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En matière d’investissements dans les Crypto-actifs au profit de sociétés tierces, la banque peut se décharger de sa responsabilité en faisant signer à son client, préalablement à tout passage de virements, une décharge précisant que sa responsabilité ne pourrait en aucun cas être recherchée.
Cette lettre de décharge de responsabilité et d’alerte de l’investisseur peut par exemple stipuler que :
« Le client a été informé qu’il existe des risques significatifs juridiques et de perte en capital ; le client a reçu une copie du document de l’Autorité des marchés financiers et de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution de mise en garde des épargnants sur l’achat de crypto-actifs ; le client a été informé par la banque de prendre des précautions afin de s’assurer de la réalité et de la licéité de l’opération d’investissement dans des crypto-actifs.
À la suite de ces déclarations, le client confirme avoir compris la nature de l’investissement dans les crypto-actifs et les risques qui y sont associés, et persister dans son souhait d’investir sur ce support »
L’obligation d’information du client à la charge de la banque ne s’applique qu’à la conclusion du contrat d’ouverture de compte et ne s’applique pas aux ordres de virement.
Le principe est le suivant : si le banquier doit en effet éclairer son client sur les caractéristiques du contrat proposé, il ne doit pas s’immiscer dans la gestion des affaires de son client.
Dans cette affaire, ayant lu une annonce publicitaire de Boursebitcoin.com, entreprise proposant des placements en bitcoins, un particulier lui a demandé des informations sur sa proposition puis, après divers échanges par courrier, messagerie électronique et téléphone, décidait d’y souscrire.
Le particulier a demandé à sa banque, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Île-de-France, de procéder à plusieurs virements au bénéfice du site internet, représentant au total, près de 500 000 euros.
L’investissement s’étant révélé être une escroquerie, le client s’est retourné sans succès contre sa banque pour manquement à son devoir de mise en garde et à son obligation de conseil.
Le client a reconnu que, préalablement à l’opération d’investissement dans des crypto-actifs, son attention avait été attirée sur les facteurs de risque, précisant être pleinement conscient d’assumer la totale responsabilité de cet investissement et qu’il ne pourrait en aucun cas rechercher la responsabilité du Crédit agricole pour les éventuelles conséquences de cette opération d’investissement.
Aux termes de l’article 1915 du code civil, le dépôt, en général, est un acte par lequel on reçoit la chose d’autrui, à la charge de la garder et de la restituer en nature.
Aux termes de l’article 1927 du même code, le dépositaire doit apporter, dans la garde de la chose déposée, les mêmes soins qu’il apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent.
Le client a tenté de reprocher à la Caisse régionale du crédit agricole mutuel d’avoir manqué à son devoir de conservation en ne vérifiant pas l’authenticité des identifiants uniques fournis en vue des virements demandés, et leur cohérence avec les titulaires des comptes désignés, les bénéficiaires des virements et l’activité de ceux-ci.
Aux termes de l’article 1937 du même code, le dépositaire ne doit restituer la chose déposée qu’à celui qui la lui a confiée, ou à celui au nom duquel le dépôt a été fait, ou à celui qui a été indiqué pour le recevoir.
Dès lors que le client reconnaît que ses ordres de virement ont été correctement exécutés, la juridiction n’a pu que constater que la Caisse régionale du crédit agricole a honoré ses obligation de conservation des fonds et de restitution, sans que la déposante soit fondée en sa demande indemnitaire.
Aux termes de l’article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.
L’article 1112-1 du code civil dispose pour sa part :
« Celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.
Néanmoins, ce devoir d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation.
Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.
Il incombe à celui qui prétend qu’une information lui était due de prouver que l’autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu’elle l’a fournie.
Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.
Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d’information peut entraîner l’annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants. »
Ces dispositions relatives à la conclusion du contrat ne pourraient cependant trouver à s’appliquer en l’espèce qu’à la convention d’ouverture de compte, non aux ordres de virement litigieux.
Si le banquier doit en effet éclairer son client sur les caractéristiques du contrat proposé, il ne doit pas s’immiscer dans la gestion des affaires de son client.
Au demeurant, la Caisse régionale du crédit agricole a fait signer à son client, une lettre de décharge dans le cadre d’une demande d’acquisition de bitcoins, crypto-monnaies ou tout autre crypto-actif. À cette lettre était jointe la mise en garde contre les achats de bitcoins publiée par l’Autorité des marchés financiers et par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.
Le client était donc dûment informé du risque qu’il courait.
S’agissant des virements précédant cette mise en garde, ni la dénomination de leurs bénéficiaires (XRP Industry, Capital Trust Reality), ni aucun autre élément du dossier ne laissent à penser que la Caisse régionale du crédit agricole mutuel ait su a priori qu’il s’agissait d’investissements dans un crypto-actif proposé par la société Boursebitcoin.com, de nature à motiver une information de sa cliente sur le caractère risqué d’un tel investissement.
Aucun défaut d’information n’a pu être retenu à la charge de la banque.
Les obligations de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers en application des articles L. 561-5 à L. 561-22 du code monétaire et financier ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, et les victimes d’agissements frauduleux ne peuvent s’en prévaloir pour réclamer des dommages-intérêts à l’organisme financier, étant ajouté qu’en l’espèce aucun soupçon de cette nature n’affecte l’origine des fonds virés, qui provenaient principalement de la vente de l’appartement du client.
Sauf disposition légale contraire, la banque est tenue à une obligation de non-ingérence dans les affaires de son client, quelle que soit la qualité de celui-ci, et n’a pas à procéder à de quelconques investigations sur l’origine et l’importance des fonds versés sur ses comptes ni même à l’interroger sur l’existence de mouvements de grande ampleur, dès lors que ces opérations ont une apparence de régularité et qu’aucun indice de falsification ne peut être décelé (Com., 25 sept. 2019, no 18-15.965, 18-16.421).
Ainsi, le prestataire de services de paiement, tenu d’un devoir de non-immixtion dans les affaires de son client, n’a pas, en principe, à s’ingérer, à effectuer des recherches ou à réclamer des justifications des demandes de paiement régulièrement faites aux fins de s’assurer que les opérations sollicitées ne sont pas périlleuses pour le client ou des tiers.
S’il est exact que ce devoir de non-ingérence trouve une limite dans l’obligation de vigilance de l’établissement de crédit prestataire de services de paiement, c’est à la condition que l’opération recèle une anomalie apparente, matérielle ou intellectuelle, soit des documents qui lui sont fournis, soit de la nature elle-même de l’opération ou encore du fonctionnement du compte.
En l’espèce, le client ne caractérise aucune anomalie matérielle des ordres de virement exécutés par la Caisse régionale du crédit agricole mutuel, dont la régularité n’est pas discutée. Ainsi, ne constituent pas une telle anomalie :
‘ la correction apportée au nom du bénéficiaire (« …. » biffé et corrigé en « Capital Trust Reality ») de l’ordre de virement donné le 12 avril 2018 à 9 heures 51 pour un montant de 70 000 euros, puisque cet ordre est signé du client, lequel « déclare avoir vérifié l’exactitude des opérations effectuées sur son ordre » et a pu être correctement exécuté ;
‘ le caractère apparemment incompréhensible du motif ou de la référence du bénéficiaire indiqués sur les ordres de virement (« REF. EC26785MT500 », « Virement pour [C] », « JP-T 3728009 O P A », « O P A », « JP-T 3728009 », « 372800933 », « 1992987812 », « 1905723855 », « reference 1905723855 » : pièces nos 11, 17, 30, 32, 35, 40, 54, 120 de l’appelante) ;
‘ le fait que les bénéficiaires désignés (XRP Industry, Capital Trust Reality, Info and Tech Solution, Absolute Conclusion Unipessoal) soient différents du contractant du client, la société Boursebitcoin.com
La rectification d’un ordre de virement ne manifeste pas davantage une immixtion de la banque, qui justifierait de sa part une obligation de vigilance accrue, alors que l’intitulé du bénéficiaire est fourni par le client
Par ailleurs, ni le montant des virements ‘ qui demeuraient largement couverts par le solde créditeur ‘, ni leur destination vers des comptes détenus dans les livres de banques dûment agréées au sein de pays membres de l’Union européenne et de l’espace unique de paiements en euros, qui n’attirait pas spécialement l’attention en terme de sécurité, ne constituaient des anomalies devant alerter la vigilance de la banque.
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 6
ARRÊT DU 30 NOVEMBRE 2022
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/18749 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CC274
Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Décembre 2020 -Tribunal de Commerce de PARIS – RG n° 2019047583
APPELANTE
Madame [X] [H]
née le [Date naissance 3]1956 à [Localité 5] de nationalité française
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480, avocat postulant
Ayant pour avocat plaidant Me Virginie LARCHERON, avocat au Barreau de Paris, toque : D 1802
INTIMEE
CAISSE REGIONALE DU CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE PARIS ET D’ILE DE FRANCE
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Jean-Philippe GOSSET de la SELEURL CABINET GOSSET, avocat au barreau de PARIS, toque : B0812 substitué à l’audience par Me Charles BENATHAN, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 Octobre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Vincent BRAUD, Président, et Mme Pascale SAPPEY-GUESDON, Conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
M. Marc BAILLY, Président,
M. Vincent BRAUD, Président, chargé du rapport
Mme Pascale SAPPEY-GUESDON, Conseillère
Greffier, lors des débats : Madame Anaïs DECEBAL
ARRET :
— CONTRADICTOIRE
— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
— signé par Vincent BRAUD, Président de chambre et par Yulia TREFILOVA, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
*
* *
Faits et procédure :
En février 2018, [X] [H], ayant lu une annonce publicitaire de BOURSEBITCOIN.COM, entreprise proposant des placements en bitcoins, lui demandait des informations sur sa proposition puis, après divers échanges par courrier, messagerie électronique et téléphone, décidait d’y souscrire.
Le 20 février 2018, suivant les instructions de BOURSEBITCOIN.COM, [X] [H] donnait à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Île-de-France, dans les livres de laquelle elle avait un compte de dépôt ouvert, ordre de virer la somme de 10 000 euros de son compte vers celui de la société XRP Industry.
Le 28 février 2018, [X] [H] donnait de nouveau à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Île-de-France, ordre de virer la somme de 30 000 euros de son compte vers celui de la société XRP Industry.
Le 15 mars 2018, l’Autorité des marchés financiers inscrivait BOURSEBITCOIN.COM sur sa liste noire de sociétés.
Le 12 avril 2018, [X] [H] donnait à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Île-de-France deux ordres de virer la somme de 70 000 euros de son compte vers celui de Capital Trust Reality, une autre société que BOURSEBITCOIN.COM lui avait préalablernent désignée par message électronique.
Le 13 avril 2018, [X] [H] reconnaissait que, préalablement à l’opération d’investissement dans des crypto-actifs, son attention avait été attirée sur les facteurs de risque, précisant être pleinement consciente d’assumer la totale responsabilité de cet investissement et qu’elle ne pourrait en aucun cas rechercher la responsabilité du Crédit agricole pour les éventuelles conséquences de cette opération d’investissement.
Du 13 avril au 21 juin 2018, [X] [H] donnait, de même, à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Île-de-France ordre de virer, en six opérations, la somme de 276 747 euros ‘ soit, au total, 456 747 euros ‘ de son compte vers ceux d’Info and Tech Solution et d’Absolute Conclusion Unipessoal, sociétés que BOURSEBITCOIN.COM lui avait préalablement désignées par message électronique, ou d’elle-même :
— le 13 avril 2018, 60 000 euros sur le compte d’Info and Tech Solution ;
— le 2 mai 2018, 74 322 euros sur un compte au nom de [X] [H] ;
— le 16 mai 2018, 27 325 euros sur le compte d’Absolute Conclusion Unipessoal ;
— le 6 juin 2018, 36 000 euros et 39 000 euros sur le compte d’Absolute Conclusion Unipessoal ;
— le 21 juin 2018, 40 100 euros sur le compte d’Absolute Conclusion Unipessoal.
Les bénéficiaires de ces virements étaient en fait des escrocs, qui détournaient les sommes que [X] [H] leur avait confiées. Le 28 juillet 2018, [X] [H] portait plainte pour escroquerie.
Le 24 juillet 2019, [X] [H] sollicitait la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Île-de-France dans la perspective d’une résolution amiable du litige qui les oppose, en vain.
Par exploit en date du 1er août 2019, [X] [H] a assigné en indemnisation et en restitution la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Île-de-France devant le tribunal de commerce de Paris.
Par jugement contradictoire en date du 3 décembre 2020, le tribunal a :
‘ Rejeté la fin de non-recevoir que la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Île-de-France a soulevée ;
‘ Débouté [X] [H] de sa demande de condamner la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Île-de-France à lui payer une somme globale de 456 747 euros avec intérêts au taux légal à compter du 21 juin 2018 ;
‘ Débouté [X] [H] de sa demande de condamner la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Île-de-France à lui payer une somme de 20 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 21 juin 2018, en réparation du préjudice moral ;
‘ Condamné [X] [H] à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Île-de-France la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
‘ Débouté les parties de toutes leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;
‘ Condamné [X] [H] à payer les dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 euros dont 12,20 euros de taxe sur la valeur ajoutée.
Par déclaration du 21 décembre 2020, [X] [H] a interjeté appel du jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 8 septembre 2021, [X] [H] demande à la cour de :
— dire et juger Madame [X] [H] recevable et bien fondée en son appel, ses demandes, fins et conclusions,
Vu le jugement rendu le 03 décembre 2020 par la 6e Chambre du Tribunal de Commerce de PARIS,
Vu les articles L.133-8, L.133-17, L.133-21 et L. 133-24 du Code monétaire et financier,
Vu les articles 1112-1 et suivants, 1231-1, 1915, 1315 et suivants du Code civil,
Vu les articles L.561-1, L.561-15, R.561-31-2 et L.561-36 du code monétaire et financier,
Vu les pièces jointes à l’appui de la demande,
— infirmer le jugement rendu le 03 décembre 2020 par la 6e chambre du Tribunal de Commerce de PARIS en toutes ses dispositions et,
Statuant de nouveau :
— débouter la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Île-de-France de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
In limine litis :
— Juger que les dispositions de l’article L.133-21 du Code monétaire et financier ayant été promulguées postérieurement aux virements litigieux, elles sont inapplicables et inopposables à Madame [X] [H],
— juger que les virements litigieux n’étant pas des « opérations non autorisées ou mal exécutées » mais des opérations autorisées présentant des anomalies apparentes, les articles L.133-17 et L.133-24 du Code monétaire et financier sont inapplicables et inopposables à Madame [X] [H],
En conséquence :
— rejeter les exceptions de forclusion invoquées par la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Île-de-France à l’encontre de Madame [X] [H],
— juger recevable l’action diligentée par Madame [X] [H] à l’encontre de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Île-de-France ,
Sur le fond :
D’une première part :
— juger que la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Île-de-France, en qualité de prestataire de services de paiement, a manqué à son devoir d’information en omettant de révéler à Madame [X] [H] des informations déterminantes de son consentement qu’elle ignorait relatives aux virements qu’elle réalisait par l’intermédiaire de son compte bancaire,
— juger qu’en omettant d’informer dès le 20 février 2018 Madame [X] [H] des risques d’escroquerie et de fraude aux virements en raison de leurs incohérences manifestes et des signalements de ses interlocuteurs, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Île-de-France a manqué à son devoir d’information et de vigilance au préjudice de sa cliente,
— juger que la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Île-de-France a manqué à son devoir de vigilance, de surveillance en exécutant les virements litigieux entre le 21 février 2018 et le 21 juin 2018 malgré les anomalies matérielles et intellectuelles apparentes au préjudice de Madame [X] [H] et alors qu’elle avait connaissance des recommandations de l’AMF depuis le 04 décembre 2017 et que la société BOURSEBITCOINS.COM figurait déjà sur la liste noire des sociétés interdites de proposer des services d’achats en crypto-actifs,
— juger que le principe de non immixtion dans les affaires de son client ne dispense pas un établissement de crédit de son devoir de vigilance en cas d’anomalies apparentes dans le fonctionnement du compte bancaire de son client,
— juger qu’en faisant signer une lettre de décharge de responsabilité concernant les investissements dans les crypto-actifs le 13 avril 2018, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Île-de-France reconnait qu’elle a tardé dans la vérification des virements litigieux de Madame [X] [H] de sorte qu’elle devra être condamnée à lui rembourser les virements intervenus avant cette date, à hauteur de 240.000 euros (deux cent quarante mille euros), et à l’indemniser à hauteur de la perte de chance pour les virements postérieurs à hauteur de 75 % du préjudice financier total, soit 190.000 euros (cent quatre vingt dix mille euros) ;
— juger que la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Île-de-France a manqué à son obligation de contrôle renforcé dans le traitement des virements intervenus entre le 21 février 2018 et le 21 juin 2018 pour des montants inhabituels répétés pendant une courte période et à destination de pays relevant de zones à risques, de nature à causer un préjudice financier à Madame [X] [H],
— juger que les fautes commises par la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Île-de-France ont contribué directement au préjudice financier subi par Madame [X] [H],
D’une seconde part :
— Dire et juger que la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Île-de-France a manqué à son devoir de conservation des fonds en tant que dépositaire au préjudice de Madame [X] [H] en refusant de les restituer après leur contestation,
— juger qu’aucune faute par imprudence ne peut être invoquée par la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Île-de-France à l’encontre de Madame [X] [H] ou du fait d’un tiers exonératoire ou limitatif de responsabilité,
— juger qu’en adressant des lettres de décharge de responsabilité le 13 avril 2018 à Madame [X] [H], la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Île-de-France reconnaissait que les virements litigieux présentaient des risques et constituaient des opérations anormales, de sorte que la banque reconnaissait sa propre faute pour les virements exécutés avant cette date,
En conséquence :
— condamner la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Île-de-France à payer à Madame [X] [H] une somme globale de 456.747 euros (quatre cent cinquante six mille sept cent quarante sept euros) avec intérêts aux taux légal à compter du 21/06/2018, et ce, jusqu’au complet paiement, en réparation du préjudice financier subi,
Toutefois si par extraordinaire la Cour d’appel venait à considérer que seule la perte de chance de ne pas avoir pu renoncer aux virements litigieux doit être indemnisée :
— condamner la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Île-de-France à payer à Madame [X] [H] une somme globale de 342.000,00 euros (trois cent quarante deux mille euros) avec intérêts aux taux légal à compter du 21/06/2018, et ce, jusqu’au complet paiement, en réparation du préjudice financier subi,
Enfin :
— ordonner la capitalisation des intérêts de retard en application de l’article 1343-2 du Code civil,
— condamner la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Île-de-France à payer à Madame [X] [H] une somme de 20.000 euros (vingt mille euros) avec intérêts au taux légal à compter du 21/06/2018 jusqu’au complet paiement, en réparation du préjudice moral,
— condamner la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Île-de-France à payer à Madame [X] [H] une somme de 5.000 euros (cinq mille euros) au titre de l’article 699 du CPC,
— condamner la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Île-de-France aux entiers dépens de l’instance.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 16 juin 2021, la société coopérative à capital variable Caisse régionale du crédit agricole mutuel de Paris et d’Île-de-France demande à la cour de :
— recevoir le Crédit Agricole IDF en ses conclusions, l’y déclarant bienfondé,
Dans l’hypothèse où les virements litigieux seraient qualifiés de virements non-autorisés par la Cour :
— infirmer le Jugement du Tribunal de commerce de PARIS du 3 décembre 2020 en ce qu’il a rejeté la fin de non ‘recevoir que le Crédit Agricole IDF a soulevée,
En conséquence statuant à nouveau dans ce cas :
— juger forclose Madame [H] en l’intégralité de son action et la débouter de toutes ses demandes,
En tout état de cause :
— juger que la responsabilité du Crédit Agricole IDF n’est absolument pas engagée en présence de virements autorisés par sa cliente et de surcroît enprésence d’une décharge de responsabilité consentie par cette dernière à la banque,
— juger que Madame [H] a de plus fait preuve d’une particulière imprudence,
— confirmer ainsi à ce titre le Jugement de première instance,
— débouter en conséquence Madame [H] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
— condamner Madame [H] à verser au Crédit Agricole IDF la somme de 4.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;
— la condamner aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l’article 455 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 6 septembre 2022 et l’audience fixée au 10 octobre 2022.
CELA EXPOSÉ,
Sur la fin de non-recevoir :
Aux termes de l’article L. 133-24, alinéa premier, du code monétaire et financier dans sa rédaction issue de l’ordonnance no 2017-1252 du 9 août 2017 portant transposition de la directive 2015/2366 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur, en vigueur depuis le 13 janvier 2018, et applicable à l’espèce, l’utilisateur de services de paiement signale, sans tarder, à son prestataire de services de paiement une opération de paiement non autorisée ou mal exécutée et au plus tard dans les treize mois suivant la date de débit sous peine de forclusion à moins que le prestataire de services de paiement ne lui ait pas fourni ou n’ait pas mis à sa disposition les informations relatives à cette opération de paiement conformément au chapitre IV du titre Ier du livre III.
L’article 3-2-1-3 des conditions générales applicables au compte de dépôt des particuliers de la Caisse régionale du crédit agricole mutuel de Paris et d’Île-de-France stipule pareillement (pièce no 1 de l’intimée) :
« 3-2-1-3 ‘ Opération non autorisée ou mal exécutée
« En cas d’opération non autorisée ou mal exécutée, le client doit la contester par écrit sans tarder. En tout état de cause, aucune contestation ne pourra être prise en compte passé un délai maximum de 13 mois à compter du débit du compte du client. »
Sur ce fondement, la Caisse régionale du crédit agricole mutuel de Paris et d’Île-de-France oppose la forclusion à [X] [H], à supposer qu’il faille qualifier les virements litigieux de « non autorisés ». Or, les parties s’accordent à considérer que lesdits virements ne sont pas des opérations de payement non autorisées ni mal exécutées. La fin de non-recevoir soulevée est ainsi inopérante. Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il la rejette.
Sur la responsabilité du banquier :
Sur la responsabilité de la Caisse régionale du crédit agricole mutuel de Paris et d’Île-de-France prise en sa qualité de dépositaire :
Aux termes de l’article 1915 du code civil, le dépôt, en général, est un acte par lequel on reçoit la chose d’autrui, à la charge de la garder et de la restituer en nature.
Aux termes de l’article 1927 du même code, le dépositaire doit apporter, dans la garde de la chose déposée, les mêmes soins qu’il apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent.
[X] [H] reproche à la Caisse régionale du crédit agricole mutuel de Paris et d’Île-de-France d’avoir manqué à son devoir de conservation en ne vérifiant pas l’authenticité des identifiants uniques fournis en vue des virements demandés, et leur cohérence avec les titulaires des comptes désignés, les bénéficiaires des virements et l’activité de ceux-ci.
Aux termes de l’article 1937 du même code, le dépositaire ne doit restituer la chose déposée qu’à celui qui la lui a confiée, ou à celui au nom duquel le dépôt a été fait, ou à celui qui a été indiqué pour le recevoir.
Dès lors que [X] [H] reconnaît que ses ordres de virement ont été correctement exécutés, la cour ne peut que constater que la Caisse régionale du crédit agricole mutuel de Paris et d’Île-de-France a honoré ses obligation de conservation des fonds et de restitution, sans que la déposante soit fondée en sa demande indemnitaire.
Sur la responsabilité de la Caisse régionale du crédit agricole mutuel de Paris et d’Île-de-France prise en sa qualité de teneur de compte et de prestataire de services de payement :
Sur le devoir d’information :
Au visa des articles 1231-1 et 1112-1 du code civil, [X] [H] invoque un manquement de la Caisse régionale du crédit agricole mutuel de Paris et d’Île-de-France à son obligation d’information en ce que la banque avait connaissance du risque attaché aux investissements dans les crypto-actifs, et plus spécialement de l’inscription le 15 mars 2018 de la société BOURSEBITCOIN.COM sur la liste noire de l’Autorité des marchés financiers, et en ce qu’elle n’a pas transmis ces informations à sa cliente qui réalisait par son intermédiaire des virements au profit de bénéficiaires inscrits sur la liste noire susdite pour l’achat de crypto-actifs.
Aux termes de l’article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.
L’article 1112-1 du code civil dispose pour sa part :
« Celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.
« Néanmoins, ce devoir d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation.
« Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.
« Il incombe à celui qui prétend qu’une information lui était due de prouver que l’autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu’elle l’a fournie.
« Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.
« Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d’information peut entraîner l’annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants. »
Ces dispositions relatives à la conclusion du contrat ne pourraient cependant trouver à s’appliquer en l’espèce qu’à la convention d’ouverture de compte, non aux ordres de virement litigieux. Si le banquier doit en effet éclairer son client sur les caractéristiques du contrat proposé, il ne doit pas s’immiscer dans la gestion des affaires de son client.
Au demeurant, la Caisse régionale du crédit agricole mutuel de Paris et d’Île-de-France a fait signer à [X] [H], le 13 avril 2018, une lettre de décharge dans le cadre d’une demande d’acquisition de bitcoins, crypto-monnaies ou tout autre crypto-actif. À cette lettre était jointe la mise en garde contre les achats de bitcoins publiée le 4 décembre 2017 par l’Autorité des marchés financiers et par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. [X] [H] a de la sorte été dûment informée du risque qu’elle courait.
S’agissant des virements précédant cette mise en garde, ni la dénomination de leurs bénéficiaires (XRP Industry, Capital Trust Reality), ni aucun autre élément du dossier ne laissent à penser que la Caisse régionale du crédit agricole mutuel de Paris et d’Île-de-France ait su a priori qu’il s’agissait d’investissements dans un crypto-actif proposé par la société BOURSEBITCOIN.COM, de nature à motiver une information de sa cliente sur le caractère risqué d’un tel investissement.
Dans ces circonstances, le tribunal a exactement jugé qu’aucun défaut d’information ne pouvait être retenu à la charge de la Caisse régionale du crédit agricole mutuel de Paris et d’Île-de-France.
Sur le devoir de vigilance :
Au visa de l’article 1231-1 précité du code civil, et des articles L. 561-1 et suivants du code monétaire et financier, [X] [H] invoque un manquement de la Caisse régionale du crédit agricole mutuel de Paris et d’Île-de-France à son obligation de vigilance en ce que la banque avait connaissance de l’existence de fraudes aux bitcoins, et en ce que, néanmoins, elle n’a pas relevé les anomalies tant matérielles qu’intellectuelles qui affectaient les virements litigieux, à savoir :
‘ 9 opérations en seulement 4 mois pour des montants importants, comparés aux débits habituels du compte et aux revenus de [X] [H] ;
‘ des opérations à la réalité économique douteuse en l’absence de lien économique entre [X] [H] et les bénéficiaires des virements, alors que le code monétaire et financier exige que la banque s’enquière des justifications et des bénéficiaires réels de l’opération ;
‘ des virements à destination de l’étranger où [X] [H] n’avait aucune activité, ni ne détenait aucun compte ;
‘ des sociétés bénéficiaires désignées sur les ordres de virement différentes du cocontractant de [X] [H], la société BOURSEBITCOIN.COM, et sans lien économique avec celle-ci.
[X] [H] estime que le défaut de vigilance est d’autant plus caractérisé que la banque s’est immiscée dans l’exécution de l’un des ordres de virement du 12 avril 2018.
Les obligations de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers en application des articles L. 561-5 à L. 561-22 du code monétaire et financier ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, et les victimes d’agissements frauduleux ne peuvent s’en prévaloir pour réclamer des dommages-intérêts à l’organisme financier, étant ajouté qu’en l’espèce aucun soupçon de cette nature n’affecte l’origine des fonds virés, qui provenaient principalement de la vente de l’appartement de [X] [H].
Sauf disposition légale contraire, la banque est tenue à une obligation de non-ingérence dans les affaires de son client, quelle que soit la qualité de celui-ci, et n’a pas à procéder à de quelconques investigations sur l’origine et l’importance des fonds versés sur ses comptes ni même à l’interroger sur l’existence de mouvements de grande ampleur, dès lors que ces opérations ont une apparence de régularité et qu’aucun indice de falsification ne peut être décelé (Com., 25 sept. 2019, no 18-15.965, 18-16.421). Ainsi, le prestataire de services de paiement, tenu d’un devoir de non-immixtion dans les affaires de son client, n’a pas, en principe, à s’ingérer, à effectuer des recherches ou à réclamer des justifications des demandes de paiement régulièrement faites aux fins de s’assurer que les opérations sollicitées ne sont pas périlleuses pour le client ou des tiers.
S’il est exact que ce devoir de non-ingérence trouve une limite dans l’obligation de vigilance de l’établissement de crédit prestataire de services de paiement, c’est à la condition que l’opération recèle une anomalie apparente, matérielle ou intellectuelle, soit des documents qui lui sont fournis, soit de la nature elle-même de l’opération ou encore du fonctionnement du compte.
En l’espèce, [X] [H] ne caractérise aucune anomalie matérielle des ordres de virement exécutés par la Caisse régionale du crédit agricole mutuel de Paris et d’Île-de-France, dont la régularité n’est pas discutée. Ainsi, ne constituent pas une telle anomalie :
‘ la correction apportée au nom du bénéficiaire (« [V] [C] » biffé et corrigé en « Capital Trust Reality ») de l’ordre de virement donné le 12 avril 2018 à 9 heures 51 pour un montant de 70 000 euros, puisque cet ordre est signé de [X] [H], laquelle « déclare avoir vérifié l’exactitude des opérations effectuées sur son ordre » (pièce no 30 de l’appelante), et a pu être correctement exécuté ;
‘ le caractère apparemment incompréhensible du motif ou de la référence du bénéficiaire indiqués sur les ordres de virement (« REF. EC26785MT500 », « Virement pour [C] », « JP-T 3728009 O P A », « O P A », « JP-T 3728009 », « 372800933 », « 1992987812 », « 1905723855 », « reference 1905723855 » : pièces nos 11, 17, 30, 32, 35, 40, 54, 120 de l’appelante) ;
‘ le fait que les bénéficiaires désignés (XRP Industry, Capital Trust Reality, Info and Tech Solution, Absolute Conclusion Unipessoal) soient différents du contractant de [X] [H], la société BOURSEBITCOIN.COM.
La rectification précitée de l’ordre de virement du 12 avril 2018 ne manifeste pas davantage une immixtion de la banque, qui justifierait de sa part une obligation de vigilance accrue, alors que l’intitulé du bénéficiaire est fourni par le client, et qu’aucune pièce n’est produite qui révèlerait que la Caisse régionale du crédit agricole mutuel de Paris et d’Île-de-France soit à cette occasion entrée directement en relation avec [V] [C], interlocuteur de [X] [H] dans la société BOURSEBITCOIN.COM.
Sur les anomalies intellectuelles dénoncées par l’appelante, il ne ressort d’aucune correspondance entre [X] [H] et la Caisse régionale du crédit agricole mutuel de Paris et d’Île-de-France que celle-ci ait su que les virements litigieux étaient ordonnés en exécution d’un contrat conclu avec la société BOURSEBITCOIN.COM, si bien que l’inscription de cette dernière sur la liste noire de l’Autorité des marchés financiers ne peut lui être opposée, pas plus que la nature du lien existant entre la société BOURSEBITCOIN.COM et les sociétés bénéficiaires des virements, lesquelles ne figuraient pas sur ladite liste contrairement à ce que prétend l’appelante.
Au soutien du caractère inhabituel des opérations litigieuses, [X] [H] fait valoir que :
‘ ses revenus s’élevaient à 2 600 euros par mois ;
‘ les débits habituels sur son compte de dépôt étaient relatifs aux dépenses courantes et de faibles montants ;
‘ elle n’a jamais effectué de virement vers l’étranger ni reçu de flux de l’étranger.
Toutefois, ni l’ancienneté des relations entretenues par la banque avec [X] [H], ni les habitudes antérieures de celle-ci quant aux opérations qu’elle pratiquait sur son compte ne devaient conduire la banque à s’interroger sur la cause ou l’opportunité des virements ordonnés et à s’immiscer dans les affaires de l’intéressée, qui avait au demeurant manifestement confirmé sa volonté en faisant précéder le deuxième débit litigieux du 28 février 2018 d’un virement au crédit de 10 000 euros « pour virement de 30 000 », et d’un courriel sollicitant la suppression du plafond de virement en vue de ce mouvement de 30 000 euros (Com., 21 sept. 2004, no 02-17.083).
Devant la cour, l’appelante produit ses relevés bancaires sur une année entre le 31 juillet 2017 et le 31 juillet 2018 (pièce no 162 de l’appelante), ne fournissant ainsi qu’une antériorité de sept mois avant le premier virement litigieux.
Il apparaît que son compte n’est pas alimenté par son salaire d’assistante de direction, mais par des virements :
-104 531,73 euros le 11 septembre 2017, à la suite d’une vente ;
-877,07 euros et 157,47 euros par trimestre, provenant d’une résidence Nexity Studea et d’une société civile de placement immobilier ;
-10 000 euros le 28 février 2018 ;
-4 000 euros le 14 mars 2018 ;
-7 500 euros le 20 mars 2018 ;
-30 000 euros le 21 mars 2018 ;
-5 000 euros, 3 000 euros et 3 000 euros le 5 avril 2018 ;
-1 117,05 euros le 11 avril 2018, pour solde d’un appartement ;
-550 618,75 euros le 11 avril 2018, à la suite d’une vente.
Hormis les virements litigieux, les débits du compte correspondent à des dépenses courantes de quelques dizaines ou centaines d’euros, mais peuvent être plus élevés ou en lien avec l’étranger :
-11 784,90 euros et 22 845,86 euros le 12 septembre 2017 ;
-2 000 euros le 19 septembre 2017 ;
-9 000 euros le 3 octobre 2017 ;
-4 495 euros le 16 octobre 2017 (Lugano) ;
-3 103,03 euros le 17 novembre 2017 ;
-97 euros et 997 euros le 24 novembre 2017 (Lugano) ;
-1 000 euros le 21 janvier 2018 ;
-3 000 euros le 14 mars 2018 ;
-3 000 euros le 20 mars 2018 ;
-4 000 euros le 21 mars 2018 ;
-3 395 euros et 3 605 euros le 3 avril 2018 ;
-1 500 euros le 5 avril 2018 ;
-5 000 euros le 11 avril 2018 ;
-1 600 euros et 30 000 euros le 12 avril 2018 ;
-11 972,67 euros et 20 449,25 euros le 13 avril 2018 ;
-1 210 euros le 18 avril 2018 ;
-1 848,51 euros le 25 avril 2018 ;
-2 200 euros le 1er mai 2018 ;
-1 075,30 euros le 5 mai 2018 ;
-1 202,64 euros le 12 juin 2018 ;
-8 000 euros le 13 juin 2018.
Au regard du fonctionnement du compte de [X] [H], n’étaient entachés d’aucune anomalie apparente les premiers virements litigieux, à savoir :
-10 000 euros le 20 février 2018 au bénéfice de la société XRP Industry (Malte) ;
-30 000 euros le 28 février 2018 au bénéfice de la même société ;
— deux fois 70 000 euros le 12 avril 2018 au bénéfice de la société Capital Trust Reality (Pologne).
En effet, ni le montant des virements ‘ qui demeuraient largement couverts par le solde créditeur ‘, ni leur destination vers des comptes détenus dans les livres de banques dûment agréées au sein de pays membres de l’Union européenne et de l’espace unique de paiements en euros, qui n’attirait pas spécialement l’attention en terme de sécurité, ne constituaient des anomalies devant alerter la vigilance de la Caisse régionale du crédit agricole mutuel de Paris et d’Île-de-France.
Si l’attention de la banque a pu être éveillée par le caractère répété et rapproché des ordres de virement reçus à partir du mois d’avril 2018, elle a par deux fois, le 13 avril 2018 et le 21 juin 2018, fait signer à [X] [H], préalablement aux opérations d’investissement en cause, une lettre de décharge de responsabilité et d’alerte de l’investisseur aux termes de laquelle [X] [H] déclare :
‘ avoir été informée qu’il existe des risques significatifs juridiques et de perte en capital,
‘ avoir reçu une copie du document de l’Autorité des marchés financiers et de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution de mise en garde des épargnants sur l’achat de crypto-actifs,
‘ avoir été informée par la Caisse régionale qu’elle doit prendre des précautions afin de s’assurer de la réalité et de la licéité de l’opération d’investissement dans des crypto-actifs.
À la suite de ces déclarations, [X] [H] confirme avoir compris la nature de l’investissement dans les crypto-actifs et les risques qui y sont associés, et persister dans son souhait d’investir sur ce support (pièce no 13A et 13B de l’intimée).
Ayant de la sorte mis en garde sa cliente à deux reprises contre les risques attachés à un investissement en bitcoins, en ce compris le risque d’escroquerie, la Caisse régionale du crédit agricole mutuel de Paris et d’Île-de-France a satisfait à son obligation de vigilance.
En conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et de condamner [X] [H] aux dépens d’appel, l’équité commandant de ne pas prononcer de condamnation en application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
DIT n’y avoir lieu au prononcé d’une condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE [X] [H] aux dépens d’appel ;
REJETTE toute autre demande plus ample ou contraire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT