27 juillet 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 21/00323

·

·

27 juillet 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 21/00323
Ce point juridique est utile ?

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE – SECTION B

————————–

ARRÊT DU : 27 juillet 2023

PRUD’HOMMES

N° RG 21/00323 – N° Portalis DBVJ-V-B7F-L4RB

Monsieur [Z] [K]

c/

SCEA DU [Adresse 4]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée aux avocats le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 décembre 2020 (R.G. n°F18/00297) par le Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de BORDEAUX, Section Agriculture, suivant déclaration d’appel du 19 janvier 2021.

APPELANT :

[Z] [K]

né le 31 Mars 1972 à [Localité 3]

de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]

Représenté par Me Marjorie BLANC-DELAS, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

S.C.E.A. DU [Adresse 4] prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège, [Adresse 4] – [Localité 2]

Représentée par Me Ngoc-Lan TRUONG substituant Me Albin TASTE de la SCP CABINET LEXIA, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 907 et 805 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 06 avril 2023 en audience publique, devant Madame Marie-Paule Menu, présidente chargée d’instruire l’affaire, qui a retenu l’affaire

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Paule Menu, présidente,

Madame Cybèle Ordoqui, conseillère,

Madame Sophie Lésineau, conseillère

greffière lors des débats : Evelyne Gombaud

greffière lors du prononcé : Sylvaine Déchamps

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

Le délibéré a été prorogé en raison de la charge de travail de la Cour.

FAITS ET PROCEDURE

La société [Adresse 4] et M. [K] ont débuté leur collaboration le 7 mai 2012, dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée soumis aux dispositions de la convention collective départementale des exploitations agricoles de la Gironde, pour l’emploi d’ouvrier agricole, qualification ouvrier, niveau 2, échelon B.Les parties ont convenu de la mise à disposition par l’employeur à compter du 1er novembre 2012 d’un logement de fonction.

La société [Adresse 4] a convoqué M. [K] à un entretien préalable à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’à un licenciement fixé le 23 octobre 2017, par un courrier du 12 octobre 2017.

M. [K] a été licencié pour faute grave par un courrier daté du 15 novembre 2017. Il occupait alors l’emploi d’ouvrier hautement qualifié en viticulture, qualification ouvrier, niveau 3 echelon E, de la convention collective applicable.

Contestant le bien-fondé de son licenciement M. [K] a saisi le conseil de prud’hommes de Bordeaux par une requête reçue au greffe le 2 mars 2018.

Par jugement du 17 décembre 2020, le conseil de prud’hommes de Bordeaux a :

– déclaré irrecevable la demande nouvelle formulée par M. [K] au titre de l’irrégularité de la procédure de licenciement;

– rejeté la fin de non recevoir soulevée par la société [Adresse 4], relative à l’incompétence du conseil de prud’hommes pour connaître de la demande en dommages et intérêts pour préjudice spécifique formée par M. [K];

– dit que le licenciement de M. [K] repose sur une faute grave;

– débouté M. [K] de sa demande visant à ce que son licenciement soit déclaré comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse et de ses demandes financières subséquentes;

– condamné l’employeur à payer à M. [K] la somme de 421,54 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice spécifique;

– débouté les parties de leurs demandes respectives fondées sur l’article 700 du code de procédure civile;

– débouté M. [K] de ses autres demandes;

– rejeté tout autre chef de demande;

– partagé les dépens de l’instance par moitié entre les parties;

– ordonné l’exécution provisoire de la décision.

M. [K] a relevé appel de la décision par une déclaration du 19 janvier 2021, dans ses dispositions qui jugent son licenciement fondé sur une faute grave, qui le déboutent de sa demande en dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de ses demandes au titre des indemnités de rupture, qui limitent son indemnisation à la somme de 421,54 euros, qui le déboutent de sa demande de remise de documents rectifiés sous astreinte et de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile, qui ordonnent le partage des dépens par moitié.

L’ordonnance de clôture est en date du 7 mars 2023.

L’affaire a été fixée à l’audience du 6 avril 2023, pour être plaidée.

PRETENTIONS ET MOYENS

Aux termes de ses dernières conclusions, transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 12 septembre 2022, M. [K] demande à la Cour de :

– in limine litis, vu l’appel incident formé par la société [Adresse 4], confirmer le jugement dans ses dispositions qui rejettent l’exception d’incompétence soulevée par la société [Adresse 4] et qui déboutent la société [Adresse 4] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile;

– infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de prud’hommes de Bordeaux le 17 décembre 2020 en ce qu’il juge le licenciement reposant sur une faute grave, le déboute de sa demande visant à ce que son licenciement soit déclaré comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse et de ses demandes financières subséquentes, limite à 421,54 euros la réparation de son préjudice spécifique, le déboute de sa demande de remise de documents de fin de contrat rectifiés sous astreinte et de sa demande en condamnation de l’employeur à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, partage les dépens par moitié; statuant à nouveau,

– juger son licenciement abusif et en conséquence condamner la société [Adresse 4] à lui payer :

* dommages- intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse correspondant à 6 mois de salaire : 16. 123,98 euros,

* indemnité conventionnelle de licenciement : 3 000 euros,

* indemnité compensatrice de préavis : 5 374,66 euros,

* congés payés afférents : 537,46 euros,

* dommages et intérêts pour préjudice spécifique : 1 438,51 euros,

* article 700 du code de procédure civile en première instance : 2 000 euros,

* article 700 du code de procédure civile en appel : 3 000 euros;

– ordonner la remise des documents de fin de contrat rectifiés conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la notification du jugement à intervenir;

– débouter l’employeur de sa demande formée sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile;

– condamner l’employeur aux entiers dépens, y compris les frais de recouvrement des condamnations à intervenir;

– débouter l’employeur de toute demande plus ample ou contraire.

M. [K] fait valoir en substance :

– son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse en ce que outre qu’il a répondu machinalement à M. [X] car absorbé par ailleurs par sa conversation avec un collègue, que son ton n’était aucunement méprisant et qu’il n’a pas tenu les propos que celui-ci lui prête pour la journée du 5 octobre 2017, il n’a pas souhaité se rendre seul dans le bureau de M. [X] car il en redoutait comme ses collègues les emportements;

-si son maintien immédiat dans la société avait été effectivement impossible, l’employeur n’aurait pas attendu neuf jours pour le convoquer à l’entretien préalable et un mois et demi pour lui notifier son licenciement;

– la sanction est dans tous les cas disproportionnée eu égard aux circonstances, à son ancienneté et à la qualité de son travail;

– le préjudice qui est résulté de la perte de son emploi est d’autant plus important qu’il a été licencié alors que l’employeur n’a jamais formulé de reproches sur la qualité de son travail, que sa rémunération est inférieure à celle qu’il percevait chez [Adresse 4], qu’il a été expulsé du logement mis à sa disposition;

– les conditions inutilement violentes dans lesquelles l’expulsion du logement mis à sa disposition a été conduite et les frais subséquents dont il a dû s’acquitter lui ont causé un préjudice distinct dont il est fondé à demander la réparation ; cette situation est la conséquence directe de son licenciement.

Par ses dernières conclusions, transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 4 avril 2022, la société [Adresse 4] demande à la cour de :

– dire mal fondé l’appel principal interjeté par M. [K] et l’en débouter;

– faisant droit à son appel incident, confirmer le jugement de départage du conseil de prud’hommes de Bordeaux en date du 17 décembre 2020 sauf en ce qu’il a rejeté l’exception d’incompétence soulevée relative à l’incompétence du conseil de prud’hommes pour connaître de la demande en dommages-intérêts pour préjudice spécifique formée par M. [K] et l’a condamnée à payer la somme de 421,54 euros à ce titre; statuant de nouveau,

– infirmer le jugement de départage du conseil de prud’hommes de Bordeaux en date du 17 décembre 2020 en ce qu’il a rejeté l’exception d’incompétence soulevée relative à l’incompétence du conseil de prud’hommes pour connaître de la demande en dommages-intérêts pour préjudice spécifique formée par M. [K] et l’a condamnée à lui payer la somme de 421,54 euros à ce titre;

– sur le fond, à titre subsidiaire, débouter M. [K] de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions, à titre infiniment subsidiaire, débouter M. [K] de ses demandes indemnitaires ou en ramener les montants à de plus justes proportion;

– en tout hypothèse,condamner M. [K] à lui payer la somme de 8 500 au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La société [Adresse 4] fait valoir en substance:

– l’insubordination dont M. [K] a fait preuve en répondant au façon méprisante au directeur qui venait de le saluer et en refusant ensuite de déférer à la convocation de ce dernier et les propos qu’il a tenus à son adresse, dont il a reconnus la matérialité durant l’entretien préalable, rendaient son maintien dans l’entreprise impossible, compte-tenu à la fois de son comportement antérieur et de la taille de l’entreprise qui ne compte que quatre salariés;

– le conseil de prud’hommes n’était pas compétent pour connaître du bien fondé des opérations d’expulsion, lequel relève de la compétence exclusive du juge de l’exécution; dans tous les cas, elle n’a commis aucune faute susceptible d’engager sa responsabilité en ce que les frais d’huissier afférents à la procédure d’expulsion querellés étaient justifiés M. [K], auquel elle avait accordé un délai supplémentaire de quinze jours, n’ayant pas daigné quitter les lieux en dépit de la mise en demeure qu’elle lui a fait délivrer le 18 décembre 2017 et de la sommation de déguerpir signifiée le 19 janvier 2018 et étant finalement parti sans l’en aviser et sans lui remettre les clefs, en ce que M. [K] était propriétaire d’un logement;

– M. [K], qui a retrouvé un emploi et perçoit une rémunération plus avantageuse, ne justifie pas du préjudice en lien avec la rupture du contrat de travail dont il demande la réparation;

– embauché le 7 mai 2012 , M. [K] avait une ancienneté de 5 ans et 6 mois et non de 5 ans et 7 mois comme allégué lorsqu’il a été licencié;

– il serait injuste qu’elle conserve la charge des frais qu’elle a exposés, non compris dans les dépens.

Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.

MOTIFS DE LA DECISION

I – Sur les demandes relatives à la rupture du contrat de travail

Sur la nature du licenciement

Il résulte des dispositions de l’article L.1235-1 du code du travail, qu’en cas de litige sur les motifs du licenciement d’un salarié, il appartient au juge d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur et de former sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

 

Par ailleurs la faute grave, privative du droit au délai-congé et à l’indemnité de licenciement, résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et nécessite la rupture immédiate des relations contractuelles.

La lettre du 15 novembre 2017, qui fonde le licenciement et fixe les limites du litige, est libellée comme suit :

‘ Monsieur,

Vous avez été embauché le 7 mai 2012 en qualité d’ouvrier qualifié agricole.

Vous avez été promu au 1er juillet 2016 en qualité d’ouvrier hautement qualifié en viniculture, pour tenir compte de la formation Certi-Phyto dont l’entreprise vous a fait bénéficier début d’année 2016, après mon arrivée en qualité de directeur.

Vous avez dans ce cadre obtenu une augmentation de salaire et nous vous avons même fourni un nouveau logement de fonction plus spacieux que celui que vous aviez auparavant et remis à neuf.

Malheureusement, alors que nous pensions que cela vous inciterait à vous investir à nos côtés pour développer l’activité, vous avez très rapidement manifesté de l’hostilité à l’égard de votre supérieur hiérachique direct, Monsieur [S], mais également à mon endroit.

Le 17 novembre 2016, vous avez refusé d’exécuter une instruction donnée par Monsieur [S] et vous vous êtes violemment emporté lorsqu’il a voulu en discuter avec vous.

Lorsque j’ai voulu à mon tour faire le point sur cet incident le 18 novembre, vous avez refusé de vous rendre à l’entretien auquel je vous avais convoqué et avez tenu des propos remettant en cause mon autorité.

Ce comportement nous a contraints à vous notifier un avertissement, par courrier en date du 18 novembre 2016. Suite à votre contestation de cet avertissement par courrier du 26 novembre 2016, nous vous l’avons à nouveau confirmé par courrier du 14 décembre 2016.

Au mois de février 2017, nous avons été contraints de vous mettre en demeure de nous communiquer les documents justifiant de la validation du Certphyto. Un premier courrier du 16/02/17 et plusieurs rappels verbaux n’avaient pas suffi à obtenir que vous répondiez à notre demande, alors même que vous seul pouviez effectuer les démarches nécessaires à cette validation et que ce diplôme est rigoureusement indispensable à la bonne exécution de vos fonctions.

Nous vous rappelions, dans ce courrier, que la persistance de votre refus de satisfaire à notre injonction ne serait pas sans conséquence.  

Malgré cette mise en demeure, vous n’avez rien fait et je fus à l’origine de la résolution de la difficulté par mon intervention auprès de la DRAAF en votre faveur ( mail du 3 mars 2017), ainsi par la suite nous espérions que vous aviez pris conscience des choses et que vous alliez vous amender.

Ce ne fut manifestement pas le cas.

Ainsi, le mardi 3 octobre dernier, je suis venu comme d’habitude saluer l’ensemble des salariés en fin de journée.

Mais lorsque je vous ai dit ‘ bonsoir’, vous avez répondu, sans me regarder et d’un ton qui traduisait un sentiment de mépris pour votre interlocuteur, : ‘ oui, oui …’.

Pour éviter que les choses ne dérapent de nouveau, j’ai demandé à Monsieur [S], votre supérieur hiérarchique, de vous inviter, avant que vous ne quittiez votre poste, à un entretien avec moi le lendemain, mardi 4 octobre, à 11 heures, pendant vos heures de travail, pour discuter de votre attitude.

Vous ne vous êtes pas présenté à cet entretien, que Monsieur [S] vous avait pourtant confirmé le matin même à 8h00 et la veille à 17h00.

Monsieur [S] vous a de nouveau intimé l’ordre, le jeudi 5 octobre 2017 à 8h00, de vous rendre immédiatement dans mon bureau.

Ne vous voyant pas apparaître, je suis venu moi-même à votre rencontre, et je vous ai clairement fait part de ma volonté de vous voir en entretien, pour discuter de vos porblèmes comportementaux.

Vous m’avez répondu ‘ Parle à ma main’.

Dans ces conditions, nous n’avons eu d’autre choix que de vous convoquer, par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 12 octobre 2017, à un entretien préalable à une sanction disciplinaire, pouvant aller jusqu’au licenciement, entretien fixé au 23 octobre 2017 à 8h30.

Lors de cet entretien vous avez reconnu avoir refusé de vous rendre aux entretiens les 4 puis 5 octobre 2017, malgré nos demandes expresses et vous avez également reconnu m’avoir répondu ‘ Parle à ma main’ le 5 octobre.

Vous estimez en revanche que répondre ‘ oui, oui’ lorsqu’on vous salue est une façon appropriée de dire bonsoir.

Votre refus, à trois reprises de vous rendre à un entretien avec votre supérieur hiérarchique, pendant vos heures de travail, constitue un acte d’insubordination.

Ce comportement est d’autant plus inacceptable que vous avez reçu un avertissement en novembre 2016 pour le même type de fait, et une nouvelle mise en garde en février 2017.

Votre attitude est enfin encore plus préjudiciable compte-tenu de la taille de notre entreprise qui compte seulement quatre salariés. Elle impacte en effet directement l’ambiance et les relations de travail, et crée un climat de tension permanente, devenu insupportable et ingérable.

Ces éléments caractérisent une faute grave, rendant impossible votre maintien même temporaire dans l’entreprise.

(…)’.

Il s’en déduit que M. [K] a été licencié pour avoir répondu de façon méprisante à M. [X] qui venait de le saluer le 3 octobre 2017 ( ‘ oui oui’ ), pour lui avoir tenu des propos vulgaires le 5 octobre 2017 ( ‘ parle à ma main’), pour avoir refusé de se rendre dans le bureau de M. [X] qui l’y avait convoqué les 4 et 5 octobre 2017.

Pour justifier des propos tenus par M. [K] le 5 octobre 2017, la société [Adresse 4] se prévaut du témoignage de M. [S] qui atteste ‘ (…) Monsieur [X] est alors venu à la rencontre de Monsieur [K] pour lui demander de le suivre dans son bureau. Monsieur [K] a alors répondu ‘ parle à ma main’.’ M. [K] conteste les faits. Si la société [Adresse 4] soutient que M. [K] les a reconnus à l’occasion de l’entretien préalable, elle n’en rapporte pas la preuve. En l’état du seul témoignage de M. [S], il existe un doute qui doit profiter au salarié.

Il n’est pas discutable, et l’intéressé ne le discute pas, que M. [K] a refusé de se rendre dans le bureau de M. [X]. Il ne résulte d’aucun des éléments du dossier que M. [X] avait alors le projet de prendre une sanction disciplinaire à son encontre; M. [K] qui se prévaut de la crainte qu’il éprouvait alors à la perspective de se retrouver seul avec lui ne le soutient d’ailleurs pas. En ne déférant pas par deux fois à la convocation de son employeur, M. [K] a fait preuve d’insubordination. Le grief est établi.

Le licenciement de M. [K] caractérise toutefois une sanction disproportionnée au regard du motif de la convocation, singulièrement la réponse de l’intéressé au salut du directeur dont aucun des éléments du dossier n’établit qu’elle a été formulée autrement que sur un ton cavalier, la preuve de l’expression d’un sentiment de mépris alléguée n’étant aucunement rapportée, peu important dans ces conditions l’avertissement et la mise en garde antérieurs. Il doit être dans ces conditions jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse et le jugement déféré être infirmé.

Sur les conséquences financières du licenciement

M. [K],dont le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, peut prétendre aux indemnités de rupture et à la réparation du préjudice qui est résulté de la perte de son emploi.

Sur la base des dispositions conventionnelles applicables et du salaire qu’il aurait perçu s’il avait poursuivi son activité, M. [K] a droit à une indemnité compensatrice de préavis s’établissant à la somme de 4897,22 euros (2448,61 euros à la lecture du bulletin de salaire du mois de novembre 2017 x 2 ), outre 489,72 euros au titre des congés payés afférents, que la société [Adresse 4] sera condamnée à payer.

Sur la base de son ancienneté ( 5 ans 7 mois et 10 jours) , des dispositions du code du travail plus favorables et du bulletin de salaire du mois de novembre 2017 seul produit par le salarié, M. [K] a droit à une indemnité de licenciement de 3434,61 euros [(2448,61 /4 x 5)+(2448,61 / 4 x 7/12) + ( 2448,61 /4 x 10/365) ]. La Cour ne pouvant pas statuer au-delà des demandes des parties, la société [Adresse 4] sera condamnée à payer la somme de 3000,85 euros, demandée.

S’agissant des dommages-intérêts sollicités sur le fondement des dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail à raison du caractère injustifié du licenciement dont M. [K] a fait l’objet, il sera observé que l’intéressé était âgé de 45 ans et justifiait de plus de cinq années d’ancienneté au jour de la rupture de son contrat de travail et qu’il a retrouvé un emploi. Dans ces conditions, en application du barème prévu par les dispositions précité prévoyant une indemnité comprise entre 3 et 6 mois, il sera alloué à M. [K] la somme de 8000 euros, que la société [Adresse 4] sera condamnée à payer.

Le jugement déféré sera infirmé dans ses dispositions à ce titre.

II – Sur la remise des documents de fin de contrat

La Cour ordonne la remise par l’employeur au salarié d’un bulletin de salaire récapitulant les sommes allouées au titre de la présente décision et d’une attestation Pôle Emploi rectifiée en conséquence, sans astreinte.

III – Sur le préjudice distinct

Pour confirmer la décision déférée dans ses dispositions qui rejettent l’exception d’incompétence soulevée par la société [Adresse 4] au profit du juge de l’exécution, il suffira de rappeler que le juge prud’hommal connaît des contestations portant sur la formation, la validité, l’interprétation, l’exécution et la cessation du contrat de travail, que le bénéfice d’un logement de fonction est un avantage en nature accessoire au contrat de travail, que le litige entre les parties portant sur les circonstances ayant entouré la libération par M. [K] du logement de fonction mis à sa disposition s’analyse en une contestation liée à la cessation du contrat de travail.

La Cour relève toutefois que M. [K], mis en demeure de quitter le logement le 18 décembre 2017 et sommé de déguerpir le 19 janvier 2018, a libéré les lieux le 14 avril suivant seulement, sans en remettre les clefs, la circonstance qu’il les a confiées à son collègue étant inopérante. La décision d’engager une procédure d’expulsion et de requérir un huissier de justice ne caractérise dès lors aucun manquement de la part de l’employeur, susceptible d’engager sa responsabilité. M. [K] sera en conséquence débouté de sa demande en dommages-intérêts et le jugement déféré infirmé de ce chef.

IV – Sur les dépens, les frais irrépétibles et les frais d’exécution

La société [Adresse 4], qui succombe, doit supporter les entiers dépens, de première instance et d’appel, au paiement desquels elle sera condamnée en même temps qu’elle sera déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’équité commande de ne pas laisser à M. [K] la charge de ses frais irrépétibles de première instance et d’appel. En application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, la société [Adresse 4] sera condamnée à lui payer la somme de 5000 euros.

Il n’y a pas lieu de se prononcer actuellement sur les frais d’exécution forcée d’une décision dont l’exposé reste purement hypothétique et qui sont réglementés par l’article L. 111-8 du code des procédures civiles d’exécution qui prévoit la possibilité qu’ils restent à la charge du créancier lorsqu’il est manifeste qu’ils n’étaient pas nécessaires au moment où ils ont été exposés, étant rappelé qu’en tout état de cause, le titre servant de fondement à des poursuites permet le recouvrement des frais d’exécution forcée.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONFIRME la décision déférée dans ses dispositions qui rejettent l’exception d’incompétence soulevée par la société [Adresse 4], qui déboutent la société [Adresse 4] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile;

INFIRME la décision déférée pour le surplus de ses dispositions ;

Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

JUGE le licenciement de M.[K] dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la société [Adresse 4] à payer à M. [K] 4897,22 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis conventionnelle et 489,72 euros pour les congés payés afférents, 3000,85 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement, 8000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

DEBOUTE M.[K] de sa demande en dommages-intérêts pour préjudice distinct;

CONDAMNE la société [Adresse 4] aux entiers dépens de première instance et d’appel; en conséquence la DEBOUTE de sa demande au titre de ses frais irrépétibles;

CONDAMNE la société [Adresse 4] à payer à M. [K] 5000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel ;

ORDONNE la remise par la société [Adresse 4] d’un bulletin de salaire récapitulant les sommes allouées au titre de la présente décision et d’une attestation Pôle Emploi rectifiée en conséquence, sans astreinte ;

DIT n’y avoir lieu à statuer sur les frais d’exécution.

Signé par Marie-Paule Menu, présidente et par Sylvaine Déchamps, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

S. Déchamps MP. Menu

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x