COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 3CD
12e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 02 JUIN 2022
N° RG 21/00532 – N° Portalis DBV3-V-B7F-UJAP
AFFAIRE :
Mme [W] [L]
C/
M. [U] [Z]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 26 Novembre 2020 par le Tribunal judiciaire de NANTERRE
N° Chambre : 1
N° RG : 19/07225
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Franck LAFON
Me Julien LACKER
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DEUX JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Madame [W] [L]
née le 24 Août 1965 à [Localité 5] (13)
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentant : Me Franck LAFON, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 618 – N° du dossier 20210046
APPELANTE
****************
Monsieur [U] [Z]
né le 09 Décembre 1963 à HADJADJ (ALGERIE)
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Julien LACKER de l’AARPI GOMIS & LACKER AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1398
INTIME
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 31 Mars 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Mme Véronique MULLER, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur François THOMAS, Président,
Madame Véronique MULLER, Conseiller,
Monsieur Patrice DUSAUSOY, Magistrat honoraire,
Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,
EXPOSE DU LITIGE
Mme [W] [L] est titulaire des droits de propriété intellectuelle sur les deux marques françaises suivantes :
– La marque verbale « Orthographia », déposée le 17 juin 2013 et enregistrée le 4 avril 2014 sous le numéro 4012871 ; pour les classes 35,41 et 42,
– La marque semi-figurative « Orthographia Institut de Formation » déposée le 23 octobre 2013 et enregistrée le 14 février 2014 sous le numéro 4042012, pour les classes 35,41 et 42.
Le 12 avril 2019, M. [U] [Z] a sollicité de la part de Mme [W] [L] la preuve de l’usage de ses deux marques au cours des cinq dernières années et lui a proposé leur rachat pour la somme forfaitaire de 1.000 euros.
Le 13 juin 2019, Mme [W] [L] a refusé cette offre.
Le 14 juin 2019, M. [U] [Z] a déposé une demande d’enregistrement de la marque verbale « Orthographia ».
Par acte du 25 juillet 2019, M. [U] [Z] a assigné Mme [W] [L] devant le tribunal de grande instance de Nanterre aux fins de la voir déchue de ses droits sur les deux marques.
Par jugement du 26 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Nanterre a :
– Prononcé à l’encontre de Mme [W] [L] la déchéance, pour défaut d’usage sérieux, de ses droits sur ses marques françaises « Orthographia » déposée Ie 17 juin 2013, enregistrée sous le numéro 4012871, et « Orthographia Institut de Formation » déposée le 23 octobre 2013 enregistrée sous le numéro 4042012, et ce pour tous les produits et services visés aux enregistrements de chaque marque ;
– Dit que cette déchéance produira ses effets à compter du 5 avril 2019 pour la marque n°4012871 et du 15 février 2019 pour la marque n°4042012 ;
– Ordonné la communication de la décision, une fois celle-ci devenue définitive, à l’INPI, à l’initiative de la partie la plus diligente, pour inscription sur ses registres ;
– Condamné Mme [W] [L] à payer à M. [U] [Z] la somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamné Mme [W] [L] aux dépens.
Par déclaration du 27 janvier 2021, Mme [W] [L] a interjeté appel du jugement.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 26 janvier 2022, Mme [W] [L] demande à la cour de :
– Déclarer Mme [W] [L] recevable et fondée en son appel ;
Y faisant droit,
– Infirmer la décision entreprise en ce qu’elle a prononcé à l’encontre de Mme [W] [L] la déchéance de ses droits sur les marques visées dans les chefs critiqués ;
Et statuant à nouveau,
– Juger que M. [U] [Z] ne justifie pas du droit d’agir et plus précisément d’un intérêt légitime à agir ;
En conséquence,
– Déclarer la demande de déchéance de M. [U] [Z] irrecevable ;
Subsidiairement,
– Juger que Mme [W] [L] justifie d’un usage sérieux et d’une exploitation ininterrompue des marques visées au dépôt des enregistrements;
En conséquence,
– Débouter M. [U] [Z] de sa demande de déchéance ;
– Le débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
– Condamner M. [U] [Z] au paiement d’une somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Franck Lafon, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions notifiées le 25 août 2021, M. [U] [Z] demande à la cour de :
– Confirmer le jugement en ce qu’il a :
– Prononcé à l’encontre de Mme [W] [L] la déchéance, pour défaut d’usage sérieux, de ses droits sur ses marques françaises « Orthographia » déposée Ie 17 juin 2013 et enregistrée sous le numéro 4012871, et « Orthographia Institut de Formation » déposée le 23 octobre 2013 et enregistrée sous le numéro 4042012, et ce pour tous les produits et services visés aux enregistrements de chaque marque ;
– Dit que cette déchéance produira ses effets à compter du 5 avril 2019 pour la marque n°4012871 et du 15 février 2019 pour la marque n°4042012 ;
– Ordonné la communication de la décision, une fois celle-ci devenue définitive, à l’INPI, à l’initiative de la partie la plus diligente, pour inscription sur ses registres ;
En conséquence,
– Déclarer Mme [W] [L] déchue de ses droits sur lesdites marques « Orthographia » déposée n°13 4012871 le 17 juin 2013 et enregistrée le 4 avril 2014 et « Orthographia Institut de Formation » n° 13 4042012 déposée le 23 octobre 2013 et enregistrée le 14 février 2014 et ce, à compter du 5 avril 2019 pour la marque n° 13 4 012 871 et du 15 février 2019 pour la marque n° 13 4 042 012 pour tous les services ;
– Ordonner en application des dispositions des articles R 714-2 et R 714-3 du code de la propriété intellectuelle, l’inscription de l’arrêt à intervenir au registre national des marques sur réquisition de Monsieur ou Madame le Greffier ou de M. [U] [Z] ;
– Confirmer le jugement en ce qu’il a condamné Mme [W] [L] à payer à M. [U] [Z] la somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance ;
– Condamner Mme [W] [L] à verser à M. [U] [Z] la somme complémentaire de 10.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre de l’appel ;
– Condamner la société Mme [W] [L] aux entiers dépens de première instance et d’appel dont distraction sera ordonnée au profit de Me Julien Lacker, avocat associé de l’AARPI Gomis & Lacker avocats, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 27 janvier 2022.
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1 – Sur la recevabilité de l’action de M. [Z]
Mme [L] soulève l’irrecevabilité de l’action de M. [Z] au motif qu’il ne démontre pas son intérêt à agir, et notamment que la propriété dont elle dispose sur les deux marques ‘Othographia’ et ‘Orthographia Institut de Formation’ constitue une entrave à l’activité économique de M. [Z]. Elle soutient que M. [Z] ne démontre pas la réalité ni le sérieux de son projet commercial, et qu’il n’est animé que par l’intention de lui nuire en la ‘spoliant de ses droits’.
M. [Z] soutient que son action est recevable en ce qu’il a offert de racheter les marques déposées par Mme [L], puis déposé une marque ‘Orthographia’ auprès de l’INPI dans les classes 35 et 41 couvertes à l’identique, mais également dans la classe 38 similaire à la classe 42 couverte par la marque de Mme [L]. Il ajoute qu’il est actif dans le domaine de l’éducation et de l’éducation numérique, de sorte qu’il a intérêt à agir pour les produits en lien avec l’éducation, la formation, l’informatique et la publicité nécessaire pour promouvoir son activité. Il indique enfin avoir déposé le nom de domaine ‘orthographia.fr’ au nom de l’association Zup de Co qu’il anime.
***
Il résulte de l’article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle que : ‘la déchéance peut être demandée en justice par toute personne intéressée’.
Ainsi que l’a relevé le premier juge, l’intérêt à agir existe dès lors que le monopole constitué par la marque génère une entrave à l’activité économique du demandeur qui doit démontrer qu’il exploite ou envisage d’exploiter sur le territoire français un signe identique ou similaire pour des produits et services identiques ou similaires à ceux visés à l’enregistrement de la marque.
Mme [L] affirme que le projet de M. [Z] ne serait pas sérieux, ni légitime, dès lors que les ‘activités’ qu’il exerce sont différentes des siennes, affirmant agir pour la défense de la langue française, tandis que M. [Z] agirait dans le domaine de l’éducation numérique. Elle soutient que son activité ne constitue pas une entrave à l’exploitation de celle de M. [Z] puisqu’il s’agit d’activités différentes.
Ainsi que l’a relevé le premier juge, M.[Z] produit des articles de presse parus entre 2017 et 2019 révélant sa qualité de fondateur, d’une part d’une association ZUP de Co, spécialisée dans l’aide aux devoirs des collégiens, d’autre part de l’école Web@cadémie, destinée à former les ‘décrocheurs scolaires aux métiers du développement et de l’intégration Web’, activités qui se placent dans le domaine de l’éducation et de la formation, et qui fondent son intérêt pour l’utilisation des termes ‘Orthographia’ et ‘Orthagraphia Institut de Formation’ pour les services relevant de ces activités.
Ces éléments sont de nature à établir la pérennité de son projet d’exploitation et démontrent l’implication de M. [Z] dans l’éducation. Le sérieux du projet de M. [Z] est confirmé par sa demande d’enregistrement de marque et son offre de rachat, de sorte que les marques litigieuses pourraient constituer un obstacle au développement de son activité.
Ces éléments suffisent à démontrer la réalité du projet commercial de M. [Z] qui envisage d’exploiter un signe identique ou similaire pour des produits identiques ou similaires à ceux visés à l’enregistrement des marques ‘Orthographia’ et ‘Orthographia Institut de Formation’, de sorte que sa demande tend à lever une entrave à l’utilisation du signe dans le cadre de son activité économique. La réalité et le sérieux de ce projet fondent l’intérêt à agir de M. [Z].
Aussi, M. [Z] a intérêt à agir en déchéance pour tous les produits et services visés aux enregistrements qui sont tous de nature à entraver son activité commerciale future.
2 – Sur la demande de déchéance des droits de Mme [L] sur les marques Orthographia et Orthographia institut de formation
Mme [L] soutient faire un usage sérieux des produits et services visés par le dépôt, et les avoir exploités de manière ininterrompue. Elle indique être titulaire d’un diplôme de linguiste et justifier depuis plusieurs années d’une activité associative axée sur la défense de la langue française. Elle produit notamment : deux courriers adressés par l’association ‘Orthographia’ au Président de la République datés des 26 novembre 2021 et 4 janvier 2022. Elle ajoute utiliser depuis toujours les cartes de visite et plaquettes de cette association.
M. [Z] soutient qu’il n’est justifié d’aucun usage des marques sur la période pertinente, faisant valoir que celle-ci porte :
– pour la marque Orthographia : sur la période du 4 avril 2014, date de la publication de l’enregistrement, au 4 avril 2019,
– pour la marque Orthographia institut de formation : sur la période du 14 février 2014 au 14 février 2019.
Il fait valoir qu’en cas d’interruption d’usage sérieux, la reprise ou le commencement de l’usage est privé d’effet s’il est entrepris dans les trois mois précédant la demande de déchéance après que le propriétaire en a eu connaissance. L’assignation étant datée du 25 juillet 2019, il soutient que la période pertinente s’achève au 25 avril 2019, voire au 14 mars 2019 si l’on retient la connaissance de sa demande de déchéance par Mme [L] le 14 juin 2019, à la suite du courrier du conseil de M. [Z].
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Il résulte de l’article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle, dans sa version applicable au présent litige, qu’encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans.
Est assimilé à un tel usage:
a) L’usage fait avec le consentement du propriétaire de la marque ou, pour les marques collectives, dans les conditions du règlement ;
b) L’usage de la marque sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif ;
c) L’apposition de la marque sur des produits ou leur conditionnement exclusivement en vue de l’exportation.
La déchéance peut être demandée en justice par toute personne intéressée. Si la demande ne porte que sur une partie des produits ou des services visés dans l’enregistrement, la déchéance ne s’étend qu’aux produits ou aux services concernés.
L’usage sérieux de la marque commencé ou repris postérieurement à la période de cinq ans visée au premier alinéa du présent article n’y fait pas obstacle s’il a été entrepris dans les trois mois précédant la demande de déchéance et après que le propriétaire a eu connaissance de l’éventualité de cette demande.
La preuve de l’exploitation incombe au propriétaire de la marque dont la déchéance est demandée. Elle peut être apportée par tous moyens.
La déchéance prend effet à la date d’expiration du délai de cinq ans prévu au premier alinéa du présent article. Elle a un effet absolu.
Il revient à Mme [L] d’établir l’usage sérieux de ses marques pendant une période ininterrompue de cinq années sur la période allant pour la première marque du 4 avril 2014 (date d’enregistrement de la marque ‘Orthographia’) au 4 avril 2019, et pour la seconde sur la période du 14 février 2014 (date d’enregistrement de la marque ‘Orthographia Institut de Formation’) au 14 février 2019.
En l’espèce, Mme [L] affirme justifier d’un tel usage sérieux par ses différentes activités et les articles qu’elle a pu produire.
Force est toutefois de constater qu’elle ne produit, à l’appui de ses affirmations, que deux courriers, à en-tête d’une association de défense de la langue française dénommée ‘Orthographia’ dont elle serait Présidente, ces deux courriers étant toutefois émis hors de la période pertinente puisqu’ils sont datés du 26 novembre 2021 et du 4 janvier 2022. Mme [L] produit également une carte de visite vierge de l’association ‘Orthographia’, ainsi qu’une plaquette publicitaire de cette même association, ces deux documents ne permettant pas d’établir qu’ils ont été imprimés, et surtout utilisés durant la période de pertinence, ni d’établir l’usage sérieux de la marque durant une période ininterrompue de 5 années entre le 4 avril 2014 et le 4 avril 2019.
S’agissant de la marque « Orthographia Institut de Formation », Mme [L] ne produit aucun document permettant de justifier d’un quelconque usage de celle-ci sur la période du 14 février 2014 au 14 février 2019.
Au regard de ces éléments, il convient de dire que Mme [L] ne rapporte pas la preuve d’un usage sérieux des marques ‘Orthographia’ et ‘Orthographia Institut de Formation’, de sorte que c’est à bon droit que le premier juge a prononcé la déchéance, pour tous les produits et services visés aux enregistrements des deux marques à compter du 5 avril 2019 pour la marque numéro 4012871, et à compter du 15 février 2019 pour la marque numéro 4042012. Le jugement sera confirmé de ce chef, et en ce qu’il a ordonné la communication de la décision à l’INPI pour inscription sur ses registres.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :
Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
Mme [L], qui succombe, sera condamnée aux dépens d’appel.
Il est équitable d’allouer à M. [Z] une indemnité de procédure de 2.000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Nanterre du 26 novembre 2020 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne Mme [L] à payer à M. [Z] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [L] aux dépens de la procédure d’appel qui pourront être recouvrés directement par les avocats qui en ont fait la demande, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur François THOMAS, Président et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,