Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 28 MARS 2023
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 22/05195 – N° Portalis DBVK-V-B7G-PSMU
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 29 SEPTEMBRE 2022
TRIBUNAL DE COMMERCE DE MONTPELLIER
N° RG 2022010436
APPELANTE :
SAS R.CONSULTANT immatriculée au RCS de MONTPELLIER sous le n° 342 904 224 prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié ès qualités au siège social
[Adresse 2]
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentée par Me Gilles BERTRAND de la SCP ROZE, SALLELES, PUECH, GERIGNY, DELL’OVA, BERTRAND, AUSSEDAT, SMALLWOOD, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant substitué par et Me Pascal ROZE, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMEES :
Association CONSEIL D’ADMINISTRATION DE L’ASSOCIATION GROUPE ADENE représenté par le Président de l’association GROUPE ADENE, suivant délibération du 03 novembre 2022
sis [Adresse 8]
[Adresse 7]
[Localité 1]
Représentée par Me Frédéric DABIENS de l’AARPI DABIENS, KALCZYNSKI, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et plaidant et par Me Marine NAJAR, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant
Association GROUPE ADENE
sis [Adresse 8]
[Adresse 7]
[Localité 1]
Représentée par Me Frédéric DABIENS de l’AARPI DABIENS, KALCZYNSKI, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et plaidant et par Me Marine NAJAR, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant
Ordonnance de clôture du 2 février 2023
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 02 FEVRIER 2023, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :
M. Jean-Luc PROUZAT, président de chambre
Mme Anne-Claire BOURDON, conseiller
M. Thibault GRAFFIN, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Hélène ALBESA
Ministère public : l’affaire a été communiquée au ministère public
ARRET :
– contradictoire
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par Monsieur Jean-Luc PROUZAT, président de chambre, et par Madame Hélène ALBESA, greffier.
FAITS et PROCEDURE – MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES :
L’association groupe Adène, dont les statuts ont été déposés le 24 octobre 2017, est issue de la fusion entre l’association Apard (association pour l’assistance et la réhabilitation à domicile), l’association Apighrem (association pour l’insertion des grands handicapés) et l’association Allp (association lyonnaise de logistique post-hospitalière).
L’objet de l’association vise « la mise en place de moyens communs au profit de structures qui lui sont liées et/ou pour lesquels elle intervient dans le cadre de prestations », les structures liées étant définies comme « toute autre association ou organisme à but non lucratif exerçant son activité dans les domaines sanitaires, sociaux, médico-sociaux et ayant adopté des statuts types proposés par l’association et répondant à une gouvernance commune ».
Depuis le 1er janvier 2018, l’association groupe Adène regroupe trois associations directement liées, exerçant chacune une activité opérationnelle distincte, l’association Adène médico-technique, l’association Adène médico-social et l’association Adéne HAD, le groupe réalisant des prestations dans le secteur de l’hospitalisation à domicile et l’assistance médico-technique à domicile et gérant plusieurs établissements médico-sociaux ; le conseil d’administration de chacune de ces trois associations comporte quatre membres de droit, à savoir l’association structure de tête, groupe Adéne, représentée par son président, un vice-président, le secrétaire et le trésorier de l’association groupe Adène, ainsi quatre autres administrateurs désignés par l’association groupe Adène en dehors ou parmi ses membres.
La SAS R Consultant représentée par [J] [Z] est, depuis le 21 juin 1993, commissaire aux comptes de l’association Apard à laquelle s’est substituée l’association groupe Adène.
Par lettre recommandée du 13 août 2020, M. [Z] a demandé à la direction de l’association groupe Adène que soit retranscrit dans le procès-verbal du conseil d’administration le verbatim de ses interventions pointant la nécessité de mettre en ‘uvre une démarche de comptes consolidés « du groupe associatif intégré » et un mandatement commun pour assurer un audit complet des services partagés ; le président de l’association groupe Adène, considérant comme intrusif le comportement du commissaire aux comptes dans la gestion sociale des structures liées, a, par lettre recommandée du 24 août 2020, indiqué à M. [Z] que ses procédés avaient altéré la confiance de la direction de l’association et qu’il convenait de trouver une solution pour mettre fin amiablement à cette collaboration.
Le même jour, l’association groupe Adène a saisi la compagnie régionale des commissaires aux comptes de [Localité 1] (CRCC), faisant état des difficultés relationnelles et professionnelles rencontrées avec M. [Z], mais le 26 novembre 2020, la CRCC a établi un compte rendu d’échec de la conciliation engagée entre l’association et l’intéressé.
Par lettre du 1er décembre 2020, l’association groupe Adène a transmis à M. [Z] l’ensemble des éléments nécessaires à son audit des comptes annuels pour l’exercice 2019, mais réitéré le refus du conseil d’administration d’effectuer une consolidation des comptes du « groupe Adène ».
Dans son rapport du 16 décembre 2020, la société R Consultant, en la personne de M. [Z], a refusé de certifier les comptes au motif que le commissariat aux comptes n’avait pas eu accès « à certains documents, notamment ceux relatifs aux entreprises liées (associations filles) » ; dans un courrier du 6 avril 2021 adressé au président et aux membres du conseil d’administration, M. [Z] a également dénoncé un exercice illégal de l’activité d’expertise comptable par l’association groupe Adène au profit de « ses filiales ».
Après une délibération en ce sens prise par le conseil d’administration, une assemblée générale extraordinaire de l’association groupe Adène en date du 3 mai 2021 a désigné M. [S] du cabinet In extenso en qualité de co-commissaire aux comptes de l’association pour les exercices comptables 2021 à 2026.
Le 27 juillet 2021, alors que l’assemblée générale annuelle d’approbation des comptes avait été reportée, M. [S], co-commissaire aux comptes, a rendu un rapport de contrôle sur les opérations intervenues entre les associations du groupe Adène au titre de l’exercice clos le 31 décembre 2020, réfutant certains griefs de prêts illégaux entre associations et d’exercice illégal de la comptabilité et estimant que l’établissement de comptes consolidés ou combinés ne constituait pas une obligation légale ou réglementaire.
M. [Z], dans un compte rendu de mission établi le 13 octobre 2021, a persisté dans son refus de certifier les comptes pour l’exercice 2020.
Par courrier du 4 mai 2021, M. [Z] a dénoncé au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Montpellier divers faits délictueux liés à l’entrave à ses fonctions de commissaire aux comptes (refus de communication de documents, refus de coopération technique, refus de consigner les déclarations du commissaire aux comptes dans les procès-verbaux…), à la communication d’informations fausses ou mensongères et à la tenue illégale de comptabilité ; par un nouveau courrier du 10 août 2021, il a dénoncé au procureur de la République des faits relatifs à l’établissement de fausses prescriptions médicales par un salarié de l’association Adène médico-technique ; il a également signalé, par courrier du 30 août 2021, l’existence de risques psycho-sociaux pour les salariés travaillant pour l’association Adène HAD, mis en évidence par un rapport du cabinet Syndex.
M. [Z] a, par ailleurs, informé le président de l’association groupe Adène, par courrier du 7 février 2022, du déclenchement d’une procédure d’alerte en raison d’un turnover anormal du personnel entre les diverses structures du groupe, du défaut de mise en place de comptes consolidés au sein du groupe et de l’exercice illégal de la tenue de la comptabilité par l’association groupe Adène en dépit des préconisations du Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables.
Parallèlement, une procédure de contestation des honoraires dus à la société R Consultant pour la certification des comptes annuels de l’exercice 2020 a été engagée par l’association groupe Adène devant le Haut conseil du commissariat aux comptes, lequel, dans une décision du 7 novembre 2022, a fixé le montant des honoraires dus à la somme de 25 500 euros hors-taxes hors travaux exceptionnels, validant ainsi le montant des honoraires réclamé par le commissaire aux comptes.
Entre-temps, par exploits des 18 mai et 10 juin 2022, le conseil d’administration de l’association groupe Adène représenté par son président, M. [B], agissant sur délibération des membres du conseil d’administration du 14 mars 2022, a fait assigner la société R Consultant et l’association groupe Adéne devant le président du tribunal judiciaire de Montpellier en vue d’obtenir, sur le fondement notamment des articles L. 823-7 et R. 823-5 du code de commerce, le relèvement de la société R Consultant représentée par M. [Z] de ses fonctions de commissaire aux comptes de l’association.
Par jugement du 20 juillet 2022, la juridiction saisie s’est déclarée incompétente au profit du président du tribunal de commerce de Montpellier statuant selon la procédure accélérée au fond.
C’est dans ces conditions que par jugement du 29 septembre 2022 le président du tribunal de commerce de Montpellier a relevé la société R Consultant prise en la personne de M. [Z] des fonctions de commissaire aux comptes de l’association groupe Adène et condamné celle-ci à payer à la demanderesse la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Pour statuer comme il l’a fait, le premier juge a retenu que plusieurs fautes avaient été commises par M. [Z] au sens de l’article L. 823-7 du code de commerce de nature à justifier qu’il soit relevé de ses fonctions de commissaire aux comptes, à savoir la violation du secret professionnel, la mise en ‘uvre fautive de la procédure d’alerte alors que la continuité de l’exploitation n’était pas compromise, le refus de certification des comptes sans justifications légitimes et son obstruction fautive rendant la poursuite de la mission avec le co-commissaire aux comptes, le cabinet In extenso, impossible.
La société R Consultant a régulièrement relevé appel, le 12 octobre 2022, de ce jugement en vue de son infirmation.
Elle demande la cour, dans ses dernières conclusions déposées le 20 janvier 2023 par le RPVA, de :
Vu les articles L. 820-1 et suivants, les articles L. 823-9 et suivants, les articles L. 823-13 et L. 823-15 et les articles L. 823-7 et R. 823-5 du code de commerce,
Vu les textes réglementaires et normes professionnelles et la doctrine associée applicables aux commissaires aux comptes,
Vu l’article 20 l’ordonnance 45-2138 du 19 septembre 1945 relatif au monopole de l’exercice de la profession d’expert-comptable,
Vu la doctrine du CSOEC en matière d’exercice illégal de la profession d’expert-comptable,
Vu le code de déontologie des commissaires aux comptes,
Vu l’article 1241 du code civil,
(…)
A titre principal :
– débouter les intimées de leur action en relèvement de la société R Consultant prise en la personne de [J] [Z] de ses fonctions de commissaire aux comptes de l’association groupe Adène ainsi que de l’intégralité de leurs demandes,
– condamner in solidum le président de l’association ayant engagé l’action et l’association groupe Adène au paiement de la somme de 30 000 euros à titre de dommages intérêts,
– condamner in solidum le président de l’association ayant engagé l’action et l’association groupe Adène au paiement de la somme de 18 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de son appel, elle fait essentiellement valoir que :
– conformément à la norme d’exercice professionnel NEP 700, elle s’est trouvée dans l’impossibilité de certifier les comptes en raison du refus persistant de l’association groupe Adène de lui communiquer certaines informations relatives aux structures associatives filles, comme les comptes annuels et les rapports des commissaires aux comptes de ces structures, sa position de pouvoir disposer des informations financières essentielles des structures filles ayant été finalement partagée par le cabinet In extenso,
– il ne peut lui être reproché d’avoir révélé des faits délictueux au procureur de la République, ce qui constituait, de sa part, une obligation légale sous peine de voir engager sa responsabilité pénale, ces signalements étant basés sur des faits objectifs étayés par les pièces produites à l’appui et certains ayant donné lieu à des poursuites pénales (l’utilisation par l’un des salarié du groupe de tampons contrefaits apposés sur de fausses prescriptions médicales),
– le turnover du personnel d’encadrement et des employés, associé à une souffrance au travail, qui s’est notamment traduit par l’impossibilité pour l’association Adène médico-social d’assurer la sécurité de ses résidents, personnes handicapées, constituait un risque significatif pour le groupe Adène de nature à justifier le déclenchement de la procédure d’alerte, même en l’absence de risque financier immédiat,
– le fait que la lettre de mise en jeu de la procédure d’alerte ait été communiquée aux membres du conseil d’administration ne saurait caractériser une violation de sa part du secret professionnel,
– le prétendu harcèlement, qui lui est reproché, n’est que la conséquence du refus persistant de la direction de l’association groupe Adène à lui communiquer les informations et pièces demandées et il ne peut lui être fait grief d’un refus de collaboration avec le cabinet In extenso, alors qu’au terme d’une procédure de conciliation conduite sous l’égide des présidents des deux compagnies régionales de commissaires aux comptes de [Localité 1]-[Localité 6] et de [Localité 5], les deux co-commissaires aux comptes se sont entendus pour émettre une lettre de mission commune que l’association groupe Adène a cependant refusé de signer,
– il n’est donc pas rapporté la preuve d’une faute grave, qu’il aurait commise, traduisant un manquement délibéré aux obligations légales, réglementaires et déontologiques du commissaire aux comptes.
Le conseil d’administration de l’association groupe Adène et l’association groupe Adène, dont les dernières conclusions ont été déposées le 2 février 2023 par le RPVA, sollicitent de voir confirmer le jugement entrepris et condamner la société R Consultant au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Ils exposent en substance que :
– la société R Consultant, dont le mandat a été renouvelé lors de l’assemblée générale de 2017 approuvant les comptes de l’exercice 2016 pour une durée de 6 ans expirant le 31 décembre 2022, ne pouvait, hors du champ de sa mission, prétendre vouloir certifier les comptes consolidés du groupe Adène en faisant abstraction de l’existence de commissaires aux comptes dans les structures liées, ni obtenir les éléments relevant de la gestion propre à ces structures, alors qu’elle n’a pas justifié, par référence à la NEP 700, en quoi les incidences de cette limitation sur les comptes ne pouvaient être clairement circonscrites et en quoi la formulation de réserves n’aurait pas été suffisante pour permettre à l’utilisateur des comptes de fonder son jugement en connaissance de cause,
– elle a donc refusé, sans motif suffisant, de certifier les comptes pour l’exercice 2019 et, bien que certains documents intéressant les autres associations du groupe lui aient été communiqués, a encore refusé de certifier les comptes de l’exercice 2020 sans citer aucun dysfonctionnement concret,
– la réalisation de prestations administratives et comptables par l’association groupe Adène au profit des autres entités du groupe ne saurait s’analyser comme un exercice illégal de la profession d’expert-comptable,
-le déclenchement de la procédure d’alerte relative à l’établissement de fausses prescriptions médicales au sein de l’association Adéne médico-technique a été effectuée de manière précipitée et sans vigilance par la société R Consultant qui n’était d’ailleurs pas le commissaire aux comptes de cette association,
-de même, la procédure d’alerte relative à l’existence d’un turnover important commun à l’ensemble des structures du groupe Adène a été engagée de manière abusive, hors la démonstration d’événements ou de circonstances susceptibles de mettre en cause la continuité de l’exploitation de l’association groupe Adène,
– la société R Consultant a informé du déclenchement de cette procédure d’alerte les administrateurs des autres associations du groupe, voire d’anciens administrateurs et même un salarié, M. [X], violant ainsi le secret professionnel de l’association groupe Adène,
– M. [Z] n’a eu de cesse d’obtenir des dirigeants de l’association groupe Adène la mise en ‘uvre de comptes de groupes consolidés, ce que ces derniers ont vécu comme un véritable harcèlement, et il a refusé de collaborer avec le co-commissaire aux comptes désigné en vue de l’audit des comptes pour l’exercice 2021.
Il est renvoyé, pour l’exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
Le dossier de l’affaire a été communiqué au ministère public, qui a également été avisé de la date d’audience.
Instruite conformément aux dispositions de l’article 905 du code de procédure civile, la procédure a été clôturée par ordonnance du 2 février 2023, préalablement à l’ouverture des débats.
MOTIFS de la DECISION :
Aux termes de l’article L. 823-7 du code de commerce : « En cas de faute ou d’empêchement, les commissaires aux comptes peuvent, dans les conditions fixées par décret en Conseil d’État, être relevés de leurs fonctions avant l’expiration normale de celles-ci, sur décision de justice, à la demande de l’organe collégial chargé de l’administration, de l’organe chargé de la direction, d’un ou plusieurs actionnaires ou associés représentant 5 % du capital social, du comité d’entreprise, du ministère public ou de l’Autorité des marchés financiers pour les personnes dont les titres financiers sont admis aux négociations sur un marché réglementé et entités (‘) ».
Pour être de nature à motiver le relèvement de ses fonctions de commissaire aux comptes, la faute visée à l’article L. 823-7 doit être d’une gravité telle qu’elle constitue un obstacle dirimant à la poursuite de sa mission jusqu’au terme prévu ; le commissaire aux comptes n’est pas en effet un simple prestataire de services mais se trouve légalement investi d’une mission permanente de contrôle de la situation financière et comptable de la personne ou de l’entité dont il est chargé de certifier les comptes, mission qu’il doit pouvoir exercer en toute indépendance vis-à-vis des dirigeants.
En l’espèce, il est constant que la société R Consultant représentée par M. [Z] a, par référence à la NEP 700 homologuée par arrêté du 1er octobre 2018 publié au Journal officiel le 7 octobre 2018, formulé une impossibilité de certifier les comptes des exercices de l’association groupe [Adresse 3] les 31 décembre 2019 et 31 décembre 2020 aux motifs qu’elle n’avait pu avoir communication de divers éléments concernant les associations filles (l’association Adène médico-technique, l’association Adène médico-social et l’association Adène HAD), notamment les comptes annuels de ces structures, les rapports des commissaires aux comptes, les rapports de gestion de celles-ci et les procès-verbaux de leurs instances dirigeantes, que les orientations actuelles ne permettaient pas de satisfaire aux recommandations de l’audit du centre de services partagés (CSP) géré par l’association mère assurant la tenue de la comptabilité des associations filles au risque de se voir reprocher l’exercice illégal de la profession d’expert-comptable et que l’annexe aux comptes annuels ne donnait pas la liste des entités répondant à la définition des entreprises liées au sens de l’article R. 123-199 du code de commerce, ni aucune information relative aux transferts de ressources entre entreprises liées, alors qu’il existait des comptes-courant entre l’association groupe Adène et les associations dont elle assure statutairement le contrôle.
Il résulte du point 14 de la NEP 700 que le commissaire aux comptes formule une impossibilité de certifier, d’une part, lorsqu’il n’a pas pu mettre en ‘uvre toutes les procédures d’audit nécessaires pour fonder son opinion sur les comptes, et que, soit les incidences sur les comptes des limitations à ses travaux ne peuvent être clairement circonscrites, soit la formulation d’une réserve n’est pas suffisante pour permettre à l’utilisateur des comptes de fonder son jugement en connaissance de cause et, d’autre part, lorsqu’il est dans l’impossibilité d’exprimer une opinion en raison de multiples incertitudes, dont les incidences sur les comptes ne peuvent être clairement circonscrites.
La société R Consultant a estimé ne pouvoir certifier les comptes de l’association groupe Adène à défaut des éléments lui permettant d’avoir une appréciation d’ensemble sur les relations existantes au sein du groupe Adène composé d’associations sur lesquelles celle-ci assurait le contrôle par la présence de ses représentants dans chacun des conseils d’administration, dont elle tenait également la comptabilité par le biais de conventions de prestations et auxquelles elle accordait des avances de trésorerie ; à cet égard, force est de constater que le montant des avances en compte-courant de l’association groupe Adène à l’association médico-technique, qui était de 1 573 103 euros au 31 décembre 2018, a atteint 6 330 894 euros à la clôture de l’exercice du 31 décembre 2019 ; or, la régularité des avances de trésorerie au regard notamment des dispositions de l’article L. 511-6 du code monétaire et financier était susceptible de se poser puisque, comme l’indique le cabinet In extenso (M. [S]) dans un rapport de contrôle du 27 juillet 2021, les prêts entre associations doivent être justifiés pour des motifs d’ordre social.
Dès lors que l’association groupe Adène exerçait sur chacune des trois associations opérationnelles un pouvoir de direction et de contrôle caractérisant un groupe associatif de fait, la société R Consultant a pu, en effet, considérer comme conforme à l’exercice de sa mission de suggérer l’établissement de comptes consolidés au sein du groupe pour estimer ensuite, en l’absence des éléments lui permettant de vérifier la situation financière et patrimoniale de l’association mère et la conformité de sa comptabilité eu égard à l’existence d’opérations intragroupe, qu’il lui était impossible de certifier les comptes 2019 et 2020, quand bien même les comptes des associations filles étaient eux-mêmes certifiés par un commissaire aux comptes ; la position adoptée par le commissaire aux comptes ne peut, en toute hypothèse, être regardée comme constituant une faute d’une gravité telle qu’elle justifiait le relèvement de ses fonctions avant le terme prévu.
Le Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables, dont la doctrine est rappelée dans un courrier adressé à M. [Z], le 2 avril 2021, par le président de la commission « exercice illégal » du Conseil régional de l’ordre des experts-comptables de la région Occitanie, indique que l’association mère ne peut se prévaloir de son pouvoir de direction et de contrôle pour tenir intégralement la comptabilité des associations filles, ou pour accorder des avances en trésorerie contrevenant au monopole bancaire parce que dictées par l’intérêt du groupe, puis refuser ensuite l’établissement de comptes combinés au motif que les structures seraient indépendantes ; le co-commissaire aux comptes de l’association groupe Adène, le cabinet In extenso, souligne lui-même que si l’établissement de comptes combinés n’est imposé par aucune disposition légale ou réglementaire, il est néanmoins de l’intérêt du groupe Adène de mettre en place de tels comptes au sein du groupe Adène compte tenu de la surface financière de l’ensemble des entités concernées et de la notion de transparence financière auprès des tiers et des administrateurs que ces comptes combinés pourraient apporter (sic).
Par ailleurs, la société R Consultant n’a évoqué le risque pour l’association groupe Adène de se voir reprocher l’exercice illégal de la profession d’expert-comptable que dans l’hypothèse où les associations opérationnelles, dont elle assurait la tenue de la comptabilité par le biais de conventions de prestations, seraient considérées comme autonomes par rapport à elle ; aucune faute de nature à justifier qu’elle soit relevée de ses fonctions avant l’expiration normale de celles-ci ne peut ainsi lui être imputée.
Sous peine de sanctions pénales prévues à l’article L. 820-7, le commissaire aux comptes a l’obligation de révéler au procureur de la République les faits délictueux dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions ; à ce titre, la société R Consultant représentée par M. [Z] a, par divers courriers des 4 mai 2021, 10 août 2021 et 30 août 2021, dénoncé au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Montpellier des faits délictueux liés notamment à l’entrave de ses fonctions de commissaire aux comptes, à l’établissement de fausses prescriptions médicales par un salarié de l’association Adène médico-technique et à l’existence de risques psycho-sociaux pour les salariés travaillant pour l’association Adène HAD, mis en évidence par un rapport du cabinet Syndex.
Les faits relatifs à l’établissement de fausses prescriptions médicales par un salarié de l’association Adène médico-technique, dénoncés au procureur de la République le 10 août 2021, ont été également portés à la connaissance des membres du conseil d’administration de l’association groupe Adène par courriers des 19 novembre et 30 novembre 2021, le commissaire aux comptes faisant état d’un système frauduleux de fabrication de faux tampons de médecins, de faux papiers à en-tête de médecins, de fausses signatures visant à établir de fausses ordonnances et de fausses demandes d’entente préalable pour des patients en oxygénothérapie ou traitement d’apnée du sommeil ; il s’avère que le signalement effectué auprès du procureur de la République relate des faits précis et circonstanciés et qu’il y est joint la lettre d’un salarié, témoin des faits, et les photocopies des tampons utilisés et des ordonnances ou demandes d’entente préalable prétendument falsifiées ; il ne peut être fait grief à M. [Z] d’avoir dénoncer de tels faits au procureur de la République, alors qu’il en avait l’obligation, et il importe peu qu’il en ait eu connaissance dans le cadre de ses fonctions de commissaire aux comptes de l’association groupe Adène ou qu’il ait lui-même proposé une qualification pénale ; il est en outre établi que le salarié incriminé (M. [O]) est actuellement l’objet, après enquête, de poursuites pénales.
L’article L. 612-3, alinéa 1, du code de commerce dispose que lorsque le commissaire aux comptes d’une personne morale visée aux articles L. 612-1 et L. 612-4 relève, à l’occasion de l’exercice de sa mission, des faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation de cette personne morale, il en informe les dirigeants de la personne morale dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État ; en l’occurrence, il est reproché à la société R Consultant d’avoir, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception adressée le 7 février 2022 au président de l’association groupe Adène, mis en ‘uvre la procédure d’alerte, en raison notamment de l’existence d’un turnover important commun à l’ensemble des structures du groupe, sans justifier d’une menace susceptible d’être portée à court terme à la continuité de son exploitation, dénonçant ainsi le caractère cavalier, nocif et disproportionné (sic) d’une telle démarche.
Pour autant, le déclenchement de cette procédure d’alerte en raison d’un turnover commun à l’ensemble des structures du groupe, s’appuyait, d’une part, sur un article paru le 11 novembre 2021 dans le journal « Midi-Libre » concernant le centre Apighrem de l’association Adène médico-social et, d’autre part, sur un rapport du cabinet Syndex commandé par le comité social et économique de l’association Adène HAD, mettant en évidence l’apparition de risques psycho-sociaux auxquels sont confrontés les salariés, la dégradation du dialogue social dans l’entreprise et l’existence de départs de personnels soignants en raison des conditions de travail ; la société R Consultant reconnaît elle-même que la structure financière du groupe Adène présente encore une assise relativement solide, mais retient que si aucun risque financier ne ressort à court terme, les éléments rapportés paraissent à eux seuls suffisamment graves pour constituer un risque significatif susceptible de mettre en cause la continuité de l’exploitation, la survenance de ce risque se trouvant dans un horizon imprévisible dès lors que la fréquence et l’importance des départs des salariés ne peuvent, par définition, être maîtrisés (sic).
En l’état des éléments concrets liés à une désaffection du personnel soignant, dont fait état le commissaire aux comptes, susceptibles en tant que tels de compromettre à terme la continuité de l’exploitation des structures opérationnelles dirigées par l’association groupe Adène, il ne peut être considéré que celui-ci a mis en ‘uvre, dans des conditions abusives, la procédure d’alerte et a donc commis une faute d’une particulière gravité de nature à justifier qu’il soit immédiatement mis fin à ses fonctions.
Il ne peut, non plus, être reproché à la société R Consultant d’avoir délibérément commis une violation du secret professionnel en adressant sa lettre du 7 février 2022 en copie à d’anciens membres du conseil d’administration et même à un salarié (M. [X]), alors qu’elle explique qu’elle n’avait plus accès à la liste des administrateurs en raison de la suppression de l’accès à l’intranet de l’association et qu’elle a repris la liste de diffusion figurant sur un courriel adressé le 25 mai 2021 par le directeur général aux administrateurs, liste sur laquelle apparaissait également le nom du salarié concerné.
Pour insistant qu’ait été le comportement de M. [Z] visant à obtenir la communication d’éléments lui permettant d’apprécier dans son ensemble la situation financière du groupe Adène en l’état du refus de l’association mère d’établir des comptes combinés, il ne peut, là encore, en être déduit l’existence d’une faute suffisamment grave pour justifier un relèvement de ses fonctions avant le terme prévu, d’autant que le co-commissaire aux comptes, le cabinet In extenso, a lui-même recommandé la mise en place de comptes combinés au sein du groupe pour une meilleure transparence financière de l’ensemble de ses activités.
Enfin, rien ne permet d’affirmer que la société R Consultant a refusé de collaborer avec le cabinet In extenso en violation de la NEP 100 relative à l’audit des comptes réalisé par plusieurs commissaires aux comptes, alors que les deux co-commissaires aux comptes ont établi, le 28 juillet 2022, une lettre de mission commune comportant une répartition entre eux des travaux à effectuer.
Il résulte de tout ce qui précède que la demande du conseil d’administration de l’association groupe Adène visant à obtenir le relèvement de la société R Consultant représenté par M. [Z] de ses fonctions de commissaire aux comptes de l’association groupe Adène ne peut qu’être rejetée, le jugement entrepris devant être infirmé dans toutes ses dispositions.
L’action engagée par le conseil d’administration de l’association groupe Adène ne peut être considérée, eu égard aux circonstances, comme révélatrice d’une mesure de représailles caractérisée à l’encontre de la société R Consultant au seul motif que celle-ci a formulé à deux reprises, lors du contrôle des comptes afférents aux exercices 2019 et 2020, une impossibilité de les certifier ; celle-ci doit ainsi être déboutée de sa demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts.
Au regard de la solution apportée au règlement du litige, l’association groupe Adène doit être condamné aux dépens de première instance et d’appel, ainsi qu’à payer à la société R Consultant la somme de 4000 euros en remboursement des frais non taxables que celle-ci a dû exposer, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme dans toutes ses dispositions le jugement rendu le 29 septembre 2022 par le président du tribunal de commerce de Montpellier et statuant à nouveau,
Rejette la demande du conseil d’administration de l’association groupe Adène visant à obtenir le relèvement de la société R Consultant représentée par M. [Z] de ses fonctions de commissaire aux comptes de l’association groupe Adène,
Déboute la société R Consultant de sa demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts,
Condamne l’association groupe Adène aux dépens de première instance et d’appel, ainsi qu’à payer à la société R Consultant la somme de 4000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
le greffier, le président,