12 janvier 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 19/07656

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12 janvier 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 19/07656

7ème Ch Prud’homale

ARRÊT N°8/2023

N° RG 19/07656 – N° Portalis DBVL-V-B7D-QI6A

M. [W] [C]

C/

SA BLUELINEA

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 12 JANVIER 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 08 Novembre 2022 devant Madame Liliane LE MERLUS, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial

En présence de Monsieur [Z], médiateur judiciaire

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 12 Janvier 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

****

APPELANT :

Monsieur [W] [C]

né le 16 Mai 1968 à [Localité 7] (35)

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représenté par Me Lara BAKHOS de la SELEURL PAGES – BAKHOS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES substituée par Me BERNARD, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉE :

SA BLUELINEA

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Luc BOURGES de la SELARL LUC BOURGES, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Benoit CHANTREAU, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [W] [C] exploitait en son nom propre l’entreprise ‘[C] Domotique’, spécialisée dans la domotique.

En avril 2013, la société a été placée en redressement judiciaire, puis rachetée par la SA Bluelinea en juin 2014.

M. [C] a été engagé par la SA Bluelinea selon un contrat à durée indéterminée en date du 11 juin 2014.

Il exerçait les fonctions de directeur du pôle domotique et handicap et percevait une rémunération mensuelle brute de 5 000 euros.

Les relations entre les parties étaient régies par la convention collective dite Syntec.

Au cours de l’année 2015, la société Bluelinea confiait à M. [C] la mission de créer une école de domotique pour former des professionnels aux produits de la société.

Le 20 septembre 2016, la SA Bluelinea convoquait M. [C] à un entretien préalable au licenciement fixé au 27 septembre suivant et lui notifiait une mise à pied à titre conservatoire.

Par courrier recommandé en date du 03 octobre 2016, M. [C] s’est vu notifier un licenciement pour fautes réelles et sérieuses avec dispense d’effectuer son préavis. Il lui était reproché des manquements graves sur plusieurs installations, une gestion répréhensible du stock de matériels ainsi qu’une attitude déloyale.

Le 02 janvier 2017, M. [C] a vainement contesté son licenciement, par l’intermédiaire de son conseil.

***

Contestant la rupture de son contrat de travail, M. [C] a saisi le conseil de prud’hommes de Rennes par requête en date du 21 septembre 2017 afin de voir :

– Condamner la SA Bluelinea au paiement des sommes et indemnités suivantes :

– 35 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 5 000 euros au titre de la procédure vexatoire,

– 1 043,04 euros au titre des frais,

– 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

– Ordonner l’exécution provisoire.

La SA Bluelinea a demandé au conseil de prud’hommes de :

– Condamner M. [C] au paiement des sommes et indemnités suivantes :

– 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

– 1 euro à titre de dommages et intérêts pour comportement particulièrement déloyal.

Par jugement en date du 18 novembre 2019, le conseil de prud’hommes de Rennes a :

– Déclaré valide le licenciement de M. [C],

– Débouté M. [C] de l’ensemble de ses demandes,

– Condamné M. [C] à payer à al société Bluelinea la somme de 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– Mis les entiers dépens à la charge de M. [C] y compris les frais éventuels d’exécution.

***

M. [C] a régulièrement interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe en date du 27 novembre 2019.

En l’état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 31 mars 2021, M. [C] demande à la cour d’infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Rennes le 18 novembre 2019 et statuant à nouveau de :

– Dire et juger le licenciement dont il a fait l’objet abusif et dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

– En conséquence, condamner la société Bluelinea à lui payer les sommes de :

– 35 000 euros à titre de dommages et intérêts.

– 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le caractère vexatoire.

– Condamner la Société Bluelinea au paiement des intérêts de droit à compter du prononcé de la décision pour les sommes à caractère indemnitaire ;

– Ordonner la capitalisation des intérêts par application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil sur l’ensemble des sommes auxquelles pourrait être condamnée la société et ce à compter du prononcé de la décision à intervenir ;

– Condamner la société Bluelinea à lui payer la somme de 3 000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

– Condamner la société Bluelinea aux entiers dépens.

En l’état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 21 juillet 2020, la SA Bluelinea demande à la cour d’appel de :

– Confirmer le jugement du conseil de prud’hommes en ce que le licenciement de Monsieur [W] [C] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,

– Confirmer que la demande de dommages et intérêts pour mise à pied conservatoire brutale est sans objet,

– Débouter en conséquence Monsieur [W] [C] de l’intégralité de ses demandes et prétentions,

– Condamner Monsieur [W] [C] à indemniser la société Bluelinea à hauteur de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Le condamner aux entiers dépens éventuels.

A titre reconventionnel :

– Condamner Monsieur [W] [C] à indemniser la société Bluelinéa à hauteur de 1 euro au titre de dommages et intérêts pour comportement particulièrement déloyal à l’égard de la société Bluelinea.

***

La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 27 septembre 2022 avec fixation de la présente affaire à l’audience du 08 novembre 2022.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions qu’elles ont déposées et soutenues à l’audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le licenciement

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est ainsi rédigée :

‘Nous faisons suite à votre entretien préalable assorti d’une mise à pied à titre conservatoire du 27 septembre 2016.

Au cours de cet entretien auquei vous vous êtes présenté assisté de Madame [X] [D], déléguée du personnel, vous ont été exposés les motifs qui nous amenaient à envisager votre licenciement. Vos explications ne nous ayant pas permis de modifier notre appreciation, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour les raisons ci-aprés exposées.

Vous avez intégré l’entreprise à la suite du rachat de votre activité de domotique par BLUELINEA à la barre du Tribunal de commerce de Rennes par jugement du 18 juin 2014, dans le cadre d’une procédure de redressement judiciaire.

Nous devons malheureusement constater que depuis cette date, les événements ne sont absolument pas conformes à nos attentes.

Premiérement, en votre qualité de Directeur du Pole Domotique et Handicap, vous étiez notamment en charge et responsable de la réalisation de toutes les installations domotiques aux domiciles de nos abonnés et clients. Parmi ces différentes installations figurent notamment des rails de levage de marque GULDMAN destinés aux déplacements et aux soins de personnes handicapées, dépendantes et à mobilité réduite.

A la suite de la chute d’un rail intervenu en août 2015, lequel aurait pu étre fatal à son propriétaire, notre fournisseur GULDMAN, et nous-memes, avons souhaité procéder à un examen technique de toutes nos installations afin de s’assurer qu’elles ne présentent pas de danger particulier pour leur utilisateur.

Nous venons de recevoir les conclusions techniques de cet audit aux termes desquelles ont été relevés sur un grand nombre d’installations de très graves manquements aux régles élémentaires de pose et de sécurité, entrainant une mise en danger certaine des utilisateurs de ce type de dispositifs, ce qui nous a déja contraint à prendre un certain nombre de mesures en urgence.

ll apparait, sans contestation possible, que plusieurs installations dont vous avez assuré vous-même le montage pour le compte de la société BLUELINEA révèlent de graves carences en matiére de sécurité, ce qui s’avère particuliérement dommageable et potentiellement extrémement dangereux.

Cette situation singulièrement préoccupante n’est pas acceptable pour l’entreprise et ne saurait perdurer davantage.

Nous attirons votre attention sur le fait que ce seul grief pourrait justifier à lui seul d’un licenciement pour faute grave, auquel nous avons renoncé par mansuétude a votre égard.

Deuxiémement, nous avons par ailleurs également constaté un certain nombre d’erreurs et d’incohérences concernant la gestion de notre stock de matériel domotique situé à [Localité 8]. Ces écarts de stock mettent en lumière une difference entre le niveau de stock physique constaté et nos états de suivi.

Plusieurs témoignages nous ont fait état du fait que vous vous serviez librement de ce matériel, ainsi le jour de la signification de votre mise à pied vous vous êtes néanmoins rendu sur le site de stockage et avez indiqué à un salarié présent sur le site et vous voyant emporter du matériei que ‘ c’était pour votre beau-frére’.

Là encore, cette attitude n’est pas acceptable pour la bonne marche de l’entreprise.

Troisiémement, votre qualité de ‘Directeur du pole Domotique et Handicap’ devait vous amener à vous rendre pour le compte de l’entreprise sur divers salons professionnels afin de faire la promotion de la société et tenter de décrocher de nouveaux débouchés.

Or nous avons été amenés à déplorer sur cet aspect de votre fonction une attitude ne servant que des intéréts personnels, en concurrence directe avec l’intérét de l’entreprise elle-même.

Tout d’abord, votre présence à ces manifestations professionnelles supposait une certaine concertation avec votre hiérarchie or nous avons été amenés à constater soit a posteriori, soit aprés avoir été mis sur le fait accompli sans aucune demande d’autorisation préalabie, votre presence sur divers salons et manifestations.

Ensuite, votre présence à ces manifestations (salon professionnel en Allemagne, salon ‘ Autonomie’, salon ‘Santé et handicap’, Université d’été de la FFD, …) ne visait nullement à promouvoir la société BLUELINEA, mais visait au contraire à asseoir votre influence et votre activité au sein de la Fédération Francaise de la Domotique (FFD), organisme indépendant et externe à l’entreprise, et également présent sur les salons précités.

Cette attitude est parfaitement illustrée par votre refus manifesté à plusieurs reprises de siéger au stand de BLUE LINEA dans des salons où la FFD disposait également d’un stand, préférant ainsi consacrer tout votre temps et votre présence à un organisme tiers, plutot qu’à votre propre employeur.

Cette attitude n’est pas compatible avec la bonne marche de l’entreprise et ne vise qu’à servir des intéréts strictement personnels au detriment de ceux de BLUELINEA.

En dernier lieu, nous tenons à vous faire part du fait que nous déplorons votre conduite du 27 septembre dernier alors que vous étiez mis à pied à titre conservatoire ; en effet, vous avez cru devoir passer outre cette mesure et avez décidé de vous rendre sur le site de l’entreprise afin de littéralement vider votre bureau de l’ensemble du materiel informatique et de la quasi-totalité des documents y figurant (fichiers ‘clients, devis, commandes) appartenant à la société, ce qui n’est évidemment pas acceptable.

Compte tenu de ce qui précéde, nous considérons que l’ensemble de ces griefs constitue une cause réelle et sérieuse à votre licenciement.

Par ailleurs, nous vous informons des points suivants :

Tout d’abord, et encore une fois afin de faire preuve de mansuétude à votre égard, nous avons décidé de vous rémunérer pendant Ia période de votre mise a pied a titre conservatoire.

– Préavis :

Votre préavis, d’une durée de trois mois, débutera à la premiére presentation de cette lettre, toutefois, nous vous précisons que nous avons décidé de vous dispenser d’exécuter ce préavis, lequel vous sera rémunéré en même temps que votre solde de tout compte.’

M. [C], qui approuve le conseil de prud’hommes en ce qu’il a écarté le deuxième et le troisième grief ainsi que, pour l’examen du premier grief, les rapports d’audit réalisés par la société BME constatant des malfaçons sur les chantiers relatifs aux installations de Bouloire, Notre Dame de Mont, St Pair sur Mer, St Brieuc et Vélizy-Villacoublay, lesquels ne précisent pas la date initiale d’installation, fait valoir que la société employeur ne pouvait se fonder, pour lui reprocher la chute d’un rail sur un chantier intervenu en août 2015 sur le site de Smarves, sur le rapport de la société BME qui n’a été déposé que postérieurement à son licenciement.

Il soutient en outre que le licenciement étant intervenu plus d’un an après cet accident, ces faits prescrits ne pouvaient servir à l’engagement de poursuites et qu’en tout état de cause il n’est jamais intervenu sur ce rail ni au stade du rendez-vous, ni sur le devis, ni au moment de son installation ; qu’en tant que directeur il n’a pas davantage de responsabilité dans cette malfaçon, d’une part en raison de l’interposition de M. [V] au niveau hiérarchique, d’autre part car son poste était recentré sur la seule partie commerciale à compter de mai 2015 puis sur la formation et la direction de l’école domotique à compter de novembre 2015 ; que c’est donc à tort que le premier juge a considéré d’office que rien ne venait ‘préciser également qu’en prenant la direction de l’école domotique M. [C] avait abandonné la supervision de la partie technique’. Il estime que c’est également à tort que le conseil de prud’hommes a procédé par déduction en concluant que ‘la société Bluelinea fournit aux débats deux documents datés du 6/08/2014 et 28/10/2014 relatifs aux chantiers de Smarves, donc à ce moment-là M. [C] était bien en poste dans la société Bluelinea et à ce titre responsable des installations effectuées par ladite société’alors que ce n’est pas lui qui a établi ces factures et qu’il n’avait pas la responsabilité de la conformité des aménagements réalisés, ni n’avait à s’assurer du montage ou de la régularité de ceux-ci. Il fait observer que les deux attestations produites par la société font uniquement état du fait qu’il faisait réaliser des devis et se rendait chez les clients afin de choisir le matériel à installer, mais qu’à aucun moment il n’est précisé qu’il était en charge du contrôle des installations une fois celles-ci mises en place; que la responsabilité est à rechercher du côté des techniciens intervenus sur les chantiers ou de celui des fabricants eux-mêmes au titre des matériels défectueux.

Il soutient que la véritable cause de son licenciement est que la société n’avait plus besoin de ses services, une fois qu’il l’avait mise en rapport avec ses contacts, notamment après que l’accord avec la société Hager, son partenaire lorsqu’il exerçait à titre individuel, ait été finalisé en juin 2016. Il expose qu’il a alors été progressivement mis de côté par l’employeur, d’abord en se voyant intercaler deux personnes, l’une pour la partie commerciale, l’autre pour la partie technique, entre lui et les salariés, puis en se voyant retirer des attributions, pour se trouver finalement exclusivement affecté à l’école de domotique, nouvelle mission modifiant substantiellement son contrat de travail mais confiée sans avenant à celui-ci, puis en se voyant proposer une rupture conventionnelle, dont le refus qu’il a opposé à cette proposition a conduit l’employeur à procéder à un licenciement fondé sur des motifs totalement artificiels. Il soutient que la mise à pied particulièrement brutale dans ce contexte et les propos tenus par la société l’accusant d’être à l’origine d’accidents potentiellement mortels et de s’être servi librement dans son stock justifient une indemnisation du préjudice subi du fait du caractère brutal et vexatoire de la rupture.

Sur la demande reconventionnelle de la société, il conteste avoir démarché ou détourné la clientèle postérieurement au licenciement et fait valoir que la prétendue usurpation de ligne téléphonique est une accusation abusive et sans lien avec son licenciement.

La société intimée réplique que les conclusions accablantes d’un audit technique intitulé ‘BME’, du nom du prestataire l’ayant réalisé, constituent le motif principal et déterminant du licenciement de M. [C] ; que ces audits ont été commandés suite à la survenance en août 2015 d’un accident sur une installation domotique réalisée par les équipes de ce dernier, sous sa responsabilité et son concours direct en sa qualité de directeur technique et opérationnel des chantiers domotiques de Bluelinéa.

Elle expose que cet accident s’est produit chez une personne tétraplégique disposant d’une installation domotique constituée par un rail de levage disposé à la verticale de son lit et permettant de la lever pour lui prodiguer les soins nécessaires ; que le moteur permettant de lever cette personne et de la déplacer à l’aide du rail s’est désolidarisé du plafond et est tombé à quelques millimètres de sa tête ; qu’à la suite de cet accident qui aurait pu être fatal, l’entreprise a souhaité ne prendre aucune décision sous le coup de l’urgence et a décidé dans un premier temps de convoquer une réunion de crise à son siège social en présence de M. [C] et des techniciens de son équipe ; que lors de cette réunion du 1 er septembre 2015, il a été admis par M. [C] lui-même ainsi que par les techniciens intervenus sur ce chantier que les chevilles utilisées pour fixer l’installation n’étaient pas celles préconisées par le constructeur, ce qui a été corroboré par le compte rendu réalisé à la suite de l’inspection de l’installation défectueuse ; que ce simple constat et ces aveux auraient pu justifier d’un licenciement pour faute grave du responsable de l’installation mais que l’entreprise a souhaité d’abord s’assurer que les personnes disposant d’installations similaires, posées par les équipes de M. [C], soient parfaitement conformes et ne présentent pas le moindre risque pour leurs utilisateurs ; qu’il ne peut être sérieusement soutenu que la société aurait reproché cet accident à M. [C] aux termes de son courrier de licenciement : cet accident n’aura été que l’élément déclencheur d’un audit technique sur toutes les installations similaires, audit également appelé par le fournisseur du rail incriminé, lequel avait en outre décidé d’interrompre toute livraison de ce type de matériel auprès de la société Bluelinea ; que cet audit a révélé que 7 des installations contrôlées (dont une unité de vie comportant 10 lits, située à [Localité 9] dans la Vienne) ne s’avèraient pas conformes et ont nécessité la réalisation de travaux complémentaires de sécurisation et de remise aux normes, pour un montant de 42 000 euros HT rien qu’à [Localité 9] ; que ce site n’est pas un cas isolé et non représentatif des chantiers réalisés sous la respnsabilité opérationnelle de M. [C], mais malheureusement un exemple parmi beaucoup d’autres.

Elle réplique que c’est à tort que le jugement, qui reconnait pourtant l’existence des malfaçons, indique qu’elle ne donne aucune date relative à leur réalisation, puisqu’en effet les travaux litigieux ont été entrepris courant 2014 entre l’arrivée du salarié en juin et l’émission de la facture fin octobre ; que l’appelant croit pouvoir tirer argument du fait que le rapport BME sur le site de [Localité 9] présente une synthèse datée du 11 octobre 2016 mais que les fiches d’intervention constatant les graves carences des installations permettent de constater que les audits techniques ont eu lieu à la fin du mois de juillet 2016, la rédaction d’un document de synthèse faisant état d’une date postérieure à la date d’entretien étant parfaitement indifférente en l’espèce ; que les éléments qu’elle verse établissent clairement le rôle opérationnel de M. [C] au sein de Bluelinea entre 2014 et 2016 et que le postulat selon lequel le supérieur hiérarchique est irresponsable des agissements de son équipe ne peut être sérieusement avancé d’autant qu’il a été démontré qu’il intervenait directement et personnellement sur les devis, les chantiers et leur réception et donnait directement des ordres à ses équipes.

Sur le second motif ayant conduit au licenciement, elle fait valoir que plusieurs salariés ont indiqué que M. [C] avait tendance à considérer que le stock de matériels de l’entreprise était sa propriété, et non celle de Bluelinea, mauvaise habitude probablement héritée de l’époque où il était à son compte et exerçait en nom propre ; que, si les salariés n’ont pas souhaité produire d’attestations écrites confirmant leurs propos, elle est cependant en capacité de démontrer des différences très significatives entre les états informatiques des stocks et les inventaires physiques réalisés, soit un écart significatif de 14 665 euros.

Sur le troisième motif, à savoir une attitude servant des intérêts personnels au détriment des intérêts de l’entreprise elle-même, elle en a également été informée par des témoignages, de sorte que le licenciement de M. [C] n’est pas dépourvu de cause réelle et sérieuse comme il le soutient et que sa demande de dommages et intérêts pour mise à pied conservatoire s’avère d’autant plus infondée qu’il a allègrement violé cette mesure en venant vider son bureau de l’esnsemble du matériel informatique et des documents s’y trouvant.

Au soutien de son appel du rejet de sa demande reconventionnelle, elle précise qu’après le départ du salarié elle a été alertée par plusieurs de ses clients d’appels téléphoniques de M. [C] proposant ses services à titre personnel sur des chantiers en cours ou au stade du devis afin de poursuivre la relation commerciale à son seul profit et au détriment de Bluelinea, pratique déloyale constituant un détournement de clientèle ayant justifié le courrer recommandé qui lui a été adressé le 13 décembre 2016 lui rappelant l’existence de l’obligation de loyauté et le mettant en demeure de cesser ces pratiques commerciales délictueuses ; qu’il a même été plus loin, en détournant à son profit, au moyen d’une usurpation d’identité auprès de l’opérateur téléphonique, la ligne téléphonique professionnelle qu’il utilisait au nom de Bluelinea, sa défense consistant à affirmer qu’il s’agissait d’une ligne téléphonique personnelle étant totalement infondée puisque la ligne en question appartient bien à la flotte entreprise Sfr Business transférée chez Bluelinea en janvier 2015, dans le cadre de la reprise des actifs à usage professionnel de la société [C], ce qui l’a contrainte à déposer plainte pour ce détournement frauduleux.

***

L’article L 1232-1 du code du travail dispose que tout licenciement pour motif personnel doit être motivé et justifié par une cause réelle et sérieuse. Selon l’article L 1235-1 du même code , en cas de litige, le juge apprécie le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties .Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Sur le premier grief, la société Bluelinea apporte la précision que le défaut d’installation ayant entraîné la chute d’un rail le 28 août 2015 n’est pas un grief visé dans la lettre.

Sont donc uniquement visées les non conformités sur les sites de [Localité 5], [Adresse 6].

C’est à juste titre qu’elle fait valoir que la rédaction, postérieurement au licenciement, d’une synthèse de ses opérations par l’entreprise ayant réalisé l’audit n’empêche pas de prendre en compte les fiches d’intervention ayant constaté la non conformité, au plan technique, des installations précitées, transmises avant la mise à pied de M. [C].

Toutefois, il convient d’observer que :

-les pièces versées aux débats ne permettent pas de vérifier à quelle date les installations litigieuses ont été commandées et réalisées, excepté pour le site de [Localité 9], pour lequel est produit une facture permettant de dater la réception des travaux au 28 octobre 2014,

-le contrat de travail de M. [C] ne contient aucune description de ses tâches, il n’est produit aux débats aucune fiche de poste et il produit de son côté un organigramme non spécifiquement contesté, confirmant qu’il y avait un responsable chapeautant les tâches commerciales des chargés d’affaires et un autre, M. [V], chapeautant les tâches techniques, le mail qu’il produit en pièce 18 confirmant que cet organigramme résulte d’une réorganisation mise en place progressivement à compter d’une réunion du 6 octobre 2014,

-si les deux attestations de salariés et les pièces 14 et 15 produites par l’employeur confirment que M. [C] réalisait encore des devis et des réceptions de travaux même après cette réorganisation, rien ne permet de vérifier que c’est lui qui a fait le devis, suivi le chantier et/ou réalisé la réception des travaux litigieux, notamment celui de [Localité 9], dont la réception est postérieure au 6 octobre 2014 marquant le début de cette réorganisation, et qu’il avait encore en plus de ses tâches de directeur de l’école de domotique la supervision technique de l’ensemble des installations, alors que selon l’organigramme c’est M. [V] qui animait l’équipe technique, assurait la gestion du personnel technique et la validation technique ; c’est d’ailleurs M. [V] qui était présent à la réunion technique de « compte rendu d’incident Mme [I] [Y] » réalisé en présence de l’avocat de cette dernière, suite à la chute du rail lève-malade en date du 28 août 2015, et non M. [C].

Il n’est donc pas établi que les défauts d’installation technique visés dans la lettre de rupture puissent être imputés à la responsabilité personnelle de M. [C], en l’état de ses fonctions au 28 octobre 2014, en conséquence le premier grief doit être écarté, le doute devant profiter au salarié.

La société Bluelinea ne produit pas les témoignages de salariés dont elle fait état selon lesquels M. [C] se serait servi indûment de matériel pris dans les stocks, de sorte que l’imputabilité à ce dernier de l’écart de stock mentionné à sa pièce 16 n’est pas établie et conduit à écarter le deuxième grief.

C’est à juste titre que le conseil de prud’hommes a relevé que la société ne produisait aucune pièce permettant de vérifier que M. [C] faisait sa promotion personnelle dans les salons au détriment des intérêts de la société employeur et refusait de siéger au stand de Bluelinea dans des salons où la FFD (Fédération Française de la Domotique) disposait d’un stand, ou qu’il s’y rendait sans autorisation préalable. M. [C], qui précise que la société Bluelinea est partenaire dela FFD et que ses produits étaient valorisés sur ce stand, verse aux débats des photographies illustrant son affirmation. Il ajoute, sans être démenti, que les frais qu’il exposait pour les salons lui étaient remboursés, ce qui n’aurait pas été le cas si sa participation avait posé la moindre difficulté. Le grief doit donc être écarté.

Le licenciement du salarié se trouve par suite dépourvu de cause réelle et sérieuse.

En application de l’article L1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, le préjudice que la rupture a occasionné à M. [C] qui, âgé de 48 ans au moment du licenciement, colptait plus de deux ans d’ancienneté et a perdu le bénéfice d’une rémunération mensuelle brute de 5000 euros, doit être réparé par la condamnation de la société Bluelinea à lui payer la somme de 35 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Cette somme produira intérêts au taux légal à compter de l’arrêt et les intérêts seront capitalisés, conformément à la demande et aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil,

L’article L1235-4 du code du travail étant applicable, il sera ordonné d’office le remboursement par la société employeur des indemnités de chômage versées au salarié, dans la proportion de 3 mois.

Le jugement entrepris doit par conséquent être infirmé en ces dispositions.

Au vu des circonstances de l’espèce, et notamment de l’événement ayant nécessité la mise en oeuvre d’un audit, M.[C] n’établit pas que, au-delà de l’appréciation des éléments probatoires conduisant à invalider le licenciement, les circonstances de la rupture présentent un caractère brutal et vexatoire. Il doit donc être débouté de sa demande indemnitaire sur ce fondement, par voie de confirmation du jugement.

Sur la demande reconventionnelle de la société Bluelinea

A l’appui de sa demande indemnitaire, la société Bluelinea ne produit, au soutien de son allégation selon laquelle M. [C] aurait adopté un comportement déloyal constituant un détournement de clientèle, que son propre courrier de rappel sur l’obligation de loyauté qu’elle lui a adressé le 13 décembre 2016, qui ne saurait toutefois apporter la preuve du comportement reproché, qui est contesté. S’agissant du grief de détournement de ligne téléphonique au moyen d’une usurpation d’identité, il ressort des pièces qu’elle produit que M. [C] avait ouvert en janvier 2005 une ligne correspondant à un abonnement personnel, qui a été transéféré en janvier 2015, soit postérieurement au rachat de sa société par la SA Blue Linea, dans des conditions inconnues, vers cette dernière société, que quelqun a demandé la portabilité de l’abonnement, au nom de M. [C], et que la ligne a été résiliée le 19 février 2017.

Ce dernier précise n’avoir jamais été entendu et que la plainte n’a eu aucune suite.

En l’état des pièces produites la société n’apporte pas la preuve d’un préjudice quelconque, ni même que la demande de portabilité au nom de M. [C] puis la résiliation aient été réalisées par ce dernier au moyen d’une usurpation d’identité.

Le jugement doit en conséquence être confirmé en ce qu’il a débouté la société Bluelinea de sa demande indemnitaire reconventionnelle.

Il est inéquitable de laisser à M. [C] ses frais irrépétibles de première instance et d’appel qui doivent être mis à la charge de la société intimée à hauteur de 3000 euros.

Partie perdante, la société Bluelinea doit être condamnée aux dépens de première instance et d’appel.

Le jugement entrepris sera en conséquence infrmé sur ces chefs.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [W] [C] de sa demande de dommages et intérêts pour rupture brutale et vexatoire et la SA Bluelinea de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts,

L’infirme en ses autres dispositions,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés, et y ajoutant,

Dit le licenciement de M. [W] [C] dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Condamne la SA Bluelinea à payer à M. [W] [C] les sommes suivantes:

-35 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter de l’arrêt et capitalisation des intérêts conformément à la demande et aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil,

-3000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel,

Ordonne le remboursement par la SA Bluelinea des indemintés versées par Pôle Emploi à M. [C], dans la proportion de 3 mois,

Déboute M. [W] [C] du surplus de ses demandes,

Déboute la SA Bluelinea de ses demandes,

Condamne la SA Bluelinea aux dépens de première instance et d’appel.

Le Greffier Le Président

 


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