Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 4 – Chambre 9 – A
ARRÊT DU 27 OCTOBRE 2022
(n° , 2 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/10276 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCDF7
Décision déférée à la Cour : Jugement du 3 juillet 2020 – Tribunal de proximité de SAINT-OUEN – RG n° 11-20-000169
APPELANT
Monsieur [W], [S] [I] [E]
né le [Date naissance 4] 1988 à [Localité 9] (95)
[Adresse 2]
[Localité 7]
représenté par Me Emilie CHAPUIS, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 91
INTIMÉE
La société ING BANK N.V., société de droit néerlandais agissant aux fins des présentes au travers de sa succursale française, la société ING BANK FRANCE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
N° SIRET : 791 866 890 00019
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 11]
représentée par Me Serena ASSERAF, avocat au barreau de PARIS, toque : B0489
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 6 septembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Muriel DURAND, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Muriel DURAND, Présidente de chambre
Mme Fabienne TROUILLER, Conseillère
Mme Laurence ARBELLOT, Conseillère
Greffière, lors des débats : Mme Camille LEPAGE
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Mme Muriel DURAND, Présidente de chambre et par Mme Camille LEPAGE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par acte sous seing privé en date du 30 août 2018, une convention de compte de dépôt n° [XXXXXXXXXX06] comportant un découvert autorisé à hauteur de 500 euros activable après deux mois d’utilisation du compte de dépôt en solde créditeur a été conclue au nom de M. [W] [I] [E] auprès de la société ING Bank France.
Se prévalant d’un solde débiteur sur le compte bancaire, la société ING Bank France a, par courrier recommandé du 21 janvier 2019, mis en demeure M. [I] [E] de payer les sommes dues et l’a informé de la clôture du compte puis l’a assigné le 8 janvier 2020 devant le tribunal de proximité de Saint-Ouen, lequel a le 21 avril 2020 rendu le jugement réputé contradictoire suivant :
« Déclare l’action de la société ING Bank France recevable,
prononce la déchéance du droit aux intérêts au titre de la convention de comptes de dépôt n° [XXXXXXXXXX06] conclue le 30 août 2018 entre M. [W] [I] [E] et la société ING Bank France,
condamne M. [W] [I] [E] à payer à la société ING Bank France la somme de 8 140 euros au titre du solde débiteur du compte de dépôt n° [XXXXXXXXXX06] ouvert selon convention du 30 août 2018 auprès de la société ING Bank France avec intérêts au taux légal à compter du 13 juin 2019,
condamne M. [W] [I] [E] à payer à la société ING Bank France la somme 450 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
condamne M. [W] [I] [E] aux dépens de l’instance,
constate l’exécution provisoire de la présente décision ».
Le tribunal a retenu que le compte s’était trouvé débiteur au-delà du découvert autorisé de manière définitive à compter du 31 octobre 2018 et que le prêteur ne justifiait pas avoir, dès le début du deuxième mois de dépassement du solde débiteur autorisé, informé le débiteur du montant du dépassement, du taux débiteur et de tous les frais ou intérêts sur arriéré qui lui étaient applicables et qu’il convenait de déduire les intérêts pour 38,71 euros.
Par déclaration en date du 22 juillet 2020, M. [I] [E] a interjeté appel de ce jugement.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 8 octobre 2020, M. [I] [E] demande à la cour :
– d’infirmer le jugement du tribunal de proximité du 3 juillet 2020 sauf en ce qu’il a prononcé la déchéance du droit aux intérêts de la convention n° [XXXXXXXXXX06] conclue le 30 août 2018 avec société ING Bank France,
– et statuant à nouveau, de condamner société ING Bank France à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et celle de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel avec distraction au profit de la SCP François-Régis Calendreau, avocat.
Il soutient avoir été victime d’une usurpation d’identité lors de la souscription de la convention d’ouverture de compte et fait valoir qu’elle est suffisamment établie par les incohérences et le caractère erroné des informations contenues dans le formulaire d’ouverture. Il ajoute avoir déposé plainte contre X pour l’utilisation frauduleuse de son identité et pour déclarer la perte de sa carte d’identité nationale en 2018, laquelle a donc pu être présentée par un tiers lors de la souscription de la convention d’ouverture de compte. Il se prévaut enfin de l’absence de signature du formulaire d’ouverture de compte et précise qu’en cas de signature électronique il appartient à la société ING Bank France d’en justifier.
La société ING Bank France, par conclusions notifiées par voie électronique le 7 janvier 2021, demande à la cour de confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de proximité de Saint-Ouen le 3 juillet 2020, de débouter M. [I] [E] de toutes ses demandes, fins et conclusions et de le condamner aux entiers dépens et d’appel avec distraction au profit de Maître Séréna Asseraf, avocat au barreau de Paris ainsi qu’au paiement d’une somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La société ING Bank France fait principalement valoir que M. [I] [E] qui n’a pas comparu devant le tribunal de proximité, ne rapporte pas la preuve de ses allégations, que celui-ci a certes porté plainte suite aux demandes mais qu’il ne produit aucune déclaration préalable de perte de sa carte d’identité, que la convention d’ouverture de compte a été conclue par voie électronique, ce que les dispositions des articles 1316-1 et suivants du code civil permettaient à cette époque et que les pièces remises qui comportent aussi son acte de naissance et ses avis d’imposition de 2017 et de 2018 dont il n’explique pas comment elles auraient été en la possession du prétendu usurpateur, établissent suffisamment qu’il est bien celui qui a souscrit cette convention.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 17 mai 2022 et les parties ont été appelées à l’audience le 7 septembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il résulte de l’article 9 du code de procédure civile qu’il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
A l’appui de sa demande en paiement, la société ING Bank France produit’notamment :
– la convention d’ouverture de compte qui domicilie M. [I] [E] au [Adresse 3] à [Localité 10], mentionne qu’il est né le [Date naissance 4] 1988 à [Localité 9], qu’il est infirmier en CDI aux hôpitaux publics de [Localité 11], que son téléphone est le [XXXXXXXX01] et son mail [Courriel 8] et mentionne une signature électronique en date du 30 août 2018 sans aucune signature numérisée en ce qui concerne le débiteur,
– la copie de la pièce d’identité de M. [I] [E] le domiciliant au [Adresse 2],
– la copie intégrale de l’acte de naissance de M. [I] [E],
– ses avis d’imposition sur les revenus pour 2017 et 2018 le domiciliant au [Adresse 2],
– une lettre recommandée de mise en demeure en date du 21 janvier 2019 adressée à M. [I] [E] au [Adresse 3] à [Localité 10] dont l’accusé de réception mentionne qu’il est inconnu à cette adresse,
– une nouvelle lettre recommandée de mise en demeure du 13 juin 2019 cette fois envoyée au [Adresse 2]) signée par M. [I] [E].
De son côté, M. [I] [E] verse aux débats’un procès-verbal de plainte du 13 janvier 2020 faisant suite à une procédure de plainte en ligne dans laquelle il expose avoir perdu sa carte nationale d’identité mi 2018 mais avoir omis de faire une déclaration de perte, avoir découvert, lorsqu’un huissier était venu déposer une assignation à son domicile, qu’une personne avait ouvert un compte à la banque ING DIRECT avec sa pièce d’identité et avoir bien reçu un courrier de société ING Bank France précisant qu’il leur devait 8 000 euros mais ne pas y avoir répondu, étant persuadé qu’il s’agissait d’une arnaque car il ne faisait pas de crédit. Le mail et le numéro de téléphone qu’il déclare sur ce procès-verbal ne sont pas ceux qui figurent sur la convention d’ouverture de compte.
S’agissant de la signature de la convention qui fonde la demande en paiement, il convient de souligner qu’elle a eu lieu par voie électronique.
Il résulte de l’article 1366 du code civil que l’écrit électronique n’a la même force probante que l’écrit sur support papier que si la personne dont il émane peut être dûment identifiée et de l’article 1367 du même code, que la signature nécessaire à la perfection d’un acte juridique qui identifie son auteur et manifeste son consentement aux obligations qui découlent de cet acte, doit lorsqu’elle est électronique, consister en l’usage d’un procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle s’attache.
Il en résulte qu’il existe deux types de signatures dites électroniques, la différence se situant au niveau de la charge de la preuve :
– la signature électronique « qualifiée », répondant aux conditions de l’article 1367 du code civil et obtenue dans les conditions fixées par le décret n° 2001-272 du 30 mars 2001 (auquel s’est substitué le décret n° 2017-1416 du 28 septembre 2017 lequel renvoie au règlement (UE) n° 910/2014 du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014), laquelle repose sur un certificat qualifié de signature électronique délivré au signataire par un prestataire de services de certification électronique (PSCE) notamment après identification du signataire, signature dont la fiabilité est présumée,
– la signature électronique « simple » ne répondant pas à ces conditions (signature accompagnée d’un certificat électronique qui n’est pas qualifié ou sans vérifications de l’identité du signataire) et qui n’est pas dépourvue de toute valeur, mais pour laquelle il appartient à celui qui s’en prévaut de justifier en outre que les exigences de fiabilité de l’article 1367 du code civil sont respectées, à savoir l’identification de l’auteur et l’intégrité de l’acte, pour la vérification desquels sont examinés les éléments extérieurs.
En l’espèce, aucun certificat de PSCE n’a été produit, de sorte que la signature électronique ne saurait être qualifiée et que sa fiabilité ne saurait donc être présumée.
Il appartient donc à la société ING Bank France de prouver qu’il y a eu usage d’un procédé fiable d’identification garantissant le lien de la signature identifiant le signataire avec l’acte auquel la signature s’attache.
Or en l’espèce, la cour constate que le contrat, s’il mentionne bien les éléments d’identité de M. [I] [E] en ce qui concerne son nom et ses date et lieu de naissance, fait apparaître une adresse qui n’est pas celle qui figure ni sur sa carte d’identité ni sur ses avis d’imposition et un numéro de téléphone et un mail qui ne sont pas ceux qui sont revendiqués dans la plainte. Or aucun justificatif de domicile justifiant d’un domicile différent de celui de la carte d’identité n’est produit. Aucun élément ne permet de relier le numéro de téléphone et le mail à M. [I] [E].
Le seul fait que la société ING Bank France soit en possession de la carte d’identité ne suffit pas à démontrer que c’est bien M. [I] [E] qui a sollicité et signé ce contrat dès lors qu’il explique cette situation de manière plausible dans sa plainte. Son explication sur son absence de réaction à la seule lettre de relance envoyée à sa véritable adresse est tout aussi plausible. Le fait que la société ING Bank France soit en possession des avis d’imposition de 2017 et de 2018 et de la copie intégrale de l’acte de naissance ne suffisent pas à eux seuls à démontrer que M. [I] [E] est bien le signataire de la convention.
De plus le fonctionnement même du compte qui permettait un plafond de paiement par carte de 4 000 euros par mois mais n’autorisait un découvert qu’à hauteur de 500 euros, tend à démontrer l’usurpation d’identité dont fait état M. [I] [E].
Ouvert le 30 août 2018, le compte :
– a reçu le 27 septembre 2018 un virement de 300 euros,
– a reçu le 30 septembre 2018 la prime de bienvenue de la banque de 80 euros,
– présente dès le 2 octobre 2018 le retrait de la somme de 300 euros en liquide à un distributeur,
– présente le retrait rapide des 80 euros au distributeur en 2 fois (60 euros le 12 octobre 2018 et 20 euros le 31 octobre 2018),
– présente le 31 octobre 2018 le débit d’une somme de 4 000 euros utilisée en une fois pour un règlement par carte de ce montant au magasin Printemps,
– présente à nouveau le 30 novembre 2018 le débit d’une somme de 4 000 euros utilisée en une fois pour un règlement par carte de ce montant au magasin Printemps.
Le relevé de compte ne mentionne plus ensuite que des frais de rejet et des intérêts.
En ces conditions, la régularité de la signature de la convention d’ouverture du compte de dépôt n° [XXXXXXXXXX06] n’est pas justifiée et la société ING Bank France doit être déboutée de ses demandes.
Le jugement déféré doit donc être infirmé, dans les limites de l’appel, en ce qu’il a condamné M. [I] [E] à payer à la société ING Bank France la somme de 8 140 euros au titre du solde débiteur du compte de dépôt n° [XXXXXXXXXX06].
Sur la demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral
Il résulte de ce qui précède que la société ING Bank France a poursuivi M. [I] [E] en règlement de sommes dont elle ne peut prouver qu’il en a bénéficié car elle n’a pas effectué toutes les vérifications nécessaires lors de la signature électronique de ce contrat. Elle a de plus accepté un premier achat par carte bancaire de 4 000 euros rendant le compte débiteur de ce montant et n’a pas rejeté le 2nd achat de 4 000 euros fait un mois plus tard alors même que cet achat portait le débit du compte à 8 000 euros en capital, pour un contrat n’autorisant un découvert que de 500 euros. De son côté, M. [I] [E] s’est montré négligent en ne signalant pas immédiatement la perte de sa carte d’identité et en ne réagissant pas à la mise en demeure que la société ING Bank France lui avait finalement envoyée à sa bonne adresse comme en ne se présentant pas devant le juge de proximité de Saint-Ouen alors pourtant qu’il avait été assigné à son adresse à [Localité 7] et qu’il en avait connaissance, ainsi qu’il l’a reconnu dans sa plainte.
Dès lors, il ne sera fait droit à sa demande que dans la limite d’une somme de 500 euros.
Sur les autres demandes
La société ING Bank France qui succombe doit supporter les dépens de première instance et d’appel et il apparaît équitable de la condamner à payer à M. [I] [E] une somme de 2 000 euros.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort, mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions critiquées ;
Statuant à nouveau dans les limites de l’appel et ajoutant,
Déboute la société ING Bank France de sa demande en paiement au titre du solde débiteur du compte de dépôt n° [XXXXXXXXXX06] ouvert selon convention du 30 août 2018 ;
Condamne la société ING Bank France à payer à M. [I] [E] les sommes de 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et celle de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Rejette le surplus des demandes ;
Condamne la société ING Bank France aux dépens de première instance et d’appel avec distraction au profit de la SCP François-Régis Calendreau, avocat sur le fondement de l’article 699 du code de procédure civile.
La greffièreLa présidente