15 septembre 2022 Cour d’appel de Nîmes RG n° 21/01789

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15 septembre 2022 Cour d’appel de Nîmes RG n° 21/01789

ARRÊT N°

N° RG 21/01789 –

N° Portalis DBVH-V-B7F-IBED

SL -AB

TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE CARPENTRAS

16 mars 2021

RG :20/01174

[X]

C/

[Z]

Grosse délivrée

le 15/09/2022

à Me Philippe PERICCHI

à Me Stéphanie GALA

COUR D’APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

1ère chambre

ARRÊT DU 15 SEPTEMBRE 2022

APPELANT :

Monsieur [B] [H] [N] [X]

exerçant à titre d’entrepreneur individuel, inscrit au RCS d’Avignon n° 492 740 212,

né le 28 Mai 1983 à [Localité 6]

[Adresse 1]

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représenté par Me Philippe PERICCHI de la SELARL AVOUEPERICCHI, Postulant, avocat au barreau de NIMES

Représenté par Me Jean FELIX de la SELARL CHAMPOL CONSEIL, Plaidant, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMÉE :

Madame [G] [Z]

née le 19 Mars 1965 à [Localité 7] (BELGIQUE)

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Stéphanie GALA, Postulant, avocat au barreau de CARPENTRAS

Représentée par Me Arnaud DELOMEL, Plaidant, avocat au barreau de RENNES

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Mme Séverine LEGER, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre

Mme Elisabeth TOULOUSE, Conseillère

Mme Séverine LEGER, Conseillère

GREFFIER :

Mme Nadège RODRIGUES, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision

DÉBATS :

À l’audience publique du 13 Juin 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 15 Septembre 2022,

Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel ;

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre, le 15 Septembre 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour

EXPOSE DU LITIGE

Le 9 avril 2011, Mme [G] [Z] a souscrit un contrat auprès de la société étrangère Alter management Llc, gérant le Fonds Absolute Return Fund Trust (ARF Trust) afin de voir placer la somme de 43 000 euros.

Le placement a été effectué par l’intermédiaire de M. [B] [X], conseiller en investissement financier, selon lettre de mission signée le 9 avril 2011 par Mme [Z].

Le 27 janvier 2012, après proposition de M. [X], Mme [Z] a accepté d’investir à nouveau dans le fonds ARF Trust la somme de 15 000 euros.

En l’absence de renseignement sur la situation de son compte et vu l’impossibilité de recouvrer les fonds investis, Mme [Z], qui avait appris que plusieurs enquêtes pénales étaient en cours à l’encontre de ces sociétés, a mis en demeure M. [X] de restituer les fonds placés par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 juillet 2020.

Par acte du 29 octobre 2020, Mme [Z] a assigné M. [X] devant le tribunal judiciaire de Carpentras afin de le voir condamner à lui rembourser les sommes remises, avec intérêts au taux de 7 % à compter de l’année 2011, outre des dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral ainsi qu’une indemnité pour frais irrépétibles.

Par jugement réputé contradictoire du 16 mars 2021, le tribunal judiciaire de Carpentras a :

– condamné M. [B] [X] à payer à Mme [G] [Z] la somme de 40 800 euros à titre de dommages-intérêts ;

– condamné M. [B] [X] aux dépens de l’instance ;

– condamné M. [B] [X] à payer à Mme [G] [Z] une indemnité de 2 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– rejeté les autres demandes.

Par déclaration du 6 mai 2021, M. [X] a interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance contradictoire du 7 février 2022, le conseiller de la mise en état, saisi par des conclusions d’incident notifiées par voie électronique le 18 juin 2021 par Mme [Z], intimée, aux fins de radiation de l’affaire du rôle sur le fondement des dispositions des articles 514 et 524 du code de procédure civile, a :

– débouté Mme [G] [Z] de sa demande de radiation ;

– réservé les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– dit que les dépens de l’incident seront joints au fond.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 6 août 2021 auxquelles il sera renvoyé pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens, l’appelant demande à la cour de réformer en toutes ses dispositions la décision dont appel et de :

A titre principal,

– juger l’action de Mme [Z] prescrite et la débouter de ses demandes;

A titre subsidiaire,

– juger qu’il n’a commis aucune faute et la débouter de toutes ses demandes ;

– la condamner à lui payer en cause d’appel la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Il fait valoir que :

– l’action engagée à son encontre est prescrite au regard du délai quinquennal de prescription prévu à l’article 2224 du code civil qui a commencé à courir dès la souscription du contrat ainsi que le prévoit la jurisprudence constante pour le dommage résultant du manquement à une obligation de mise en garde ;

– sa responsabilité contractuelle ne saurait être mise en oeuvre puisqu’il ne lui appartenait pas de mettre en garde Mme [Z] sur les risques d’un placement non agréé par l’AMF au profit d’investisseurs non professionnels dès lors que Mme [Z] était déjà suivie par son conseiller financier et que le simple fait qu’il ait procédé à une opération publicitaire concernant le placement litigieux ne constitue pas à lui seul une faute de nature à engager sa responsabilité.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 20 mai 2022 auxquelles il sera également renvoyé, l’intimée demande à la cour de :

– confirmer le jugement en toutes ses dispositions à l’exception du montant de la condamnation au titre des dommages-intérêts,

Statuant à nouveau,

– débouter M. [X] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

– le condamner à lui verser la somme de 58 000 euros, correspondant à son investissement initial augmenté des intérêts garantis de 7% par an, de 2011 à l’année du jugement à intervenir, en réparation de son préjudice matériel ;

– condamner M. [X] à lui verser la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts, en réparation de son préjudice moral ;

– condamner M. [X] à lui verser la somme de 5 000 euros, au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens

Elle soutient que :

– son action n’est pas prescrite puisque le délai prévu à l’article 2224 du code civil n’a commencé à courir qu’au jour de la manifestation du dommage soit en fin d’année 2016, date à laquelle elle a rejoint le collectif de victimes mené par l’association ADC France ou le 16 octobre 2020, date à laquelle elle s’est constituée partie civile dans le dossier d’information judiciaire ouvert pour escroquerie à l’encontre de la structure ARF Trust ;

– le conseiller en investissement financier a manqué aux règles de bonne conduite imposées par sa profession en ayant recommandé un placement sans procéder aux vérifications nécessaires telles qu’imposées par l’AMF;

– sa responsabilité doit dès lors être engagée au regard de l’illégalité du placement proposé et du manquement aux obligations d’information et de conseil ;

– son préjudice matériel est constitué par la perte de chance d’avoir pu investir dans un produit sécurisé mais la responsabilité du courtier doit se situer à hauteur de 100 % du capital investi au regard du contexte.

Par ordonnance du 14 mars 2022, la procédure a été clôturée le 30 mai 2022 et l’affaire a été fixée à l’audience du 13 juin 2022 et mise en délibéré par mise à disposition au greffe de la décision le 15 septembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription :

Aux termes des dispositions de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

La prescription d’une action en responsabilité contractuelle ne court qu’à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé si la victime établit qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance.

En l’espèce, Mme [Z] a signé une lettre de mission le 9 avril 2011 par laquelle elle confiait une mission de conseil en gestion de patrimoine à M. [X], conseiller en investissement financier.

Dans le cadre de cette mission, elle a délivré deux ordres de virement le 13 mai 2011 et le 27 janvier 2012 d’un montant respectif de 43 000 euros et de 15 000 euros dans le cadre d’un placement financier auprès de la société ARF Trust, placements réalisés par l’intermédiaire de son conseiller en investissement financier.

C’est vainement que l’appelant se prévaut d’une fixation du point de départ de la prescription à la date de réalisation des investissements litigieux alors qu’à cette date, Mme [Z] n’avait nullement connaissance du caractère toxique des placements réalisés par l’intermédiaire de son conseiller financier.

Mme [Z] justifie s’être constituée partie civile dans l’information judiciaire ouverte au tribunal judiciaire de Blois à l’égard de la société ARF Trust le 16 octobre 2020 mais cette procédure ne concerne pas personnellement M. [X] et elle ne peut donc se prévaloir d’une fixation du point de départ de la prescription de son action engagée à l’encontre de son conseiller d’investissement financier à cette date.

Mme [Z] expose dans ses écritures avoir rejoint un collectif de victimes mené par l’association ADC France ayant publié sur son site internet le fruit de ses recherches sur ARF France en fin d’année 2016. Le document qu’elle verse aux débats n’est pas daté mais son contenu fait référence à la publication d’une page d’accueil au 11 octobre 2016.

L’assignation ayant été délivrée le 29 octobre 2020 et non le 29 octobre 2021 comme l’indique M. [X] dans ses conclusions, l’action en responsabilité civile contractuelle a bien été engagée avant l’expiration du délai quinquennal de prescription dont le point de départ a commencé à courir à compter du 11 octobre 2016, date à laquelle Mme [Z] a eu connaissance des informations concernant la société auprès de laquelle les placements litigieux ont été souscrits.

La fin de non-recevoir tirée de la prescription sera par conséquent rejetée.

Sur la responsabilité du conseiller en investissement financier :

Le conseil en investissement financier est une profession réglementée par les dispositions des articles L541-8-1 et suivants du code monétaire et financier inclus dans une section intitulée ‘Règles de bonne conduite’ et par les articles L325-5 et L325-6 du règlement général de l’AMF.

Le premier de ces textes dispose que le conseiller en investissement financier doit se comporter avec loyauté et agir avec équité au mieux des intérêts de ses clients et communiquer aux clients d’une manière appropriée, la nature juridique et l’étendue des éventuelles relations entretenues avec les établissements promoteurs de produits financiers, les informations utiles à la prise de décisions par ces clients ainsi que celles concernant les modalités de leur rémunération, notamment les tarifications de leurs prestations.

Il ajoute que ces règles de bonne conduite sont précisées par le règlement général de l’Autorité des marchés financiers.

L’article 325-5 du Règlement général de l’AMF dispose que toutes les informations, y compris à caractère promotionnel, adressées par un conseiller en investissement financier présentent un caractère exact, clair et non trompeur.

En sa qualité de professionnel prestataire de services d’investissement, le conseiller d’investissement financier est tenu d’une obligation de mise en garde à l’égard des clients profanes sur les risques des opérations ainsi que d’une obligation d’information et de conseil dont la charge de la preuve lui incombe.

Selon l’AMF, constitue un comportement nécessairement contraire à l’intérêt des clients le fait pour un conseiller d’investissement financier de recommander un investissement dans des instruments financiers sans s’être assuré au préalable que leur commercialisation était autorisée en France.

En application des dispositions de l’article L214-1-1 du code monétaire et financier, tout fonds d’investissement constitué sur le fondement d’un droit étranger autre que de type fermé, à l’exclusion d’un OPCVM ou d’un FIA, fait l’objet, préalablement à la commercialisation de ses parts ou actions en France, d’une autorisation délivrée par l’Autorité de marchés financiers.

L’article D214-0 du code monétaire et financier dispose que l’Autorité des marchés financiers ne délivre l’autorisation de commercialisation mentionnée à l’article L214-1 qu’à la condition que le fonds concerné soit soumis à des règles de sécurité et de transparence équivalentes aux règles françaises et qu’un instrument d’échange d’information et d’assistance mutuelle dans le domaine de la gestion d’actifs pour le compte de tiers ait été mis en place entre cette autorité et l’autorité de surveillance de ce fonds.

En l’espèce, M. [X] ne conteste pas l’absence d’agrément délivré par l’AMF au placement financier litigieux souscrit auprès de la société ARF Trust mais conteste toute responsabilité en indiquant que Mme [Z] a précisément sollicité ses services sur les conseils de son propre conseiller financier.

Le nom de M. [X] figure sur le bulletin de souscription signé le 3 avril 2011 par Mme [Z] et la lettre de mission du même jour fixe expressément le cadre de la relation contractuelle entre les parties de sorte que M. [X] ne peut échapper aux obligations professionnelles découlant de son statut de conseiller en investissement financier.

Il lui appartenait donc de délivrer une information loyale, précise et adaptée aux besoins de Mme [Z] dont il ne rapporte pas la preuve du caractère averti et il se devait de respecter les règles de bonne conduite découlant de son statut professionnel.

A défaut d’avoir procédé aux vérifications préalables concernant le fonds d’investissement étranger dont la commercialisation en France n’avait pas reçu d’agrément de l’AMF, le manquement de M. [X] à ses obligations professionnelles est établi et justifie l’engagement de sa responsabilité civile professionnelle.

La décision déférée mérite ainsi confirmation sur ce chef.

Sur le préjudice :

Mme [Z], qui excipe d’un préjudice de perte de chance d’avoir pu investir dans un produit sécurisé, n’est pas fondée à obtenir une somme équivalente à la totalité du capital investi dans les placements litigieux dans la mesure où l’indemnisation d’une perte de chance ne peut jamais être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.

Mme [Z] a investi la somme totale de 68 000 euros et a perdu la chance d’investir ce capital dans un produit sécurisé.

La perte de chance retenue par le premier juge à hauteur de 60 % est parfaitement adaptée aux éléments de l’espèce et la condamnation de M.[X] au paiement de la somme de 40 800 euros à titre de dommages-intérêts sera confirmée, cette somme portant seulement intérêts légaux à compter de décision de première instance.

Défaillante en la preuve d’un préjudice moral distinct de celui destiné à être réparé par l’allocation de la somme susvisée, Mme [Z] sera déboutée de sa prétention de ce chef par voie de confirmation de la décision déférée.

Sur les autres demandes :

Succombant en son appel, M. [X] sera condamné à en régler les entiers dépens, de première instance et d’appel, en application des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.

Il sera également condamné à payer la somme complémentaire de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par Mme [Z] en cause d’appel en vertu de l’article 700 du code d procédure civile.

M. [X] sera débouté de sa prétention du même chef en ce qu’il succombe.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription ;

Confirme la décision déférée dans l’intégralité de ses dispositions dévolues à la cour ;

Y ajoutant,

Condamne M. [B] [X] aux entiers dépens de l’appel;

Condamne M. [B] [X] à payer la somme de 2 000 euros à Mme [G] [Z] au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Arrêt signé par Mme FOURNIER, Présidente de chambre et par Mme RODRIGUES, Greffière.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

 


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