien avec l’arrêt de travail du salarié ayant débuté le 30 mai 2016 ‘ date proche de la violation constatée ‘ et s’étant achevé le 9 septembre 2016, date de la fin de l’arrêt de travail.

L’arrêt de travail du salarié et l’inaptitude qui en est résultée étant en lien avec la violation, par la société, de son obligation de sécurité, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

Compte tenu de l’ancienneté du salarié (du 11 août 2008 au 7 avril 2017 soit une ancienneté de 8 ans, 7 mois et 27 jours), de son niveau de rémunération (environ 2000 euros par mois), de son âge lors de la rupture (35 ans), de son handicap rendant difficile la recherche d’un nouvel emploi, il conviendra d’évaluer le préjudice résultant de la perte de son emploi à 20 000 euros, somme au paiement de laquelle, ajoutant au jugement, la société sera condamnée.

Le salarié peut aussi prétendre à une indemnité compensatrice de préavis, qui si elle est contestée en son principe par la société pour des motifs inopérants puisque le licenciement a été jugé sans cause réelle et sérieuse, n’est pas contestée en son quantum.

Dès lors, ajoutant au jugement, il conviendra de condamner la société à payer au salarié la somme de 6 031,14 euros outre 603,11 euros au titre des congés payés afférents.

Sur la demande de dommages-intérêts pour délivrance tardive de l’attestation Pôle emploi et du solde de tout compte :

Le salarié rappelle les prescriptions de l’article R. 1234-9 du code du travail et expose qu’il a été licencié le 7 avril 2017 et a dû attendre presque un mois pour recevoir ses documents de fin de contrat de sorte qu’il n’a pu s’inscrire à Pôle emploi que le 10 mai 2017.

La société s’oppose à la demande, objectant que les documents de fin de contrat sont quérables et non portables et qu’en tout état de cause, le délai de remise n’est pas déraisonnable.

A tort, la société expose que les documents de fin de contrat étaient quérables et non portables dès lors que dans la lettre de licenciement, était indiqué : « Le service paie et administration du personnel vous fera parvenir par courrier votre attestation Pôle emploi, votre certificat de travail et votre solde de tout compte » (pièce 32 S ‘ lettre de licenciement).

L’employeur devait donc envoyer au salarié ses documents de fin de contrat. Toutefois, c’est à raison que l’employeur objecte que l’envoi des documents dans le mois du licenciement, a été réalisé dans un délai raisonnable. En outre, le salarié n’établit pas la réalité du préjudice qu’il invoque.

Le jugement sera en conséquence confirmé de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Succombant, la société sera condamnée aux dépens.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a alloué de ce chef au salarié la somme de 1 500 euros.

Il conviendra de condamner la société à payer au salarié une indemnité de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais engagés en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, la cour :

INFIRME partiellement le jugement,

Statuant à nouveau,

DÉBOUTE M. [O] de sa demande tendant à dire nul le licenciement,

DÉBOUTE M. [O] de sa demande de réintégration,

DEBOUTE M. [O] de sa demande d’indemnité d’éviction,

CONDAMNE la SAS Clear Channel France à payer à M. [O] la somme de 8 000 euros à titre de dommages-intérêts pour discrimination,

DIT sans cause réelle et sérieuse le licenciement de M. [O],

CONDAMNE la SAS Clear Channel France à payer à M. [O] :

. 20 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 6 031,14 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 603,11 euros au titre des congés payés afférents,

CONFIRME le jugement pour le surplus,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,

CONDAMNE la SAS Clear Channel France à payer à M. [O] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais engagés en cause d’appel,

CONDAMNE la SAS Clear Channel France aux dépens.

. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

. signé par Madame Clotilde MAUGENDRE, Présidente et par Madame Dorothée MARCINEK, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente

 


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x