AFFAIRE PRUD’HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 20/02062 – N° Portalis DBVX-V-B7E-M5R2
S.C.M. SCM ANGIOSUD
C/
[X]
APPEL D’UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LYON
du 21 Février 2020
RG : F 18/03247
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 15 MARS 2023
APPELANTE :
Société ANGIOSUD
[Adresse 1] – Groupe Hospitalier Mutualiste
[Adresse 4]
[Localité 6]
représentée par Me Grégory KUZMA de la SELARL R & K AVOCATS, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
[J] [X]
née le 31 Mai 1982 à [Localité 6]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Stéphane TEYSSIER de la SELARL TEYSSIER BARRIER AVOCATS, avocat au barreau de LYON substituée par Me Erika COUDOUR, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 16 Janvier 2023
Présidée par Nathalie ROCCI, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffier.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
– Joëlle DOAT, présidente
– Nathalie ROCCI, conseiller
– Anne BRUNNER, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 15 Mars 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Malika CHINOUNE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************************
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Mme [J] [X] a été embauchée en qualité de secrétaire médicale le 13 juin 2003 en contrat de travail à durée déterminée à temps partiel.
La relation contractuelle s’est poursuivie à durée indéterminée à compter du 1er juin 2004.
A compter du 1er janvier 2013, Mme [X] a vu son contrat repris par la SCM ANGIOSUD, dont les gérants étaient les Docteurs [S] et [P].
Le contrat de travail était soumis à la convention collective des cabinets médicaux.
Au dernier état de sa collaboration, Mme [X] percevait un salaire mensuel brut moyen de 988 euros.
En 2016, Mme [X] était placée en congé maternité puis en congé parental. Elle a repris le travail en octobre 2017.
La Société ANGIOSUD expose que le 4 décembre 2017, elle a eu connaissance de faits particulièrement graves pour lesquels elle a sollicité des explications de la part de Mme [X] par courrier du même jour.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 janvier 2018, la société ANGIOSUD a notifié à Mme [X] un avertissement pour avoir:
– le 28 novembre 2017, géré pendant et sur le lieu de travail des affaires personnelles dans le secrétariat au vu et au su de tout le monde,
– le 30 novembre 2017, pris l’initiative d’annuler, de son propre chef et sans avertir sa hiérarchie, le remplacement d’une de ses collègues alors que l’employeur s’était engagé auprès d’une intérimaire,
– fait preuve d’un laisser-aller sur le respect des horaires de travail, avec des pauses plus longues que prévues notamment, et des absences injustifiées.
Mme [X] a été placée en arrêt de travail à compter du 5 mars 2018.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 16 mai 2018, la société ANGIOSUD a convoqué Mme [X] à un entretien préalable en vue d’une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement fixé au 28 mai 2017 (en réalité 2018).
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 7 juin 2018, la société ANGIOSUD a notifié à Mme [X] son licenciement pour cause réelle et sérieuse dans les termes suivants:
‘ Madame,
Vous travaillez en qualité de secrétaire médicale auprès de la SCM ANGIOSUD depuis le 12 juin 2013.
Nous avons eu connaissance de plusieurs faits graves qui nous ont amenés à vous convoquer à un entretien préalable à sanction pouvant aller jusqu’au licenciement le 17 mai 2018.
L’entretien n’a pas pu se dérouler le 28 mai 2018, vous ne vous êtes pas présentée.
Suite à l’analyse de l’ensemble des éléments recueillis, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute réelle et sérieuse motivé par les faits fautifs suivants.
Vous avez sollicité de Madame [V], secrétaire médicale, la rédaction d’un courrier à votre profit daté du 25/04/2018 réalisé sous l’entête du Docteur [I] en utilisant son cachet et sa signature pré-imprimée.
Ce courrier a été rédigé en usurpant son identité, sa qualité professionnelle de médecin et sa qualité d’employeur, ce qui est inacceptable.
En effet, à aucun moment le Docteur [I] n’a été informée de l’existence et de la teneur de ce courrier, qui est de surcroît erroné.
Ainsi, c’est avec désarroi et surprise que nous avons constaté que ce courrier a été adressé, sur vos indications, à une administration publique en charge de la restauration scolaire afin de vous faire bénéficier d’un droit particulier et manifestement indu.
La réalité et la gravité des faits sont parfaitement établies puisque vous reconnaissez par écrit avoir demandé la rédaction du courrier afin de pouvoir ‘justifier de mon emploi pour l’inscription de mes enfants aux temps de restauration’ et en être ainsi le commanditaire.
En effet, vous reconnaissez parfaitement l’intégralité des faits et vous précisez qu’il ne s’agit pas de la premiére fois que vous demandiez la rédaction d’un document de cette nature.
A aucun moment vous n’avez demandé a votre employeur de rédiger un tel document, alors même qu’il est le seul compétent en être l’auteur (sic).
Il n’est pas acceptable que vous sollicitiez de vos collègues la rédaction de correspondances contenant des informations erronées, et cela, en utilisant le nom, la qualité et la signature du Docteur [I], sans même l’en informer au préalable.
Partant, vous avez manqué gravement à vos obligations professionnelles essentielles en demandant qu’un courrier usurpant tant le nom que la qualité professionnelle du Docteur [I] soit rédigé pour votre propre compte.
Ce manquement est d’autant plus grave qu’il a été commis en utilisant des manoeuvres ne laissant aucun doute sur la volonté délibérée d’usurpation du nom et de la qualité du Docteur
[I].
En effet, vous allez même jusqu’à expliquer que des faits similaires ont été commis par vos soins, sans jamais en avoir informé la Société.
Nous ne pouvons que déplorer que vous ne sembliez pas mesurer la gravité des fais qui vous sont reprochés.
Par ailleurs, nous vous avons notifié un avertissement en (29 janvier 2018) mettant en exergue des manquements fautifs liés à la mauvaise exécution de votre contrat.
Nous pensions que vous alliez amender votre comportement suite à cet avertissement, ce qui n’a pas été le cas.
La situation est devenue intolérable et ne permet pas la poursuite de la relation contractuelle.
Par acte du 22 octobre 2018, Mme [X] a saisi le conseil de prud’hommes de Lyon aux fins de contester le bien fondé de son licenciement, et aux fins de condamnation de la société ANGIOSUD à lui payer des dommages et intérêts pour licenciement nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse, des dommages-intérêts pour procédure irrégulière, des dommages-intérêts pour non respect de l’obligation de formation et d’adaptation, des dommages-intérêts pour non respect de l’obligation de santé et de sécurité, ainsi que pour exécution fautive du contrat de travail, et une somme à titre de rappel de salaire, outre les congés payés afférents.
Par jugement rendu le 21 février 2020, le conseil de prud’hommes de Lyon a:
– Dit que le licenciement ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse
– Condamné la SCM ANGIOSUD à payer à Mme [X] les sommes de:
*12 844 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
* 2 500 euros à titre de dommages-intérêts pour non respect par l’employeur de l’obligation de sécurité et de résultat
– Condamné la SCM ANGIOSUD à remettre l’attestation Pôle Emploi rectifiée sous astreinte de 20 euros par jour de retard, le conseil se réservant le droit de liquider l’astreinte
– Condamné la SCM ANGIOSUD à payer à Mme [X] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– Condamner la SCM ANGIOSUD aux dépens de l’instance.
La cour est saisie de l’appel interjeté le 16 mars 2020 par la SCM ANGIOSUD.
Par conclusions notifiées le 5 octobre 2022, auxquelles il est expressément fait référence pour un plus ample exposé, la société SCM ANGIOSUD demande à la cour de:
– Confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [X] de ses demandes de rappel de salaire et de dommages- intérêts pour non-respect de l’obligation de formation,
– Infirmer le jugement pour le surplus,
– Prendre acte de l’abandon des demandes de Mme [X] relatives à des rappels de salaires, l’exécution fautive du contrat de travail et l’irrégularité de la procédure de licenciement,
Statuant à nouveau:
– Débouter Mme [X] de toutes ses prétentions et demandes
A titre subsidiaire:
– Réduire les demandes de Mme [X] à de plus justes proportions
En tout état de cause:
– Condamner Mme [X] à lui verser la somme de 1 .000,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– Condamner la même aux entiers dépens.
Par conclusions notifiées le 30 novembre 2022, auxquelles il est expressément fait référence pour un plus ample exposé, Mme [X] demande à la cour de:
– Confirmer le jugement sauf en ce qu’il:
-la déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de formation et d’adaptation à son poste
-a limité le montant des dommages- intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 12 844 euros.
Statuer à nouveau sur ces chefs du jugement:
– Dire et juger que l’article L. 1235-3 du code du travail lui est inopposable et en écarter l’application ;
Subsidiairement
– Apprécier in concreto la conventionnalité de l’article L. 1235-3 du code du travail par rapport aux préjudices qu’elle a subis et
– Dire et juger que l’article L.1235-3 ne répare pas de manière adéquate les préjudices subis
– Condamner la Société ANGIOSUD à lui payer les sommes suivantes:
* 28 000 euros nets de dommages-intérêts pour licenciement nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse
* 10 000 euros nets de dommages- intérêts pour non-respect de l’obligation de formation et d’adaptation
– Condamner la Société ANGIOSUD à lui payer une indemnité de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure
– Condamner la Société ANGIOSUD aux dépens
L’ordonnance de clôture a été rendue le 8 décembre 2022.
MOTIFS
– Sur le licenciement:
Il résulte des articles L.1232-1 et L.1232-6 du code du travail que le licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse et résulte d’une lettre de licenciement qui en énonce les motifs.
En vertu de l’article L.1235-1 du code du travail, le juge à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure de licenciement suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles; si un doute subsiste, il profite au salarié.
La lettre de licenciement fixe les limites du litige.
En l’espèce, il ressort de la lettre de licenciement dont les termes ont été restitués ci-dessus que la société ANGIOSUD a licencié Mme [X] pour cause réelle et sérieuse en lui reprochant d’avoir demandé à sa collègue, Mme [V], d’établir un faux.
La société ANGIOSUD fait valoir que les faits ne sont pas contestés par Mme [X] qui soutient au contraire qu’il était habituel de procéder comme elle l’a fait.
La société ANGIOSUD invoque le constat d’huissier établi le 14 mai 2018, aux termes duquel, l’huissier de justice, accompagné d’un expert en informatique, a réalisé les constatations suivantes :
– le courrier a été rédigé par Mme [V] (à la demande de Mme [X]) le 25 avril
2018 à 17h45;
– il apparaît seulement dans l’historique de l’ordinateur et a nécessité une récupération par
l’huissier, ce qui confirme sa suppression afin de le dissimuler;
– le document est intitulé ‘Certificat ANGlO pour Mme [J] [X]- 35 ans-31/O5/1982″
– la signature de l’employeur et le tampon de la Société ont été apposés sur un document
manifestement non professionnel et surtout non autorisé ;
– le document a été rédigé, puis exporté, et enfin envoyé par courriel à l’adresse suivante
‘[Courriel 5] ‘;
Mme [X] conteste les faits qui lui sont reprochés. Elle soutient que si elle a bien demandé à Mme [V] une attestation confirmant simplement qu’elle est salariée de la Société ANGIOSUD, à aucun moment elle n’a demandé à Mme [V] de ne rien dire aux co-gérants de la Société, ni de procéder à une quelconque usurpation d’identité.
Mme [X] fait observer que Mme [V] ne dit pas autre chose lorsqu’elle déclare sur l’honneur :’avoir fait ce certificat à la demande de Mme [X] [J] pour l’école de ses enfants. J’ai établi ce certificat sans aucune arrière pensée.’
Mme [X] indique que:
– elle était bien engagée au sein de la SCM ANGIOSUD, de sorte qu’une attestation en ce sens parait être simplement une formalité administrative;
– cette attestation ne cause aucun préjudice à la SCM ANGIOSUD puisqu’elle ne fait
que retranscrire la réalité;
– il est mensonger de prétendre que cette attestation lui permettrait d’obtenir un indu;
– quand bien même elle aurait commis une faute, la mesure de licenciement est particulièrement disproportionnée par rapport à son ancienneté;
– il était d’usage de demander aux secrétaires une attestation confirmant l’emploi;
– elle n’a jamais demandé à Mme [V] de supprimer le document;
– le véritable motif du licenciement est la volonté de l’employeur de supprimer un poste de secrétaire médicale dés lors que la SCM ANGIOSUD n’a procédé qu’à une seule embauche pour palier aux deux départs de Mme [V] et de Mme [X].
****
Il ressort des éléments factuels du dossier que Mme [X] a confirmé avoir demandé à Mme [V] une attestation pour justifier de son emploi au sein du secrétariat d’angiologie, comme elle l’avait fait l’année précédente auprès de Mme [Z] alors qu’elle était en congé parental, et comme elle le faisait chaque année pour justifier de son emploi pour l’inscription de ses enfants aux temps de restauration.
Mme [V] a déclaré pour sa part:
‘ avoir fait ce certificat à la demande de Mme [X] pour l’école de ses enfants. J’ai établi ce certificat sans aucune arrière-pensée. Cette dernière m’a demandé de l’effacer.’
‘Si ensuite je l’ai supprimé, c’est qu’elle me l’a demandé comme elle en a l’habitude. Pour moi ce n’est pas une faute, c’est une simple formalité administrative.’
En constatant d’une part, qu’il n’était pas démontré que Mme [X] avait demandé à Mme [V] d’établir un faux, ni qu’elle ait expressément demandé à cette dernière de signer le document en lieu et place d’un médecin du cabinet et de l’effacer ensuite, d’autre part, que l’employeur n’expliquait pas quel aurait été l’intérêt de Mme [X] de solliciter l’établissement d’un faux, s’agissant d’un document que l’employeur n’avait aucune raison de lui refuser, les premiers juges ont fait une juste appréciation des éléments de faits du débat.
Il en résulte que si Mme [X] a admis avoir fait la demande d’établissement d’une attestation à Mme [V], il ne résulte en revanche nullement de ses déclarations qu’elle aurait admis avoir expressément demandé la rédaction d’un faux.
En outre, les déclarations de Mme [V], elle-même licenciée pour faute, selon laquelle, elle aurait effacé le document à la demande de Mme [X] ne constituent pas un élément objectif et le fait que l’huissier mandaté par la société ait constaté que ce document avait été effacé ne permet pas davantage d’en imputer la responsabilité à Mme [X].
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a jugé le licenciement de Mme [X] dépourvu de cause réelle et sérieuse.
– Sur les dommages-intérêts:
Mme [X] soulève:
1°) l’inopposabilité du barème Macron en raison du non-respect de la décision n°513 du conseil d’administration de l’OIT prise lors de sa 344ième session plénière en s’appuyant sur le rapport du comité d’experts chargé d’examiner la réclamation alléguant l’inexécution par la France de la convention n°158 sur le licenciement de 1982, rapport adopté par le conseil d’administration de l’OIT, selon lequel la conformité d’un barème et donc d’un plafonnement, avec l’article 10 de la convention, dépend du fait que soit assurée une protection suffisante des personnes injustement licenciées et que soit versée, dans tous les cas une indemnité adéquate, et qui invite le gouvernement français à examiner à intervalles réguliers, en concertation avec les partenaires sociaux, les modalités du dispositif d’indemnisation prévues par l’article L.1235-3 du code du travail, de façon à assurer que les paramètres d’indemnisation prévus par le barème permettent, dans tous les cas, une réparation adéquate du préjudice subi pour licenciement abusif.
La salariée conclut que si le juge national n’a pas le pouvoir de vérifier que le barème institué par l’article L 1235-3 du code du travail garantit au salarié ayant fait l’objet d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse jugé compatible avec l’article 10 de la convention OIT n°158, une
indemnisation adéquate de son préjudice, un salarié est fondé à se prévaloir, dans un litige
l’opposant a son employeur, de l’absence d’examen à intervalles réguliers par le
Gouvernement, en concertation avec les partenaires sociaux, des modalités du dispositif
d’indemnisation prévu à l’article L 1235-3, de façon à assurer que les paramètres
d’indemnisation prévus par le barème permettent, dans tous les cas, une réparation adéquate
du préjudice subi pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Lesdits barèmes étant entrés en vigueur le 24 septembre 2017 et aucune évaluation n’ayant été faite de ceux-ci dans les conditions sus-mentionnées, Mme [X] soutient qu’il manque une condition déterminante pour que les barèmes de l’article L 1235-3 du code du travail puissent trouver application dans le litige soumis à la juridiction si bien qu’il y a lieu de les écarter purement et simplement et qu’il appartient en conséquence souverainement au juge d’apprécier l’étendue du préjudice causé au salarié par la perte injustifiée de son emploi en motivant l’indemnité allouée conformément à l’article L 1235-1 du code du travail devant lui assurer une réparation adéquate au sens de l’article 10 de la convention n°158 de l’OlT;
2°) l’inapplicabilité du barème en raison de la discrimination indirecte induite par la mise en oeuvre du barème prohibé par le droit de l’Union européenne. Mme [X] soutient que le barème de l’article L. 1235-3 du code du travail ne prend en compte comme critère pour l’allocation de dommages-intérêts à raison d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, qui s’entend comme une rémunération au sens de l’Union européenne, que le salaire et l’ancienneté, interdisant au juge français de déroger au maximum en tenant compte d’autres critères, et ce alors que le juge national a l’obligation de laisser inappliqué le barème dés lors que le salarié se prévaut dans un litige, d’une discrimination indirecte à raison du barème instauré par l’article L 1235-3 du code du travail lorsqu’il n’est pas pris en compte dans l’appréciation de son préjudice à raison de son licenciement sans cause réelle et sérieuse, sous couvert d’une pratique neutre, sa situation moins favorable à raison de son origine, de son sexe, de sa situation de famille (…);
3°)l’inconventionnalité des barèmes non pas directement au visa de l’article 24 de la charte sociale européenne telle qu’interprétée de manière constante à trois reprises par le Comité des droits sociaux, mais indirectement par application de l’article 30 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et de l’article 151 du traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne, qui font explicitement référence à la charte sociale européenne et à la mise en oeuvre de ses principes par les Etats-membres.
Mme [X] rappelle que si la cour de cassation a, par un arrêt du 11 mai 2022, écarté tout effet direct de l’article 24 de la Charte sociale européenne adoptée dans le cadre du conseil de l’Europe, il résulte cependant des textes suivants:
– article 30 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne:
‘Protection en cas de licenciement injustifié.
Tout travailleur a droit à une protection contre tout licenciement injustifié, conformément au droit communautaire et aux législations et pratiques nationales. ».
– article 151 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne:
‘L’Union et les Etats membres, conscients des droits sociaux fondamentaux, tels que ceux énoncés dans la Charte sociale européenne signée à Turin le 18 octobre 1961 et dans la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs de 1989, ont pour objectifs la promotion de l’emploi, l’amélioration des conditions de vie et de travail, permettent leur égalisation dans le progrès, une protection sociale adéquate, le dialogue social, le développement des ressources humaines permettent un niveau d’emploi élevé et durable et la lutte contre les exclusions.
A cette fin, l’Union et les Etats membres mettant en oeuvre des mesures qui tiennent compte de la diversité des pratiques nationales, en particulier dans le domaine des relations conventionnelles, ainsi que de la nécessité de maintenir la compétitivité de l’économie de l’Union.
Ils estiment qu’une telle évolution résultera tant du fonctionnement du marche intérieur, qui favorisera l’harmonisation des systèmes sociaux, que des procédures prévues par les traités et du rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives. ‘, que, l’article 30 doit être appliqué par un Etat-membre lorsqu’il met en oeuvre le droit de l’union Européenne en vertu de l’article 151 de la même Charte et le juge national ne peut pas ignorer l’article 24 de la charte européenne, sauf à violer indirectement le droit de l’union européenne qui a intégré dans son corpus juridique la Charte sociale européenne, adoptée initialement dans le cadre du conseil de l’Europe
Mme [X] invoque la position de la cour constitutionnelle italienne et celle du conseil d’Etat dans le sens de l’applicabilité directe de l’article 24 de la charte sociale européenne dans leur jurisprudence.
Mme [X] soutient encore que:
– la divergence objective et frontale de jurisprudence entre les deux ordres de juridiction français, est sanctionnée par la cour européenne des droits de l’homme dés lors qu’elle empêche objectivement d’apprécier la légitimité de l’ingérence dans un droit garanti par la convention de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l’homme et ses protocoles annexes;
– l’indemnité de licenciement accordée en vertu de l’article L 1235-3 du code du travail en
cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse est incontestablement couverte par l’article
1er du 1er protocole additionnel ratifié par la France garantissant le droit de propriété, dés lors
que la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme interprète largement et de
manière autonome cette notion, et y intègre notamment, le droit de créance d’une personne
privée à l’égard d’une autre personne privée supportée par une décision de justice;
– la violation de l’article 1er du premier protocole additionnel est d’autant plus avérée que celui-ci est considéré en combinaison avec l’article 6-1 de la Convention de sauvegarde des libertés fondamentales et des Droits de l’Homme, dés lors que l’article L 1235-3 du code du travail, tel que interprété par la jurisprudence de la Cour de cassation (arrêt en date du 11 mai 2022, pourvoi n°21-14490, publie au bulletin) fait interdiction au juge de déroger aux plafonds des barèmes d’indemnisation, de sorte que le salarié est privé du droit d’accès effectif à un tribunal indépendant et impartial pour voir reconnaître son droit de propriété à l’égard de l’employeur, au titre de sa créance de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et ce, à raison d’une ingérence injustifiée, arbitraire et disproportionnée de l’Etat français dans un litige entre particuliers touchant au droit de propriété garanti par l’article 1er du premier protocole additionnel.
La société ANGIOSUD fait valoir en réponse qu’au terme du barème prévu par l’article
L. 1235-3 du code du travail, Mme [X] peut prétendre à une indemnité forfaitaire comprise entre 3 et 13 mois de salaire.
L’employeur invoque l’avis rendu le 17 juillet 2019 par la formation plénière de la cour de cassation qui a conclu à la conventionnalité des barèmes prévus à l’article L. 1235-3 du code du travail, pour les motifs suivants:
– les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers;
– les dispositions précitées sont parfaitement compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail et sa confirmation par l’arrêt du 11 mai 2022 qui a également précisé que la détermination du montant réparant le préjudice causé par un licenciement sans cause réelle et sérieuse ne se prête pas à un contrôle de conventionnalité in concreto, de sorte que les plafonds fixés ne peuvent en aucune manière être écartés.
L’employeur souligne enfin qu’il appartient au salarié de rapporter la preuve de l’existence d’un préjudice et que la preuve du manquement n’ouvre pas automatiquement droit à des dommages-intérêts.
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Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail, dans leur rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, qui permettent raisonnablement l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi et assurent le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l’employeur, sont de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT).
Le non respect par le gouvernement français, de la recommandation visant à examiner, à intervalles réguliers, en concertation avec les partenaires sociaux, les modalités du dispositif d’indemnisation prévues par l’article L.1235-3 du code du travail, de façon à assurer que les paramètres d’indemnisation prévus par le barème permettent, dans tous les cas, une réparation adéquate du préjudice subi pour licenciement abusif, ne suffit pas à démontrer que l’application du barème ne permet pas une indemnisation adéquate en cas de licenciement abusif.
En tout état de cause, l’absence d’évaluation périodique n’est pas démontrée par la salariée dés lors qu’il existe à ce jour plusieurs études destinées à mesurer les premiers effets économiques et sociaux du nouveau barème. Ainsi, la mission « Droit et justice » a soutenu deux recherches dépassant ce seul sujet mais qui l’intéressent directement et dont les rapports ont été publiés en 2019 : « Les barèmes (et autres outils techniques d’aide à la décision) dans le fonctionnement de la justice » et « La barémisation de la justice : une approche par l’analyse économique du droit » .
En outre, le gouvernement a mis en place un comité d’évaluation des ordonnances publiées le
22 septembre 2017, sous la direction de France Stratégie, institution publique placée auprès du Premier ministre. Un rapport intermédiaire a été publié le 28 juillet 2020, ainsi qu’un rapport établi par les cabinets Orseu et Amnyos en septembre 2019, suivis d’un rapport publié le 16 décembre 2021 .
Il en résulte que l’examen régulier des modalités d’indemnisation de l’article L. 1235-3 du code du travail est effectif.
Par ailleurs, l’existence d’un barème limitant les pouvoirs d’appréciation du juge ne constitue pas une violation du principe d’égalité devant la loi fondé sur l’article 6 de la Déclaration de 1789, ni une violation du droit à un recours effectif fondé sur l’article 13 de la convention européenne des droits de l’Homme, dés lors d’une part que le principe d’égalité n’impose pas au législateur de fixer un barème prenant en compte l’ensemble des critères et qu’il appartient au juge de prendre en compte tous les éléments déterminant le préjudice subi par le
salarié licencié, dans le cadre du barème, lorsqu’il fixe le montant de l’indemnité due par l’employeur; dés lors d’autre part, que le salarié a accès à un tribunal indépendant et impartial et dispose d’un droit à un recours effectif devant une instance nationale.
Il en résulte que Mme [X] n’est pas fondée à demander que le barème de l’article 1235-3 du code du travail soit écarté, barème en vertu duquel elle peut prétendre à une indemnité comprise entre trois mois et treize mois de salaire, en fonction du préjudice qu’elle a subi.
Compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Mme [X] âgée de 36 ans lors de la rupture, de son ancienneté de près de 15 années, de ce qu’elle justifie avoir été inscrite sur la liste des demandeurs d’emploi en date du 9 août 2018 et avoir perçu des prestations sociales au titre de l’année 2019 pour trois enfants à charge, la cour estime que le préjudice résultant de la rupture a été justement évalué par les premiers juges, sur la base d’un salaire mensuel moyen brut de 988 euros.
En conséquence, le jugement qui lui a alloué la somme de 12 844 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice consécutif au caractère abusif du licenciement doit être confirmé.
– Sur le remboursement des indemnités de chômage:
En application de l’article L.1235-4 du code du travail, il convient d’ordonner d’office le remboursement par l’employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de trois mois d’indemnisation.
– Sur la demande de dommages-intérêts pour non-respect par l’employeur de l’obligation de formation et d’adaptation au poste:
Mme [X] soutient qu’au cours des quinze années de la relation contractuelle, la société ANGIOSUD n’a pas veillé au maintien de ses capacités, ce qui lui a causé un préjudice significatif et ce d’autant plus qu’elle se trouve désormais privée d’emploi sans avoir bénéficié d’une formation et d’une adaptation suffisante à son poste.
La société ANGIOSUD s’oppose à cette demande aux motifs que:
– Mme [X] n’apporte pas la démonstration d’une carence de la société dans le cadre de sa formation et de son adaptation au poste;
– eu égard à la taille de la structure qui comporte moins de trois salariés à temps partiel, de nombreuses formations sont dispensées en interne par les employeurs directement;
– Mme [X] ne s’est jamais plaint, ni trouvée en difficultés au cours de la relation contractuelle;
– l’obligation de formation s’analyse in concreto selon la taille de la structure, la nature du poste occupé qui ne nécessite pas, en l’espèce, d’adaptations importantes caractéristiques, ainsi que l’expérience du salarié;
-Mme [X] disposait d’un coefficient 245, soit le plus élevé de la convention collective pour les postes de secrétariat et de la rémunération subséquente.
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L’article L. 6321-1 du Code du travail expose que:
‘L’employeur assure l’adaptation des salariés à leur poste de travail.
Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations.
Il peut proposer des formations qui participent au développement des compétences, y compris
numériques, ainsi qu’à la lutte contre l’illettrisme, notamment des actions d’évaluation et de formation permettant l’accès au socle de connaissances et de compétences défini par décret.
Les actions de formation mises en oeuvre à ces fins sont prévues, le cas échéant, par le plan de développement des compétences mentionné au 1° de l’article L. 6312-1. Elles peuvent permettre d’obtenir une partie identifiée de certification professionnelle, classée au sein du répertoire national des certifications professionnelles et visant à l’acquisition d’un bloc de compétences.’
En l’espèce, la société ANGIOSUD ne justifie d’aucune formation dispensée à la salariée au cours de la relation contractuelle, mais Mme [X] qui n’explique pas en quoi son employeur ne lui aurait pas permis de conserver sa capacité à occuper son emploi, ou aurait compromis son employabilité, ne caractérise pas le préjudice dont elle demande l’indemnisation.
Le jugement déféré est donc confirmé en ce qu’il déboute Mme [X] de sa demande de dommages-intérêts au titre du manquement à l’obligation de formation et d’adaptation au poste de travail.
– Sur la demande de dommages-intérêts pour non respect, par l’employeur, de l’obligation de sécurité de résultat:
Mme [X] fait grief à la société ANGIOSUD de ne pas l’avoir fait bénéficier des visites médicales obligatoires, soit les visites périodiques et après congé de maternité, alors même qu’elle connaissait des difficultés de santé.
Mme [X] demande la confirmation du jugement déféré au visa des articles L. 4121-1 et suivants du code du travail.
La société ANGIOSUD conclut à l’infirmation du jugement déféré aux motifs que:
– Mme [X] n’apporte pas la démonstration d’une carence de la société dans le cadre du respect de son obligation de sécurité,
– Mme [X] ne démontre aucun préjudice découlant d’un supposé manquement.
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La société ANGIOSUD ne saurait opposer à la salariée sa carence probatoire dés lors que la surveillance de l’état de santé des travailleurs est une obligation qui lui incombe et qu’il lui appartient en conséquence, d’établir qu’elle s’est acquittée de cette obligation, ce qu’elle ne fait pas dans le cas de Mme [X].
Mais, il appartient à la salariée qui sollicite une indemnisation en raison du manquement de l’employeur, d’établir le préjudice qui en résulte.
Mme [X] soutient qu’elle connaissait des difficultés de santé en produisant un courrier du docteur [R] du service de médecine du travail AGEMETRA , daté du 18 juin 2018 qui indique d’une part ‘qu’une piste autre que l’inaptitude devrait être prise en compte’, et qui préconise d’autre part, un soutien psychologique.
Ce document qui évoque un possible avis d’inaptitude dans un poste auprès d’un autre employeur, ne permet pas d’établir un lien entre un préjudice au demeurant non défini et le manquement imputable à la société ANGIOSUD.
Mme [X] sera donc déboutée de sa demande de dommages- intérêts à ce titre et le jugement déféré sera infirmé.
– Sur les demandes accessoires:
Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a mis à la charge de la société ANGIOSUD les dépens de première instance et en ce qu’il a alloué à Mme [X] une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La société ANGIOSUD, partie perdante au sens de l’article 696 du code de procédure civile, sera condamnée aux dépens d’appel.
L’équité et la situation économique respective des parties justifient qu’il soit fait application de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d’appel dans la mesure énoncée au dispositif.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement
CONFIRME le jugement déféré sauf en ce qu’il a condamné la société ANGIOSUD à payer à Mme [X] la somme de 2 500 euros de dommages-intérêts pour non respect par l’employeur de l’obligation de sécurité et de résultat,
STATUANT à nouveau sur ce chef et y ajoutant,
DÉBOUTE Mme [X] de sa demande d’indemnisation au titre du non respect de l’obligation de sécurité
ORDONNE d’office à la société ANGIOSUD le remboursement à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à Mme [X] dans la limite de trois mois d’indemnisation,
CONDAMNE la société ANGIOSUD à payer à Mme [X] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d’appel,
CONDAMNE la société ANGIOSUD aux dépens d’appel.
La greffière, La présidente,