ARRET
N°60
S.A.S. [12]
C/
[8]
CRAMIF
COUR D’APPEL D’AMIENS
TARIFICATION
ARRET DU 17 FEVRIER 2023
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N° RG 21/05278 – N° Portalis DBV4-V-B7F-IINY
PARTIES EN CAUSE :
DEMANDEUR
La société [12] (SAS), agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
(AT: M. [J] [D])
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée et plaidant par Me Michël RUIMY avocat au barreau de LYON substituant Me Julien TSOUDEROS, avocat au barreau de PARIS
ET :
DÉFENDERESSE ( RG : 21/05278)
La [8], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 6]
[Localité 3]
Représentée et plaidant par Mme [K] [M] dûment mandatée
DÉFENDERESSE ( RG : 22/00533)
La [10], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée et plaidant par Mme [K] [M] dûment mandatée
DÉBATS :
A l’audience publique du 18 Novembre 2022, devant Monsieur Renaud DELOFFRE, Président assisté de Monsieur [G] [I] et Monsieur [B] [W], assesseurs, nommés par ordonnances rendues par Madame la Première Présidente de la Cour d’appel d’Amiens les 03 mars 2022, 07 mars 2022, 30 mars 2022 et 27 avril 2022.
Monsieur [A] [O] a avisé les parties que l’arrêt sera prononcé le 17 Février 2023 par mise à disposition au greffe de la copie dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme Mélanie MAUCLERE
PRONONCÉ :
Le 17 Février 2023, l’arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Monsieur Renaud DELOFFRE, Président et Mme Marie-Estelle CHAPON, Greffier.
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DECISION
Monsieur [N] [Y], employé par la Société [12], entreprise de travail temporaire, a été mis à disposition de la Société [13], entreprise utilisatrice, en tant qu’ouvrier en bâtiment, par un contrat de mission du 30 septembre 2019, prolongé au 30 juin 2020.
Le 6 juin 2020, Monsieur [Y] a été victime d’un accident de travail.
En procédant à l’ouverture du vestiaire de Monsieur [Y], il a été constaté que les effets personnels de la victime ne correspondaient pas à Monsieur [Y], mais à un certain Monsieur [J] [D].
La société [12] ne procédait donc pas à une déclaration d’accident du travail, Monsieur [D] n’étant pas employé par la Société [12].
Le 25 septembre 2020, Monsieur [J] [D] procédait à une déclaration d’accident du travail, indiquant que son employeur était la Société [12].
Après instruction, le 30 décembre 2020, la [7] a notifié à la société [12] sa décision de prise en charge de l’accident de Monsieur [D] du 6 juin 2020 au titre des risques professionnels .
Les incidences financières de l’accident du travail du 6 juin 2020 de Monsieur [D] ont été inscrites au compte employeur de la société [12].
Par lettre du 5 novembre 2021, la Société [12] contestait, devant la [10], l’imputation sur son compte employeur, des frais liés l’accident du travail de Monsieur [D].
Par courrier du 22 décembre 2021, la [10] accusait réception dudit recours (Pièce adverse n° 15).
Par acte délivré à la [8] le 25 octobre 2021 pour l’audience du 29 avril 2022, la société [12] demande à la Cour de :
– RECEVOIR la Société [12] en son recours et l’y DECLARER bien fondée ;
– DECLARER que les conséquences financières liées à l’accident du travail du 6 juin 2020 de Monsieur [D] doivent être retirées du compte employeur 2020 de la Société [12] ;
– ENJOINDRE à la [8] de rectifier le compte-employeur 2020 de la Société [12] ;
– ANNULER la décision implicite de rejet de la [8] ;
– CONDAMNER la [8] au paiement des entiers dépens.
Elle y fait en substance valoir que :
Monsieur [D] n’a jamais fait partie du personnel de la Société [12] mais a usurpé l’identité de Monsieur [N] [Y], employé de la Société [12], en sorte que les dépenses afférentes à l’accident de Monsieur [D] ne peuvent entrer dans le calcul des taux de cotisation AT/MP de la Société [12].
Par application des dispositions de l’article D242-6-4 du Code de la Sécurité sociale, n’entre dans le calcul des taux AT/MP que les dépenses afférentes à la valeur du risque, calculé d’après le rapport de la valeur du risque propre à l’établissement, à la masse totale des salaires payés au personnel.
Or, il résulte des pièces versées aux débats, pourtant portés à la connaissance de la [9] lors de son instruction, que Monsieur [D] n’a jamais fait partie du personnel de la Société [12].
Il est établi que Monsieur [D], en situation irrégulière, s’est fait passer pour Monsieur [Y], qui dispose d’un titre de séjour régulier, vraisemblablement avec son accord au vu du mutisme de l’employé de la Société [12], lors de ses missions au sein de la Société [13], et ce pendant une année.
La Société [12] ne pouvait se rendre compte de la fraude, n’ayant jamais eu de contact avec Monsieur [D], lequel ne se rendait qu’au sein de la Société [13], entreprise utilisatrice.
Particulièrement, Monsieur [D] a indiqué que la Société [12] n’aurait pas procédé à la déclaration d’accident du travail « Peut-être parce que je suis en situation irrégulière » (Pièce n°10).
La situation irrégulière de Monsieur [D] est sans effet sur le recours de la Société [12], qui aurait le même fondement s’il s’agissait d’une personne en situation régulière, le fondement étant que la personne concernée n’a jamais été salariée de la Société [12].
En outre, la Société [12] ne conteste pas que les personnes en situation irrégulière doivent bénéficier de la protection de la législation professionnelle en cas d’accident du travail, mais la prise en charge de ces sinistres doit être assumée par leur employeur !
Tel n’est pas le cas présentement de l’exposante.
La Société [12] n’a jamais employé Monsieur [D] et ce, à aucun titre, puisqu’elle n’a appris l’existence de cet individu que lors de la survenance de l’accident.
Telles sont les raisons qui conduisent la Société [12] à demander à la Cour de déclarer que les conséquences financières liées à l’accident du travail du 6 juin 2020 de Monsieur [D] doivent être retirées du compte employeur 2020 de la Société [12] et d’enjoindre à la [8] de retirer de son compte employeur les frais inhérents audit accident du travail et de rectifier, en conséquence, le compte employeur 2020 de la requérante et, corrélativement, les taux de cotisations impactés par les frais litigieux
La décision de rejet implicite de la [8], ne pourra échapper à l’annulation.
Enfin, il conviendra de condamner la Caisse au paiement des entiers dépens.
Cette procédure a été enregistrées par le greffe sous le numéro de répertoire général 21/05278.
Par assignation délivrée à la [10] en date du 25 janvier 2022 pour l’audience du 29 avril 2022, la société [12] demande à la Cour de :
– RECEVOIR la Société [12] en son recours et l’y DECLARER bien fondée ;
– DECLARER que les conséquences financières liées à l’accident du travail
du 6 juin 2020 de Monsieur [D] doivent être retirées du compte employeur 2020 de la Société [12] ;
– ENJOINDRE à la [10] de rectifier le compte-employeur 2020 de la Société [12] ;
– ANNULER la décision implicite de rejet de la [10] ;
– CONDAMNER la [10] au paiement des entiers dépens.
Elle fait valoir la même argumentation que dans l’acte introductif d’instance dirigé contre la [8].
Cette procédure a été enregistrée par le greffe sous le numéro de répertoire général 22/00533.
Par ordonnance en date du 29 avril 2022 du magistrat chargé de l’instruction, il a été ordonné la jonction de la procédure 22/00533 à la procédure 21/05278
A l’audience du 29 avril 2022, la procédure résultant de cette jonction a été renvoyée à l’audience du 18 novembre 2022 pour y être plaidée.
A cette audience du 18 novembre 2022, la société [12] a soutenu par avocat les demandes et moyens résultant de ses deux actes introductifs d’instance.
La [10] a quant à elle soutenu par sa représentante ses conclusions enregistrées par le greffe à la date du 21 avril 2022 et par lesquelles elle demande à la Cour de :
– De confirmer la décision de la [10] de maintenir au compte employeur de la société [12] les incidences financières de l’accident du travail de Monsieur [D] du 6 juin 2020 ;
– De rejeter le recours de la Société [12]
Elle fait en substance valoir que :
Il résulte de la combinaison des articles précités, que les Tribunaux judiciaires sont compétents pour connaître (en premier ressort) des litiges mentionnés au 1° de l’article L.1421 du code de la sécurité sociale.
En l’espèce, la société [12] conteste l’inscription sur son compte employeur de l’accident de travail dont a été victime Monsieur [D] le 6 juin 2020 au motif que Monsieur [D] n’est pas salarié de la société [12].
Cependant, il ressort des éléments du dossier que l’accident du travail de Monsieur [D] a été pris en charge à l’égard de la société [12].
En effet, il ressort de la notification de prise en charge au titre de la législation professionnelle que l’accident dont a été victime Monsieur [D] le 6 juin 2020 a été pris en charge à l’égard de la société [D] (Pièce adverse n°13).
L’article D.242-6-4 alinéa 5 du code de la sécurité sociale prévoit que « Seules sont prises en compte dans la valeur du risque les dépenses liées aux accidents et aux maladies dont le caractère professionnel a été reconnu ».
Le caractère professionnel de l’accident dont a été victime Monsieur [D] ayant été reconnu à l’égard de la société [12], la [10] a pris en compte dans la valeur du risque les dépenses liées à cet accident du travail.
Si la société entend contester le caractère professionnel de l’accident dont a été victime Monsieur [D] et faire valoir l’absence de rapport hiérarchique entre ce dernier et la société, il lui appartient de le faire devant la juridiction du contentieux de la sécurité sociale compétente, en l’occurrence le Tribunal judiciaire.
En effet, faute de contestation par la société, la [10] est tenue de prendre en compte les éléments transmis par la [9].
En tout état de cause, il convient de soulever qu’un accident du travail s’est bien produit au sein de la Société [13] qui est la société utilisatrice au sein de laquelle la société [12] a mis à disposition l’un de ses salariés intérimaires.
Il appartient à tout entreprise de travail temporaire de mettre en place des mesures permettant d’éviter que les salariés qu’elle met à disposition au sein des sociétés utilisatrices ne soient pas exposés à des risques professionnels, ainsi que de procéder à une vérification de l’identité de ses salariés.
Il appartenait donc à la société [12] de procéder à ces vérifications afin de s’assurer que le salarié mis à disposition au sein de la Société [13] était bien le salarié avec lequel elle avait conclu un contrat de travail.
La décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle de l’accident dont a été victime Monsieur [D] à l’égard de la société [12] s’imposant à la [10] et ce conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation précitée.
Par ailleurs, la société [12] indique avoir déposé une plainte pour usurpation d’identité au Commissariat de Police de [Localité 11]
Toutefois, la Cour ne pourra que constater que la société [12] ne produit aucun document démontrant la suite donnée à la plainte déposée par la société.
La [7] ayant pris en charge l’accident dont a été victime Monsieur [D] à l’égard de la société [12], c’est à bon droit que la [10] a inscrit sur le compte employeur de la société [12] les conséquences financières de l’accident du travail de Monsieur [D] du 6 juin 2020.
Le Président a demandé à la société [12] d’indiquer à la Cour sous 15 jours si elle avait engagé une procédure de contestation de la décision de prise en charge de l’accident du travail de Monsieur [D], avec autorisation à la [10] de répondre à la note adverse sous 15 jours de sa réception.
Par courrier du 25 novembre 2022 de son avocat, la société [12] indique avoir contesté l’opposabilité de la décision de prise en charge de l’accident du travail litigieux et que ce litige devait être plaidé devant le Tribunal Judiciaire de Versailles le 28 novembre.
Elle fait également valoir dans ce courrier que dans la présente procédure la question n’est pas de savoir si la caisse a à bon droit pris en charge l’accident, dont la matérialité n’est guère contestable, que de savoir si c’est à bon droit que la [8] a imputé les frais litigieux sur son compte employeur et que le présent litige relève donc du contentieux de la tarification.
MOTIFS DE L’ARRET.
Attendu que si en matière de maladies professionnelle il convient de distinguer l’opposabilité de la décision de prise en charge, qui est de la compétence du Pôle Social et des Cour d’Appel spécialisées de l’imputabilité des coûts qui peut être contestée par l’employeur qui en subit l’imputation si sa faute inexcusable est recherchée ou si les conséquences financières de la maladie sont inscrites à son compte accidents du travail et maladies professionnelles ( en ce sens les arrêts : 2e Civ., 17 mars 2022, pourvoi n° 20-19.294 2e Civ., 17 mars 2022, pourvoi n° 20-19.293 ; ) et dont le contentieux, hors contentieux de la faute inexcusable, ressortit à la compétence du juge de la tarification lorsque le coût en litige fait l’objet d’une décision d’une caisse tarificatrice ou entre dans la base de calcul d’un taux de cotisation notifié et au juge du Pôle social et à sa juridiction d’appel en l’absence d’une des décisions précitées ( en ce sens l’ avis n°15003 du 13 mars 2020 de la Deuxième Chambre Civile ; la décision de non admission de la même Chambre du 9 juillet 2020 sur pourvoi n° 19-14.842 et l’arrêt publié 2e Civ., 17 mars 2022, pourvoi n° 20-20.878 ; A noter également dans le même sens l’arrêt de la Cour d’Appel de Nancy n° /2022 SS du 05 avril 2022 n° RG 21/02762 ) , il n’en va pas de même en matière d’accidents du travail pour lesquels il n’y a pas lieu de distinguer l’opposabilité de la décision de prise en charge et son imputabilité, le juge du contentieux général devenu Pôle social étant exclusivement compétent pour se prononcer sur la matérialité de l’accident du travail, laquelle inclut l’existence matérielle de l’accident ainsi que son caractère professionnel.
Que la contestation par l’employeur impacté par un coût litigieux de l’existence d’un contrat de travail ressortit ainsi de la compétence exclusive du Pôle social du Tribunal judiciaire territorialement compétent et de sa juridiction d’appel puisqu’elle participe de la contestation du caractère professionnel de l’accident dans la mesure où ce dernier ne peut se voir reconnaître un tel caractère que s’il existe un contrat de travail entre la victime et l’employeur allégué.
Attendu qu’en l’espèce il appartient à la société [12] , si elle l’estime nécessaire et si ce n’est déjà fait, de solliciter dans le cadre de la procédure devant le Pôle Social du Tribunal Judiciaire de Versailles et, s’il y a lieu, devant sa juridiction d’appel, la reconnaissance de l’absence de caractère professionnel de l’accident, à raison de l’absence de tout lien juridique entre elle-même et sa victime, l’argumentation soulevée en ce sens étant totalement inopérante devant le juge de la tarification.
Que si le moyen inopérant soutenu par la société [12] tiré de l’absence de contrat de travail entre elle-même et la victime ressortit d’une question préjudicielle de la compétence du Pôle social du Tribunal judiciaire de Versailles, force est cependant de constater qu’il n’y a pas lieu de saisir ce dernier de cette question puisqu’il est d’ores et déjà saisi de l’entier litige de l’opposabilité et donc de l’imputabilité de l’accident du travail survenu à la victime.
Qu’il apparaît dans ces conditions nécessaire à une bonne administration de la justice de surseoir à statuer sur la demande de retrait des coûts litigieux du compte employeur de la demanderesse jusqu’à ce que soit intervenue une décision passée en force de chose jugée de la juridiction du Pôle social ou de sa juridiction d’appel sur le caractère professionnel de l’accident litigieux.
Que la Cour n’étant pas dessaisie de la cause, il convient de réserver les dépens.
PAR CES MOTIFS.
La Cour, statuant par arrêt contradictoire rendu en audience publique par sa mise à disposition au greffe,
Surseoit à statuer sur la demande de retrait des coûts litigieux du compte de la demanderesse jusqu’à ce que soit intervenue une décision passée en force de chose jugée du Tribunal Judiciaire de Versailles ou, s’il y a lieu, de sa juridiction d’appel, portant sur le caractère professionnel de l’accident litigieux.
Ordonne la radiation de la présente procédure et dit que la cause sera réinscrite au rôle de la présente Cour à l’initiative de la partie la plus diligente dès que la décision requise sera intervenue.
Réserve les dépens.
Le Greffier, Le Président,