5 août 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 19/03628

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5 août 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 19/03628

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 8

ARRÊT DU 5 AOÛT 2022

(n° / 2022, 7 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/03628 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B7KO3

Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Février 2019 – Tribunal de Commerce de Paris – RG n° 2018017391

APPELANT

Monsieur [J] [B]

Né le [Date naissance 2] 1975 à [Localité 9]

Demeurant [Adresse 8]

[Adresse 8]

Représenté par Me Antoine LAMBERT de la SELARL FEUGAS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : E067,

Assisté de Me Florence POIRE de la SELARL FEUGAS AVOCATS, avocate au barreau de VERSAILLES, toque : 649,

INTIMÉS

SCP BROUARD-DAUDÉ, ès qualités de mandataire liquidateur de la SAS PRIOUX PEINTURE ET REVETEMENTS DE SOLS, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 532 640 703,

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 347 907 685

Ayant son siège social [Adresse 6]

[Adresse 6]

Non constituée

Monsieur LE PROCUREUR GÉNÉRAL – SERVICE FINANCIER ET COMMERCIAL

[Adresse 7]

[Adresse 7]

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 Décembre 2020, en audience publique, devant la Cour, composée de :

Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre,

Madame Anne-Sophie TEXIER, conseillère,

Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère,

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l’audience par Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT dans le respect des conditions de l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL

MINISTÈRE PUBLIC: L’affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Monsieur François VAISSETTE, avocat général qui a fait connaître son avis écrit le 17 février 2020 et oral lors de l’audience.

ARRÊT :

– réputé contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.

*

* *

FAITS ET PROCÉDURE:

Par jugement rendu le 12 octobre 2016 sur assignation d’une salariée détenant une créance prud’homale, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la liquidation judiciaire de la SAS Prioux peinture et revêtement de sols (Prioux), créée en 2011 pour l’exploitation d’un fonds de commerce d’achat-vente de matériel de construction et électronique, fixé la date de cessation des paiements au 23 décembre 2015 et désigné la SCP Brouard-Daude en qualité de liquidateur.

Le 21 mars 2018, le ministère public a saisi le tribunal aux fins de voir appliquer les dispositions des articles L. 653-1 à L. 653-11 du code de commerce à l’encontre de M. [B] en sa qualité de dirigeant de droit de la société Prioux, lui reprochant:

– d’avoir tenu une comptabilité irrégulière ou de ne pas avoir tenu de comptabilité (L.653-5 6°),

– d’avoir détourné tout ou partie de l’actif ou frauduleusement augmenté le passif (L. 653-4 5°).

Par jugement réputé contradictoire du 5 février 2019, assorti de l’exécution provisoire, le tribunal a retenu ces griefs et prononcé une mesure de faillite personnelle d’une durée de 6 ans à l’encontre de M.[B].

M. [B] a relevé appel de ce jugement, selon déclaration du 15 février 2019.

Le 18 avril 2019, le délégataire du premier président de la cour d’appel a arrêté l’exécution provisoire attachée au jugement.

Par conclusions n°2 notifiées le 28 février 2020, M. [B] demande à la cour de le recevoir en son appel, y faisant droit :

– à titre principal, de déclarer non avenus et de nul effet la citation ou assignation qui lui a été délivrée, ainsi que les actes de procédure conséquents et le jugement rendu le 5 février 2019, en conséquence, renvoyer le ministère public à mieux se pourvoir et statuer ce que de droit sur les dépens,

-à titre subsidiaire, d’infirmer le jugement en toutes ses dispositions, statuant à nouveau, déclarer n’y avoir lieu au prononcé d’une sanction personnelle et statuer ce que de droit sur les dépens.

Dans son ‘avis’ notifié par RPVA le 17 février 2020, le ministère public invite la cour à confirmer le jugement en toutes ses dispositions.

La SCP Brouard-Daude, ès qualités, à laquelle la déclaration d’appel a été signifiée selon procès-verbal remis à personne morale le 18 mars 2019, n’a pas constitué avocat.

SUR CE

– Sur la demande de nullité

M.[B] invoque la nullité de la citation et du jugement subséquent, au motif que l’acte introductif d’instance n’a pas été délivré à son domicile situé [Adresse 8], mais à une adresse obsolète à [Localité 11], alors que le ministère public et le greffe du tribunal de commerce avaient parfaitement connaissance de ses nouvelles coordonnées puisqu’ils avaient accès aux extraits Kbis de la société. Il critique l’absence de toute diligence préalablement à l’établissement du procès-verbal de recherches infructueuses par l’huissier, arguant qu’une simple recherche au RCS aurait permis de prendre connaissance en temps utile de son adresse exacte, laquelle figurait sur l’extrait Kbis d’une autre société qu’il dirigeait. Il fait valoir que l’absence de citation régulière lui a causé un grief, en ce qu’il n’a pu prendre connaissance de l’action engagée contre lui, ni de ses motifs, n’a pas été informé de l’audience fixée devant le tribunal et n’a consécutivement pas bénéficié de la possibilité de préparer sa défense et du double degré de juridiction.

Le ministère public réplique que les diligences accomplies par l’huissier sont suffisantes pour établir la régularité de la citation, l’huissier s’étant rendu à la dernière adresse connue de M.[B] figurant dans la requête du ministère public ainsi que dans le rapport du juge commissaire, où il a constaté l’absence de nom sur la boîte aux lettres et l’absence de voisins, que le secret postal lui a été opposé et que ses recherches dans l’annuaire se sont avérées infructueuses.

Il ajoute que les pièces produites par l’appelant, notamment les extraits Kbis de la société Prioux et de la société REAM Immo, ne mentionnent nullement l’adresse actuelle de l’intéressé.

M.[B] été cité à comparaître devant le tribunal de commerce de Paris par acte d’huissier du 16 mai 2018, au [Adresse 3], selon les modalités de l’article 659 du code de procédure civile.

Il n’est pas contesté qu’à la date de la citation M.[B] n’était pas domicilié à [Localité 11], mais depuis 2017 au moins, [Adresse 4].

Il convient de rechercher si l’huissier, avant d’établir un procès-verbal de recherches infructueuses, a procédé aux recherches nécessaires pour identifier la nouvelle adresse de l’intéressé.

L’huissier indique dans son procès-verbal qu’à l’adresse indiquée, il n’a pas été possible de rencontrer le destinataire de l’acte, que sur place se trouve une maison où aucun nom ne figure sur la boîte aux lettres ou la sonnette, que les recherches sur les annuaires sont demeurées infructueuses, qu’il n’est pas parvenu en dépit de ses passages à rencontrer des voisins pouvant le renseigner, que les services postaux lui opposent le secret professionnel et que le requérant, qu’il a questionné lui a indiqué que cette adresse était la dernière adresse connue et qu’il n’avait pas connaissance d’un lieu de travail où le destinataire pourrait être rencontré.

Les extraits Kbis de la société Prioux, lorsque M.[B] en était le dirigeant ne mentionne qu’une adresse à [Localité 11], au demeurant différente de celle visée dans la citation ([Adresse 1]). Sur le Kbis de la société Ream Immo à jour au 27 février 2019, M.[B], dirigeant, y apparaît domicilié [Adresse 3], alors qu’il était antérieurement à [Adresse 1] ( en 2013). En 2015, dans l’acte de cession de ses actions Ream il est domicilié à nouveau [Adresse 1].

Pour démontrer que le requérant et l’huissier étaient en mesure de connaître son adresse à [Localité 10], M.[B] se réfère notamment aux extraits Kbis de la société A>Z Deco qu’il dirige.

Sur l’extrait Kbis de la société A>Z Deco, à jour au 25 avril 2018, soit antérieurement à la citation en cause, figure comme adresse de M.[B], le dirigeant, celle du [Adresse 5].

La requête du ministère public aux fins de sanction contre M.[B] mentionne bien que celui-ci dirige également la société A>Z Deco. Ayant connaissance de ce mandat social, il était donc possible pour l’huissier et son requérant de vérifier s’il n’existait pas sur le Kbis de cette société une autre adresse. Cette diligence, qui aurait permis de délivrer l’acte à la bonne adresse, n’a pas été effectuée au moment de la citation.

En revanche pour la signification du jugement dont appel, 9 mois plus tard, l’acte a pu être remis en personne le 15 février 2019, M.[B] ayant été rencontré à l’étude, après que l’huissier lui a écrit au [Adresse 8] en lui indiquant qu’il devait lui signifier un acte judiciaire et que pour lui éviter le désagrément d’une visite à domicile, il lui proposait de venir retirer l’acte en son étude.

Il s’ensuit que la citation délivrée selon les modalités de l’article 659 du code de procédure civile n’est pas régulière et doit être annulée, de même par voie de conséquence que le jugement.

Toutefois, seule une irrégularité affectant l’acte introductif d’instance prive l’appel d’effet dévolutif sur le fond. En l’espèce, l’acte introductif d’instance n’est pas la citation litigieuse, mais la requête du ministère public datée du 21 mars 2018 et déposée au greffe du tribunal de commerce, le président du tribunal de commerce, ayant à réception de cette requête, invité le ministère public le 27 mars 2018 à faire citer l’intéressé pour l’audience du 4 juin 2018. C’est en conséquence vainement que M.[B] s’oppose à ce que la cour statue au fond.

En conséquence, la cour restant saisie du fond par l’effet dévolutif de l’appel se prononcera sur les griefs imputés à M.[B].

Sur le fond

M.[B] est poursuivi en sa qualité d’ancien dirigeant de droit de la société Prioux, la requête du ministère public visant la période du 1er juillet 2011 au 27 avril 2016, période retenue par le tribunal.

M. [B] soutient que le tribunal s’est trompé quant aux dates durant lesquelles il a dirigé la société Prioux et qu’il n’en a été le dirigeant qu’entre:

– le 27 mai 2011 et le 21 octobre 2013 à titre personnel,

– le 21 octobre 2013 et le 2 mars 2015 à travers la société Ream qu’il présidait.

Le ministère public réplique que s’il résulte d’un procès-verbal d’assemblée générale du 2 mars 2015, que M.[B] a démissionné de ses fonctions de président de la société Ream et que M.[F] a été désigné en qualité de président, ce dernier a déclaré au tribunal lors de l’ouverture de la liquidation judiciaire ne pas connaître la société et qu’il allait déposer plainte pour usurpation d’identité, ces propos étant formellement contestés par M.[B].

La société Prioux créée en 2011 a eu pour président M.[B] à titre personnel du 27 mai 2011 au 21 octobre 2013, puis en tant que représentant de la société Ream, personne morale désignée comme présidente de la société Prioux le 21 octobre 2013. Il ressort du procès-verbal d’assemblée générale du 2 mars 2015, qu’à la suite des démissions de M.[B] et de la société Ream, M. [S] [F] a été désigné pour présider la société Prioux. M.[F] a lui-même été remplacé par M.[Z] le 21 juin 2016, après la délivrance de l’assignation en liquidation judiciaire. Sur l’extrait Kbis du registre du commerce et des sociétés de Paris à jour au 12 octobre 2016, le dirigeant de la société Prioux était toujours M.[Z].

M.[B] n’étant recherché qu’en sa qualité de dirigeant de droit de la société Prioux ou de représentant de droit de la personne morale ayant dirigé la société Prioux, la cour n’examinera les griefs allégués que sur la période du 27 mai 2011 au 2 mars 2015, date de sa démission.

– Sur l’absence de comptabilité

Il résulte de l’article L 653-5, 6° du code de commerce qu’est passible de faillite personnelle le dirigeant de droit ou de fait d’une personne morale qui s’est abstenu de tenir une comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation.

Le ministère public fait grief à M.[B] de ne pas avoir tenu de comptabilité, à tout le moins sur la période de direction qu’il reconnait, l’inexistence de la comptabilité étant corroborée par l’absence de dépôt des comptes annuels au greffe. Il précise que si les comptes de l’exercice 2013 ont été fournis par l’appelant, aucun compte n’a en revanche été déposé pour 2011 et 2012, ni pour les exercices durant lesquels M.[B] était le représentant de la société Ream, personne morale dirigeant la société Prioux.

M.[B] réplique que durant sa présidence la comptabilité a été régulièrement et complètement tenue.

Il n’est pas contesté que la comptabilité de l’exercice 2013 a été tenue. Les éléments au débat permettent également de retenir que les comptes ont été tenus en 2012.

S’agissant des exercices ultérieurs, M.[B] soutient qu’eu égard à la date de clôture des comptes fixée au 30 septembre de chaque année, la clôture des comptes de l’exercice 2014 est intervenue le 30 septembre 2014, de sorte que le délai de six mois pour approuver les comptes expirait le 30 mars 2015, soit postérieurement à la fin de son mandat début mars 2015.

Toutefois, les obligations comptables auxquelles est tenu le dirigeant d’une société ne se limite pas à la formalisation des comptes annuels en fin d’exercice et à leur approbation par l’assemblée générale dans les six mois, mais incluent en application des articles L 123-12 et suivants du code de commerce la tenue d’un livre journal et d’un grand livre et l’enregistrement comptable chronologique des mouvements affectant le patrimoine de la société, tous éléments comptables sur l’existence desquels il n’a pas été produit le moindre élément.

Il s’ensuit que le grief pris de l’absence de tenue d’une comptabilité complète en 2014 est constitué et est imputable à M.[B].

– Sur l’augmentation frauduleuse du passif

Selon l’article L653-4, 5° du code de commerce est passible de faillite personnelle le dirigeant de droit ou de fait d’une personne morale qui a détourné ou dissimulé tout ou partie de l’actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale.

Le ministère public fait grief à M.[B] d’avoir frauduleusement augmenté le passif en mettant à la charge de la société des pénalités fiscales à hauteur de 55.663 euros.

M.[B] conteste ce grief, arguant que le ministère public se fonde sur une période de direction inexacte et que le passif qui lui est reproché concerne la TVA sur les années 2014, 2015 et 2016.

La déclaration de créance effectuée par la DGFIP sur laquelle se fonde le ministère public vise notamment des créances de TVA sur les périodes au cours de laquelle M.[B] dirigeait la société Prioux, soit:

– pour la période de janvier à décembre 2014, une créance de 94.221 euros au titre des droits et de 37.688 euros au titre des pénalités,

– pour la période de janvier à décembre 2015, sachant qu’il a été précédemment retenu que M.[B] avait démissionné le 2 mars 2015, une créance de 33.288 euros au titre des droits et de 13.315 euros au titre des pénalités.

Si une partie des pénalités ainsi déclarées se rapporte à la période de direction de M.[B], ces pénalités ont cependant été déclarées à titre provisionnel et aucun élément ne permet d’établir qu’elles ont en définitive été admises au passif. Ces pénalités provisionnelles ne présentant pas de certitude suffisante ne permettent pas d’imputer à M.[B] une augmentation frauduleuse du passif.

Ce grief ne sera en conséquence pas retenu.

– Sur la sanction

Après avoir rappelé le caractère facultatif de la sanction, M.[B] demande à la cour de dire n’y avoir lieu à sanction, eu égard au fait qu’il gère parfaitement la société A>Z Deco, entreprise générale du bâtiment qui emploie 16 salariés.

Le ministère public conclut à la confirmation d’une faillite personnelle pendant une durée de six ans.

La cour n’ayant retenu que le seul grief tiré de l’absence de tenue d’une comptabilité complète au titre de l’année 2014, fera application de la faculté offerte par l’article L 653-8 du code de commerce de prononcer une interdiction de gérer au lieu d’une faillite personelle, et tenant compte de l’ancienneté des faits, prononcera à l’encontre de M.[B] une interdiction de gérer d’une durée d’un an, et excluera du périmètre de cette interdiction la direction de la société A>Z Deco.

– Sur les dépens

M.[B], à l’encontre duquel une sanction est prononcée, supportera les entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

Annule la citation délivrée le 16 mai 2018 et le jugement dont appel,

Statuant au fond,

Prononce à l’encontre de M.[J] [B] né le [Date naissance 2] 1975 à [Localité 9], de nationalité française, demeurant [Adresse 8], une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute personne morale d’une durée de 1 an,

Exclut du périmètre de cette interdiction la direction de la société A>ZDeco immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Pontoise sous le numéro 414 817 072,

Condamne M.[B] aux entiers dépens.

La greffière,

Liselotte FENOUIL

La Présidente,

Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT

 


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