COUR D’APPEL DE BORDEAUX
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 16 MARS 2022
N° RG 19/03409 – N° Portalis DBVJ-V-B7D-LCYQ
Société CAR-FROST
c/
SAS LA COMPAGNIE DES PRUNEAUX
Société BRIAN CAFFREY INTERNATIONAL LTD
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 23 novembre 2018 (R.G. 2017000593) par le Tribunal de Commerce de LIBOURNE suivant déclaration d’appel du 18 juin 2019
APPELANTE :
Société CAR-FROST, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 3] – POLOGNE
représentée par Maître William MAXWELL, avocat au barreau de BORDEAUX et assistée par Maître Wladyslaw LIS, avocat au barreau de AIX EN PROVENCE
INTIMÉES :
SAS LA COMPAGNIE DES PRUNEAUX, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 1]
représentée par Maître Nadine DESSANG, avocat au barreau de BORDEAUX et assistée par Maître Elodie TOURNIER, de la CMS FRANCIS LEFEBVRE, avocat au barreau de LYON
Société BRIAN CAFFREY INTERNATIONAL LTD SOCIETE DE DROIT IRLANDAIS, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 2] – IRLANDE
représentée par Maître Isabelle ROUSSEAU, avocat au barreau de BORDEAUX et assistée par Maître Valérie COHEN VAN HERPEN, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 02 février 2022 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Elisabeth FABRY, Conseiller chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Nathalie PIGNON, Présidente,
Madame Elisabeth FABRY, Conseiller,
Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
EXPOSE DU LITIGE :
Le 15 juin 2016, la société La Compagnie des Pruneaux a reçu par courrier électronique une commande de la société JKT Foods Europe, de droit néerlandais, pour la livraison de 23 760 kgs de pruneaux d’Agen pour un montant total de 89 100 euros HT.
Le 1er juillet 2016, sur instructions de la société Brian Caffrey International Ltd, de droit irlandais, commissionnaire du transport, la société de transport Car Frost, de droit polonais, s’est présentée aux entrepôts de la société La Compagnie des Pruneaux pour enlever la marchandise et la livrer aux Pays-Bas.
Le 22 juillet 2016, la société La Compagnie des Pruneaux a découvert que la société JKT Foods Europe ne lui avait jamais passé commande et n’avait pas reçu la livraison en raison d’une usurpation d’identité par une personne se faisant passer pour son directeur. Elle a déposé une plainte qui a été classée sans suite le 23 décembre 2016.
Par exploit d’huissier en date du 1er mars 2017, après vaine mise en demeure, la société La Compagnie des Pruneaux a assigné les sociétés Car Frost et Secar Spedycja devant le tribunal de commerce de Libourne aux fins de condamnation en paiement de la somme de 89 100 euros en raison de la perte totale de la marchandise. L’affaire a été enrôlée sous le n° 2017000593.
Par exploit d’huissier en date du 23 novembre 2017, la société Car Frost a assigné en garantie la société Brian Caffrey International Ltd. L’affaire a été enrôlée sous le n° 2017002067.
Par jugement contradictoire en date du 23 novembre 2018, le tribunal de commerce de Libourne :
– s’est déclaré territorialement compétent,
– a ordonné la jonction des procédures enrôlées sous les numéros RG 2017000593 et RG 2017002067,
– débouté la société Brian Caffrey International Ltd de sa demande de sursis à statuer,
– dit que la société La Compagnie des Pruneaux a intérêt à agir et l’a déclarée recevable en ses demandes,
– débouté les sociétés Car Frost et Secar Spedycja de toutes leurs demandes à l’égard de la société Brian Caffrey International Ltd,
– débouté la société La Compagnie des Pruneaux de ses demandes à l’égard de la société Secar Spedycja,
– dit que la société Car Frost est responsable du préjudice causé à la société La Compagnie des Pruneaux,
– condamné la société Car Frost à payer à la société La Compagnie des Pruneaux la somme de 89 100 euros HT, assortie des intérêts au taux légal à compter du 06 février 2017, date de la mise en demeure, en réparation du préjudice subi,
– condamné la société Car Frost à payer à la société La Compagnie des Pruneaux la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société Car Frost à payer à la société Brian Caffrey International Ltd la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonné l’exécution provisoire du jugement,
– condamné la société Car Frost aux entiers dépens.
La société Car Frost a relevé appel du jugement par déclaration du 18 juin 2019 énonçant les chefs du jugement expressément critiqués, intimant les sociétés La Compagnie des Pruneaux et Brian Caffrey International LTD.
Le 06 septembre 2019, une mesure de médiation judiciaire a été proposée aux parties qui l’ont refusée.
Aux termes de ses conclusions déposées en dernier lieu le 20 février 2020 par RPVA, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, la société Car Frost demande à la cour de :
– à titre liminaire,
– constater qu’en matière d’action récursoire, ce sont les dispositions de l’article 32 de la CMR, ne faisant aucune distinction entre la nature des actions, qui s’appliquent,
– constater que le délai de prescription est alors d’un an à compter de l’action principale,
– constater qu’elle a été assignée par la société La Compagnie des Pruneaux par exploit en date du 1er mars 2017,
– constater qu’elle a appelé en garantie la société Brian Caffrey International Ltd par exploit en date du 23 novembre 2017,
– en conséquence,
– réformer le jugement de première instance en ce qu’il a déclaré son action en garantie à l’encontre de la société Brian Caffrey International Ltd prescrite,
– statuant de nouveau,
– dire et juger que l’action en garantie introduite par elle à l’encontre de la société Brian Caffrey International Ltd n’est pas prescrite et donc recevable,
– à titre principal,
– réformer le jugement de première instance en ce qu’il :
– l’a déboutée de toutes ses demandes à l’égard de la société Brian Caffrey International Ltd,
– a dit qu’elle est responsable du préjudice causé à la société La Compagnie des Pruneaux,
– l’a condamnée à payer à la société La Compagnie des Pruneaux la somme de 89 100 euros HT, assortie des intérêts au taux légal à compter du 6 février 2017, date de la mise en demeure, en réparation du préjudice subi,
– l’a condamnée à payer à la société La Compagnie des Pruneaux la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– l’a condamnée à payer à la société Brian Caffrey International Ltd la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– l’a condamnée aux entiers dépens
– statuant de nouveau,
– constater qu’elle a livré les marchandises à l’adresse figurant dans l’ordre de transport conclu avec la société Brian Caffrey International Ltd,
– constater qu’en qualité de simple transporteur, elle n’avait pas de devoir de vérification de l’adresse du destinataire,
– en conséquence,
– dire et juger qu’elle n’a méconnu aucune obligation de résultat,
– débouter les sociétés La Compagnie des Pruneaux et Brian Caffrey International Ltd de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions formulées à son encontre,
– à titre subsidiaire,
– si par extraordinaire, la cour retenait l’existence d’une faute dans l’exécution du contrat de livraison et déclarait recevables et bien fondées les demandes en réparation de la société La Compagnie des Pruneaux,
– constater que la société Brian Caffrey International Ltd, en sa qualité de commissionnaire, est garante de l’arrivée des marchandises et garantes des pertes de celles-ci,
– constater que la société La Compagnie des Pruneaux conclut également à la responsabilité de la société Brian Caffrey International Ltd en sa qualité de commissionnaire,
– en conséquence,
– dire et juger que seule la responsabilité de la société Brian Caffrey International Ltd, en sa qualité de commissionnaire, pourra être engagée
– dire et juger que seule la société Brian Caffrey International Ltd est tenue de réparer le préjudice subi par la société La Compagnie des Pruneaux,
– à titre infiniment subsidiaire,
– si par extraordinaire, la cour retenait l’existence d’une faute entraînant sa responsabilité et déclarait recevables et bien fondées les demandes en réparation de la société La Compagnie des Pruneaux,
– constater que la société Brian Caffrey International Ltd, en sa qualité de commissionnaire, est responsable du fait de ses substitués,
– en conséquence,
– dire et juger que la société Brian Caffrey International Ltd, en sa qualité de commissionnaire, est tenue de la relever et garantir de l’ensemble des condamnations susceptibles d’être prononcées à son encontre,
– à titre très infiniment subsidiaire,
– si par extraordinaire, la cour déclarait recevables et bien fondées les demandes de la société La Compagnie des Pruneaux à son encontre et son appel en garantie à l’encontre de la société Brian Caffrey International Ltd irrecevable ou mal fondé,
– constater qu’elle n’a commis aucune faute lors du transport des marchandises,
– constater que seul le caractère erroné des informations délivrées par la société Brian Caffrey International Ltd, en sa qualité de commissionnaire, est à l’origine du préjudice subi par la société La Compagnie des Pruneaux du fait de la perte de sa marchandise,
– en conséquence,
– condamner la société Brian Caffrey International Ltd à lui verser la somme de 81 900 euros HT, assorti des intérêts au taux légal à compter du 06 février 2017, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice découlant de sa condamnation à indemniser la société société La Compagnie des Pruneaux,
– en tout état de cause,
– condamner toute(s) partie(s) succombante(s) à lui verser la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens, tant de première instance qu’en cause d’appel.
La société Car Frost fait valoir que son action à l’encontre de la société Brian Caffrey International Ltd n’est pas prescrite ; qu’elle a livré les marchandises à l’adresse figurant dans l’ordre de transport conclu avec la société Brian Caffrey International LTD ; qu’en qualité de simple transporteur, elle n’avait pas de devoir de vérification de l’adresse du destinataire ; qu’elle n’a méconnu aucune obligation de résultat ; qu’à titre subsidiaire, la société Brian Caffrey International Ltd, en sa qualité de commissionnaire, est garante de l’arrivée des marchandises et garantes des pertes de celles-ci ; que seule la responsabilité de la société Brian Caffrey International Ltd peut être engagée.
Aux termes de ses conclusions déposées en dernier lieu le 03 janvier 2022 par RPVA, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, la société La Compagnie des Pruneaux demande à la cour de :
– confirmer le jugement en ce qu’il a statué dans les termes suivants :
– se déclare territorialement compétent,
– ordonne la jonction des procédures enrôlées sous les numéros RG 2017000593 et RG 2017002067,
– déboute la société Brian Caffrey International Ltd de sa demande de sursis à statuer,
– dit que la société La Compagnie des Pruneaux a intérêt à agir et la déclare recevable en ses demandes,
– dit que la société Car Frost est responsable du préjudice causé à la société La Compagnie des Pruneaux,
– condamne la société Car Frost à payer à la société La Compagnie des Pruneaux la somme de 89 100 euros HT, assortie des intérêts au taux légal à compter du 06 février 2017, date de la mise en demeure, en réparation du préjudice subi,
– condamne la société Car Frost à payer à la société La Compagnie des Pruneaux, la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’en tous les dépens,
– statuant à nouveau ou y ajoutant,
– dire et juger que l’action en garantie de la société Car Frost à l’encontre de la société Brian Caffrey International Ltd n’est pas prescrite,
– prendre acte de ce que la société Car Frost conclut à la faute personnelle de Brian Caffrey International Ltd,
– dire et juger que la société Brian Caffrey International Ltd était garante de l’arrivée des marchandises au lieu de destination,
– en conséquence et subsidiairement, si la cour retenait la responsabilité de Brian Caffrey International Ltd
– dire et juger que la responsabilité in solidum des sociétés Car Frost et Brian Caffrey International Ltd est engagée,
– condamner in solidum la société Car Frost et Brian Caffrey International Ltd à lui verser la somme de 89 100 euros HT, en raison de la perte totale de la marchandise, outre intérêts au taux légal à compte du 06 février 2017, date de la mise en demeure,
– en tout état de cause,
– rejeter l’ensemble des moyens et prétentions des sociétés Car Frost et Brian Caffrey International Ltd,
– condamner la société Car Frost et la société Brian Caffrey International Ltd à lui régler la somme de 3 000 euros chacune au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel en sus du jugement de première instance, ainsi qu’en tous les dépens.
La société La Compagnie des Pruneaux fait valoir que l’action en garantie de Car Frost à l’encontre de la société Brian Caffrey International Ltd n’est pas prescrite ; que la société Car Frost conclut à la faute personnelle de Brian Caffrey International Ltd ; que la société Brian Caffrey International Ltd était garante de l’arrivée des marchandises au lieu de destination ; que la responsabilité in solidum des sociétés Car Frost et Brian Caffrey International Ltd doit être engagée.
Aux termes de ses conclusions déposées en dernier lieu le 12 janvier 2022 par RPVA, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, la société Brian Caffrey International Ltd demande à la cour de :
– à titre préalable,
– sur l’appel incident de la société La Compagnie des Pruneaux par conclusions du 25 novembre 2019 et contenant une demande nouvelle à son encontre,
– juger la demande de la Compagnie des Pruneaux tendant à obtenir sa condamnation in solidum avec la société Car Frost au paiement d’une indemnité de 89 100 euros, nouvelle et faite pour la première fois en appel, irrecevable en application de l’article 564 du code de procédure civile,
– juger la demande de la Compagnie des Pruneaux tendant à rechercher sa responsabilité et à obtenir sa condamnation in solidum avec la société Car Frost au paiement d’une indemnité de 89 100 euros prescrite faute d’avoir été régularisée dans le délai d’un an soit au plus tard en juillet 2017 et donc irrecevable en application de l’article L.133-6 du code de commerce,
– à titre subsidiaire,
– juger cette demande nouvelle et tardive mal fondée et débouter la Compagnie des Pruneaux de ses demandes dirigées contre elle,
– sur l’appel principal de la société Car Frost
– à titre principal,
– juger que le transport litigieux France-Pays-Bas est régi par les dispositions de la CMR et à titre supplétif par les dispositions du code de commerce,
– juger prescrite l’action en garantie de la société Car Frost en application des dispositions de l’article L.133-6 du code de commerce (et de l’article 32 de la CMR) et par voie de conséquence irrecevable,
– en conséquence,
– confirmer le jugement qui a débouté la société Car Frost de son appel en garantie à son encontre,
à titre subsidiaire,
juger la société Car Frost mal fondée en son appel en garantie contre elle et l’en débouter,
– à titre très subsidiaire,
– juger irrecevable et en tout cas mal fondée la demande de la société Car Frost tendant à obtenir sa condamnation à payer une somme de 89 100 euros à titre de dommages et intérêts,
– débouter la société Car Frost de cette demande,
– à titre encore plus subsidiaire,
– juger la société Compagnie Des Pruneaux irrecevable en son action faute de justifier de sa qualité à agir et en tout cas mal fondée en ses demandes en l’absence de preuve d’une faute du transporteur,
– condamner la société Car Frost à lui payer une indemnité de 4 000 euros en vertu de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société Car Frost ou tout succombant aux dépens.
La société Brian Caffrey International Ltd fait valoir que la demande de condamnation in solidum formulée par la société La Compagnie des Pruneaux est nouvelle et irrecevable ; qu’en application des dispositions de la CMR et à titre supplétif par les dispositions du code de commerce, la demande de la société Car Frost à son encontre est irrecevable car prescrite faute d’avoir été régularisée dans le délai d’un an, soit au plus tard en juillet 2017 ; à titre subsidiaire, que la société Car Frost est mal fondée en son appel en garantie à son encontre.
La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance en date du 12 janvier 2022, et l’audience fixée au 02 février 2022.
MOTIFS DE LA DECISION :
sur les demandes principales :
L’exception d’incompétence, rejetée par le tribunal, n’étant pas reprise devant la cour, le débat porte :
– d’une part, sur la responsabilité de la société Car Frost ;
– d’autre part, sur la responsabilité de la société Brian Caffrey International.
sur la responsabilité de la société Car Frost :
L’action engagée contre la société Car Frost par la société La Compagnie des Pruneaux le 1er mars 2017, soit dans le délai d’un an suivant les faits litigieux du 1er juillet 2016, ne se heurte à aucun problème de prescription.
Le tribunal a retenu la responsabilité de la société Car Frost dans le préjudice causé à la société La Compagnie des Pruneaux, et l’a condamnée à paiement.
La société Car Frost conteste la condamnation en faisant valoir qu’elle a livré les marchandises à l’adresse figurant dans l’ordre de transport conclu avec la société Brian Caffrey International Ltd, qu’en qualité de simple transporteur, elle n’avait pas de devoir de vérification de l’adresse du destinataire, de sorte qu’elle n’a méconnu aucune obligation de résultat ; subsidiairement, que la responsabilité incombe à la société Brian Caffrey International en sa qualité de commissionnaire, laquelle doit être condamnée au paiement ou, à tout le moins, à la relever et garantir de l’ensemble des condamnations prononcées contre elle.
Le transport international est réglementé par la Convention de Genève du 19 mai 1956 dite CMR, qui régit tous les contrats de transport de marchandises par route à titre onéreux réalisés entre deux pays différents dont un au moins est partie à la convention, ce qui est la cas en l’espèce.
Le transporteur est tenu d’une obligation de résultat. Il s’engage, en prenant en charge la marchandise, à un résultat consistant dans la livraison au lieu convenu et dans l’état où il l’a prise en charge. Il répond de plein droit des pertes et avaries et ne se libère de sa responsabilité qu’en rapportant la preuve d’un cas d’exception. Si le résultat n’est pas atteint, l’expéditeur n’a pas à prouver une faute de sa part, il lui suffit de faire constater la perte et le préjudice qui en résulte.
Aux termes de la lettre de voiture (CMR) signée le 1er juillet 2016 par la société La Compagnie des Pruneaux et la société Car Frost, qui constitue le document contractuel du transporteur en application de l’article 132-8 du code de commerce, la livraison des 23 000 kgs de pruneaux devait être effectuée B.V Veraartlaan 8 à Rijswijk, aux Pays Bas, adresse du siège social de la société JKT Foods Europe supposée être à l’origine de la commande(pièce 6 de la société La Compagnie des Pruneaux).
La société Car Frost a cependant livré la marchandise à 7261 Ruurlo, aux Pays-Bas, sur instructions de la société Brian Caffrey International, commissionnaire du transport, sur la base d’une 2ème lettre de voiture établie selon ordre de transport du 30 juin 2016, mentionnant comme expéditeur la société JKT Foods Europe, et comme destinataire la société Sell4U. Cette lettre de voiture n’est cependant pas opposable à la société La Compagnie des Pruneaux qui n’y figure pas comme expéditeur et ne l’a pas signée.
Le simple fait que la société Car Frost, tenue d’une obligation de résultat, ait livré la marchandise à une adresse différente de celle convenue contractuellement avec la société La Compagnie des Pruneaux, caractérise son manquement à son obligation de résultat et engage sa responsabilité envers la société La Compagnie des Pruneaux qui fait valoir à juste titre que ce manquement est la cause de la perte de la marchandise dans la mesure où si l’appelante s’était conformée à ses instructions, l’escroquerie aurait été révélée à l’arrivée, et la marchandise lui aurait été retournée sans dommage.
C’est donc à bon droit que le tribunal a retenu la responsabilité de la société Car Frost.
sur la responsabilité de la société Brian Caffrey International :
La société Car Frost demande à titre subsidiaire la condamnation de la société Brian Caffrey International à payer les sommes en jeu, ou à tout le moins à la relever et garantir, en faisant valoir qu’elle est responsable du préjudice puisque c’est le caractère erroné des informations fournies par elle qui est à l’origine de la perte des marchandises, et qu’en sa qualité de commissionnaire, elle est en tout état de cause garante de l’arrivée des marchandises et garante des pertes de celles-ci.
La société La Compagnie des Pruneaux, qui sollicite à titre subsidiaire la condamnation in solidum de la société Car Frost et de la société Brian Caffrey International au paiement, soutient la même argumentation dans le cadre d’une demande que la société Brian Caffrey International soutient irrecevable car nouvelle en appel faute de l’avoir assignée en première instance.
Le tribunal a débouté la société Car Frost de son appel en garantie contre la société Brian Caffrey International motif pris de la prescription de son action au visa des articles L.133-6 du code de commerce et 32 de la CMR.
La société Car Frost conteste la prescription en faisant valoir qu’en matière d’action récursoire, il convient de faire application de l’article 32 de la CMR, qui ne fait aucune distinction selon la nature des actions, de sorte qu’elle disposait pour agir d’un délai d’un an à compter de l’action principale ; qu’assignée le 1er mars 2017, son appel en garantie du 23 novembre 2017 n’est donc pas prescrit.
Aux termes de l’article L.133-6 du code de commerce, « les actions pour avaries, pertes ou retards, auxquelles peut donner lieu contre le voiturier le contrat de transport, sont prescrites dans le délai d’un an, sans préjudice des cas de fraude ou d’infidélité.
Toutes les autres actions auxquelles ce contrat peut donner lieu, tant contre le voiturier ou le commissionnaire que contre l’expéditeur ou le destinataire, aussi bien que celles qui naissent des dispositions de l’article 1269 du code de procédure civile, sont prescrites dans le délai d’un an.
Le délai de ces prescriptions est compté, dans le cas de perte totale, du jour où la remise de la marchandise aurait dû être effectuée, et, dans tous les autres cas, du jour où la marchandise aura été remise ou offerte au destinataire.
Le délai pour intenter chaque action récursoire est d’un mois. Cette prescription ne court que du jour de l’exercice de l’action contre le garanti. (…) »
Aux termes de l’article 32 du CMR, l’action contre le transporteur, qu’elle soit principale ou en garantie, doit obligatoirement être exercée dans le délai d’un an (sauf en cas de dol ou de faute considérée comme équivalente au dol, auquel cas la prescription est de trois ans). La prescription court, dans le cas de perte totale, à partir du trentième jour après l’expiration du délai convenu ou, s’il n’a pas été convenu de délai, à partir du soixantième jour après la prise en charge de la marchandise par le transporteur. L’action prescrite ne peut plus être exercée, même sous forme de demande reconventionnelle ou d’exception.
Les deux textes posent donc le principe d’une prescription annale, mais comportent des différences notamment quant à la computation du délai, qui, aux termes de l’article 32 de la CMR, peut donc aller jusqu’à 13 ou 14 mois en cas de perte totale. Pour autant, cet article, qui dispose sans restriction ni réserves que la prescription court, dans le cas de perte totale, au plus tard à partir du soixantième jour après la prise en charge de la marchandise par le transporteur, ne permet pas de considérer, comme le soutient l’appelante, qu’un nouveau délai d’un an s’est ouvert à elle à compter de l’assignation délivrée à son encontre par la société La Compagnie des Pruneaux.
La société Brian Caffrey International est ainsi fondée à se prévaloir de la prescription de l’action à son égard puisque la société Car Frost disposait pour l’appeler en garantie d’un délai expirant, dans l’hypothèse la plus favorable, le 1er septembre 2017, de sorte que son appel en garantie du 23 novembre 2017 est atteint par la prescription.
Le jugement qui a déclaré la demande de la société Car Frost à l’encontre de la société Brian Caffrey International prescrite sera donc confirmé, sauf en ce qu’il a débouté la société Car Frost de cette demande, la prescription étant sanctionnée non par le rejet mais par l’irrecevabilité de la demande.
sur les demandes accessoires :
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la société La Compagnie des Pruneaux et de la société Brian Caffrey International LTD les sommes non comprises dans les dépens exposées par elles dans le cadre de l’appel. La société Car Frost sera condamnée à leur payer à chacune la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La société Car Frost sera condamnée aux dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme le jugement rendu le 23 novembre 2018 par le tribunal de commerce de Libourne en ce qu’il a :
– déclaré la société Car Frost prescrite en sa demande à l’égard de la société Brian Caffrey International Ltd, sauf à déclarer cette demande irrecevable au lieu d’en débouter la société Car Frost
– condamné la société Car Frost à payer à la société La Compagnie des Pruneaux la somme de 89 100 euros HT, assortie des intérêts au taux légal à compter du 06 février 2017, date de la mise en demeure, en réparation du préjudice subi,
– condamné la société Car Frost à payer à la société La Compagnie des Pruneaux la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société Car Frost à payer à la société Brian Caffrey International LTD la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société Car Frost aux entiers dépens.
Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires
Condamne la société Car Frost à payer à la société Brian Caffrey International Ltd la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,
Condamne la société Car Frost à payer à la société La Compagnie des Pruneaux la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,
Condamne la société Car Frost aux dépens d’appel.
Le présent arrêt a été signé par Mme Pignon, présidente, et par M. Goudot, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.