16 janvier 2020 Cour d’appel de Grenoble RG n° 17/01885

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16 janvier 2020 Cour d’appel de Grenoble RG n° 17/01885

N° RG 17/01885 – N° Portalis DBVM-V-B7B-

I7GF

PG

Minute N°

Copie exécutoire

délivrée le :

la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE

la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT DU JEUDI 16 JANVIER 2020

Appel d’un Jugement (N° RG 2016J130)

rendu par le Tribunal de Commerce de VIENNE

en date du 09 mars 2017, suivant déclaration d’appel du 10 Avril 2017

APPELANTES :

SARL ALDI

immatriculée au RCS de MEAUX sous le numéro 399.227.990.00021, prise en la personne de ses représentants légaux en exercice

[Adresse 1]

[Adresse 1]

SARL ALDI MARCHE

immatriculée au RCS de VIENNE sous le numéro 444.330.641.00028, prise en la personne de ses représentants légaux en exercice

[Adresse 8]

[Adresse 8]

représentées par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE, avocat au barreau de GRENOBLE postulant, et par Me Karen LECLERC, avocat au barreau de PARIS, plaidant

INTIMÉ :

M. [M] [J]

né le [Date naissance 3] 1964 à [Localité 6], de nationalité Française

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représenté par Me Josette DAUPHIN de la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC, avocat au barreau de GRENOBLE postulant, et par Me Émilie SGUAGLIA, avocat au barreau de LYON, plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Patricia GONZALEZ, Présidente,

Mme Marie-Pascale BLANCHARD, Conseiller,

M. Lionel BRUNO, Conseiller,

Assistés lors des débats de M. Frédéric STICKER, Greffier.

DÉBATS :

A l’audience publique du 24 Octobre 2019

Mme GONZALEZ, Président, a été entendue en son rapport,

Les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries,

Puis l’affaire a été mise en délibéré pour que l’arrêt soit rendu ce jour,après prorogation du délibéré

——0——

EXPOSE DU LITIGE

M. [M] [J] est entré au service de la société Aldi Marché qui a pour associé unique la société Aldi (les deux sociétés font partie du groupe Aldi Nord, un des leaders de la grande distribution en Europe) le 5 avril 1993 en qualité de responsable de secteur. Son évolution professionnelle l’a conduit au poste de directeur marketing.

Il s’est vu confier en juillet 2005 parallèlement à ses activités de directeur marketing la gestion de la société Aldi Marché située à [Localité 7] structure à laquelle est rattachée une soixantaine de magasins en région [Localité 9]. Il se trouvait à la tête d’un effectif de plusieurs dizaines de salariés dont un responsable personnel et administration, Mme [G] [U] et deux responsables développeurs MM [R] et [I] qui devaient prospecter aux fins d’ouverture de nouveaux magasins et assurer le suivi de ces ouvertures.

Le 8 juin 2006, il a signé avec la société Aldi Marché un contrat de mandat social d’une durée de trois ans avec tacite reconduction moyennant une rémunération brute globale de 110.000 euros annuel soit 86.000 euros au titre de son emploi de directeur de marketing et 24.000 euros au titre de sa responsabilité de gérant.

Par courrier du 30 juin 2006, M. [J] a notifié sa démission de ses fonctions de directeur de marketing.

M. [J] a introduit une procédure prud’homale à l’encontre des sociétés appelantes aux motifs qu’un courrier de démission lui aurait été remis en lui imposant sa ratification, et qui a donné lieu à un jugement du 7 novembre 2017 le déboutant de ses demandes, l’affaire étant pendante devant le cour d’appel de Grenoble.

Le mandat social a été renouvelé pour une période de trois ans du 1er juillet 2009 au 30 juin 2012 puis du 1er juillet 2012 au 30 juin 2015. Sa rémunération est passée de 167.000 euros au 1er janvier 2012 à 181.000 euros à compter du premier janvier 2014. Soit 16.701,55 euros brut par mois.

Des agissements frauduleux ont été imputés à M. [I], M. [J] ayant découvert qu’il s’était livré à des malversations au préjudice de l’entreprise.

M [J] en a informé son supérieur hiérarchique M. [O], directeur général de la société Aldi.

Une réunion a notamment eu lieu le 8 septembre 2014 en présence de ses supérieurs hiérarchiques et d’avocats spécialisés en droit pénal afin d’évaluer la pertinence d’une plainte à l’encontre de M. [I]. Ce dernier a été licencié pour faute lourde par M. [J] le 23 septembre 2014.

M. [J] a été convoqué par lettre recommandée avec accusé de réception du 26 septembre 2014 à un entretien avec le représentant de l’associé unique pour le 6 octobre 2014, la révocation de son mandat étant envisagée.

Le courrier du 27 septembre 2014 visait l’audit des documents gérés par M. [I] et révélait

– une sous location en janvier 2014 au nom de M. [I] de la partie non utilisée par Aldi d’un local commercial de [Localité 4], M [O] soulignant que cette sous-location aurait pu être constatée si M. [J] s’était rendu sur site,

– l’émission le 15 juillet 2014 de deux chèques à l’ordre de la société LCDF l’un de 35.000 euros pour avance sur loyer et l’autre à hauteur de 120.000 euros pour participation forfaitaire à l’aménagement d’un ‘tourne à gauche’, deux chèques émis et signés par M. [J] en l’absence de tout bail de l’immeuble commercial de [Localité 5] auquel ils étaient censés se rapporter,

– des factures au profit des sociétés MCG, LCDF, GEMO, P&P et Eiffage validées par M. [J] et réglées par la société en l’absence de visa de l’architecte et/ou l’absence de prestations justifiées, le préjudice de Aldi marché constituant potentiellement de fausses factures ou la surfacturation étant estimé à plus de un million d’euros,

– ces griefs rendent impossible le maintien de la confiance de l’associé unique pour la poursuite du mandat social dans l’intérêt social de la société.

Trois griefs lui étaient ainsi reprochés, une déficience de management, une déficience de contrôle interne et une perte de confiance de l’associé unique.

Sa révocation lui a été notifiée par l’associé unique par lettre recommandée avec accusé de réception du 6 octobre 2014 sans versement d’indemnité. Il a été remplacé par Mme [U].

M. [J] a contesté cette décision par courrier du 14 octobre 2014 pour par lettre adressée au groupe Aldi en Allemagne le 25 mars 2015.

Fin avril 2015, M. [O] a été révoqué de ses fonctions de directeur général de la société Aldi.

Par actes introductifs d’instance des 30 et 31 mai 2016, M. [J] a fait assigner les sociétés Aldi et Aldi marché devant le tribunal de commerce de Vienne aux fins de voir reconnaître que sa révocation est dépourvue de justes motifs et obtenir l’indemnisation de ses préjudices.

Le jugement du tribunal de commerce de Vienne du 9 mars 2017 a :

– dit que la révocation du mandat de M. [M] [J] était dépourvue de justes motifs,

– condamné solidairement les sociétés Aldi et Aldi marché à lui payer la somme de 250.523,25 euros à titre d’indemnité contractuelle en réparation du préjudice subi du fait d’une révocation mal fondée,

– débouté M. [J] de sa demande en paiement de la somme de 50.000 euros nets à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l’absence de justes motifs de la révocation,

– débouté M. [J] de sa demande en paiement de la somme de 50.000 euros nets à titre de dommages intérêts aux motifs de circonstances violentes et vexatoires de sa révocation,

– condamné solidairement les sociétés Aldi et Aldi marché à payer à M. [J] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– ordonné l’ exécution provisoire,

– condamné solidairement la société Aldi et la société Aldi Marché aux dépens.

Les société Aldi et Aldi Marché ont relevé appel total de cette décision par déclaration du 10 avril 2017.

La clôture est intervenue le 7 mars 2019.

* * *

Aux termes de leurs dernières conclusions déposées le 8 février 2019, les sociétés Aldi et Aldi Marché demandent à la cour :

– de débouter M. [J] de l’ensemble de ses prétentions,

– de réformer le jugement querellé en ce qu’il a dit que la révocation du mandat social de M. [J] était intervenue sans juste motif et les a solidairement condamnées au paiement d’une indemnité contractuelle de révocation de 250.523,25 euros et à 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– à titre préalable, de constater que la société Aldi est étrangère aux faits du litige, qu’étant dépourvue d’intérêt à agir, les demandes formées à son encontre par M. [J] sont irrecevables,

– à titre principal, de dire que les défaillances de M. [J] dans l’exercice de ses fonctions de gérant de la société Aldi sont constitutives de fautes de gestion,

– de constater que le contrat de mandat conclu entre M. [J] et la société Aldi marché ne prévoyait aucune indemnité contractuelle de révocation dans l’hypothèse d’une révocation du gérant fondée sur une faute de gestion,

– de débouter MP. [J] de sa demande indemnitaire,

– à titre subsidiaire,

– de dire que la révocation de M. [J] de ses fonctions de gérant de la société Aldi marché est intervenue pour ‘juste motif’,

– de constater que le contrat de mandat conclu entre M. [J] et la société Aldi marché prévoyait une indemnisation applicable sauf si une disposition légale prévoit un quantum inférieur,

– de constater que l’article L 223-25 du code de commerce exclut toute indemnisation du gérant évincé dans l’hypothèse où la révocation intervient pour juste motif,

– de dire en conséquence qu’aucune indemnisation n’est due à M. [J] à raison de la révocation de son mandat de gérant de la société Aldi marché,

– de débouter M. [J] de la demande indemnitaire formée par ses soins,

– à titre infiniment subsidiaire, si la cour retenait que M. [J] a été révoqué sans juste motif,

– de dire que l’indemnisation prévue au contrat de mandat est exclusive de tous autres dommages intérêts tenant aux motifs de la révocation,

– de constater en tout état de cause que M. [J] ne justifie d’aucun préjudice lié à la révocation de son mandat de gérant qui ne serait pas d’ores et déjà couvert par l’indemnité stipulée au mandat qui avait été régularisé entre les parties,

– de condamner en conséquence la société Aldi marché à verser à M. [J] le montant de l’indemnité contractuelle telle que stipulée au contrat soit la somme de 250.523,23 euros,

– de débouter M. [J] de toute demande plus ample,

– en tout état de cause,

– de constater que M. [J] a été mis en mesure avec un délai suffisant de connaître les motifs de la révocation envisagée pour préparer sa défense et présenter ses observations préalablement à la décision de révocation,

– de constater que les droits de la défense ont été respectés,

– de constater que la révocation des fonctions de gérant est intervenue en dehors de toutes circonstances vexatoires,

– de dire en conséquence que les circonstances de la révocation sont exemptes de tout abus,

– de débouter M. [J] de ses demandes indemnitaires à cet égard,

– de condamner M. [J] au paiement de la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile à chacune des sociétés et aux dépens de première instance et d’appel.

Elles expliquent que :

– M. [I] devait habiter à proximité de son travail dans le cadre du mi-temps thérapeutique et suite aux difficultés pour le localiser, M. [J] envisageait de mettre un terme à son contrat, et dans ce cadre, la société Aldi a demandé à ce dernier d’examiner au plus près l’activité du salarié, c’est à la faveur de ces vérifications que les malversations ont été découvertes,

– il a suffi à M. [J] de se pencher sur les opérations faites par M. [I] pour découvrir les anomalies, depuis l’embauche du salarié en 2009,

– M. [I] était parvenu à faire régler par la société différentes factures dépourvues de contrepartie et aux montants disproportionnés, il est parvenu à sous-louer à son usage exclusif de décembre 2013 à septembre 2014 une portion d’un local pris à bail le 11 octobre 2012 par Aldi Marché au titre du magasin de [Localité 4] et sollicité des chèques de 35.000 euros et 120.000 euros,

– le préjudice issu des malversations est d’environ 2,5 millions d’euros et les malversations ont pu être faites impunément sur une période de 5 ans par M. [I] qui n’a pas été inquiété par M. [J].

Elles soutiennent que :

– la société Aldi est étrangère aux faits dont est saisie la cour, les demandes formées à son encontre sont frappées d’irrecevabilité, le contrat de mandat qui prévoit l’indemnité contractuelle n’a été conclu qu’avec Aldi Marché, les dommages intérêts ne peuvent être mis à la charge que de la société concernée par le mandat social auquel il a été mis fin et la condamnation d’un ou plusieurs associés ne peut intervenir que sur la base du droit commun (1382) en présence d’une faute personnelle du ou des associés concernés se caractérisant par une volonté de nuire au dirigeant évincé,

– M. [J] n’invoque aucune argumentation spécifique à l’encontre de la société Aldi, le tribunal de commerce n’a pas retenu de faute qui lui soit imputable,

– les manquements graves et répétés de M. [J] aux obligations qui étaient les siennes en qualité de gérant justifient qu’il soit mis fin à son mandat, qu’il s’agissent de fautes de gestion à titre principal ou subsidiairement de justes motifs, ils justifient qu’il ne soit pas versé d’indemnité,

– le juste motif de l’article L 223-25 du code de commerce peut consister en une faute de gestion ou une contrariété à l’intérêt social ou une perte de confiance, et en l’espèce, les parties ont entendu aménager la règle en dispensant automatiquement la société du paiement d’une indemnité en présence d’une faute de gestion du gérant et le comportement de M. [J] vis à vis de M. [I] revêt la qualification de faute de gestion, tant la confiance aveuglément accordée à ce dernier lui a fourni le terreau nécessaire à la commission de ses exactions,

– M. [J] apposait son visa sur les mémos de M [I] de manière automatique en abandonnant tout sens critique en dépit de l’importance des montants, une décision urgente aurait dûe être vérifiée par la suite, (mémoire sur une dépense de désamiantage du site de Salaise alors qu’il n’y avait pas de personnel Aldi faute de bail et le bâtiment n’avait pas d’amiante),

– M. [J] ne vérifiait pas les affirmations du salarié, qui a pu organiser une sous-location occulte d’une partie d’un magasin à son profit, il n’a pas véritablement interrogé M. [I] à cet égard, il n’a pas sollicité le service comptable sur le paiement des loyers, il n’a pas vérifié la régularité de la sous-location alors que le bail l’interdisait, il allègue sans preuve être allé sur place avant le 26 mars 2014 et n’a en tout état de cause pas pris les mesures qui s’imposaient, il n’a posé qu’une question au salarié sans vérification personnelle, il indique faussement qu’Aldi marché aurait envisagé une sous-location, alors qu’elle envisageait seulement une cession de droit au bail régulière,

– il a accepté une facture de 120.000 euros (Sallanches) le jour même et sans justificatifs autres qu’une facture irrégulière en la forme, il confond validation d’une facture pour paiement et signature de ladite facture, le chèque a été émis de suite, ce qui est un procédé exceptionnel, alors que le contrat n’était pas produit et le fournisseur inconnu ; il ne justifie pas avoir transmis le mémo à

M. [O] et cette information n’était pas en tout état de cause une demande d’autorisation,

– dans le dossier [Localité 5], M. [J] a autorisé l’emploi de fonds (factures d’avance de trois mois de loyer et de création d’un tourne à gauche) alors qu’aucun bail n’était régularisé, il n’avait établi aucun pouvoir de signature pour régulariser un bail,

– pour le dossier Crest (102.888 euros) la prestation avait déjà été réalisée et facturée, les factures litigieuses (désamiantage, démolition) étaient dépourvues d’objet puisque le bâtiment était démoli,

– de nombreuses factures de travaux ont été validées et mises en paiement sans validation d’architecte,

– des documents ont été utilisés comme justificatifs comptables alors qu’ils comportaient d’importantes et grosses irrégularités, (numéro RCS…),

– la facilité avec laquelle les malversations ont été mises à jour témoignent de l’absence de contrôle a posteriori,

– il n’y a pas eu de délégation de signature permanente à M. [I], la plupart des décisions litigieuses sont intervenues en vertu des pouvoirs spéciaux conférés par M. [J], (bail de [Localité 4]…) Et la délégation de pouvoir n’affranchit pas le délégataire de toute responsabilité,

– M. [J] tente de justifier ses défaillances par celles de ses collaborateurs placés sous sa supervision directe, il lui appartenait de comme supérieur hiérarchique et gérant de s’assurer de la parfaite exécution des obligations des personnes concernées,

– les contrôles comptables externes ne n’étaient pas destinés à se substituer à son obligation de surveillance, il n’avait pas mis en place de procédure de contrôle interne,

– il existe de justes motifs, notamment une légitime perte de confiance,

– à titre subsidiaire, seule l’indemnité contractuelle doit être versée, elle est exclusive d’une indemnisation sur un autre fondement, aucun préjudice n’est démontré, il a été indemnisé de sa perte d’emploi par l’assurance GSC, son mandat venait à expiration 8 mois après la révocation,

– aucun abus n’entoure les circonstances de la révocation, M. [J] s’en est ému tardivement.

* * *

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 8 février 2018, M. [J] demande à la cour de :

– au visa de l’article L 223-25 du code de commerce,

– confirmer le jugement rendu en ce qu’il a

– dit que la révocation de son mandat était dépourvue de justes motifs,

– condamné solidairement les sociétés Aldi et Aldi Marché à lui payer la somme de 250.523,25 euros à titre d’indemnité contractuelle en réparation du préjudice subi du fait d’une révocation mal fondée,

– condamné les mêmes à 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– infirmer le jugement pour le surplus,

– statuant à nouveau, dire vexatoires les conditions de sa révocation,

– condamner solidairement les sociétés Aldi et Aldi Marché à lui payer

– 50.000 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l’absence de juste motif de la révocation,

– 50.000 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice subi du fait du caractère brutal et vexatoire de la révocation,

– 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel,

– condamner les appelantes aux dépens.

Il explique que :

– aucun reproche ne lui a été adressé pendant une durée de 10 ans concernant les actes de gestion, il a réalisé sa mission avec un investissement et une loyauté sans failles,

– les développeurs embauchés disposaient d’une délégation de pouvoir et/ou de signature, pour mener à bien leur mission,

– il a réalisé que M. [I] se livrait à des actes de malversation après avoir eu des soupçons en raison de la difficulté à connaître la domiciliation du salarié, qui avait été placé à mi-temps thérapeutique, qu’il avait menti sur son domicile d’où un rappel à l’ordre par courrier du 25 février 2014, ses soupçons ont été confirmés par la secrétaire développement,

– il en a immédiatement informé le directeur général d’Aldi, M. [O], qui l’a chargé de regrouper des éléments à l’encontre de ce salarié et de les transmettre au conseil de l’entreprise de l’époque,

– la réunion du 8 septembre 2014 a mis à l’étude la pertinence d’une plainte pénale, il lui a finalement été demandé de procéder à un licenciement pour faute grave,

– le 26 septembre 2014, M. [O] a déposé plainte contre M. [I] pour des faits de recel d’escroquerie.

Il fait valoir que :

– pour révoquer un mandat il faut cumulativement une faute d’une certaine gravité et commise dans l’exercice du mandat social, or, les actes frauduleux étaient imputables à M. [I],

– le contexte de la découverte des malversations démontre son absence de faute, les faits n’ont pas été découverts lors d’un audit mais par le concluant, la plainte de septembre 2014 le confirme, et il a donné l’alerte et prouvé sa loyauté et son sens des responsabilités,

– il a averti l’associé unique du comportement de M. [I] et a été à l’initiative des investigations, il n’avait pas l’intention antérieurement de se séparer de ce salarié et n’a pas contrôlé son activité dans ce but,

– les contrôles successifs réalisés par lui n’avaient pas révélé de fraude ou surfacturation, alors qu’ils sont réalisés tous les ans par deux contrôleurs, français puis deux contrôleurs allemands,

ces audits ne sont pas de simples contrôles formels, ce qu’a reconnu le tribunal de commerce,

– ceci explique qu’il ait pu être dupé par M. [I] pendant plusieurs années comme d’autres responsables Aldi, ce dernier recourait à divers stratagèmes élaborés pour tromper ses interlocuteurs, (faux en écriture, usurpation d’identité, falsification de signature…), les juges du fond ont fait état d’un ‘professionnalisme’,

– M. [O] s’est également fait abuser à plusieurs reprises, notamment lors du projet de chantier du magasin Aldi de Grenoble, il a signé un chèque de 33.000 euros sur présentation d’un faux et signé une procuration pour M. [I] alors qu’il s’agissait d’un faux,

– la pratique des procurations et délégations de pouvoir a été condamnée en première instance, c’est ce qui a permis les falsifications, ceci retirait au concluant une part significative du management et de la responsabilité de contrôle,

– aucun des griefs adverses n’est établi,

– c’est sur la base d’un bail établi par maître Ginon que M. [I], qui bénéficiait d’une délégation de pouvoir et de signature) a procédé à une sous-location, en falsifiant des baux commerciaux, toutes les pièces (quittances…) donnaient l’apparence d’une location régulière,

– il n’avait pas à se déplacer sur les différents sites (60 magasins), il n’avait pas de latitude sur les baux commerciaux souscrits au nom de la société, il n’en était jamais signataire, il n’a pas été informé de l’existence du bail, découvert par hasard lors d’une visite ponctuelle, et M. [I] s’est porté garant de la régularité de la location commerciale, indiquant ne pas être en possession du bail régularisé, il a ensuite procédé à la vérification et a découvert la fraude qu’il a révélée,

– la société Aldi marché avait toujours prévu de sous-louer (plainte [O]),

-il s’agissait de faits anciens (10 mois) ne pouvant justifier une révocation) et il n’y a pas de préjudice démontré,

– sur le dossier [Localité 5], un chèque n’est avalisé par le gérant qu’après validation du service comptable, et aucune alerte n’avait été donnée, il y a une double signature, Mme [U] n’a pas été sanctionnée, la procédure de double signature ne servait à rien, ce qu’a retenu le tribunal,

– le bail en cause était un faux, et le salarié l’a détruit, il conteste avoir signé des chèques dans ce dossier, alors que M. [I] falsifiait les signatures,

– il validait plusieurs milliers de factures par mois (30.000 en un an), il ne pouvait vérifier point par point les mentions des factures, Aldi a mis en place une procédure de validation, un chèque de règlement n’est pas établi sur la seule validation et décision du gérant,

– aucune anomalie n’a été relevée pendant sa gérance sur les chantiers, d’éventuelles surfacturations n’auraient pu être vérifiées que par l’associé unique, aucune difficulté n’a été constatée lors des contrôles annuels de comptabilité, il lui est reproché moins de’une dizaine de factures portant sur des montants qui ne sont pas inhabituels,

– une facture du dossier Sallanche comporte la signature de Mme [U], un courrier comporte une fausse signature,

– les factures Crest sont des factures complémentaires, et n’ont pas le même objet que la facture initiale, la présence d’amiante n’était pas incohérente, la référence RCS était trompeuse,

– sur le dossier Salaise, les travaux étaient présentés comme urgents, les chèques ont fait l’objet d’une double validation,

– les appelantes ne se prévalent plus des factures P&Pet ne justifient de rien sur les factures Eiffage,

– aucune perte de confiance ne peut être invoquée, c’est grâce à lui que les faits ont été découverts, tout le monde s’est fait duper dont M. [O] qui a validé un chèque en l’absence du concluant,

– des indemnités pour révocation abusive peuvent se cumuler,

– il s’est vu valider sa révocation par un simple message téléphonique, et interdire les locaux de l’entreprise,

– il a créé son entreprise en 2016 mais sa situation reste précaire. Il a un préjudice moral.

* * *

Il convient pour un plus ample exposé des prétentions et arguments des parties de se référer aux conclusions susvisées conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

Aux termes de l’article L 223-25 du code de commerce, ‘le gérant peut être révoqué par décision des associés dans les conditions de l’article L 223-29 à moins que les statuts prévoient une majorité plus forte. Si la révocation est décidée sans juste motif, elle peut donner lieu à des dommages intérêts’.

Par ailleurs, le contrat de mandat conclu entre la société Aldi marché et M. [J] stipulait que :

article 1 : le présent contrat de mandat règle les droits et obligations qui incombent au gérant en sa qualité de mandataire social de la société…une violation par le gérant des obligations fixées au présent contrat habilite l’associé unique à révoquer immédiatement le gérant.

Article 8.1 : en cas de cessation anticipée de son mandat, suite à sa révocation…le gérant percevra à titre d’indemnité, en un versement et dans le délai d’un mois à compter de la cessation de ses fonctions le plus élevé des montants suivants :

– l’équivalent de la rémunération brute à laquelle il aurait pu prétendre au titre de son mandat social en l’absence de révocation de celui-ci soit l’équivalent de cette rémunération pour la durée du mandat social restant à courir

– l’équivalent de 15 mois de rémunération brute si M. [J] a une ancienneté égale ou supérieure à 10 ans.

Selon l’article 8.2, l’article 8.1 n’est pas applicable en cas de violation par le gérant des dispositions légales applicables aux sociétés à responsabilité limitée ou des statuts de la société Aldi marché en cas de faute de gestion entraînant la responsabilité du gérant envers la société ainsi que dès lors que la loi ou la jurisprudence prévoit une indemnisation inférieure à celle de l’article 8.1.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 26 septembre 2014, la Sarl Aldi a informé M. [J] de ce que l’associé unique de la société Aldi Marché examinerait le 6 octobre 2014 la révocation de son mandat de gérant de la société Aldi Marché en raison d’une déficience de management et de contrôle interne. La Sarl Aldi marché se prévalait, après audit des documents gérés par M. [I] :

– d’une sous-location en janvier 2014 au nom de M. [I] de la partie non utilisée par Aldi du local commercial de [Localité 4], qui aurait pu être constatée par une visite sur le site, (escroquerie estimée à 29.500 euros),

– de l’émission le 15 juillet 2014 de deux chèques libellés à l’ordre de la société LCDF, l’un à hauteur de 35.000 euros pour avance sur loyer et l’autre à hauteur de 120.000 eurso pour participation forfaitaire à l’aménagement d’un ‘tourne à gauche’ en l’absence de tout bail de l’immeuble commercial de [Localité 5] auquels ils étaient censés se rapporter (préjudice 155.000 euros),

– de diverses factures validées et réglées par la société malgré l’absence de visa par l’architecte et/ou l’absence de prestations justifiées (préjudice de plus de un million d’euros).

Par courrier du 6 octobre 2014, le mandat social était révoqué, le courrier faisant état d’éléments graves constatés au cours d’un audit de la société dont il était le gérant.

Sur les fautes de gestion alléguées par les appelantes, la cour relève de manière liminaire que pendant plusieurs années, les compétences de M. [J] dans l’exercice de ses fonctions n’ont donné lieu à aucun reproche ni même à aucune remarque notamment quant à une déficience de management.

Il n’est pas contesté que M. [I] a commis diverses malversations financières au préjudice de la société Aldi marché et que M. [J] n’a pas dans un premier temps découvert ces malversations mais seulement durant l’été 2014. Il n’en découle cependant pas obligatoirement que M. [J] a nécessairement commis une faute en ne réalisant pas plus tôt les actes frauduleux du responsable développeur.

Il résulte des éléments du dossier que M. [J] avait néanmoins rappelé son salarié à l’ordre par courrier du 25 février 2014 sur l’obligation de résidence dans le cadre du mi-temps thérapeutique.

Ensuite, il résulte de l’attestation de Mme [N], subordonnée hiérarchique de M. [J] que cette dernière l’a avisé de pratiques irrégulières de M. [I] et de sa volonté de les cacher à la direction. M. [J] a réagi en informant ses supérieurs, ce qui a conduit à la réunion du 8 septembre 2014 et à la plainte pénale, outre le licenciement pour faute grave du salarié demandé à M. [J].

Il apparaît donc que M. [J] a fait preuve de réactivité dès lors qu’il a été en mesure d’apprécier le comportement de M. [I] et qu’il a adopté une attitude loyale.

Notamment, si le courrier de révocation du mandat fait état d’un ‘audit ayant révélé des éléments graves’, il convient de constater que M. [O], dans son audition du 26 septembre 2014, confirme que c’est M. [J] qui a avisé ses supérieurs de difficultés avec M. [I] et a fait part de ses doutes sur son honnêteté.

Rien ne confirme par ailleurs l’allégation des appelantes selon lesquelles M. [J] n’aurait en fait agi que dans la perspective de se séparer de M. [I], d’où un contrôle de son activité.

Aucune perte de confiance à ce titre ne peut être retenue à l’encontre de M. [J] qui a fait diligence, et sauvegardé les intérêts de la société dès lors qu’il a eu des doutes sérieux sur l’attitude du salarié.

Sur le fait que M. [J] aurait dû nécessairement se rendre compte plus tôt des agissements de M. [I], et n’a pas procédé au contrôle interne nécessaire, il apparaît que M. [I] bénéficiait de délégations de pouvoir, le jugement querellé ayant justement relevé que la délégation de signature avait permis à M. [I] de falsifier un certain nombre de documents et qu’elle retirait partie de ses possibilités de contrôle au gérant.

Il résulte également des éléments du dossier, sans qu’il ne soit nécessaire de rentrer dans leur détail, que M. [I] a lors de la commission des faits délictueux réussi à duper non seulement M. [J] mais d’autres responsables Aldi (dont M. [O] sur la présentation d’un faux compromis de vente, ce qui résulte des pièces de l’intimé) en employant des stratagèmes très élaborés (dont la fabrication de faux en écriture, falsification d’identité, usurpation d’identité) retardant inévitablement la découverte des agissements. C’est à juste titre que le jugement querellé a relevé que les escroqueries avaient été réalisées ‘avec professionnalisme’, ce qui lui permettait de duper des interlocuteurs normalement diligents et les processus de sécurité existant dans l’entreprise.

M. [J] justifie ainsi avoir fait pratiquer un contrôle interne du 9 au 13 septembre 2013 portant sur le bien fondé de factures de frais généraux et immobilisations portant sur un échantillon de 439 factures qui ne peut se résumer à un simple contrôle formel et qui n’a pas révélé d’anomalies.

Compte tenu du nombre de factures gérées par la société, il ne peut par ailleurs être reproché à M. [J] de ne pas avoir été à même de contrôler précisément l’ensemble des factures dont les factures litigieuses, ce qui était impossible compte tenu de l’étendues de la mission globale du gérant définie aux articles IV et V annexe A/1 du contrat de mandat (mission de développement économique de la société, mission de réflexion stratégique, mission de gestion et d’administration de l’entreprise). C’est à juste titre que le tribunal de commerce a souligné que l’atteinte des résultats attendus n’était possible qu’en s’appuyant sur une équipe d’encadrement structurée et des délégations aux principaux responsables, ayant une soixantaine de magasins sous sa responsabilité.

De même, les stratagèmes très élaborés employés par M. [I], avec le bénéfices dans certains cas de complicités extérieures, s’agissant plus particulièrement de la sous-location du local de [Localité 4] et des chèques censés se rapporter à un immeuble de [Localité 5] ont dans un premier temps pu échapper au gérant, et il ne peut être reproché à ce dernier d’avoir dans un premier temps accepté les premières explications d’un salarié qu’il ne pouvait a priori soupçonner de malversations, étant rappelé qu’il a alerté ses supérieurs dès qu’il a eu des éléments pour ce faire.

Il n’est donc pas établi de faute de gestion à son encontre.

En conséquence, le jugement est confirmé en ce qu’il a dit que la révocation du mandat était dépourvue de justes motifs.

Sur les préjudices

Il est en premier lieu relevé que M. [J] ne précise pas malgré les conclusions adverses en quoi la société Aldi, en qualité d’associé unique, serait débitrice des sommes réclamées au même titre que la société Aldi marché dont il était le gérant et avec qui il était lié par contrat.

Le jugement est infirmé de ce chef et M. [J] est en conséquence débouté de ses demandes en paiement à l’encontre de cette société.

La société Aldi Marché ne justifiant d’aucune faute de gestion ni d’un juste motif à l’encontre de M. [J], l’indemnité contractuelle correspondant à l’équivalent de 15 mois de rémunération brute puisque M. [J] a une ancienneté égale ou supérieure à 10 ans est due à ce dernier.

Le montant de cette indemnité n’étant pas discuté en appel, le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné la société Aldi marché à la payer.

M. [J] présente deux autres demandes d’indemnisation de préjudices.

Concernant les autres prétentions de M. [J], le jugement doit également être confirmé en ce qu’il a rejeté la demande en paiement de dommages intérêts ‘en réparation du préjudice subi du fait de l’absence de justes motifs de la révocation’, le tribunal ayant à juste titre relevé que ce préjudice était déjà indemnisé par l’indemnité contractuelle susvisée. M. [J] ne rapporte en effet pas la preuve d’un préjudice distinct de celui déjà indemnisé au titre du contrat.

Sur la réparation d’un ‘préjudice subi du fait du caractère brutal et vexatoire de la révocation’, c’est également à bon escient que le tribunal a relevé que le formalisme de la révocation avait été respecté, qu’il avait été convoqué à un entretien avec le représentant de l’associé unique le 6 octobre 2014, la convocation comportant les motifs pour lesquels sa révocation était envisagée, qu’il avait pu s’expliquer lors de la réunion.

M. [J] invoque principalement au soutien de sa demande un courrier qu’il a lui-même écrit à la direction allemande du groupe Aldi en retraçant ses doléances. Ne pouvant créer des moyens de preuve à lui-même, cette pièce est totalement inopérante.

Il se prévaut ensuite de ses pièces 49 et 50 soit des témoignages de deux personnes à qui il aurait fait écouter un message téléphonique de son employeur lui demandant tout d’abord de le rappeler puis lui annonçant la révocation de son mandat et l’invitant à le recontacter pour convenir de la fin du mandat. Aucun des propos rapportés n’a cependant un caractère vexatoire, les termes restant tout à fait courtois.

M. [J] ne caractérise donc pas plus en appel une attitude vexatoire dont il aurait été victime et indemnisable en sus de l’indemnité contractuelle.

Le jugement est confirmé en ce qu’il a rejeté cette prétention.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

La société Aldi Marché qui succombe sur ses prétentions supportera les dépens d’appel et versera à M. [J] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu’il a prononcé des condamnations à l’encontre de la société Aldi.

Statuant à nouveau,

Déboute M. [J] de ses prétentions envers la société Aldi.

Condamne la société Aldi Marché aux dépens d’appel et à payer à M. [J] en cause d’appel la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

SIGNE par Mme GONZALEZ, Président et par M. STICKER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le GreffierLe Président

 


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