2 février 2023 Cour d’appel d’Angers RG n° 20/00001

·

·

2 février 2023 Cour d’appel d’Angers RG n° 20/00001

COUR D’APPEL

d’ANGERS

Chambre Sociale

ARRÊT N°

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/00001 – N° Portalis DBVP-V-B7E-ETT3.

. Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation de départage d’ANGERS, décision attaquée en date du 06 Décembre 2019, enregistrée sous le n° 17/00463

. Jugement du 26 juin 2020, origine Conseil de Prud’hommes ANGERS

ARRÊT DU 02 Février 2023

APPELANTE :

S.A.S. [Localité 1] DISTRIBUTION

[Adresse 5]

[Localité 1]

représentée par Me Gilles PEDRON de la SELARL AD LITEM AVOCATS, avocat au barreau d’ANGERS

INTIME :

Monsieur [F] [V]

[Adresse 4]

[Localité 2]

représenté par Maître Xavier RABU, avocat au barreau d’ANGERS – N° du dossier 160703

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 07 Novembre 2022 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame DELAUBIER, conseiller chargé d’instruire l’affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : Madame Estelle GENET

Conseiller : Mme Marie-Christine DELAUBIER

Conseiller : Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS

Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN

ARRÊT :

prononcé le 02 Février 2023, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame DELAUBIER, conseiller pour le président empêché, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*******

FAITS ET PROCÉDURE

La société par actions simplifiée [Localité 1] Distribution est spécialisée dans le secteur des hypermarchés et dispose de deux établissements situés respectivement aux [Localité 6] et à [Localité 1] dirigés par M. [E]. Elle applique la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire et emploie plus de 11 salariés.

M. [F] [V] a été embauché par la société [Localité 1] Distribution dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée pour une durée de 41,5 heures par semaine en qualité de ‘responsable du service Bazar’, sous la classification d’agent de maîtrise niveau V de la convention collective applicable ce, à compter du 13 mai 2008 et moyennant une rémunération mensuelle brute de 2200,02 euros.

A compter du mois de juin 2013, M. [V] a accepté de prendre la responsabilité du service Drive que l’employeur créait sur le site des [Localité 6].

Par courrier du 10 mai 2016 et à la suite d’un signalement effectué par M. [X], M. [V] a été mis à pied à titre conservatoire par la direction de la société [Localité 1] Distribution et convoqué à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement fixé le 19 mai 2016.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 26 mai 2016, la société [Localité 1] Distribution a notifié à M. [V] son licenciement pour faute grave, lui faisant grief en substance de ‘propos agressifs récurrents’ à l’encontre de ses subordonnés, de l’absence de respect des obligations de sécurité au sein du Drive ainsi que du défaut d’entretien de certains pistolets destinés à assurer la préparation des commandes, ce qui aurait dégradé les conditions de travail du personnel exerçant sous sa responsabilité.

Contestant le bien fondé de son licenciement, M. [V] a saisi le conseil de prud’hommes d’Angers le 22 septembre 2017 afin d’obtenir la condamnation de la société [Localité 1] Distribution, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, au paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, des indemnités de rupture en résultant, d’un rappel de salaire au titre de la période de mise à pied conservatoire et des congés payés y afférents. Il sollicitait en outre un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires effectuées et non payées et des congés payés afférents, des dommages et intérêts pour dépassement de la durée maximum de travail, pour non-respect de la durée minimale de repos quotidien, pour dépassement de la durée maximum de travail hebdomadaire, une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ainsi qu’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La société [Localité 1] Distribution s’est opposée aux prétentions de M. [V] et a sollicité sa condamnation au paiement d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement de départage du 6 décembre 2019, le conseil de prud’hommes a :

– dit que la preuve d’une faute grave n’est pas suffisamment rapportée ;

– dit qu’au regard des circonstances de l’espèce les comportements de M. [V] justifient un licenciement pour cause réelle et sérieuse ;

– condamné la société [Localité 1] Distribution à payer à M. [V] :

– 1760,53 euros à titre de rappel de salaire sur la période de mise à pied conservatoire ;

– 176,05 euros au titre des congés payés dus sur cette période ;

– 5600 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis ;

– 560 euros au titre des congés payés dus sur cette indemnité ;

– 5742,48 euros au titre de l’indemnité de licenciement ;

– 1000 euros assortis des intérêts au taux légal à compter de la décision, à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral lié à l’utilisation de son nom ;

– 1500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile;

– rappelé que ces condamnations porteront intérêts au taux légal à compter de la date de saisine de la juridiction pour celles ayant la nature d’un salaire et à compter du jugement pour les autres sommes ;

– débouté M. [V] de ses demandes au titre du travail dissimulé ;

– sursis à statuer sur les autres demandes ;

– ordonné le renvoi à l’audience du vendredi 13 mars 2020 ;

– enjoint à la société [Localité 1] Distribution de produire, et communiquer à M. [V] avant le 30 décembre 2019 :

– un document technique permettant de déterminer à quoi correspond chacune des lignes du document récapitulatif (pièce 30) sur trois ans de l’utilisation du badge de M. [V] ;

– les documents semaine par semaine concernant le badge utilisé par M. [V] (documents correspondant aux pièces 13 et 14), sur toute la période du 1er mai 2013 au 31 mai 2016 ;

– toutes les explications complémentaires nécessaires par voie de conclusions sur ces pièces ;

– enjoint à M. [V] de conclure sur ces pièces et observations avant le 30 janvier 2020 et à la société [Localité 1] Distribution de répondre au plus tard le 28 février 2020 afin de permettre un débat contradictoire sans renvoi à l’audience du 13 mars 2020 ;

– dit qu’il sera passé outre et tiré toutes conséquences d’un défaut de production des documents susvisés ou des explications demandées ;

– réservé les dépens ;

– ordonné l’exécution provisoire de la décision.

Pour statuer ainsi, le conseil de prud’hommes a considéré notamment que la preuve de propos dégradants et humiliants n’était pas rapportée et que l’impossibilité de maintenir M. [V] au sein de l’entreprise pendant la durée du préavis n’était pas caractérisée.

Les premiers juges ont en revanche retenu que le management inadapté de M. [V] justifiait son licenciement pour cause réelle et sérieuse même si les autres griefs n’étaient pas établis.

Sur les demandes de rappels de salaire, le conseil de prud’hommes a sursis à statuer afin d’enjoindre à la société [Localité 1] Distribution de produire des documents de nature à chiffrer précisément le nombre d’heures supplémentaires réalisées par M. [V].

Les premiers juges ont toutefois d’ores et déjà considéré que M. [V] ne rapportait pas la preuve de l’intention frauduleuse de la société [Localité 1] Distribution, condition nécessaire pour caractériser le travail dissimulé.

Enfin, le conseil de prud’hommes a estimé que la société [Localité 1] Distribution avait commis une faute en ne vérifiant pas le retrait du nom de M. [V] de l’ensemble des documents qu’elle pouvait utiliser postérieurement au départ du salarié.

La société [Localité 1] Distribution a interjeté appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique au greffe de la cour d’appel le 2 janvier 2020. Cet appel a été enregistré sous le numéro RG 20/1.

M. [V] a constitué avocat en qualité d’intimé le 26 février 2020.

Dans l’intervalle, M. [V] avait également interjeté appel du jugement du 6 décembre 2019 par voie électronique le 8 janvier 2020. Ce recours a été enregistré sous le numéro RG 20/10.

La société [Localité 1] Distribution avait constitué avocat en qualité de partie intimée le 17 janvier 2020.

Par jugement de départage en date du 26 juin 2020, le conseil de prud’hommes d’Angers a statué sur les demandes présentées par M. [V] au titre des heures supplémentaires, du dépassement de la durée maximum quotidienne de travail, du non-respect de l’amplitude de la journée de travail, et du dépassement de la durée maximum hebdomadaire de travail, en déboutant le salarié de ses demandes et en condamnant la société [Localité 1] Distribution aux dépens.

M. [V] a relevé appel de cette décision par voie électronique en date du 20 juillet 2020. Son recours était enregistré sous le numéro RG 20/262.

L’ordonnance de clôture dans les dossiers RG n° 20/1 et RG n° 20/10 a été prononcée le 3 novembre 2021 et l’audience fixée au 22 novembre 2021.

Par deux arrêts du 27 janvier 2022, rendus respectivement dans le cadre des dossiers RG n°20/1 et RG n° 20/10, la présente cour a révoqué les ordonnances de clôture du 3 novembre 2021, renvoyé chaque dossier à l’audience d’incident de la mise en état du 17 mars 2022 à 10h pour jonction entre les dossiers RG n°20/1, 20/10 et 20/262, les dépens étant réservés.

Par ordonnance du 12 mai 2022, le conseiller de la mise en état a ordonné la jonction de ces dossiers sous le numéro RG 21/1 (en réalité 20/1), dit que la clôture de l’instruction du dossier interviendrait le 19 octobre 2022 et que le dossier était fixé pour plaidoiries à l’audience du conseiller rapporteur du 7 novembre 2022 à 9H00, la décision valant convocation à cette audience, les dépens étant réservés.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 19 octobre 2022.

*

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses dernières écritures, régulièrement communiquées, transmises au greffe par voie électronique le 20 septembre 2022, ici expressément visées, et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, la SAS [Localité 1] Distribution demande à la cour de :

– confirmer le jugement le jugement mixte et avant dire droit rendu le 6 décembre 2019 par le conseil de prud’hommes d’Angers (n° RG F 17/00463) sur le rejet du travail dissimulé;

– infirmer le jugement sur le reste ;

– en conséquence : débouter M. [V] de l’ensemble de ses demandes ;

– confirmer le jugement rendu après sursis à statuer le 26 juin 2020 par le conseil de prud’hommes d’Angers (n° RG F 17/00463) à l’exception de la condamnation aux dépens;

– en tout état de cause, y ajoutant : condamner M. [V] à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles engagés tant en première instance qu’en cause d’appel ainsi qu’aux entiers dépens.

Au soutien de ses intérêts, la société [Localité 1] fait valoir en substance que l’ensemble des faits reprochés par l’employeur à l’appui du licenciement de M. [V] sont parfaitement avérés.

Elle précise établir en particulier la gravité et le cumul des agissements constitutifs du comportement fautif allégué par la production de témoignages graves, précis et concordants ainsi que l’ont constaté tant le CHSCT que le comité d’entreprise. Elle estime que la motivation développée par le conseil de prud’hommes qui a retenu l’existence d’une cause réelle et sérieuse sans reconnaître sa gravité est contradictoire et méconnaît l’obligation de sécurité de l’employeur, laquelle justifiait en l’espèce de mettre un terme immédiat aux pratiques dénoncées et donc à la relation de travail.

En outre, elle conteste fermement adopter un mode de gestion managerial similaire à celui reproché à M. [V]. Elle relève que le salarié n’en rapporte aucunement la preuve, tout comme il ne démontre la surcharge de travail de nature à excuser son comportement.

La société [Localité 1] Distribution affirme encore que M. [V] a manqué à son obligation de sécurité en négligeant de l’alerter sur l’état dégradé des racks de stockage et en procédant de lui-même à une réparation de fortune, au lieu et place d’une intervention par un technicien agréé qu’elle aurait missionné, faisant ainsi courir le risque d’une chute de charge et de l’effondrement de la structure.

De surcroît, l’employeur reproche au salarié de ne pas avoir procédé à la vérification de l’entretien du matériel confié, plus précisément des pistolets destinés à la préparation des commandes, afin de permettre sa correcte utilisation et de bonnes conditions de travail aux salariés placés sous sa responsabilité. Au surplus, elle entend souligner que M. [V], responsable du service du Drive, devait s’assurer de l’entretien des outils utilisés sur le site des [Localité 6] mais aussi sur le point de retrait de [Localité 1], lieu de constatation du défaut d’entretien, contrairement à ce qu’a retenu le conseil de prud’hommes.

En revanche, la société [Localité 1] Distribution fait valoir subsidiairement que les premiers juges n’ont pas méconnu leur office les obligeant à qualifier les faits dont ils étaient saisis, en considérant que ceux-ci étaient constitutifs d’un management quotidien inadapté.

Par ailleurs, la société [Localité 1] Distribution soulève l’irrecevabilité de la demande en dommages et intérêts présentée par M. [V] pour usurpation d’identité, demande additionnelle ne se rattachant pas aux prétentions originaires par un lien suffisant. Elle estime qu’en toutes hypothèses, cette demande, devenue depuis lors sans objet, est mal fondée en l’absence de tout préjudice établi.

S’agissant des heures supplémentaires, l’employeur prétend qu’il n’a jamais demandé à M. [V] d’accomplir ses missions au-delà du forfait prévu à son contrat de travail.

Elle soutient que M. [V] ne rapporte pas la preuve que les heures supplémentaires dont il sollicite le paiement auraient été réalisées à sa demande ni même avec son accord implicite. Elle relève que les bulletins de paie sont conformes aux mentions approuvées par le salarié sur les relevés de ses horaires remis chaque semaine et signés de sa main.

L’employeur entend surtout démontrer que les relevés produits à la demande du conseil de prud’hommes mettent en évidence l’absence de réalisation des heures supplémentaires alléguées.

*

M. [V], dans ses dernières conclusions n°4, régulièrement communiquées, transmises au greffe le 12 octobre 2022 par voie électronique, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de débouter la société [Localité 1] Distribution de ses demandes, de le juger recevable et bien fondé en son appel du jugement du conseil de prud’hommes d’Angers du 6 décembre 2019 et en celui du jugement du 26 juin 2020 et, y faisant droit, de :

– infirmer le jugement entrepris du 6 décembre 2019 en ce qu’il dit qu’au regard des circonstances de l’espèce ses comportements justifient un licenciement pour cause réelle et sérieuse, écartant les demandes d’indemnisation au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et l’a débouté de ses demandes au titre du travail dissimulé;

– infirmer le jugement entrepris du 26 juin 2020 en ce qu’il l’a débouté de ses demandes de rappel de salaires sur les heures supplémentaires et les congés payés y afférents, d’indemnité compensatrice de repos compensateur et des congés payés y afférents, de dommages et intérêts pour dépassement de la durée maximum de travail quotidien de travail, de dommages et intérêts pour non-respect de la durée minimale de repos quotidien, de dommages et intérêts pour dépassement de la durée maximum hebdomadaire de travail et de frais irrépétibles ;

Statuant à nouveau :

– juger que le licenciement prononcé par la société le 26 mai 2016 est dénué de cause réelle et sérieuse ;

– juger qu’il a effectué des heures supplémentaires au-delà de la durée forfaitaire d’heures supplémentaires prévues au contrat de travail ;

– juger que la société [Localité 1] Distribution a dissimulé intentionnellement une partie du travail fourni ;

– juger que la société [Localité 1] Distribution n’a pas respecté les dispositions sur la durée maximum de travail quotidien, sur la durée minimum de repos quotidien et sur la durée maximum de travail hebdomadaire ;

En conséquence :

– condamner la SAS [Localité 1] Distribution à lui payer les sommes suivantes :

* dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 20 403 euros,

* rappel de salaire pour heures supplémentaires : 43 518,38 euros,

* congés payés sur rappel de salaire pour heures supplémentaires : 4 351,84 euros,

* indemnité compensatrice de repos compensateur : 37 102,25 euros,

* congés payés sur indemnité compensatrice de repos compensateur : 3 710,23 euros,

* dommages et intérêts pour travail dissimulé : 20 403 euros,

* dommages et intérêts pour dépassement de la durée maximum quotidienne de travail : 15 000 euros,

* dommages et intérêts pour non-respect de la durée minimale de repos quotidien: 10,000 euros,

* dommages et intérêts pour dépassement de la durée maximum hebdomadaire de travail : 15 000 euros,

– confirmer le jugement entrepris pour le surplus ;

– ordonner la remise, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à compter de la notification de la décision, des bulletins de salaires, certificat de travail et attestation Pôle emploi conformes à la décision ;

– en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, condamner la société [Localité 1] Distribution à lui payer la somme de 4 000 euros pour la procédure de première instance et celle de 6 000 euros pour l’instance d’appel ;

– condamner la société [Localité 1] Distribution aux entiers dépens.

Tout d’abord, M. [V] conteste les trois principaux griefs invoqués par la société [Localité 1] Distribution à son encontre pour justifier le licenciement pour faute grave.

En premier lieu, il souligne que le comportement fautif allégué n’est aucunement caractérisé. Il précise que les propos reprochés, certes un peu vifs, tenus lors d’une conversation téléphonique avec l’un des salariés le 29 avril 2016 ont été isolés et, en tout état de cause, justifiés par le contexte de travail qu’il décrit et surtout le non-respect par le livreur concerné des consignes habituelles de travail une veille de forte activité.

Il ajoute que c’est à tort que le conseil de prud’hommes a néanmoins retenu l’existence d’une cause réelle et sérieuse, à défaut d’une faute grave, laquelle résulterait d’un management quotidien inadapté reposant sur les témoignages d’autres salariés. Il fait observer néanmoins que le conseil ne pouvait ainsi se prononcer sur la base de faits distincts non évoqués dans la lettre de licenciement fixant les limites du litige.

En tout état de cause, il fait valoir que la société [Localité 1] Distribution ne saurait lui reprocher des comportements inadaptés à l’encontre de ses subordonnés, alors qu’elle-même, par l’intermédiaire de ses dirigeants, adoptait régulièrement les agissements dénoncés pour gérer ses salariés.

En second lieu, M. [V] estime que l’absence de signalement de l’endommagement de racks de stockage, autre grief reproché, n’est pas davantage fondée. Il assure en effet que l’information sur la déformation sur le pied de rack avait bien été portée à la connaissance de la société [Localité 1] Distribution.

En dernier lieu, le salarié relève que le troisième grief résultant du défaut d’entretien des outils nécessaires à l’exécution des missions de son service n’est pas plus établi. Il explique que les pistolets destinés à assurer la préparation des commandes défectueux concernaient le site de [Localité 1] et non celui des [Localité 6] de sorte qu’ils ne relevaient pas de sa responsabilité. En outre, il précise que les commandes étaient préparées uniquement aux [Localité 6] et non à [Localité 3], qu’il n’appartenait pas aux livreurs de préparer les commandes et qu’en tout état de cause, même sur le site des [Localité 6], le nombre de pistolets était plus important que le nombre de salariés de sorte que la défectuosité de quelques pistolets ne gênait en rien le service.

Enfin, M. [V] souligne que la société [Localité 1] Distribution ne saurait invoquer utilement les deux précédents disciplinaires dont il a fait l’objet en 2014, alors qu’il n’avait qu’appliquer des pratiques non formalisées par la direction.

Ensuite, M. [V] reproche à son employeur d’avoir utilisé son identité à des fins commerciales sans son autorisation et même après son licenciement pourtant immédiat, ce qui justifie selon lui une juste indemnisation du préjudice moral en résultant.

S’agissant des heures supplémentaires, M. [V] invoque une pratique généralisée du travail dissimulé et de la contrainte pesant sur les salariés de remettre des relevés horaires non sincères. Il relève que les personnes qui travaillaient avec lui soulignent qu’il effectuait un volume horaire de travail considérable, sans rapport avec les heures supplémentaires hebdomadaires prévues à son contrat de travail et qu’en outre, l’organisation imposée du Drive entraînait nécessairement un volume horaire excédant ce forfait d’heures supplémentaires. Il prétend que les relevés de scan n’ont été que le moyen qu’il a trouvé pour justifier de la fictivité des relevés hebdomadaires qu’il devait signer, et que s’ils ne sont pas destinés à établir le temps de travail, ils précisent le moment et la durée d’utilisation des scans. Il prétend enfin, qu’il n’a utilisé le scan que pour aider son équipe et pallier le manque d’effectifs mais assure qu’il accomplissait l’essentiel de son activité sans être connecté ni avoir à utiliser ce matériel.

***

MOTIVATION :

– Sur le licenciement pour faute grave :

Selon l’article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige portant sur le licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles et si un doute subsiste, il profite au salarié.

Selon l’article L. 1232-6 du même code, la lettre de licenciement comporte l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur. Cette lettre, qui fixe les limites du litige, doit être suffisamment motivée et viser des faits et griefs matériellement vérifiables, sous peine de rendre le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse.

En cas de licenciement disciplinaire, le juge doit rechercher si le motif allégué constitue une faute. Si les faits invoqués, bien qu’établis, ne sont pas fautifs, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

La faute grave privative du droit aux indemnités de rupture, qu’il appartient à l’employeur de démontrer, correspond à un fait ou un ensemble de faits qui, imputables au salarié, constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible son maintien dans l’entreprise.

Il appartient au juge de qualifier les faits évoqués dans la lettre de licenciement.

En l’espèce, la société [Localité 1] Distribution a notifié à M. [V] son licenciement pour faute grave par une lettre de licenciement du 26 mai 2016, en faisant état de trois griefs qu’elle explique devoir sanctionner au titre de son obligation de sécurité et qu’il convient d’examiner successivement.

– Sur les propos inadaptés et répétés de M. [V] à l’encontre de membres du personnel :

La lettre de licenciement énonce ce motif dans les termes suivants :

‘Vous occupez le poste de responsable du Drive des [Localité 6].

Un des salariés du drive nous a alertés, par courrier recommandé, sur votre comportement gravement fautif à l’encontre de certains de vos subordonnés.

Un des salariés du Drive nous a ainsi alertés sur la tenue de propos agressifs et insultants à son encontre, et ceci de manière répétée.

Le salarié nous a rapporté ces propos humiliants, tels que ‘tu fais chier’, ‘t’es chiant’, ‘tout le monde en a marre de toi…’

Un autre salarié, membre du CHSCT, a pu constater ces propos particulièrement virulents, puisqu’il était présent lorsque vous les avez proférés.

Il s’agissait de paroles dégradantes et d’attaques personnelles dont la violence a provoqué un malaise chez le salarié victime. Celui-ci a été gravement choqué et a dû interrompre son activité pendant près d’1h30.

Lors de l’entretien préalable, vous avez reconnu avoir déjà ‘engueulé’ les membres du personnel mais vous avez contesté la tenue de propos déplacés et virulents.

Votre tentative de minimiser vos agissements n’est pas acceptable. Votre comportement est attesté par d’autres salariés de l’entreprise. Il est ainsi parfaitement démontré la virulence de vos paroles, ceci de manière répétée, à l’encontre de membres du personnel, ce qui a pour effet de dégrader leurs conditions de travail et a eu, pour notamment l’un d’entre eux, des impacts sur son état de santé.

Dans la mesure où l’employeur doit être le garant de la sécurité tant physique que mentale de ses salariés, nous ne pouvons tolérer une telle attitude.’

Il est acquis aux débats que la mise à pied conservatoire ayant assorti la convocation de du salarié à son entretien préalable au licenciement en date du 10 mai 2016, faisait suite aux faits rapportés par M. [W] [X], employé travaillant sous la responsabilité de M. [V], dans un courrier daté du 7 mai précédent adressé à son employeur. Il n’est pas contesté que ces faits dénoncés et particulièrement mis en exergue par la société [Localité 1] Distribution sont en date du 29 avril 2016.

Après avoir évoqué le changement de comportement de M. [V] depuis la naissance de sa fille, M. [X] y affirmait que le responsable du service Drive, ‘à plusieurs reprises, l’avait contacté par téléphone pour le réprimander avec un verbe agressif et insultant (tu fais chier, tes chiant, tout le monde en a marre de toi, on ne va pas en rester là, tu vas voir…etc)’. Il ajoutait qu’ ‘encore une fois récemment M. [V] a répété ces mots au téléphone en hurlant, j’ai donc décidé de faire écouter au haut parleur la conversation à M. [N], responsable réception. Suite à cela, j’ai stressé et eu un malaise (je suis diabétique). En présence de M. [N], j’ai dû arrêté de travailler, M. [C] responsable Frais prenant ma place pour livrer les clients. J’ai dû prendre du sucre un peu pour reprendre mon poste (…)’. Il mentionnait en outre l’explication donnée par son responsable au sujet de ses souhaits de congés d’été auxquels il n’avait pas donné une suite favorable : ‘[W] de toute façon, ton enfant s’en souviendra pas, si t’es pas avec lui’. Il concluait en ces termes : ‘cette situation a trop durée, je me sens déstabilisé à chaque appel de M. [V], cela me perturbe psychologiquement et ma santé en pâtis. Monsieur le directeur, je vous demande de prendre en considération ce courrier et de prendre les mesures nécessaires pour que mon moral au travail ne soit pas troublé’. M. [X] reprendra intégralement les termes de son courrier dans une attestation établie le 11 mai 2016.

L’employeur produit en outre une attestation de M. [A] [N], responsable logistique et membre du CHSCT, confirmant ‘avoir été témoin d’une altercation verbale entre M. [V] et M. [X]’ ainsi que le déroulement des faits tel que rapporté par ce dernier. Il indique ainsi que M. [X] lui a branché le haut-parleur pour qu’il soit ‘témoin des propos virulents et agressifs tenus par M. [V]’. Il précise juste que si ‘les propos n’étaient pas très audibles par le haut-parleur’,’l’intonation était identifiable’ et qu’il a lui-même conseillé à M. [X] ‘d’en parler à la direction.’

M. [U] [C], responsable secteur Frais, atteste pour sa part avoir remplacé M. [X] suite à un malaise.

A juste titre, les premiers juges ont considéré que MM. [N] et [C] n’étaient pas en mesure de corroborer la teneur exacte des propos attribués par M. [X] à M. [V] au-delà du ton ‘virulent’ employé par celui-ci. Il reste toutefois qu’aucun élément ne permet de remettre en cause ces paroles telles que citées par M. [X] dès lors que le reste de sa relation des faits reprochés est confirmé par M. [N] qui par honnêteté indique seulement ne pas avoir entendu distinctement les dires du responsable. Dès lors, ces faits seront considérés comme matériellement établis.

Le procès-verbal du CHSCT réuni en session extraordinaire le 12 mai 2016 en présence du président de la société [Localité 1] Distribution et de MM. [N] et [C] reprend l’événement tel que décrit par M. [X], ‘victime d’une ‘d’engeulage'(sic) virulente’. Il mentionne aussi l’entretien de M. [R], directeur, avec M. [X] et sa relation de faits similaires qui auraient été dirigés contre [D] [G], lequel ne souhaitera pas témoigner tout en faisant état de ‘tensions avec M. [V]’, et à l’égard de Mme [Z] [I] qui aurait demandé à changer de poste ‘en raison du comportement de M. [V] à son égard, celle-ci s’étant même mise en arrêt lors d’une période, ne supportant plus la pression du travail’.

Dans son attestation communiquée par M. [V], Mme [I] indique toutefois vouloir ‘rectifier des propos et des situations professionnelles qui m’ont été attribué de manière abusive et non fondée’, expliquant qu’elle avait demandé à changer de poste ‘car la pression imposée par M. [V] était forte mais j’étais consciente que cette pression imposée par M. [V] était la conséquence de la pression que lui-même subissait, il est faux de dire que j’étais en arrêt maladie à cause de M. [V] et d’ailleurs, j’avais même demandé à revenir au drive courant février 2015 ce qui m’a été refusé par M. [R]’. Elle poursuit en ajoutant que ‘M. [V] était parfois excessif, pouvant se mettre en colère alors que je faisais le maximum. Mais, jamais il n’insultait, ni harcelait, il arrivait que parfois ses haussements de voix revenaient un peu trop à mon goût. Malgré tout, cela restait dans l’ensemble ponctuel et une fois le calme revenu, il était toujours possible de discuter avec M. [V] sur ce qui s’était passé (…)’.

Il est mentionné par ailleurs dans le procès-verbal du comité d’entreprise réuni le 13 mai 2016 à la demande du CHSCT que ‘M. [V] est connu pour son tempérament agressif voire excessif lors de son travail au magasin. A l’unanimité présent lors de la réunion, nous condamnons les agissements de M. [V] que nous trouvons inacceptable et nous nous joignons au CHSCT pour demander de prendre les mesures ou sanctions nécessaires’.

Enfin, la société [Localité 1] Distribution se réfère, comme le conseil de prud’hommes, aux attestations produites par le salarié lui-même, celle de Mme [I] précitée, mais aussi celle de Mme [O] indiquant qu’elle a eu ‘à plusieurs reprises des différences d’opinion avec M. [V], des cris certes, des discussions houleuses’, ou encore celle de Mme [M] l’ayant vu ‘perdre patience sous la charge de travail et hausser le ton notamment sur moi-même’. L’une et l’autre nuancent néanmoins leurs propos en estimant que M. [V] ne leur avait ‘jamais manqué de respect’, qu’ ‘une fois les choses dites il passait à autre chose sans rancoeur’ (Mme [O]), soulignant que ‘M. [V] était une personne franche, directe et honnête’, Mme [M] ajoutant qu’elle n’en n’était ‘pas traumatisée, préférant travailler avec quelqu’un qui vous dira immédiatement ce qui va ou ne va pas’.

Par ailleurs, M. [S], adjoint de M. [V], admet aussi le ‘comportement excessif’ du responsable, indique qu’il ‘se mettait en colère voire même qu’il s’emportait parfois contre les membres de son équipe’ tout en mettant ces excès sur le compte de la fatigue.

Il ressort de l’ensemble de ces éléments qu’à l’évidence, M. [V] décrit comme franc et direct présentait un trait de caractère le conduisant à s’emporter sur ses collaborateurs en particulier dans des situations de pression et de tension résultant des contraintes propres au service dont il assurait la responsabilité.

Ainsi, M. [V] expose en détail le contexte tendu dans lequel lui-même et ses salariés travaillaient au sein du service drive situé aux [Localité 6] mais impliquant aussi des livraisons quotidiennes sur le site de [Localité 1] ( cf ses conclusions p 13 à 16). Il décrit ainsi l’organisation rigoureuse qui en résultait en particulier s’agissant des livraisons et transferts et par anticipation des commandes à préparer, chaque étape étant soumise à un timing très serré avec des pics d’activité de retraits des commandes entre 16H30 et 18H30 et le vendredi. Il précisait que pour des raisons de sécurité, la direction imposait au surplus que le camion-navette soit stationné tous les soirs sur le site de [Localité 1] avant d’être rechargés en bases roulantes la veille au soir ou tôt le matin et être ramenés sur le site des [Localité 6].

S’agissant des faits du 29 avril 2016, il explique les raisons de ‘l’engueulade téléphonique’ reconnue et des propos adressés à M. [X] qu’il qualifie lui-même d »un peu vifs’ et ‘critiquables’, alors que l’employé n’avait pas respecté les consignes, en ne chargeant que très partiellement le camion navette la veille au soir à l’origine d’une désorganisation de la journée suivante. Il précise que ‘sans reconnaître l’exactitude des propos rapportés, il a pu manifester son exaspération à M. [X], sans que cela ne puisse lui être sérieusement reproché’.

Il reste que ni la spécificité du secteur d’activité soumettant ses salariés à une pression incontestable en particulier s’agissant des stricts délais à respecter, ni la charge de travail importante (attestée par Mme [I]), ni les éventuels non-respects de consignes de ces employés, ne peuvent justifier chez un responsable les ‘cris’ ‘haussements de ton’, ‘propos virulents’ , ‘discussions houleuses’, surtout lorsqu’ils sont dirigés contre un salarié déjà fragilisé par des problèmes de santé (M. [X])et même si ces excès de colère et manques de retenue étaient plus ou moins supportés par quelques salariés (Mme [O]).

Les propos virulents reprochés à M. [V] ont concerné plusieurs salariés y compris ceux ayant souhaité témoigner en sa faveur (Mme [I]) révélant qu’ils n’avaient rien d’exceptionnel alors qu’il est au contraire attendu d’un responsable de garder le contrôle de lui-même et ne pas ajouter de la tension excessive à une pression déjà présente et occasionnée par les seules conditions de travail propres à ce type d’activité. Son attitude doit être exempte de toute agressivité ou violence verbale, lesquelles caractérisent objectivement et indépendamment du ressenti propre à chaque salarié, un manque de respect surtout lorsque ces pertes de contrôles ne sont pas isolées mais au contraire amenées à se reproduire.

A cet égard, il sera précisé que la lettre de licenciement ne concerne pas uniquement les propos virulents tenus envers M. [V] le 29 avril 2016, mais évoque expressément des comportements similaires répétés auprès de certains salariés lesquels sont établis par les attestations précitées.

De surcroît, c’est à tort que M. [V] considère que la société [Localité 1] Distribution ne saurait sérieusement lui reprocher un comportement qu’elle adopte elle-même envers ses salariés par l’intermédiaire de ses dirigeants ce, en dépit des attestations émanant de deux clients faisant leurs courses au magasin Leclerc de [Localité 1], et de trois salariés du même magasin communiquées pour tenter d’en justifier. En effet, ces éléments ne sauraient suffire à caractériser le mode de gestion managerial des dirigeants de la société [Localité 1] Distribution tel que décrit par M. [V] et dont il ne prétend pas avoir été lui-même victime. Au demeurant, aucune de ces attestations ne concerne à proprement parler le service Drive du site des [Localité 6]. En tout état de cause, ces circonstances n’enlèvent rien à la réalité des agissements reprochés à M. [V] lui-même et ne sauraient ‘autoriser’ ou ‘valider’ leur reproduction sur les salariés dont il avait la responsabilité.

Il ressort de l’ensemble de ces éléments, que les faits établis à l’encontre de M. [V], de nature à dégrader les conditions de travail et le bien-être de ses collaborateurs ainsi que l’a relevé à juste titre le conseil de prud’hommes, sont constitutifs d’un comportement inadapté fautif caractérisant une cause réelle et sérieuse.

Toutefois, au regard des circonstances et du contexte tendu au sein duquel le salarié exerçait ses responsabilités, il sera considéré ainsi que l’ont estimé avec raison les premiers juges, que ces faits ne présentaient pas une gravité suffisante pour empêcher la poursuite immédiate de la relation de travail.

– Sur les manquements au respect des règles de sécurité au sein du Drive :

Ce motif est énoncé dans la lettre de licenciement comme suit :

‘C’est également en vertu de votre obligation de sécurité que nous ne pouvons tolérer des manquements quant à votre devoir d’assurer le respect des règles de sécurité au sein du drive.

Nous avons ainsi découvert, le 6 mai 2016, que les pieds de certains racks de stockage étaient tordus, ce qui mettait en jeu la sécurité du personnel dans la mesure où ceux-ci ne présentaient pas alors toute la solidité nécessaire pour assurer un stockage des produits en toute sécurité.

Vous n’avez pourtant pris aucune disposition ni alerté la direction pour qu’une intervention rapide soit programmée afin de sécuriser les racks en question.’

La société [Localité 1] Distribution reproche à M. [V] ‘un manquement à son devoir d’assurer le respect des règles de sécurité au sein du drive’ en n’ayant pas informé la direction de la défectuosité des pieds de certains racks de stockage, et au surplus en ayant procédé à un redressement des éléments tordus, ce qui est proscrit par les recommandations de l’INRS (Institut national de la recherche et de la sécurité).

Elle verse aux débats uniquement un document intitulé ‘guide de la gestion des risques’ daté toutefois du 18 avril 2018, soit postérieur aux faits reprochés, et un extrait des recommandations précitées.

Enfin, elle s’appuie sur l’attestation de M. [N] communiquée par M. [V] qui atteste ‘avoir redressé avec M. [V] le pied de rack qui avait été faussé par un tire palettes et avoir mis en évidence de façon verbale, le fait de faire poser des protections adéquates’. En revanche, l’employeur invoque le mensonge de M. [N] lorsqu’il ajoute que ‘cette discussion avait eu lieu au drive des [Localité 6], en présence de la direction’.

En premier lieu, il est constant que le contrat de travail de M. [V] de responsable du service Bazard comporte en particulier une annexe IV relative à la sécurité mentionnant s’agissant des ‘racks de réserve’ une obligation de ‘signaler immédiatement toute anomalie à la direction’. Il reste que M. [V] a été promu responsable du site du Drive des [Localité 6] sans qu’un avenant au contrat de travail n’ait été signé entre les parties. Il n’est pas allégué que les dites annexes très détaillées propres aux responsabilités exercées pour le service Bazard aient été actualisées en lien avec le service Drive confié à M. [V] à compter de juin 2013, ni que le salarié ait été informé de manière exhaustive et précise de l’ensemble des obligations découlant de ces nouvelles fonctions. Au demeurant, ainsi que l’indique le conseil de prud’hommes, la société [Localité 1] Distribution ne justifie pas avoir délivré au responsable une formation spéciale en matière de sécurité à la suite de sa prise de fonction sur le site du Drive. Plus précisément, il n’est pas avéré que M. [V] avait connaissance de ce que le redressement manuel des éléments tordus était à proscrire, ni qu’il ait pu être destinataire des éléments d’information (guide de gestion des risques, brochure de l’INRS) produits par l’employeur.

Enfin, selon la brochure relative aux rayonnages métalliques de l’INRS, il revient à l’employeur de maintenir l’installation en état de conformité avec les règles techniques de conception et de construction applicables lors de la mise en service (R.4322-1 et NF EN 15635) et procéder à une vérification annuelle périodique (cf p 29 et 30 de la dite brochure), ce dont il ne rapporte pas la preuve.

En second lieu, en l’absence de tout constat de la défectuosité relevée, la cour n’est pas en mesure d’apprécier la gravité de ce défaut, ni ses conséquences en termes de sécurité. Le conseil de prud’hommes a relevé à juste titre que la société [Localité 1] Distribution, qui remet en cause l’état des racks, ne produit aucun élément pour justifier du nombre de racks concernés, de la nature des difficultés et de leur ancienneté alors que les faits, constatés quand M. [V] était en congés, auraient pu survenir lors de son absence.

Enfin, aucun élément ne permet de remettre en cause l’attestation de M. [N], lequel n’avait pas hésité à s’impliquer s’agissant des propos virulents dont M. [X] avait été victime, lorsqu’il soutient que la direction avait été informée de l’endommagement du pied de track et qu’une demande de ‘protections adéquates’ avait été faite.

En conséquence, ce deuxième grief n’est pas établi et ne saurait constituer a fortiori la faute grave reprochée.

– Sur l’absence d’envoi en réparation de certains pistolets destinés à assurer la préparation des commandes en temps et en heure :

Ce grief est ainsi mentionné dans la lettre de licenciement :

‘Enfin, nous avons constaté le fait que des pistolets destinés à assurer la préparation des commandes qui étaient hors service, n’avaient pas été envoyés en temps et en heure en réparation, ce qui aboutit là aussi à dégrader les conditions de travail du personnel.’

Après avoir rappelé les termes de la convention collective applicable prévoyant que ‘chaque salarié assure en permanence l’entretien courant du matériel qu’il utilise’, la société [Localité 1] Distribution soutient que M. [V], à qui il revenait de vérifier l’entretien du matériel utilisé par les salariés n’a pas permis au personnel du service de travailler dans de bonnes conditions en ne procédant pas à l’envoi des pistolets destinés à assurer la préparation des commandes.

Le conseil de prud’hommes, à la suite d’une analyse pertinente de la seule attestation produite par l’employeur et émanant de Mme [H], responsable informatique, a considéré à juste titre que celle-ci était insuffisante à caractériser l’existence d’une faute grave en raison tant de son imprécision que de son caractère non-probant et qu’il n’était pas démontré que M. [V] n’avait pas sollicité en temps voulu la réparation des pistolets.

En cause d’appel, il n’est pas communiqué par l’employeur de pièces supplémentaires et il n’est pas rapporté la preuve que les pistolets de préparation de commandes, tels que mentionnés dans la lettre de licenciement, et ayant pu être sollicités par le site de [Localité 1] selon Mme [H], aient relevé de la responsabilité de M. [V]. En effet, celui-ci dirigeait uniquement le site des [Localité 6] en ce qui concerne la préparation des commandes et seul le personnel livreur était envoyé sur le site de [Localité 1].

Ce troisième grief ne pourra donc pas être retenu à l’encontre de M. [V].

Enfin, c’est également avec raison que le conseil de prud’hommes a indiqué qu’il n’y avait pas lieu de prendre en compte les deux précédents disciplinaires dont M. [V] avait fait l’objet les 4 octobre (rappel à l’ordre) et 6 décembre 2014 (avertissement) sans rapport avec les griefs énoncés dans la lettre de licenciement.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il a considéré que le licenciement de M. [V] reposait sur une cause réelle et sérieuse mais non sur une faute grave.

La société [Localité 1] Distribution ne conteste subsidiairement ni le quatum ni le calcul des sommes allouées à M. [V] par les premiers juges conformément aux règles applicables en la matière, et fixées comme suit :

– 1760,53 euros à titre de rappel de salaire sur la période de mise à pied conservatoire ;

– 176,05 euros au titre des congés payés dus sur cette période ;

– 5600 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis ;

– 560 euros au titre des congés payés dus sur cette indemnité ;

– 5742,48 euros au titre de l’indemnité de licenciement.

Le jugement du 6 décembre 2019 sera par conséquent confirmé de ces chefs.

– Sur la demande de dommages et intérêts relative à l’utilisation de l’identité de M. [V] :

M. [V] affirme avoir subi un préjudice moral du fait de l’utilisation de son nom -sans son autorisation- dans les messages publicitaires diffusés par la société [Localité 1] Distribution ce, postérieurement à son licenciement et alors que celle-ci lui reprochait un comportement constitutif d’une faute grave justifiant la rupture immédiate de la relation de travail.

La société [Localité 1] Distribution considère pour sa part que cette demande est irrecevable pour ne pas avoir été formulée dans la requête introductive d’instance. Sur le fond, elle fait valoir que la dite demande est dénuée d’objet puisqu’elle a fait procéder au retrait immédiat du nom du salarié par sa société prestataire de service. Elle précise que la modification prise en compte uniquement pour le point de retrait de [Localité 1] a été définitivement exécutée depuis lors, y compris s’agissant du site des [Localité 6]. Enfin, elle relève l’absence de tout préjudice démontré en lien avec le manquement reproché.

De fait, cette demande ne figure pas dans la requête introductive d’instance du 22 septembre 2017, mais pour la première fois dans les conclusions de M. [V] déposées devant le conseil de prud’hommes le 30 novembre 2017. Elle tend à obtenir la réparation d’un préjudice pour l’utilisation de l’identité de M. [V] postérieurement à son licenciement pour faute grave qu’il contestait alors que l’employeur avait ainsi manifesté son intention de voir la relation de travail rompue immédiatement.

Dès lors, il convient de considérer que cette demande en lien avec la rupture du contrat de travail contestée et pour laquelle M. [V] sollicitait une juste et complète indemnisation se rattache aux demandes objets de la requête introductive par un lien suffisant.

Cette fin de non-recevoir soulevée au demeurant pour la première fois près de cinq années après la présentation de la demande additionnelle de M. [V], sera rejetée.

Au fond, M. [V] communique un mail en date du 6 octobre 2017 à en-tête de l’établissement Leclerc-drive de [Localité 1] interrogeant ses clients sur la satisfaction du service Drive et signé ‘[F] [V], votre responsable de Drive’. La pièce 22 communiquée par la société [Localité 1] Distribution pour justifier avoir sollicité la suppression du nom du salarié et son remplacement par celui du nouveau responsable du site Drive n’est pas datée. Au surplus, l’employeur admet que la modification a été prise en compte pour le seul point de retrait de [Localité 1] avant la correction opérée dans un second temps pour le site des [Localité 6].

En application de l’article 1241 du code civil, le conseil de prud’hommes a considéré avec raison que la société [Localité 1] Distribution avait commis une faute en ne vérifiant pas le retrait du nom de M. [V] de l’ensemble des documents utilisés et diffusés postérieurement à son départ de l’entreprise dans un contexte difficile.

Le préjudice moral résultant du fait que M. [V] demeurait présenté durant des mois comme appartenant aux effectifs de l’entreprise qui l’avait licencié pour faute grave sera réparé par l’allocation d’une somme justement évaluée par les premiers juges à 1000 euros.

Le jugement du 6 décembre 2019 sera confirmé de ce chef.

– Sur les heures supplémentaires :

Il résulte de l’article L. 3171-4 du code du travail qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires applicables. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

L’article précité ajoute que si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

En outre, il est de principe que les heures supplémentaires doivent être accomplies sur demande de l’employeur. En effet, la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est mis à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives en application de l’article L. 3121-1 du code du travail. Il est jugé qu’en l’absence de demande expresse, il suffit que l’employeur ait donné à tout le moins son accord tacite, lequel résulte de la connaissance qu’il avait du nombre d’heures effectuées, ou que l’opposition à l’accomplissement d’heures supplémentaires était trop tardive pour caractériser une réelle opposition, ou encore que le nombre d’heures de travail était imposé par la qualité ou la nature des tâches à accomplir (Soc., 19 avril 2000 n° 98-41.071).

Ainsi, dès lors que les heures supplémentaires revendiquées ont été accomplies malgré l’interdiction expresse de l’employeur, et sans que la nature ou la quantité des tâches à accomplir le justifie, ces heures de travail ne peuvent donner lieu à paiement.

Enfin, il sera rappelé que par jugement mixte du 6 décembre 2019, le conseil de prud’hommes a enjoint à la société [Localité 1] Distribution de produire et communiquer à M. [V] un document technique permettant de déterminer à quoi correspond chacune des lignes du document récapitulatif sur trois ans de l’utilisation du badge de M. [V], les documents semaine par semaine concernant le badge utilisé par M. [V] (document correspondant aux pièces 13 et 14) sur toute la période du 1er mai 2013 au 31 mai 2016. La société [Localité 1] Distribution a versé lors de l’audience de renvoi et en cause d’appel les documents techniques relatifs au fonctionnement du scan ainsi que les relevés ‘activités opérateurs du terminal’ correspondant au code de M. [V] entre 2013 et 2016, ainsi qu’une fiche technique permettant de constater que les temps morts sont inclus dans les temps ‘connectés’ et correspondant à l’utilisation du scan.

Liminairement, il sera rappelé que le contrat de travail non modifié à la suite du changement de service de M. [V], stipule un horaire hebdomadaire de 41h50 et la prise en compte de 15,25 heures supplémentaires mensuelles outre les temps de pause. Il est ajouté qu’en contrepartie, le salarié bénéficie de 6 jours de réduction du temps de travail pour une année complète de travail effectif représentant l’équivalent d’une heure hebdomadaire de temps de travail effectif outre le temps de pause.

L’article 7 de ce contrat précisait qu’il ‘appartenait’ au salarié de s’organiser et prendre ses responsabilités ‘sur ce problème des horaires’ afin de remplir ses obligations dans le cadre du forfait convenu, les répartitions journalières et hebdomadaires devant être déterminées en accord avec la direction.

Les bulletins de paie du salarié ne font pas état de l’accomplissement d’heures supplémentaires dont le nombre excéderait le forfait d’heures prévu au contrat de travail.

Il est enfin constant que M. [V] pour lui-même et en sa qualité de responsable du service drive signait chaque semaine des fiches déclaratives des heures travaillées transmises à la direction, lesquelles ne font pas état d’heures supplémentaires au-delà de celles autorisées.

M. [V] estime néanmoins avoir accompli des heures supplémentaires pour un volume de 323h22 en 2013, 886h20 en 2014, 1317 h27 en 2015 et 565h48 en 2016 et sollicite le paiement d’une somme de 43 518 euros au titre des heures accomplies au-delà du forfait contractuellement prévu.

A l’appui de sa demande, il produit tout d’abord un tableau récapitulatif par semaine du nombre d’heures supplémentaires alléguées sur la période du 24 juin 2013 au 29 mai 2016, le montant correspondant aux heures majorées de 25% et à celles majorées de 50% sur la base d’un taux horaire identique. Ce tableau a été réalisé par M. [V] à partir des relevés des ‘activités opérateurs du terminal’ versés par l’employeur.

Il communique ensuite diverses attestations, dont celles de Mme [T] [J] affirmant ‘avoir vu M. [V] arrivé à 5h30 le matin pour l’ouverture, prendre de courtes pauses le midi voire pas de pause du tout et terminer sa journée qu’à la fourniture de 20H’, de Mme [B] [M] qui certifie ‘avoir vu M. [V] faire un nombre incalculable d’heures supplémentaires’, terminer souvent à 20 heures comme elle alors que les collègues lui confirmaient sa présence déjà à l’ouverture du site, ou encore celle de Mme [I] assurant que M. [V] ‘cumulait les heures supplémentaires’.

M. [V] affirme encore qu’un responsable devait être présent de 6 heures à 20 heures, soit une amplitude de 14 heures sauf le dimanche. Il précise ainsi qu’il était le seul avec son adjoint M. [S] à être habilité à assurer l’ouverture et la fermeture du drive, ce qui impliquait d’enlever ou remettre l’alarme avec un code préenregistré nominatif et attribué uniquement à chacun des deux salariés. Il se réfère pour en justifier à l’attestation de M. [S] lui-même confirmant ses dires en précisant que cette contrainte particulière impliquait, même en se relayant, des plages horaires de travail de plus de 12 heures et donc la réalisation d’heures supplémentaires. Le responsable adjoint insistait en outre sur la lourdeur de cette charge lorsque l’un d’entre eux était en congés et que l’autre devait assurer seul cette mission. Il ajoutait de la même manière qu’ils étaient seuls en possession des codes d’accès nécessaires à l’ouverture de la session informatique pour lancer les préparations des commandes pour l’ensemble de l’équipe. Enfin, M. [S] atteste qu’avec M. [V] et à l’exclusion de tout autre salarié, il leur incombait de décharger les camions et de signer les bons de transport des marchandises livrées.

Par ailleurs, M. [V] soutient ne pas être en mesure de produire les courriels par lesquels il avait alerté la direction en raison de la privation de sa messagerie mais se réfère à l’attestation de Mme [J] indiquant avoir ‘vu un mail envoyé à M. [R] mentionnant ce sous-effectif et un autre où M. [V] lui parlait de ses horaires mentionnant sa fatigue due au rythme de 80 heures par semaines.’

De surcroît, après avoir rappelé l’essor de l’activité assurée par le service Drive crée en juin 2013, il détaille le déroulement de sa journée de travail pour établir qu’il lui était impossible d’accomplir l’ensemble de ces missions dans les limites imposées par son contrat de travail.

Il précise à cet égard que l’utilisation du scan dont les relevés ont été versés intégralement aux débats par la société [Localité 1] Distribution sur injonction du conseil de prud’hommes ne correspond le concernant qu’à une activité résiduelle exercée uniquement lorsque ses fonctions de responsable lui permettaient de venir aider les employés du drive. Il ajoute ainsi que les parties ‘temps morts’ reproduites sur ces relevés ne sont pas assimilables à une absence de sa part mais à un travail effectif autre (ce pour un total de 28 heures par semaine) que l’utilisation du scan lors des préparations de commandes. Son responsable adjoint, M. [S], confirme que lorsqu’ils passaient les commandes en informatique, déchargaient les camions, ‘gerbaient’ les palettes, formaient les nouveaux, ils ne se servaient pas de leurs pistolets, ‘ce qui indiquait dans le suivi d’activité une période de ‘temps mort’.

En outre, M. [V] assure que son badge n’était jamais affiché ni mis librement à la disposition des autres salariés, alors que celui-ci donnait accès à des fonctions strictement réservées (pour des opérations de gestion comme par exemple corriger les stocks suite à une reprise ou un échange de marchandise, ou déclarer un produit en casse). Il explique que les autres salariés devaient le solliciter préalablement pour accéder à la fonction et biper son propre scan sans pouvoir l’utiliser d’initiative en son absence. Les attestations de Mmes [K], [J], et [M] corroborent ses dires.

En définitive, il considère que ces relevés, bien qu’ils constituent un moyen fiable de suivre le travail de chaque salarié, ne sauraient démontrer en tout cas l’absence de réalisation de toute heure supplémentaire de sa part ainsi que le soutient l’employeur et que l’a retenu à tort le conseil de prud’hommes.

Enfin, M. [V] fait valoir que ces éléments ne contredisent qu’en apparence les relevés horaires qu’il ne conteste pas avoir signés de sa main mais dont il invoque le caractère fictif. Il soutient avoir ainsi respecté la politique de la direction à la demande de son employeur dont il ne faisait qu’appliquer les consignes. Il produit en sus des attestations de quatre employés ou responsables (pièces 19, 21, 38, 39 et 81) exerçant toutefois dans d’autres services sans avoir travaillé avec M. [V], celles de Mme [J] et de M. [S], du service Drive, ce dernier affirmant que ‘les feuilles horaires qu’ils signaient et remettaient au magasin ne correspondaient pas à la réalité des heures effectuées car si on avait des heures supp, la direction nous demandait de nous débrouiller avec nos responsables’.

Du tout, il doit être considéré que M. [V] présente des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Pour remettre en cause la réalisation des heures supplémentaires alléguées par M. [V], la société [Localité 1] Distribution considère que les termes du contrat de travail précité démontrent que l’employeur n’a jamais demandé au salarié de dépasser son temps de travail ni le nombre d’heures supplémentaires tel que déterminé contractuellement.

Les termes précités du contrat de travail (article 7) tels que rédigés révèlent surtout l’obligation pour le salarié d’accomplir ses missions dans les limites horaires imposées, ce quelques soient les conditions de travail évolutives auxquelles il était manifestement invité à s’adapter dans les mêmes limites.

Certes, M. [V] ne s’est jamais rapproché de la direction pour faire état le cas échéant de ses difficultés à assurer ses responsabilités dans les limites horaires imposées par son contrat de travail à l’exception toutefois d’un courriel précité exprimant sa fatigue et dont une salariée atteste avoir eu connaissance. Il n’a pas davantage voulu déclarer les heures supplémentaires prétendument réalisées. Cependant, agir autrement aurait révélé une impossibilité à respecter les termes de son contrat et manifesté indirectement un non-respect des consignes exprimées ainsi contractuellement par l’employeur. De plus, l’absence de toute revendication présentée durant la relation contractuelle ne vaut pas renonciation à ce droit.

L’employeur conteste en tout cas fermement avoir exercé une quelconque contrainte sur M. [V] pour remplir les relevés horaires qu’il signait chaque semaine, et plus généralement avoir imposé à ses salariés de déclarer des horaires non conformes à ceux réellement accomplis. L’employeur relève à juste titre l’absence de saisine des institutions représentatives du personnel sur une problématique de cet ordre ce, alors que l’un des salariés attestant en faveur de M. [V] était membre du CHSCT. De même, il remet en cause l’objectivité des témoignages apportés par trois anciens salariés licenciés pour faute grave -antérieurement à la requête déposée par M. [V] auprès du conseil de prud’hommes-, justifiant au surplus du paiement d’heures supplémentaires pour l’un d’entre eux, étant rappelé en tout état de cause que ces salariés ne relevaient pas du service du responsable de sorte que ces éléments ne seront pas considérés comme suffisamment probants concernant le présent litige.

Il reste que M. [V] a voulu signer des relevés horaires conformes aux exigences imposées par son contrat de travail, alors que manifestement, il n’était pas en mesure d’exercer ses missions dans le cadre horaire ainsi imposé. Ces seules circonstances ne sont pas de nature toutefois à exclure son droit à paiement de ses heures supplémentaires dès lors que, même en l’absence d’autorisation expresse de l’employeur, elles se justifiaient par la nature et la quantité de travail à réaliser.

Or, les attestations communiquées par le salarié, en particulier celles de M. [S], manifestent la lourdeur objective de la charge de travail imposée au responsable et à son adjoint les obligeant à dépasser le forfait d’heures supplémentaires autorisées. L’employeur ne parvient que partiellement à remettre en cause les éléments fournis par le salarié, étant rappelé que les éléments avancés par l’employeur concernant la durée du travail ne peuvent reposer seulement sur la critique de ceux invoqués par le salarié, ce qui reviendrait à faire peser la preuve du temps de travail seulement sur celui-ci.

Ainsi, l’attestation de M. [L] [P] exerçant désormais les mêmes fonctions que celles de M. [V] et qui affirme ‘assurer sans dysfonctionnement l’organisation des deux drives y compris à ce jour la location de véhicules’, ne fait pas état de l’absence de réalisation d’heures supplémentaires, celles-ci ne devant pas être assimilées nécessairement à un ‘dysfonctionnement’. Surtout, le mail adressé dès le 4 mai 2016 par M. [S], succédant immédiatement à M. [V], alertait le directeur : ‘il est aujourd’hui 15H15, je n’ai toujours pas manger et je n’ai pris que 10 mns de pause, j’ai déjà plusieurs employés qui ont fait des heures supplémentaires à cause du trop grand nombre de commandes sur une journée(…)’. Il indiquait, après avoir fait état d’un certain nombre de difficultés : ‘vous m’avez demandé de vous prévenir si sa n’allait pas donc voilà je vous envoi ce mail pour vous dire que rien ne va aujourd’hui et cela depuis plusieurs semaines en raison d’un manque de personnel plus que visible’.

Par ailleurs, pour tenter d’établir que M. [V] et M. [S] n’étaient pas les seuls à pouvoir ouvrir et fermer le drive, l’employeur, affirmant que tous les badges d’accès étant identiques et non nominatifs, communique six comptes-rendus d’entretien professionnel de salariés du drive tous réalisés en mars 2016 mentionnant que chacun avait reçu une formation ‘ouverture-fermeture drive’ et pour certains une formation ‘ouverture informil logiciel’.Ces éléments qui révèlent manifestement la nécessité d’une formation préalable pour être habilité à ouvrir et fermer le drive, ce qui ne concerne donc pas tous les salariés du drive, est insuffisant à démontrer que pendant la période visée par la demande de M. [V], l’un ou l’autre de ces salariés, dûment formé, a été amené à remplacer effectivement le responsable ou son adjoint tant pour l’ouverture du site que pour le lancement des sessions des ordinateurs afin de permettre aux salariés de débuter la préparation des commandes.

Enfin, la société [Localité 1] Distribution souligne les incohérences du nouveau décompte produit par le salarié comparé au premier tableau récapitulatif communiqué, et dressé à partir des fiches ‘activités opérateurs’ sous les intitulés ‘temps connecté’ et ‘temps pause’ sans référence aux autres données telles que les ‘temps morts’. Le conseil de prud’hommes avait estimé que la lecture de ces fiches révélait de nombreux temps morts, correspondant à une absence de réalisation d’opérations avec le scan dans des proportions qui ne permettaient pas de retenir une présence de l’opérateur en continu sur le lieu de travail, les dits relevés ne comportant pas par ailleurs de temps de pause. Il se référait ainsi à trois semaines des 30 décembre 2013 au 5 janvier 2014, 13 au 17 janvier 2014 et enfin celle du18 au 24 août 2014, pour constater que le nombre d’heures revendiquées par M. [V] pour chacune de ces semaines, était supérieur au temps de connexion et surtout au nombre d’heures comptabilisées en temps morts, soit entre 28 et 30 heures hebdomadaires. En cause d’appel, M. [V] a expliqué que ces temps morts correspondaient aux heures pendant lesquelles le salarié accomplissait ses autres missions et qui ne nécessitaient pas l’usage du scan évaluées à 28 heures en moyenne, M. [S] confirmant pour sa part la réalité du travail accompli par les responsables en dehors de toute connexion.

Il est vrai cependant que le responsable adjoint n’apporte pas suffisamment d’éléments pour permettre une évaluation exacte et précise du temps hors connexion conforme aux dires de M. [V]. En outre, les fiches ‘activités opérateurs’ reprennent un cumul d’heures hebdomadaires et non quotidiennes de sorte qu’il n’est pas possible de vérifier l’adéquation de ces temps morts avec le planning d’une journée type telle que décrite par M. [V] et les plages horaires durant lesquelles celui-ci accomplissait les activités ne nécessitant pas l’usage de son badge administrateur.

Au surplus, les documents techniques et attestations de MM. [P] et [Y] qui affirment que le badge administrateur de M. [V] était bien ‘affiché sur le mur’ et mis à disposition des autres salariés lorsque ceux-ci devaient faire de la gestion de produit contredisent celles produites par M. [V]. Ainsi, il n’est pas certain que le temps ‘activité de gestion’ repris sur les relevés ‘activités opérateurs’ de M. [V] pour une dizaine d’heures en moyenne par semaine, puissent être attribués en leur totalité au responsable, ni même établir sa présence continue et effective sur le site. Il est constant néanmoins que les badges n’étaient pas interchangeables au point qu’un autre utilisateur que le responsable puisse faire usage sur une journée complète du badge de M. [V].

Les fiches ‘activités opérateurs’ ne permettent donc pas de déterminer avec exactitude le nombre d’heures supplémentaires accomplies par M. [V], étant rappelé que ce logiciel ne constitue pas un dispositif de mesure du temps de travail des salariés et qu’il ne saurait suffire à remettre en cause la réalité des heures supplémentaires accomplies par le salarié et établie par ailleurs au vu des autres éléments communiqués par le salarié.

Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, il apparaît ainsi que M. [V] a bien réalisé des heures supplémentaires mais pour un volume moins important que celui déclaré.

La cour est en mesure d’évaluer souverainement pour les périodes considérées un nombre moyen de 6 heures supplémentaires par semaine visée par M. [V] sur son décompte, en sus du forfait mensuel d’heures supplémentaires prévu au contrat et déduction faite des temps de pause, ce qui correspond à 60 heures en 2013, 145 heures en 2014, 270 heures en 2015 et 78 heures en 2016, soit un nombre total de 553 heures supplémentaires qui doivent être majorées de 25%.

Compte tenu d’un taux horaire de 15,638 euros, le taux horaire majoré de 25 % s’établit à 19,548 euros, ce qui représente une somme de 10 810,04 euros brut pour 553 heures, à laquelle il faut ajouter les congés payés afférents s’élevant à 1081 euros brut.

La société [Localité 1] Distribution doit être condamnée au paiement de ces sommes et le jugement du 26 juin 2020 doit être infirmé de ce chef.

-Sur la contrepartie obligatoire sous forme de repos :

Il résulte de l’article L. 3121-30 du code du travail que les heures supplémentaires effectuées au-delà du contingent annuel de 220 heures prévu par l’article D. 3121-24 ouvrent droit à une contrepartie obligatoire sous forme de repos, sauf si un autre seuil a été fixé par une convention ou un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche.

Avant l’entrée en vigueur le 10 août 2016 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, des dispositions analogues existaient aux articles L. 3121-11 et suivants du code du travail.

Selon l’article 5.8 de la convention collective nationale applicable, le contingent annuel d’heures supplémentaires des salariés est fixé conventionnellement à 180 heures. Il n’est pas contesté que l’effectif de la société [Localité 1] Distribution est supérieur à 20 salariés.

Il résulte de la combinaison des articles L. 3121-38 et D. 3121-23 du code du travail que le salarié d’une entreprise employant plus de 20 salariés dont le contrat de travail prend fin avant qu’il ait pu bénéficier de la contrepartie obligatoire en repos à laquelle il a droit reçoit une indemnité en espèces égale à 100 % des heures supplémentaires accomplies au-delà du contingent annuel. Cette indemnité a le caractère de salaire.

Aux regard des stipulations du contrat de travail précitées concernant les heures supplémentaires autorisées et leur contrepartie, et conduisant à retenir une base annuelle forfaitaire de 133 heures supplémentaires, il doit être constaté que M. [V] a travaillé en 2013 13 heures (soit : (133h +60 h) – 180 h) au-delà du contingent annuel d’heures supplémentaires de 180 heures, 98 heures (soit : (133 h + 145 h) – 180 h) en 2014, 223 heures (soit : (133 h + 270 h) – 180 h) en 2015, et 31 heures ( soit : (133 h + 78 h) – 180h) en 2016.

Il peut donc prétendre à obtenir, à titre de contrepartie obligatoire de repos, une somme équivalente à 365 heures de travail, soit 5 707,87 euros (15,638 euros x 365 h). La société [Localité 1] Distribution doit être condamnée au paiement de cette somme ainsi qu’au paiement de la somme de 570,79 euros à titre de congés payés afférents. Le jugement du 26 juin 2020 doit être infirmé de ce chef.

– Sur les demandes en dommages et intérêts pour non-respect des obligations légales et réglementaires :

Pour asseoir ses demandes indemnitaires, M. [V] fait valoir que la société [Localité 1] Distribution n’a pas respecté la durée maximum quotidienne (10 heures) et hebdomadaire(48 heures) de travail et affirme qu’il n’a pas toujours bénéficié d’un repos quotidien d’une durée minimale de onze heures consécutives.

Néanmoins, les éléments retenus par la cour pour évaluer souverainement le nombre d’heures supplémentaires accomplies par le salarié au-delà des heures supplémentaires autorisées ne permettent pas de caractériser le non-respect des dispositions des articles L. 3121-18, L. 3131-1 et L. 3121-20 du code du travail applicables en la matière.

Surtout, M. [V], qui ne démontre pas l’existence d’un préjudice spécifique résultant de ces manquements ou prétendus tels, ne rapporte pas suffisamment la preuve du bien fondé de ses prétentions, lesquelles seront rejetées.

Le jugement du 26 juin 2020 sera confirmé de ces chefs.

– Sur l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé :

La dissimulation d’emploi salarié envisagée par l’article L. 8221-5 du code du travail doit revêtir un caractère intentionnel pour que l’employeur puisse être sanctionné dans les conditions prévues par l’article L. 8223-1 du même code.

M. [V] rappelle en substance que la société [Localité 1] Distribution imposait à ses salariés d’effectuer des heures supplémentaires de travail au-delà des prévisions contractuelles et refusait d’en tenir compte pour établir ses salaires.

Néanmoins, il a été considéré qu’il n’était pas établi pour le présent litige que l’employeur imposait la déclaration d’horaires de travail conformes aux stipulations contractuelles mais seulement qu’il exigeait la réalisation du travail dans les limites horaires contractuellement prévues.

La cour a estimé que M. [V] avait accompli des heures supplémentaires que justifiaient la nature et la quantité des tâches à accomplir mais M. [V] n’a lui-même jamais déclaré les heures supplémentaires effectuées auprès de l’employeur ni formulé de réclamation à son encontre.

Dès lors, il n’est pas établi que l’employeur a sciemment omis de les mentionner sur les bulletins de salaire et de payer les cotisations sociales afférentes.

M. [V] doit par conséquent être débouté de sa demande au titre du travail dissimulé et le jugement du 6 décembre 2019 doit être confirmé de ce chef.

– – Sur la remise de documents sociaux :

Il y a lieu d’ordonner la remise d’un bulletin de salaire et d’une attestation destinée à Pôle emploi conformes à la présente décision, sans assortir cette remise d’une astreinte.

– Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Les dispositions du jugement du 6 décembre 2019 condamnant la société [Localité 1] Distribution à payer à M. [V] une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et celles du jugement du 26 juin 2020 déboutant la société [Localité 1] Distribution de sa demande de frais irrépétibles et la condamnant aux dépens seront confirmées.

Il est justifié de faire partiellement droit à la demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile présentée en appel par M. [V] et de condamner la société [Localité 1] Distribution au paiement de la somme de 1 500 euros sur ce fondement.

La société [Localité 1] Distribution doit être déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et condamnée aux entiers dépens de la procédure d’appel.

***

PAR CES MOTIFS

La COUR,

Statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement et par mise à disposition au greffe,

REJETTE la fin de non-recevoir soulevée par la société [Localité 1] Distribution concernant la demande de dommages et intérêts présentée par M. [F] [V] au titre de l’utilisation de son nom sans son autorisation ;

CONFIRME le jugement mixte prononcé le 6 décembre 2019 par le conseil de prud’hommes d’Angers en sa formation de départage en toutes ses dispositions ;

CONFIRME le jugement prononcé le 26 juin 2020 par le conseil de prud’hommes d’Angers en sa formation de départage sauf en ce qu’il a rejeté les demandes présentées par M. [F] [V] au titre des heures supplémentaires et congés payés afférents et au titre de la contrepartie obligatoire de repos et congés payés afférents ;

Statuant à nouveau, du chef des dispositions infirmées, et y ajoutant :

CONDAMNE la société [Localité 1] Distribution à payer à M. [F] [V] les sommes suivantes :

– 10 810,04 euros brut au titre des heures supplémentaires réalisées en sus des heures contractuellement autorisées, outre la somme de 1081 euros brut au titre des congés payés afférents ;

– 5 707,87 euros au titre de l’indemnité pour la contrepartie obligatoire sous forme de repos et 570,79 euros brut à titre d’indemnité équivalente aux congés payés afférents ;

ORDONNE la remise par la société [Localité 1] Distribution d’un bulletin de salaire rectifié et d’une attestation destinée à Pôle emploi conformes à la présente décision, sans assortir cette remise d’une astreinte ;

CONDAMNE la société [Localité 1] Distribution à payer à M. [F] [V] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en appel ;

DÉBOUTE la société [Localité 1] Distribution, de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile présentée en appel ;

CONDAMNE la société [Localité 1] Distribution, aux entiers dépens de la procédure d’appel.

LE GREFFIER, P/ LE PRÉSIDENT empêché,

Viviane BODIN M-C. DELAUBIER

 


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x