COUR D’APPEL DE BORDEAUX
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 18 MAI 2022
N° RG 20/00823 – N° Portalis DBVJ-V-B7E-LOVS
Madame [N] [S]
c/
SCP BROUARD DAUDE
SA COFIDIS
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 16 décembre 2019 (R.G. 2019-2763) par le Tribunal de Commerce de PERIGUEUX suivant déclaration d’appel du 13 février 2020
APPELANTE :
Madame [N] [S], née le 07 Février 1958 à [Localité 2]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 4]
représentée par Maître Emmanuel BARAST de la SELARL GARONNE AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX et assistée par Maître Karine LEBOUCHER, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMÉES :
SCP BROUARD DAUDE, prise en sa qualité de mandataire liquidateur de la SARL VIVENCI ENERGIES, domiciliée en cette qualité au siège sis, [Adresse 1]
non représentée
SA COFIDIS, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 5]
représentée par Maître Pierre FONROUGE de la SELARL LEXAVOUE BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX et assistée par la SELARL HAUSSMANN-KAINIC-HASCOET, avocat au barreau de l’ESSONNE
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 23 mars 2022 en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Nathalie PIGNON, Président,
Madame Elisabeth FABRY, Conseiller,
Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
– réputé contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
EXPOSE DU LITIGE :
Selon contrat du 12 avril 2013 , Mme [S] a passé commande auprès de la société Vivenci Energies d’un ‘Pack écologique Vivenci’, c’est-à-dire de la fourniture et de l’installation de panneaux photovoltaiques destinés à la production d’électricité solaire et d’un chauffe-eau pour la somme de 24 900 euros TTC, installation financée intégralement au moyen d’un crédit affecté souscrit le même jour par Mme [S] auprès de la société Sofemo ( aux droits de laquelle vient la société Cofidis).
Elle a également conclu un contrat publicitaire.
Les panneaux photovoltaiques ont été posés le 12 juillet 2013.
Mme [S] a signé le 15 juillet 2013 un procès-verbal de réception conforme des travaux. La société de financement a alors débloqué les fonds empruntés qu’elle a versés à la société Vivenci Energies.
La société Vivenci Energies a été placée en liquidation judiciaire.
Mme [S] a formé une demande d’admission devant la commission de surendettement des particuliers de [Localité 3] qui a été déclarée recevable le 27 mai 2014. Un plan conventionnel a été mis en place en 2015.
Par courrier du 14 décembre 2017 adressé à la société Cofidis, Mme [S], qui se plaignait de nombreux manquements de la société Vivenci à ses obligations contractuelles, a demandé à la société de crédit d’annuler le contrat de financement et de lui rembourser les sommes qu’elle avait déjà versées.
Puis par acte du 6 juillet 2018, Mme [S] a fait assigner, la SCP Brouard Daude, en sa qualité de mandataire judiciaire de la société Vivenci Energies, et la société Cofidis devant le tribunal d’instance de Périgueux, qui par décision en date du 19 décembre 2018, s’est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Périgueux.
Mme [S] a interjeté appel de cette décision sur la compétence puis s’est désistée.
Par décision en date du 16 décembre 2019, le tribunal de commerce de Périgueux a :
– débouté Mme [S] de l’ensemble de ses demandes,
– condamné Mme [S] à poursuivre l’exécution du contrat de financement conclu avec la société Cofidis,
– condamné Mme [S] à verser à la société Cofidis la somme de 1200 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné Mme [S] aux dépens,
– taxé les frais du jugement à la somme de 121,87 euros TTC.
Par déclaration du 13 février 2020, Mme [S] a interjeté appel de cette décision énumérant expressément les chefs critiqués et intimant la SCP Brouard Daude, en sa qualité de mandataire judiciaire de la société Vivenci Energies et la société Cofidis.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 14 janvier 2022, auxquelles la cour se réfère expressément, Mme [S] demande à la cour de :
au visa des articles L. 121-21 s. et L. 311-20 s. et R.121-3 et suivants du Code de la Consommation (rédaction antérieure L. 17 mars 2014), et des articles 1134 et 1184 du Code civil (rédaction antérieure au 1er octobre 2016),
– réformer le jugement rendu le 16 décembre 2019 par le tribunal de commerce de Périgueux en toutes ses dispositions et statuant à nouveau :
– principalement sur la nullité des contrats :
* ordonner la nullité du contrat de vente conclu entre Vivenci Energies et Madame [S] au titre de la violation des lois régissant le démarchage à domicile.
* ordonner la nullité consécutive du contrat de prêt affecté conclu entre Madame [S] et Cofidis,
– subsidiairement sur la résolution des contrats :
* ordonner la résolution du contrat de vente conclu entre Vivenci Energies et Madame [S] au titre de l’inexécution contractuelle imputable à Vivenci Energies,
* ordonner la résolution consécutive du contrat de prêt affecté conclu entre Madame [S] et Cofidis.
– sur les conséquences au titre des restitutions et en toutes hypothèses :
*en conséquence Cofidis à restituer toutes sommes d’ores et déjà versées par Madame [S] au titre de l’emprunt souscrit, soit 11.496,52 euros, somme à parfaire au jour de l’arrêt à intervenir et selon les échéances qui seront versées postérieurement
*dire et juger que Cofidis fera son affaire du remboursement du capital directement entre les mains de la société Vivenci Energies, prise en la personne de son liquidateur.
constater les fautes imputables à Cofidis.
*priver Cofidis de fait de tout droit à remboursement contre Madame [S] s’agissant du capital, des frais et accessoires versés entre les mains de la société Vivenci Energies,
* condamner Cofidis à prendre en charge le coût des travaux de dépose des panneaux photovoltaïques et du chauffe-eau thermodynamique, et de remise en état des existants selon les devis produits.
* condamner Cofidis à payer à Madame [S] la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile, outre le paiement des entiers dépens.
*débouter Cofidis de toutes demandes, fins et conclusions dirigées contre Madame [S]
* dire qu’à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par la présente décision et qu’en cas d’exécution par voie extrajudiciaire les sommes retenues par l’huissier instrumentaire, en application des dispositions de l’article 10 du décret du 8 mars 2001, portant modification du décret du 12 décembre 1996, devront être supportées par les parties succombantes, en sus de l’indemnité mise à sa charge sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– à titre infiniment subsidiaire, en cas de défaut de condamnation de Cofidis :
* fixer la créance de Madame [S] au passif de la société Vivenci Energies à la somme de 24.900 euros correspondant au coût du contrat, outre le cout de dépose du matériel et de remise en état des existants.
Mme [S] soutient qu’il convient de distinguer la compétence territoriale et le droit applicable; qu’elle n’est pas une commerçante; que le code de commerce ne s’applique pas à elle; qu’elle est une consommatrice au sens du code de la consommation ‘peu importe la commercialité de l’opération’.
A titre principal, elle demande à la cour de prononcer la nullité du contrat principal qu’elle a conclu avec la société Vivenci Energies en raison de la violation des mentions obligatoires devant figurer dans le bon de commande ( L 121-23 du code de commerce) et de la violation des règles afférentes au droit de repentir ( article L 121-24 du code de commerce).
A titre subsidiaire, Mme [S] sollicite la résolution du contrat principal, arguant d’une inexécution par la société Vivenci Energie de son obligation principale puisque l’installation électrique ne produit pas selon elle la quantité d’électricité promise contractuellement; qu’en outre, l’installation est défectueuse puisqu’elle subit des infiltrations et des disjonctions par temps pluvieux; que l’entreprise enfin n’était pas couverte par une assurance responsabilité civile décennale.
En tout état de cause, Mme [S] demande à la cour de prononcer la nullité ou la résolution subséquente du crédit affecté sur le fondement de l’article L 311-32 du code de la consommation.
L’appelante soutient que la société de crédit à la consommation a commis de multiples fautes qui la prive de son droit à restitution du capital :
– dans le déblocage des fonds avant l’émission de la facture, sans l’en informer au préalable, et alors que l’installation n’était ni achevée ni raccordée ni validée par le consuel,
– dans le contrôle du contrat principal dont elle aurait dû s’assurer de la régularité formelle ( pas d’indication de prix unitaire, pas d’indication de délai d’exécution, pas de détail des caractéristiques techniques,
– dans le choix du crédit proposé, la pose d’une installation photovoltaïque relevant du crédit immobilier et non du crédit à la consommation, et donc d’un taux d’intérêt moindre,
– en s’abstenant d’informer et de mettre en garde sa cliente ( article L 111-48 du code de la consommation), et de vérifier sa solvabilité,
– en n’étant pas vigilant dans le choix de son partenaire commercial.
Aux termes de ses dernières conclusions récapitulatives notifiées par RPVA le 17 juillet 2020, la société Cofidis demande à la cour de :
– voir dire et juger Madame [N] [S] irrecevable et subsidiairement mal fondée en ses demandes, fins et conclusions et l’en débouter,
– voir dire et juger la Société Cofidis recevable et bien fondée en ses demandes, fins et conclusions,
Y faisant droit,
– confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,
– à titre subsidiaire,
si la Cour venait à prononcer la nullité ou la résolution des conventions pour quelque cause que ce soit,
– condamner Madame [N] [S] à rembourser à la société Cofidis le capital emprunté d’un montant de 24 900 euros au taux légal à compter de l’arrêt à intervenir, déduction à faire des échéances payées,
– en tout état de cause,
– condamner Madame [N] [S] à payer à la société Cofidis une indemnité d’un montant de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Madame [N] [S] aux entiers qui pourront être directement recouvrés par l’avocat soussigné par application de l’article 699 du code de procédure civile.
La société Cofidis soutient que la qualification d’acte de commerce exclut l’application des règles du code de la consommation; que l’article L 311-1 du code de la consommation donne compétence exclusive au tribunal d’instance pour appliquer les dispositions du code de la consommation; que les dispositions de l’article L 311-32 du code de la consommation aux termes duquel la nullité du contrat principal entraîne la nullité du contrat affecté ne sont donc pas applicables.
La société de financement soutient qu’elle n’a commis aucune faute:
– lors de la libération des fonds, Mme [S] ayant signé et rédigé de manière manuscrite une attestation de livraison et aucune obligation de vérification de la mise en service effective de l’installation ne pesant sur elle,
– en ne vérifiant pas la régularité du bon de commande, aucune mention spécifique n’étant prévue en droit commercial,
– en ne lui proposant pas un prêt immobilier puisqu’il s’agit d’une opération commerciale,
– en ne respectant pas son devoir de mise en garde qui n’existe pas envers le débiteur en matière commerciale.
Elle soutient enfin que l’appelante ne justifie pas d’un préjudice de nature à la priver de la restitution des fonds prêtés.
La SCP Brouard Daude, en sa qualité de mandataire judiciaire de la société Vivenci Energies n’a pas constitué avocat. Les conclusions d’appel lui ont été signifiées le 5 août 2020.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 31 janvier 2022 et le dossier a été fixé à l’audience du 23 mars 2022.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.
MOTIFS :
I- sur la demande principale en annulation du contrat principal et du contrat affecté :
L’appelante sollicite à titre principal que la cour ordonne la nullité du contrat de vente qu’elle a conclu avec Vivenci Energies ‘au titre de la violation des lois régissant le démarchage à domicile’ et ordonne la nullité consécutive du contrat de prêt affecté qu’elle a conclu avec la société Cofidis.
Le tribunal d’instance de Libourne dans sa décision en date du 19 décembre 2018 a qualifié le contrat conclu entre Mme [S] et la société Vivenci d’acte de commerce.
Cette décision est définitive, Mme [S] s’étant désistée de son appel.
L’appelante ne remet pas en cause cette qualification mais indique :
– qu’il s’agit d’un acte de commerce par la forme qui n’exclut pas l’application des dispositions du code de la consommation,
– que la compétence territoriale est à distinguer du droit applicable,
– que Mme [S] n’est pas une commerçante mais une consommatrice.
Il ne ressort nullement de la motivation de la décision du tribunal d’instance que celle-ci ait retenu la qualification d’acte de commerce par la forme. Au contraire, l’acte a été qualifié d’acte de commerce en raison de la nature de l’opération conclue ( production pour revente). Il ne relève en tout état de cause pas des actes de commerce par la forme.
S’agissant de la question de la distinction entre le droit applicable et la compétence territoriale, il convient de relever que la compétence territoriale des juridictions de [Localité 3] n’a jamais fait l’objet de contestation, le débat portant sur la compétence matérielle du tribunal d’instance ou du tribunal de commerce.
L’appelante soutient que le tribunal de commerce est compétent pour appliquer aux crédits affectés soumis à son appréciation les dispositions du code de commerce.
Or, seul le tribunal d’instance, et depuis le 1er janvier 2020 le juge du contentieux de la protection, est compétent pour connaître des actions relatives à l’application du chapitre II du titre Ier du livre III du code de la consommation (article L 213-4-5 du code de l’organisation judiciaire) relatif aux crédits à la consommation d’un montant inférieur à 75 000 euros.
Dès lors, la demande de l’appelante visant à se voir reconnaître la qualité de consommateur et à se voir appliquer les dispositions du code de la consommation revient à solliciter l’infirmation du jugement devenu définitif ayant jugé que l’appréciation de ce litige ne relevait pas de la compétence du tribunal d’instance.
Le tribunal de commerce a pu ainsi à bon droit rejeter les demandes formées sur le fondement des dispositions du code de la consommation relatives au crédit à la consommation.
Le jugement de première instance sera ainsi confirmé en ce qu’il a rejeté la demande en annulation des contrats.
II- sur la demande subsidiaire en résolution du contrat principal et du crédit affecté :
L’appelante sollicite à titre subsidiaire que la cour ordonne la résolution du contrat de vente qu’elle a conclu avec Vivenci Energies en raison des inexécutions contractuelles imputables à celle-ci et ordonne la résolution consécutive du contrat de prêt affecté qu’elle a conclu avec Cofidis.
1) sur la résolution du contrat principal :
* sur l’absence de respect de la promesse de rendement :
Mme [S] reproche à la société Vivenci Energies de ne pas avoir rempli ses promesses en termes de rendement de l’installation.
Or, le contrat, qui ne fait état que d’une production annuelle ‘estimée’ , ne contient aucun engagement contractuel sur un rendement minimal.
Il est acquis en outre que les panneaux ont fonctionné les deux premières années, même si la rentabilité était moindre que celle attendue par Mme [S].
Dès lors, la demande de résolution du contrat sur le fondement d’une absence de rendement suffisant ne peut aboutir.
* sur l’absence d’assurance décennale :
L’absence de souscription d’une assurance obligatoire peut justifier l’octroi de dommages et intérêts au maître de l’ouvrage qui perd ainsi une chance de se faire indemniser dans l’hypothèse où des désordres de nature décennale apparaîtraient pendant le délai d’épreuve.
Elle ne justifie pas une résolution du contrat de vente de biens et services.
La demande de résolution ne peut aboutir sur ce fondement.
* sur les dysfonctionnements de l’installation :
Mme [S] établit que son installation photovoltaïque a rapidement connu des dysfonctionnements. Les quelques pièces qu’elle produit ne permettent pas de déterminer l’imputabilité des désordres et d’en établir la gravité.
En tout état de cause, la réparation des désordres affectant l’ouvrage relève des différentes garanties légales et contractuelles.
La demande visant à voir prononcer la résiliation du contrat principal sera rejetée.
2) sur la demande en résolution du contrat de crédit affecté :
La demande en résolution du contrat principal ayant été rejetée, la demande en résolution ‘subséquente’ du contrat de crédit affecté sera rejetée.
L’appelante reproche en outre à la société Cofidis des manquements à ses propres obligations contractuelles mais ne sollicite pas la résolution du contrat la liant à la société de financement de ces chefs, ces moyens n’étant développés qu’au soutien de sa demande visant à voir juger qu’elle ne serait pas tenue à remboursement du capital en cas de résolution du contrat de financement.
La décision de première instance sera ainsi intégralement confirmée/
III- sur les autres demandes :
Il n’y a pas lieu de prononcer de condamnation au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Mme [S] sera condamnée aux dépens d’appel dont distraction au profit de la Selarl Hausmann Kainic Hascoet Hélain.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par décision réputée contradictoire et en dernier ressort
Confirme intégralement la décision rendue par le tribunal de commerce de Périgueux le 16 décembre 2019,
y ajoutant
Déboute la société Cofidis de sa demande d’indemnité de procédure,
Condamne Mme [S] aux dépens d’appel dont distraction au profit de la Selarl Hausmann Kainic Hascoet Hélain.
Le présent arrêt a été signé par Mme Pignon, présidente, et par M. Goudot, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.