ARRÊT DU
17 Février 2023
N° 305/23
N° RG 21/00016 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TLQT
LB/CH
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LILLE
en date du
26 Novembre 2020
(RG 18/00417 -section )
GROSSE :
aux avocats
le 17 Février 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANT :
M. [E] [F]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par Me Alexandre DEMEYERE, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉE :
SAS DEPANNAGE [H]
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Marie-Hélène LAURENT, avocat au barreau de DOUAI, assisté de Me Laurence MASCART-DUSART
DÉBATS : à l’audience publique du 08 Décembre 2022
Tenue par Virginie CLAVERT
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Valérie DOIZE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Pierre NOUBEL
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Virginie CLAVERT
: CONSEILLER
Laure BERNARD
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 17 Février 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Pierre NOUBEL, Président et par Nadine BERLY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 17 novembre 2022
EXPOSE DU LITIGE
La société Dépannage [H] exerce une activité de dépannage et de remorquage de véhicules accidentés ou en panne’; elle est soumise à la convention collective de l’automobile.
M. [E] [F] a été engagé par contrat de travail à durée déterminée du 29’septembre’2014 au 31’janvier’2015 en qualité de mécanicien dépanneur auto. La relation de travail s’est poursuivie à durée indéterminée sans signature d’un nouveau contrat écrit.
Par courrier du 4’octobre’2017, M. [E] [F] s’est vu notifier une mise à pied à titre conservatoire’; par courrier du 5’octobre’2017, il a été convoqué à un entretien préalable fixé le 13’octobre’2017′; il a été licencié par courrier en date du 23’octobre’2017 rédigé en ces termes :
«A la suite de notre entretien du 13 octobre 2017, je vous informe que j’ai décidé de procéder à votre licenciement pour faute grave à raison des faits suivants’:
J’ai récemment découvert que vous avez détourné à votre profit et utilisé à mon insu, un véhicule confié par une cliente pour destruction. J’ai effectivement reçu un avis de contravention pour un véhicule CHRYSLER de modèle Voyager, immatriculé [Immatriculation 6], dont j’ignorais l’existence.
Il s’agit d’un excès de vitesse commis sur l’autoroute A25, dans le sens [Localité 5] vers [Localité 7], le 15 juillet 2017 à 3h21. Je vous ai à ce moment-là interrogé par téléphone pour savoir ce qu’il en était et vous m’avez prétendu avoir racheté la voiture à un client sans autre précision.
J’ai ensuite reçu un appel téléphonique de Monsieur [R] qui m’a précisé avoir reçu un avis de contravention pour ces mêmes faits et transmis mes coordonnées au service des contraventions considérant à tort que ce véhicule m’appartenait.
Il m’a expliqué être tombé en panne le 29 ou 30 mai 2017 sur l’autoroute et avoir fait appel aux services de police pour faire enlever son véhicule.
Le garage a été contacté dans la mesure où nous étions de permanence et vous êtes intervenu sur place.
Monsieur [R] et sa compagne, Madame [K], propriétaire du véhicule, vous ont confié la voiture afin que nous nous chargions de sa destruction.
A mon retour de congés le 21 août 2017, j’ai constaté avec étonnement que vous aviez redéposé le véhicule au garage.
J’ai découvert par ailleurs que vous aviez signé une déclaration de cession du véhicule pour destruction le 30 mai 2017 avec Madame [K].
Ce véhicule est désormais à mon nom alors que vous ne m’avez absolument pas informé de ces démarches.
Ainsi, vous avez’:
– détourné le véhicule à votre profit pour votre usage personnel,
– signé la déclaration de cession du véhicule pour le compte de la société Dépannage [H] sans m’en informer, usurpant ainsi mon identité,
– circulé avec ce véhicule mis à mon nom sans que ne soient mises en place des dispositions élémentaires, dont l’assurance,
– commis un délit au volant de ce véhicule m’exposant à en assumer les conséquences pénales.
Votre comportement gravement fautif et déloyal est de nature à mettre la société sérieusement en difficulté.
Il l’est d’autant plus que vous n’ignorez pas que le garage est agréé par les Préfectures pour faire les dépannages dans le secteur, ce qui implique une collaboration étroite et une confiance totale avec les Services de Police.
Monsieur [R], compagnon de Madame [K], est lui-même Officier de police.
La crédibilité de notre établissement est sérieusement mise à mal face à de tels faits de nature à mettre sérieusement en doute notre honnêteté.
Lors de notre entretien du 13 octobre dernier, vous avez reconnu les faits.
Compte tenu de leur gravité, votre maintien même temporaire dans l’entreprise s’avère impossible : le licenciement prend donc effet immédiatement, à la date de la présente, sans indemnités de préavis ni de licenciement.»
Le 17’avril’2018, M. [E] [F] a saisi le conseil de prud’hommes de Lille aux fins de contester le bien fondé de son licenciement, d’obtenir la condamnation de son employeur à lui payer les indemnités afférentes ainsi qu’un rappel de salaire correspondant à la période de mise à pied, un rappel d’heures supplémentaires, un rappel de majoration pour travail de nuit, des primes de panier, une indemnité pour non-information et non-respect des repos compensateur, une indemnité au titre du préjudice subi du fait de l’absence de prise en compte des unités de valeur, une indemnisation forfaitaire pour travail dissimulé ainsi qu’une indemnité procédurale.
Par jugement rendu le 26’novembre’2020, la juridiction prud’homale a’:
– dit le licenciement de M. [E] [F] pour faute grave justifié,
– débouté M. [E] [F] de l’ensemble de ses demandes,
– condamné M. [E] [F] à payer à la société Dépannage [H] 1 000’euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– laissé aux parties la charge de leurs dépens.
M. [E] [F] a régulièrement interjeté appel contre ce jugement par déclaration du 31’décembre’2020.
Aux termes de ses conclusions transmises par RPVA le 26’mars’2021, M. [E] [F] demande à la cour, sur le fondement des articles L.1235-3 et suivants du code du travail, de’:
– infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
– dire que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse,
– condamner la société Dépannage [H] à lui payer’:
– 6’954,58’euros avec intérêts légaux au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre 695,45’euros avec intérêts légaux au titre des congés payés afférents au préavis,
– 1’568’euros à titre de la mise à pied, outre 156,80’euros à titre de rappel de congés payés afférents,
– 2’810’euros au titre de l’indemnité de licenciement,
– 13’909 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par le licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 19’565,06’euros à titre de rappel d’heures supplémentaires, outre 1’956,50’euros au titre des congés payés afférents,
– 654,03’euros à titre de majoration pour travail de nuit, outre 65,40 euros au titre des congés payés afférents,
– 720,18’euros au titre des indemnités de panier prévues par la convention collective en cas de travail de nuit,
– 5’870,96’euros à titre d’indemnité pour non information et non-respect des repos compensateurs (dépassement quota 220 h), outre 587,09’euros au titre des congés payés afférents,
– 10’302,89’euros au titre du préjudice subi du fait de l’absence de prise en compte des unités de valeur,
– 20’863’euros au titre d’indemnisation forfaitaire pour travail dissimulé,
– 2’000’euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonner la remise d’un bulletin de paie rectificatif et d’une attestation pôle emploi rectifiée reprenant l’ensemble des condamnations sous astreinte de 50 euros par jours de retard à compter de la notification de la décision,
– ordonner l’exécution provisoire de l’ensemble des condamnations.
Aux termes de ses conclusions transmises par RPVA le 27’septembre’2021, la société Dépannage [H] demande à la cour de’:
– confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
– débouter M. [E] [F] de l’ensemble de ses demandes,
– condamner M. [E] [F] à lui payer 4 000’euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [E] [F] aux entiers dépens.
Pour un exposé complet des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites transmises par RPVA en application de l’article 455 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 17’novembre’2022.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur les demandes relatives à l’exécution du contrat de travail
– Sur le rappel de salaire sur heures supplémentaires
M. [E] [F] revendique l’exécution d’heures supplémentaires non réglées à hauteur de 19 565,06’euros. Il fait valoir que toutes les heures supplémentaires devaient lui être réglées, la convention collective applicable ne prévoyant pas système de récupération de ces heures.
La société Dépannage [H] conteste la réalisation d’heures supplémentaires non réglées; elle fait valoir que les heures supplémentaires ont toutes étaient soit réglées, soit récupérées.
Sur ce,
Aux termes de l’article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail effectuées, l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié’; le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Si la preuve des horaires de travail effectués n’incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l’employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande par la production d’éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l’employeur de répondre en fournissant ses propres éléments.
A l’appui de sa demande de rappel de salaire sur heures supplémentaires M. [E] [F] produits les éléments suivants :
– un tableau sur lequel figure les heures supplémentaires qu’il dit avoir réalisées, totalisées par semaine,
– ses bulletins de paie entre le mois de décembre 2016 et le mois de septembre 2017,
– ses relevés d’intervention de dépannage sur la période concernée,
– une attestation d’un des ses anciens collègues M. [O] dans laquelle celui-ci indique qu’il travaillait l’autorité de M. [E] [F], qui effectuait toutes les taches administratives, ainsi que les dépannages le soir et le week-end,
– un courrier qu’il a envoyé à son employeur le 27 juin 2017 dans lequel il évoque un horaire mensuel de 180 heures et sollicite une revalorisation de son salaire et un véhicule de fonctions au regard du temps et de l’énergie consacrés à l’entreprise,
– des attestations de ses proches (mère, frère, amis) qui relatent qu’il était accaparé par son travail et devait parfois gérer des problèmes professionnels durant ses congés.
Ainsi, les éléments apportés par le salarié sont suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre.
La société [H] Dépannage souligne que de nombreuses heures supplémentaires ont été réglées à M. [E] [F]. De fait, les bulletins de paie produits font apparaître le paiement d’heures supplémentaires (de 15 à 24 heures par mois).
Il doit être relevé que l’analyse des relevés d’intervention de dépannage de M. [E] [F] ne permet pas de retenir la réalisation d’heures supplémentaires non réglées qu’il revendique, le total des heures cumulées étant inférieur chaque mois à 151,67 heures ; ces relevés ne peuvent être utilement comparés au tableau établi par M. [E] [F], trop imprécis, ni aux bulletins de paie de l’intéressé sur lesquels figurent des heures supplémentaires réglées.
Il résulte ainsi des éléments apportés par chacune des parties que l’existence d’heures supplémentaires non payées n’est pas établie. M. [E] [F] doit dès lors être débouté de sa demande au titre du rappel salaire sur heures supplémentaires, le jugement déféré étant confirmé sur ce point.
– Sur les majorations pour heures de nuit et les primes de panier
M. [E] [F] justifie par la production de ses relevés d’intervention de dépannage qu’il effectuait ponctuellement des heures de nuit ; or, ses bulletins de paie ne font apparaître aucune majoration pour heures de nuit. Il est donc bien fondé à obtenir la somme de 654,03’euros à titre de majoration pour travail de nuit, outre 65,40 euros au titre des congés payés afférents, le jugement entrepris étant infirmé sur ce point.
S’agissant de la prime de panier afférente, les relevés des interventions de dépannage de M. [E] [F] font apparaître que celles-ci ne dépassait pas deux heures ; or, M. [E] [F] ne démontre pas avoir cumulé deux interventions la même nuit. Dès lors, la prime de panier, qui n’est prévue que pour le cas où le salarié travaille au moins deux heures en horaire de nuit (22 heures-7 heures) n’est pas due.
– Sur l’indemnité pour non-information et non-respect des repos compensateurs
Faute de réalisation d’heures supplémentaires au-delà du contingent annuel, M. [E] [F] sera débouté de sa demande d’indemnité pour non-information et non-respect du droit à repos compensateur, le jugement entrepris étant confirmé sur ce point.
– Sur l’indemnité pour travail dissimulé
Aucune heure supplémentaire n’ayant été dissimulée par l’employeur, et faute pour M. [E] [F] de démontrer le caractère intentionnel du défaut de déclaration des heures de nuit majorées, aucun travail dissimulé n’est caractérisé.
C’est donc de manière justifiée que le conseil de prud’hommes a débouté M. [E] [F] de sa demande d’indemnisation à ce titre.
Sur les demandes relatives à la rupture du contrat de travail
– Sur le bien fondé du licencenciement
M. [E] [F] conteste la matérialité des faits reprochés par son employeur ; il fait valoir que son licenciement est en réalité lié aux revendications salariales qu’il a présentées par courrier du 27 juin 2017. Il expose qu’il a bien utilisé le véhicule Chrysler Voyager immatriculé [Immatriculation 6] cédé par Mme [K] pour destruction, mais qu’il bénéficiait de l’autorisation verbale de M [H], son supérieur ; qu’il avait pour habitude de signer les documents au nom de la société, pour laquelle il effectuait de nombreuses taches administratives, et qu’il signait notamment régulièrement des certificats de cession pour des véhicules destinés à la destruction.
La société Dépannage [H] soutient que les faits reprochés sont établis et que M. [H], représentant de la société, n’a jamais autorisé M. [E] [F] à utiliser un véhicule destiné à la destruction, n’ayant eu connaissance de l’acte de cession de ce véhicule qu’après la réception du procès-verbal de contravention daté du 11 août 2017 ; que la faute établie à l’encontre de M. [E] [F] présente un caractère de gravité en ce qu’elle a nuit à l’image de la société, qui travaille régulièrement avec les services de police et de gendarmerie.
Sur ce,
Aux termes de l’article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel est motivé dans les conditions définies par le présent chapitre.
Il est justifié par une cause réelle et sérieuse.
Pour que le licenciement disciplinaire soit justifié, l’existence d’une faute avérée et imputable au salarié doit être caractérisée.
La faute grave s’entend d’une faute d’une particulière gravité ayant pour conséquence d’interdire le maintien du salarié dans l’entreprise.
Devant le juge saisi d’un litige dont la lettre de licenciement fixe les limites, il incombe à l’employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d’une part, d’établir l’exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d’autre part, de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l’entreprise pendant la durée limitée du préavis. Les faits invoqués doivent être matériellement vérifiables.
Enfin, la sanction doit être proportionnée à la faute et tenir compte du contexte dans lequel les faits ont été commis, de l’ancienneté du salarié et des conséquences des agissements incriminés.
En l’espèce, M. [E] [F], employé comme mécanicien dépanneur automobile depuis 2014, a été licencié pour faute grave le 23 octobre 2017 pour avoir :
– détourné le véhicule Chrysler Voyager immatriculé [Immatriculation 6] cédé par Mme [K] pour son usage personnel,
– signé la déclaration de cession de ce véhicule pour le compte de la société [H] sans informer M. [H], usurpant son identité,
– circulé avec ce véhicule mis au nom de M. [H], sans mettre en place des dispositions élémentaires, dont l’assurance,
– commis un délit au volant de ce véhicule, exposant M. [H] à en assumer les conséquences pénales.
Le 11 août 2017, M. [H], représentant de la société Dépannage [H], a été destinataire d’un avis de contravention pour un excès de vitesse commis le 15 juillet 2017 au volant d’un véhicule Chrysler Voyager immatriculé [Immatriculation 6].
Le 23 août 2017, Mme [K], ancienne propriétaire de ce véhicule et également destinataire de cette contravention, a déposé plainte, indiquant qu’elle avait cédé ce véhicule pour destruction à la société Dépannage [H], après avoir été dépannée le 30 mai 2017 par M. [E] [F].
Entendu par les services de police le 23 août 2017, M. [H] a indiqué avoir reçu la contravention litigieuse, et avoir interrogé son salarié M. [E] [F] à ce sujet, qui lui répondu qu’il s’agissait d’un véhicule prêté et qu’il paierait la contravention ; il a précisé avoir été par la suite contacté par M. [R], compagnon de Mme [K], qui lui a alors communiqué le certificat de cession de véhicule aux fins de destruction établi au profit de la société Dépannage [H].
Le 11 septembre 2017, M. [H] a déposé plainte contre M. [E] [F] pour usurpation d’identité.
Il est également versé aux débats :
– le certificat de cession litigieux mentionnant le véhicule par Mme [K] est cédé à la société Dépannage [H] aux fins de destruction,
– un échange de courriels entre M. [R] et M. [E] [F], dans lequel ce dernier s’excuse pour la contravention,
– une attestation d’assurance du véhicule à compter du 30 mai 2017 au nom et à l’adresse de M. [E] [F] (et non de la société),
– une attestation de M. [B], collaborateur de la société Dépannage [H], qui indique n’avoir jamais remarqué de véhicule Chrysler Voyager immatriculé [Immatriculation 6] dans le parc automobile de l’entreprise.
Ainsi, la preuve du détournement par M. [E] [F] à des fins personnelles d’un véhicule cédé par un client aux fins de destruction et à l’insu de son supérieur est établie. Ce comportement, de nature à porter atteinte à la confiance des clients et au crédit de la société justifiait que M. [E] [F] soit licencié.
Cependant, la faute grave étant celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée du préavis, la mise en oeuvre de la procédure de licenciement doit intervenir dans un délai restreint après que l’employeur a eu connaissance des faits fautifs allégués et dès lors qu’aucune vérification n’est nécessaire.
Or, il ressort de l’audition de M. [H] que dès le 23 août 2017, il avait connaissance des agissements fautifs de son salarié, puisqu’il avait reçu la contravention et le certificat de cession signé par Mme [K].
Le départ en congé de M. [H] n’exonérait pas la société de son obligation de mener la procédure de licenciement avec célérité, si elle entendait se prévaloir de la gravité de la faute imputable à son salarié.
Or, ce n’est que le 23 octobre 2017, soit deux mois après sa connaissance des faits, que la société Dépannage [H] a licencié M. [E] [F] pour faute grave, sans qu’il soit démontré que des vérifications étaient nécessaires.
Il y a donc lieu de retenir que cette longueur de la procédure, incompatible avec la qualification de faute grave retenue par l’employeur, prive celui-ci de la possibilité de se prévaloir des conséquences de la gravité de la faute invoquée, de sorte que le licenciement doit être requalifié en licenciement pour cause réelle et sérieuse. Le jugement de première instance sera donc infirmé en ce sens.
– Sur les conséquences du licenciement
Le licenciement de M. [E] [F] étant fondé sur une cause réelle et sérieuse, c’est à juste titre que celui-ci a été débouté de sa demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Compte tenu de la requalification du licenciement, M. [E] [F] est toutefois fondé à obtenir 6’954,58’euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 695,45’euros au titre des congés payés afférents, 1’568’euros au titre de la mise à pied,
outre 156,80’euros à titre de rappel de congés payés afférents et 2’810’euros au titre de l’indemnité de licenciement. Le jugement de première instance sera infirmé en ce sens.
Sur la demande d’indemnisation tenant à l’absence de prise en compte des unités de valeur par Pôle Emploi
M. [E] [F] soutient que le fait d’avoir été rémunéré partiellement en unités de valeur l’a privé de la possibilité d’obtenir une indemnisation par Pôle Emploi à hauteur de sa rémunération antérieure réelle.
La société Dépannage [H] répond qu’elle n’est pas responsable du fait que Pôle Emploi a refusé de prendre en compte les sommes perçues par M. [E] [F] sous la qualification d’unité de valeur.
M. [E] [F] justifie avoir reçu de Pôle Emploi un courrier daté du 1er décembre 2017 dans lequel il lui est indiqué qu’il est impossible de prendre en compte les unités de valeur qui figurent sur ses bulletins de paie pour calculer ses droits, dans la mesure où il n’est pas possible de déterminer la nature et la périodicité des sommes perçues à ce titre, malgré un contact auprès de son ancien employeur.
Or, la lecture des bulletins de paie de l’appelant fait apparaître qu’une large part de sa rémunération était représentée par des unités de valeur, dont le montant variait chaque mois, en fonction du nombre de véhicule dépannés.
Ce système de rémunération par unités de valeur ne figure ni dans le contrat de travail de M. [E] [F] (aucun contrat de travail n’a été signé à la fin de son dernier contrat à durée indéterminée) ni dans la convention collective applicable.
L’employeur n’a en outre pas été en mesure d’expliquer à Pôle Emploi la nature et la périodicité de ces sommes.
En optant pour ce mode de rémunération sui generis pour son salarié, la société Dépannage [H] l’a en partie privé de la protection dont bénéficie tout salarié en cas de perte d’emploi.
Dans ces conditions, il doit être retenu un manquement imputable à l’employeur à l’origine d’un préjudice pour son salarié, qui doit être évalué, au regard des sommes versées par Pôle Emploi (dont le montant est dégressif dans le temps) et de la durée d’indemnisation à la somme de 6 000 euros.
La société Dépannage [H] sera en conséquence condamnée à payer cette somme à son salarié à titre d’indemnisation, le jugement du conseil de prud’hommes étant infirmé en ce sens.
Sur la communication de documents
Il sera enjoint à l’employeur de communiquer à son ancien salarié un bulletin de paie et une attestation Pôle Emploi rectifiés, sans qu’il soit nécessaire, en l’état, d’assortir cette obligation d’une astreinte.
Sur les dépens et l’indemnité de procédure
Le jugement de première instance sera infirmé concernant le sort des dépens et l’indemnité de procédure.
La société Dépannage [H] sera condamnée aux dépens, ainsi qu’à payer à M. [E] [F] la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
INFIRME le jugement rendu le 26’novembre’2020 par le conseil de prud’hommes de Lille sauf en ce qu’il a :
– débouté M. [E] [F] de sa demande de rappel de salaire sur heures supplémentaires et au titre des congés payés afférents,
– débouté M. [E] [F] de sa demande d’indemnisation pour non-information et non-respect du droit à repos compensateur,
– débouté M. [E] [F] de sa demande de prime de panier, et au titre des congés payés afférents,
– débouté M. [E] [F] de sa demande d’indemnité pour travail dissimulé,
– débouté M. [E] [F] de sa demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Statuant à nouveau,
DIT que le licenciement de M. [E] [F] est fondé sur une cause réelle et sérieuse ;
CONDAMNE la SAS Dépannage [H] à payer à M. [E] [F] :
– 654,03’euros à titre de majoration pour travail de nuit, outre 65,40 euros au titre des congés payés afférents,
– 6’954,58’euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 695,45’euros au titre des congés payés afférents,
– 1’568’euros au titre de la mise à pied, outre 156,80’euros à titre de congés payés afférents,
– 2’810’euros au titre de l’indemnité de licenciement,
– 6 000 euros à titre de dommages et intérêts en raison de l’impossibilité de prendre en compte les unités de valeur perçues dans le calcul de ses droits à indemnisation chômage;
ENJOINT à la SAS Dépannage [H] de communiquer à M. [E] [F] un bulletin de paie et une attestation Pôle Emploi rectifiés ;
CONDAMNE la SAS Dépannage [H] aux dépens ;
CONDAMNE la SAS Dépannage [H] à payer à M. [E] [F] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER
Nadine BERLY
LE PRESIDENT
Pierre NOUBEL