COUR D’APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE – SECTION B
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ARRÊT DU : 02 JUIN 2022
SÉCURITÉ SOCIALE
N° RG 20/01968 – N° Portalis DBVJ-V-B7E-LR3Y
URSSAF AQUITAINE
c/
S.A.R.L. [5]
Nature de la décision : AU FOND
Notifié par LRAR le :
LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :
La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par voie de signification (acte d’huissier).
Certifié par le Directeur des services de greffe judiciaires,
Grosse délivrée le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 avril 2020 (R.G. n°19/00800) par le pôle social du Tribunal judiciaire de BORDEAUX, suivant déclaration d’appel du 10 juin 2020,
APPELANTE :
URSSAF AQUITAINE prise en la personne de son directeur TSA 30014- [Localité 2]
représentée par Me Françoise PILLET de la SELARL COULAUD-PILLET, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
S.A.R.L. [5] prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège [Adresse 7] – [Localité 1]
représentée par Me Virginie GAY-JACQUET substituant Me Dominique MILLAS-CONTESTIN, avocat au barreau de LIBOURNE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 17 mars 2022, en audience publique, devant Madame Elisabeth Vercruysse, Vice-Présidente Placée chargée d’instruire l’affaire, qui a retenu l’affaire
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Eric Veyssière, président
Madame Elisabeth Vercruysse, vice-présidente placée
Monsieur Hervé Ballereau, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffière lors des débats : Evelyne GOMBAUD,
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
Exposé du litige
Suite à une vérification comptable portant sur la période allant du 1er décembre 2016 au 30 avril 2017, la société [5] (ci-après nommée la société [6]) s’est vu notifier par l’Urssaf Aquitaine une lettre d’observations en date du 26 octobre 2018, chiffrant un rappel de cotisations et contributions de sécurité sociale, d’assurance chômage et d’AGS d’un montant total de 10 559 euros au titre de l’annulation des exonérations du donneur d’ordre non vigilant.
Le 4 février 2019, l’Urssaf Aquitaine a notifié à la société [6] une mise en demeure d’un montant de 11 365 euros, dont 10 559 euros de cotisations et 806 euros de majorations de retard.
Le 12 mars 2019, l’Urssaf a établi une contrainte, signifiée à la société [6] le 22 mars 2019, pour un montant de 11 365 euros au titre des cotisations et majorations de retard suite au redressement opéré à son encontre.
Le 29 mars 2019, la société [6] a formé opposition à cette contrainte devant le pôle social du tribunal de grande instance de Bordeaux.
Le 11 avril 2019, la société [6] a saisi la commission de recours amiable de l’Urssaf aux fins de contester la mise en demeure.
Par jugement du 15 avril 2020, le pôle social du tribunal judiciaire de Bordeaux a :
– annulé le redressement pour ce qui concernait les cotisations et majorations de retard dues suite à l’annulation de réductions générales de cotisations pour défaut de respect de l’obligation de vigilance par la société [5] pour les mois de décembre 2016 et février 2017 ;
– validé la contrainte du 12 mars 2019 pour le surplus, à savoir le seul montant des cotisations et majorations de retard dues suite à l’annulation de réductions générales de cotisations pour défaut de respect de l’obligation de vigilance par la société [5] pour le mois d’avril 2017 ;
– condamné en conséquence la société [5] à verser à l’Urssaf Aquitaine les sommes restant dues au titre de la contrainte du 12 mars 2019 ;
– condamné la société [5] à payer à l’Urssaf Aquitaine la somme de 72,58 euros au titre des frais de signification de la contrainte du 12 mars 2019 ;
– rappelé que la décision du tribunal était exécutoire de droit à titre provisoire et que tous les actes de procédure nécessaires à l’exécution de la contrainte étaient à la charge du débiteur ;
– dit n’y avoir lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– dit que chaque partie conservait la charge de ses propres dépens.
Par déclaration du 10 juin 2020, l’Urssaf Aquitaine a relevé appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions du 22 février 2022, l’Urssaf Aquitaine demande à la cour d’appel de :
– recevoir l’Urssaf Aquitaine en ses demandes, fins et conclusions, et l’en déclarer bien fondée ;
– infirmer le jugement en ce qu’il a annulé le redressement en ce qui concerne les cotisations et majorations de retard des mois de décembre 2016 et février 2017 et validé seulement partiellement la contrainte ;
– débouter la société [5] de l’ensemble de ses demandes comme non fondées ni justifiées ;
– valider la contrainte du 12 mars 2019 pour son entier montant de 11 365 euros dont 10 559 euros en cotisations et 806 euros en majorations de retard ;
– condamner la société [5] au paiement de cette somme ainsi qu’à celui des frais de signification de la contrainte, à savoir 72,58 euros ;
– condamner la société [5] au paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre aux entiers dépens.
L’Urssaf Aquitaine soutient que l’attestation de vigilance du 9 mai 2016 ne suffit pas à démontrer que la société [6] s’est bien acquittée de son obligation de vérification vis-à-vis de la société [4] pour un contrat ayant été conclu en septembre 2016 et s’étant achevé en avril 2017. Elle ajoute qu’un coût de 691 euros pour deux salariés était incohérent, au vu de la masse de travail que nécessitaient les chantiers, ce qui aurait dû conduire l’intimée à demander une nouvelle attestation en corrélation avec la quantité de travail effectuée.
Par ses dernières conclusions enregistrées le 9 février 2022, la société [5] demande à la cour d’appel de :
– recevoir la société [6] en ses demandes, fins et conclusions et l’en déclarer bien fondée ;
– confirmer le jugement en ce qu’il a annulé le redressement pour ce qui concerne les cotisations et majorations de retard dues suite à l’annulation de réductions générales de cotisations pour défaut de respect de l’obligation de vigilance par la société [6] pour les mois de décembre 2016 et février 2017 ;
– infirmer le jugement déféré en ce qu’il :
. a validé la contrainte du 12 mars 2019 pour le surplus, à savoir le seul montant des cotisations et majorations de retard dues suite à l’annulation de réductions générales de cotisations pour défaut de respect de l’obligation de vigilance par la société [6] pour le mois d’avril 2017 ;
. a condamné la société [6] à payer à l’Urssaf Aquitaine les sommes restant dues au titre de la contrainte du 12 mars 2019 ;
– annuler la contrainte du 12 mars 2019 pour le surplus, à savoir le seul montant des cotisations et majorations de retard dues suite à l’annulation de réductions générales de cotisations pour le mois d’avril 2017 ;
– infirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société [6] à payer à l’Urssaf la somme de 72,58 euros au titre des frais de signification de la contrainte du 12 mars 2019 ;
– débouter l’Urssaf de l’ensemble de ses demandes comme non fondées et non justifiées ;
à titre subsidiaire, et pour le cas où il ne serait pas fait droit aux prétentions de la société [6] concernant le respect de son obligation de vigilance,
– déclarer recevable la demande de proratisation de la créance dont se prévaut l’Urssaf pour
10 559 euros en principal, et fixer à 3 795,80 euros pour l’année 2016 et 2017 soit 1 897,90 pour chacune des années ;
au surplus,
– débouter l’Urssaf de sa demande en paiement des frais irrépétibles ;
– débouter l’Urssaf Aquitaine de sa demande de condamnation de la société [6] au paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner l’Urssaf au paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La société [6] soutient avoir produit les pièces prévues par l’article D.8222-5 du code du travail, dont la liste est exhaustive. Elle indique que les chantiers ont été effectués de décembre 2016 à mars 2017 avec une facturation à J+30 et elle fait valoir que les attestations fournies portaient les mentions exigées et concernaient deux salariés, conformément à ce qui était prévu pour les travaux nécessaires. La société ajoute avoir également demandé la copie des titres d’identité et les déclarations d’embauche des deux salariés, ainsi qu’un agrément de sous-traitance pour ces chantiers.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées et oralement reprises.
Motifs de la décision
Sur le fond
L’article L.8221-1 du code du travail énonce que sont interdits le travail totalement ou partiellement dissimulé, défini et exercé dans les conditions prévues aux articles L.8221-3 et L.8221-5 du code du travail, la publicité, par quelque moyen que ce soit, tendant à favoriser, en toute connaissance de cause, le travail dissimulé et le fait de recourir sciemment, directement ou par personne interposée, aux services de celui qui exerce un travail dissimulé.
Il résulte de la combinaison des articles L.133-4-2 et L.133-4-5 du code de la sécurité sociale que le bénéfice de toute mesure de réduction ou d’exonération, totale ou partielle, de cotisations et contributions sociales est supprimé en cas de constat de travail dissimulé, marchandage, prêt illicite de main-d »uvre, emploi d’étranger non autorisé à travailler, cumul irrégulier d’emplois ou de fraude ou fausse déclaration prévue aux articles L.5124-1 et L.5429-1 du code du travail. Il en est de même lorsque le donneur d’ordre n’a pas rempli l’une des obligations définies à l’article L.8222-1 du même code et que son cocontractant a commis une des infractions précitées au cours de la même période. L’annulation s’applique pour chacun des mois au cours desquels les conditions mentionnées au premier alinéa du présent article sont vérifiées. Elle est calculée selon les modalités prévues à l’article L. 133-4-2 du code de la sécurité sociale, sans que son montant global puisse excéder 15 000 euros pour une personne physique et 75 000 euros pour une personne morale.
En application de l’article L.243-15 du code de la sécurité sociale, ‘ toute personne vérifie, lors de la conclusion d’un contrat dont l’objet porte sur une obligation d’un montant minimal en vue de l’exécution d’un travail, de la fourniture d’une prestation de services ou de l’accomplissement d’un acte de commerce, et périodiquement jusqu’à la fin de l’exécution du contrat, que son cocontractant est à jour de ses obligations de déclaration et de paiement auprès des organismes de recouvrement mentionnés aux articles L. 213-1 et L. 752-1 du présent code et L. 723-3 du code rural et de la pêche maritime.
Cette attestation est délivrée dès lors que la personne déclare ses revenus d’activité, acquitte les cotisations et contributions dues à leur date d’exigibilité et, le cas échéant, a souscrit et respecte un plan d’apurement des cotisations et contributions restant dues ou conteste leur montant par recours contentieux, à l’exception des recours faisant suite à une verbalisation pour travail dissimulé. L’entreprise de travail temporaire doit également justifier de l’obtention de la garantie financière prévue à l’article L. 1251-49 du code du travail ‘.
Conformément à l’article D.8222-5 du code du travail, ‘ la personne qui contracte, lorsqu’elle n’est pas un particulier répondant aux conditions fixées par l’article D. 8222-4, est considérée comme ayant procédé aux vérifications imposées par l’article L. 8222-1 si elle se fait remettre par son cocontractant, lors de la conclusion et tous les six mois jusqu’à la fin de son exécution:
1° Une attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale prévue à l’article L. 243-15 émanant de l’organisme de protection sociale chargé du recouvrement des cotisations et des contributions datant de moins de six mois dont elle s’assure de l’authenticité auprès de l’organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale.
2° Lorsque l’immatriculation du cocontractant au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers est obligatoire ou lorsqu’il s’agit d’une profession réglementée, l’un des documents suivants :
a) Un extrait de l’inscription au registre du commerce et des sociétés (K ou K bis) ;
b) Une carte d’identification justifiant de l’inscription au répertoire des métiers ;
c) Un devis, un document publicitaire ou une correspondance professionnelle, à condition qu’y soient mentionnés le nom ou la dénomination sociale, l’adresse complète et le numéro d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers ou à une liste ou un tableau d’un ordre professionnel, ou la référence de l’agrément délivré par l’autorité compétente ;
d) Un récépissé du dépôt de déclaration auprès d’un centre de formalités des entreprises pour les personnes en cours d’inscription ‘.
Sur ce,
En l’espèce, un procès-verbal relevant le délit de travail dissimulé a été établi par l’Urssaf Aquitaine le 21 février 2018 à l’encontre de la société [4]. Cette infraction a été constatée sur une période allant d’août 2016 à octobre 2017.
Il appartenait donc à la société [5], qui a conclu un contrat avec elle à compter du mois de septembre 2016, de justifier avoir procédé aux vérifications prévues par l’article L.8222-1 du code du travail pour toute la durée des chantiers. Ces vérifications comportaient l’obtention d’une attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contribution sociales prévues à l’article L243-15 du code de la sécurité sociale et d’un document justifiant de l’immatriculation de l’entreprise aux registres du commerce et des sociétés, et non une enquête plus poussée, contrairement à ce que soutient la caisse.
La société [6] justifie du respect de son obligation de vigilance par la production des pièces suivantes :
– une attestation de cotisations en date du 9 mai 2016 au titre du mois de mars 2016 (soit moins de six mois avant le début du contrat), mentionnant un effectif de deux salariés pour une masse salariale de 691 euros ;
– un extrait de la page ‘ vérification d’attestation ‘ démontrant la validité dudit document au 28 septembre 2016 ;
– un extrait Kbis de la société [4], daté du 8 août 2016 ;
– une attestation sur l’honneur du représentant de la société [4], datée du 29 septembre 2016, affirmant employer deux salariés de nationalité étrangère en situation régulière ;
– une attestation sur l’honneur du représentant de la société [4], datée du 20 septembre 2016, concernant ses antécédents judiciaires et les éventuelles précédentes condamnations de la société ;
– deux accusés de réception de déclaration préalable à l’embauche pour MM. [C] et [Y], salariés de la société [4], datant respectivement des 11 septembre et 31 août 2016 ;
– une attestation de la [3] ‘ Caisse Sud Ouest datée du 31 octobre 2016, attestant que la société [4] était à jour du versement de ses cotisations.
Il résulte de l’étude de ces documents que la société s’est bien acquittée des obligations prévues par la législation précitée pour la période allant de septembre 2016 à mars 2017.
Toutefois, la société ne fournit pas d’attestation couvrant le mois d’avril 2017 et ne parvient pas à démontrer que la collaboration avec la société [4] a bien pris fin au 31 mars 2017 comme elle l’affirme. En effet, les factures versées à l’Urssaf font état de paiements à la société [4] jusqu’en avril 2017.
La société [5] ne saurait soutenir valablement que ces sommes ont été versées au titre d’une facturation à J+30 dans la mesure où les premières factures ont été établies dès le début du contrat et non en décalé.
En outre, la société [6] qui soutient, à juste titre, que les conditions prévues par l’article D.8222-5 du code du travail sont exhaustives, ne peut se prévaloir d’avoir sollicité les titres d’identité ainsi que les déclarations d’embauche des deux salariés concernés pour justifier l’absence de vérification valable pour le mois d’avril 2017.
Il s’ensuit que la société n’a pas respecté les obligations de vérifications qui lui incombaient s’agissant du mois d’avril 2017 et que c’est à juste titre que l’Urssaf Aquitaine a annulé l’exonération de cotisations et contributions sociales dont elle a bénéficié pour cette période.
Conformément à la législation susvisée, l’Urssaf Aquitaine était donc bien en droit de réclamer les sommes correspondantes au montant de la réduction qui avait été opérée. Le moyen selon lequel l’Urssaf aurait dû proratiser sa dette est donc inopérant.
Au regard de tous ces éléments, il y a lieu de confirmer le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Bordeaux le 15 avril 2020.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
En application de l’article 696 du code de procédure civile, l’Urssaf Aquitaine, qui succombe, est condamnée aux dépens de la procédure d’appel.
Elle est également condamnée à verser à la société la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Confirme le jugement rendu le 15 avril 2020 par le pôle social du tribunal judiciaire de Bordeaux en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne l’Urssaf Aquitaine aux dépens de la procédure d’appel ;
Déboute l’Urssaf Aquitaine de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne l’Urssaf Aquitaine à verser à la société [5] la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Signé par monsieur Eric Veyssière, président, et par madame Evelyne Gombaud, greffière, à
laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
E. Gombaud E. Veyssière