5ème Chambre
ARRÊT N°-139
N° RG 18/07672 – N° Portalis DBVL-V-B7C-PKWG
CONSERVES GONIDEC SA
C/
SARL OLAN ASSOCIES
Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l’égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 04 MAI 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Pascale LE CHAMPION, Présidente,
Assesseur : Madame Virginie PARENT, Présidente,
Assesseur : Madame Virginie HAUET, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Catherine VILLENEUVE, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 16 Février 2022
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 04 Mai 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANTE :
CONSERVES GONIDEC SA Prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité au dit siège
[Adresse 5]
B.P. 531
[Localité 1]
Représentée par Me Christophe LHERMITTE de la SCP GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Pascal POLERE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE :
SARL OLAN ASSOCIES
[Adresse 3]
B.P. 632
[Localité 1]
Représentée par Me Jean-François SALPHATI de la SELAS Jean-François SALPHATI, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
Représentée par Me Bertrand MAILLARD, Postulant, avocat au barreau de RENNES
La société Conserves Gonidec, sise à [Localité 1], spécialisée dans la transformation et conservation de poissons, crustacés et mollusques, fait assurer depuis de nombreuses années, ses activités par le biais d’un courtier en assurance, la société Olan Associés.
En janvier 2016, la société Conserves Gonidec a été sollicitée par une firme anglaise, la société Asda, pour une commande avec livraison en Angleterre, s’élevant à 167 383,47 euros. S’agissant d’un nouveau client pour une première commande, elle a fait appel à BPI France, afin de mettre en place un contrat ‘avance + export’, lui permettant de céder sa créance et de bénéficier d’une assurance-crédit dispensée et validée par la société Euler Hermès à hauteur de 197 000 euros.
Les marchandises ont été livrées le 22 février 2016 et le 15 mars 2016, et ont été émises les factures n° 20160410 du 18 février 2016 de 154 446,91 euros et n° 20160684 du 11 mars 2016 de 12 936,56 euros. Le 1er mars 2016, une avance de trésorerie de 100 000 euros majorée d’un gage espèces de 15 000 euros a été concédée par BPI France.
En juin 2016, en l’absence de règlement, et après investigations auprès de la société Asda, cette dernière s’est opposée à tout paiement, ne reconnaissant pas ces créances, objectant que la société Conserves Gonidec aurait été victime d’une manoeuvre frauduleuse par le biais d’une usurpation d’adresse mail.
Par courrier en recommandé daté du 16 septembre 2016, la société Conserves Gonidec a adressé une déclaration de sinistre à son assureur Generali, avec copie en AR à la société Olan Associés. Après relance, dans un courrier du 14 octobre 2016, la société Olan Associés indiquait que le contrat souscrit dans le cadre des dommages aux biens et perte d’exploitation auprès de Generali ne couvrait pas ce genre d’incident.
Le 3 novembre 2016, la société Conserves Gonidec a déposé plainte entre les mains du Procureur de la République de Quimper.
Arguant que la société Olan Associés ne lui avait pas proposé de couverture contre le risque de fraude via Internet alors que son dépliant publicitaire le prévoit, la société Conserves Gonidec a assigné par acte d’huissier du 12 octobre 2017 la société Olan Associés devant le tribunal de commerce de Quimper.
Par jugement en date du 28 septembre 2018, le tribunal de commerce de Quimper a :
– débouté la société Conserves Gonidec en toutes ses demandes,
– condamné la société Conserves Gonidec à verser à la société Olan Associés la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société Conserves Gonidec aux entiers dépens, lesquels comprennent notamment les frais de greffe liquidés pour le présent jugement à la somme de 66,70 euros,
– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Le 28 novembre 2018, la SA Conserves Gonidec a interjeté appel de cette décision et aux termes de ses dernières écritures notifiées le 12 janvier 2022, elle demande à la cour de :
– la dire et juger recevable et bien fondée en son appel,
Y faisant droit,
– infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Quimper le 28 septembre 2018 en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
– dire et juger que la société Olan Associés n’a proposé à sa cliente, la société Conserves Gonidec, aucune assurance de nature à la garantir dans son activité de vente contre les conséquences de fraudes par internet ou cybercriminalité,
– dire et juger que la société Olan Associés a manqué à ses obligations contractuelles et à son devoir d’information et de conseil et a engagé sa responsabilité civile,
En conséquence,
– condamner la société Olan Associés à lui payer la somme de 167 383,47 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi lié à la perte de chance d’avoir été garantie et indemnisée,
– dire et juger que les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter de l’assignation du 12 octobre 2017,
– dire et juger que les intérêts seront capitalisés conformément à l’article 1154 du code civil,
– débouter la société Olan Associés de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– condamner la société Olan Associés à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société Olan Associés aux entiers dépens de première instance et d’appel qui seront recouvrés en application de l’article 699 du Code de procédure civile.
Par dernières conclusions notifiées le 21 janvier 2022, la société Olan Associés demande à la cour de :
– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la société Conserves Gonidec de l’intégralité de ses demandes à l’encontre de la société Olan Associés,
En conséquence,
– juger que la société Conserves Gonidec ne rapporte pas la preuve d’une fraude,
– juger que la société Olan Associés n’a pas manqué à son devoir d’information et de conseil,
– juger que la société Olan Associés n’a commis aucune faute à l’égard de la société Conserves Gonidec,
– juger que la société Conserves Gonidec ne justifie d’aucun préjudice présentant un lien de causalité avec la faute reprochée à la société Olan Associés,
– juger que la société Conserves Gonidec ne justifie d’aucune perte de chance,
– juger que le préjudice résultant d’un manquement au devoir d’information et de conseil ne peut consister qu’en une perte d’une chance et ne peut correspondre qu’à une fraction du préjudice subi,
En conséquence,
– débouter la société Conserves Gonidec de toutes ses demandes, fins et
conclusions tournées à l’encontre de la société Olan Associés,
– condamner la société Conserves Gonidec à verser à la société Olan Associés la somme de 8 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société Conserves Gonidec aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 16 février 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La société Conserves Gonidec entend engager la responsabilité de la société Olan Associés, en raison de ses fautes et négligences commises dans l’exercice de son activité et de ses fonctions.
Au soutien de cette demande, elle fait valoir que :
– la société Olan Associés, courtier n’a pas assumé sa mission de conseil en ne prenant pas l’initiative de la visiter et en ne lui proposant pas une garantie en adéquation avec son activité commerciale qu’elle ne pouvait ignorer puisqu’elle était cliente depuis 2000,
– aucun audit, ou conseil de risques et de prévention lié à son activité de vente n’a été réalisé,
– la société Olan Associés distribue une plaquette commerciale dans laquelle est noté qu’elle dispose d’une expertise certaine en matière de cyber criminalité, ce qui traduit la connaissance par le courtier de ce type de risques et que ce n’est qu’après la réalisation de la fraude que le courtier lui a proposé une garantie d’assurance cyber criminalité,
– en raison du comportement fautif de la société Olan Associés, elle a ainsi perdu une chance d’être garantie des pertes subies, car en présence d’une garantie contre ce type de fraude, elle aurait pu obtenir une indemnisation a minima des marchandises disparues, son entier préjudice étant bien plus grand, en ce qu’il comprend également la perte d’image des produits de sa marque.
La société Olan Associés objecte à titre principal que la société Conserves Gonidec ne prouve pas avoir été victime d’une fraude, de sorte que toute demande relative à la question de l’absence de garantie ‘fraude’ devra être rejetée.
A titre subsidiaire, elle considère n’avoir commis aucune faute, et relève que :
– la société Conserves Gonidec était parfaitement informée de l’existence de garanties contre la cyber criminalité, mais ne justifie pas avoir à un quelconque moment souscrit ce type d’assurance,
– un courtier ne peut que répondre à un besoin exprimé du client, et en l’espèce, la société Conserves Gonidec ne l’a jamais sollicitée pour la souscription d’une telle police,
– il est inexact de prétendre à une absence de tout audit ou conseil des risques et de prévention liés à son activité de vente,
– le risque de fraude par usurpation d’identité ne relève pas de la technique assurantielle, les cyber risques concernent des atteintes à des systèmes informatiques réalisées dans un but malveillant et les faits décrits par la société Conserves Gonidec ne relèvent pas de cette catégorie, de sorte que le contrat d’assurance AIG pour une garantie ‘cyber risks ‘que la société Olan Associés pouvait proposer à cette époque n’aurait pas eu vocation à jouer.
– la société Conserves Gonidec ne démontre pas avoir subi en tout état de cause une perte de chance de souscrire une garantie cyber criminalité, alors même qu’informée de la possibilité de souscrire celle-ci, elle n’y a donné aucune suite.
Sur le sinistre
Après message reçu par mail d’un dénommé [W] [C], director manager import départment Asda Store Ltd/Asda Group, écrivant sous l’adresse mail [Courriel 2], début janvier 2016, puis bon de commande émis par la société Asda Stores Limited du 25 janvier 2016, la société Conserves Gonidec qui a livré les marchandises commandées et facturées celles-ci, a été informée le 8 juin 2016 que la société Asda Stores Limited ne reconnaîtrait pas ces commandes.
Dans un message du 14 juillet 2016 à la société Euler Hermes, Mme [G] [L], assistante juridique de la société Asda Stores Limited écrit sous l’adresse [Courriel 4] :
Je confirme qu’Asda Stores Limited n’a pas passé de commande pour les marchandises indiquées sur votre facture. Asda Stores Limited n’a pas reçu les biens et l’endroit indiqué sur les bons de livraisons (Emly Estates, Beacon Hille Industrial Estates, Botany Way, Purfleet RM191SR) n’est pas un emplacement utilisé par Asda Stores Limited.
Je confirme que ‘[W] [C], Directeur du Département des importations’ n’est pas employé par Asda Stores Limited. Le domaine d’adresse e-mail ‘ asda-group.co.uk’ n’appartient pas à Asda Stores Limited.
La société BPI confirmait ainsi à la société Conserves Gonidec par mail du 15 septembre 2016, qu’après consultation auprès de l’assureur crédit, ce dernier l’a informé que l’acheteur Asda Stores refuse de payer les deux factures litigieuses ne reconnaissant pas les créances car :
– les commandes passées ne sont pas reconnues
– le lieu de livraison n’est pas celui habituellement utilisé
– la personne ayant passé commande est inexistante dans la société
– le nom du domaine de l’adresse mail utilisé n’existe pas au sein de la société.
La société Conserves Gonidec a porté plainte le 3 novembre 2016 auprès du procureur de la République de Quimper invoquant une fraude commise à son égard.
Les deux articles de presse édités sur internet, versés aux débats par la société Olan Associés évoquant la situation d’un certain [W] [C] directeur Marketing Asda en 2012, promu directeur de la clientèle Asda en 2014 ne viennent pas en contradiction avec les informations données par Mme [L] qui précise que ‘[W] [C], Directeur du Département des importations’ n’est pas employé par Asda Stores Limited, ce qui peut s’interpréter comme le fait que l’entreprise n’emploie pas M. [C] en de telles qualités.
Ces éléments établissent donc que l’appelante a reçu commande de marchandises par internet d’une personne qui s’est faite passer pour un acheteur de la société commerciale anglaise Asda. Si la société Conserves Gonidec ne justifie pas de la suite donnée à sa plainte pénale, il n’est toutefois pas contestable qu’elle a été victime d’agissements frauduleux.
Sur la responsabilité du courtier
Invoquant la fraude commise à son égard, la société Conserves Gonidec assurée auprès de la société Generali, par l’intermédiaire de la société Olan Associés courtier d’assurances a, le 16 septembre 2016, effectué une déclaration de sinistre, et sollicité une prise en charge au titre d’un dommage lié à une situation d’impayé, au titre du contrat d’assurance n° AH 747970. Elle a adressé copie de cette déclaration de sinistre à la société Olan Associés, son courtier.
Il n’est pas discuté que le contrat dommages aux biens et pertes d’exploitation consenti par l’assureur Generali et invoqué par la société Conserves Gonidec dans sa déclaration de sinistre ne couvre pas ce risque de fraude commise au préjudice de l’assuré.
Il appartient à la société Conserves Gonidec, qui se prévaut d’une responsabilité contractuelle de la société Olan Associés à son égard pour défaut d’information et de conseil, d’établir les manquements allégués, son préjudice et le lien de causalité entre ceux-ci.
L’article 1147 ancien du code civil dispose :
Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.
Le courtier est tenu comme tous les professionnels de l’assurance d’une obligation d’information et de conseil envers l’assuré. Il doit ainsi donner à son client tous les éléments objectifs de choix d’une couverture appropriée à son risque et veiller à l’adaptation de la garantie aux risques présentés.
La société Conserves Gonidec verse aux débats un avenant au contrat d’assurance n° AH 747970 en date du 1er décembre 2015, duquel il ressort qu’elle a souscrit à certaines garanties proposées et n’a pas souscrit à plusieurs autres.
Ses critiques élevées dans le courrier de son conseil du 17 novembre 2016 à la société Olan Associés relatives à l’absence de toute visite du courtier depuis décembre 2011 et l’absence d’audit réalisé pour la mise en oeuvre des garanties d’assurance sont contredites par les pièces produites aux débats.
En effet, par message en date du 13 juin 2016 à la société Conserves Gonidec, Mme [H] [S], chargée de clientèle à la société Olan indique :
Nous faisons suite à notre rendez-vous du 10 Juin 2016 et vous remercions de votre accueil. Vous trouverez ci-joint le compte rendu des différents points abordés.
Il y a donc eu rencontre le 10 juin 2016 entre le courtier et l’assuré au sein de la société Conserves Gonidec, et donc quelques mois avant le 17 novembre 2016, et à cette occasion (cf compte-rendu), l’ensemble des garanties d’assurances souscrites par la société Conserves Gonidec par l’intermédiaire du courtier a été examiné par eux, avec actualisation des demandes de l’assuré ; la cour note qu’à cette occasion divers autres projets de garantie ont été proposés au client et parmi celles-ci le ‘cyber risques’.
La société Olan Associés justifie donc avoir informé son client de la possibilité d’une garantie cyber criminalité le 10 juin 2016. La cour relève cependant que la communication d’une telle information antérieurement à la date du sinistre ayant pour origine une commande du 25 janvier 2016 n’est pas établie.
Si un défaut d’information et de conseil de la société Olan Associés antérieurement au sinistre peut donc être relevé quant à l’existence d’une garantie cyber criminalité, le préjudice en résultant pour la société Conserves Gonidec ne peut s’analyser qu’en une perte de chance de souscrire une telle garantie qui serait en adéquation avec ses risques.
En l’espèce, la perte de chance de souscrire en temps utile précisément la garantie ‘cyber risks’ proposée tardivement par le courtier n’est pas caractérisée, alors qu’avisée de nouveau, lors d’un point assurance avec son courtier le 4 juillet 2017 de la perspective d’une garantie ‘cyber risks’ auprès de AIG (renouvelée pour l’avoir été proposée en décembre 2016), la société Conserves Gonidec ne démontre nullement avoir souscrit une telle garantie, ou même en avoir eu l’intention, et ce, encore à ce jour.
En outre, il apparaît à la lecture des conditions générales du contrat ‘ Pack cyber ‘ de la société AIG, versées aux débats, que cette garantie vise à protéger les atteintes aux données personnelles et confidentielles de l’assuré, et à la sécurité de son réseau et qu’ainsi elle n’aurait pas eu à s’appliquer dans le cas des faits dont la société Conserves Gonidec déclare avoir été victime.
La cour relève encore que la société Conserves Gonidec ne justifie pas être à ce jour garantie par une quelconque autre couverture d’assurances pour des faits de fraude tels que ceux subis, de sorte qu’elle n’établit aucune quelconque perte de chance de voir ses pertes couvertes.
A défaut de preuve d’un préjudice en lien avec les manquements reprochés, son action tendant à faire reconnaître la responsabilité du courtier n’est par conséquent pas fondée.
La cour confirme le jugement qui la déboute de sa demande de ce chef.
Sur les autres demandes
La cour confirme les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens. Il est inéquitable de laisser à la charge de la société Olan Associés la ²totalité des frais irrépétibles exposés en cause d’appel. L’appelante sera condamnée à lui payer de ce chef une somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne la société Conserves Gonidec à payer à la société Olan Associés la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Conserves Gonidec aux dépens d’appel.
Le Greffier La Présidente