11 juillet 2024 Tribunal judiciaire de Marseille RG n° 24/04177

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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

11 juillet 2024
Tribunal judiciaire de Marseille
RG n°
24/04177
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

PREMIERE CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT N°24/300 DU 11 Juillet 2024

Enrôlement : N° RG 24/04177 – N° Portalis DBW3-W-B7I-4Z4G

AFFAIRE : Association L’ASSOCIATION SPORTIVE [Localité 4] HERAULT (sigle « AS BH »),( la SELARL PROVANSAL D’JOURNO GUILLET & ASSOCIÉS)
C/ Mme [K] [Y] (Me Sophie BOMEL)

DÉBATS : A l’audience Publique du 23 Mai 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Président : SPATERI Thomas, Vice-Président
JOUBERT Stéfanie, Vice-Présidente
BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente, juge rapporteur

Greffier lors des débats : BESANÇON Bénédicte

Vu le rapport fait à l’audience

A l’issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 11 Juillet 2024

Jugement signé par SPATERI Thomas, Vice-Président et par BESANÇON Bénédicte, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

NATURE DU JUGEMENT

contradictoire et en premier ressort

NOM DES PARTIES

DEMANDERESSE

L’ASSOCIATION SPORTIVE [Localité 4] HERAULT (sigle « AS BH »), inscrite sous le numéro siren 343 099 107, représentée par son Président en exercice, Monsieur [S] [O], dûment habilité à cet effet par les statuts, dont le siège social est sis [Adresse 3]

représentée par Maître Thomas D’JOURNO de la SELARL PROVANSAL D’JOURNO GUILLET & ASSOCIÉS, avocat postulant au barreau de MARSEILLE et par Maître Marie SONNIER-POQUILLON de MSP AVOCATS, avocat plaidant au barreau de MONTPELLIER

CONTRE

DEFENDERESSE

Madame [K] [Y]
née le 06 Février 1992 à [Localité 5] (81)
de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]

représentée par Maître Sophie BOMEL, avocat postulant au barreau de MARSEILLE et par Maître Pierre FARGE de la SELARL FARGE, avocat plaidant au barreau de PARIS

PARTIE INTERVENANTE

S.A. [Localité 4] RUGBY inscrite au RCS de [Localité 4] sous le numéro 429 124 597 prise en la personne de son représentant légal en exercice, dont le siège social est sis [Adresse 3]

représentée par Maître Hubert ROUSSEL de l’ASSOCIATION ROUSSEL-CABAYE & ASSOCIES, avocat postulant au barreau de MARSEILLE et par Maître Yannick CAMBON de la SELARL D’AVOCATS ELEOM, avocat plaidant au barreau de [Localité 4]

EXPOSE DU LITIGE :

L’association sportive [Localité 4] Hérault Rugby a pour origine l’Association Sportive biterroise OMNI SPORTS fondée en 1911, laquelle se composait de différentes sections autonomes ; suite à la dissolution de l’association OMNI SPORTS le 30 novembre 1987, l’association a été créée sous la dénomination Association Sportive [Localité 4] Hérault par le comité directeur réuni en séance extraordinaire le 21 novembre 1988. Elle a pour sigle ASBH.
L’association sportive [Localité 4] HERAULT, connue sous le sigle “ASBH” anime le club de rugby de la ville de [Localité 4] et utilise depuis le 07 juillet 2010 le logo suivant créé par l’agence en communication LES DISSIDENTS.

Cette marque semi figurative déposée à l’INPI le 02 juillet 2010 N°3751258 par l’association sportive de la ville de [Localité 4] sous les classes de produits et services 14,16,18,20,22,24,25, 26,27,28,35 et 41 est expirée, le titre n’ayant pas été renouvelé à son échéance en 2020.

Madame [K] [Y] a déposé le 28 novembre 2023 la marque verbale “ASBH” Association Sportive [Localité 4] Hérault” N° 5009927 sous les classes de produits et services 14,16,18,20,22,24,25, 26,27,28,35 et 41.
Elle a déposé le 29 novembre 2023 sous le N°5010339 la marque figurative suivante :

Par requête déposée le 29 mars 2024, l’association sportive [Localité 4] Hérault a demandé au Président du tribunal judiciaire de l’autoriser à assigner à jour fixe Madame [Y] au motif que celle-ci refuse de procéder à la restitution amiable des marques; que la situation est d’autant plus dommageable que Madame [Y] multiplie les déclarations dans la presse soutenant qu’elle détient désormais seule le monopole d’exploitation de ces signes et que l’association a en pratique renoncé à ses droits, accusant au surplus ses dirigeants de négligence et même de contrefaçon. Elle considère que Madame [Y] porte ainsi gravement et lourdement atteinte à son image et à ses intérêts ; qu’il est donc urgent de faire cesser ses agissements et de lui restituer les titres de marque dont elle est le légitime propriétaire.

Par ordonnance en date du 2 avril 2024, l’Association Sportive [Localité 4] Hérault a été autorisée à assigner Madame [K] [Y] pour l’audience du 23 mai 2024.

Par assignation en date du 3 avril 2024, l’Association Sportive [Localité 4] Hérault demande au tribunal :
– A titre principal :
– d’ordonner le transfert de l’entière propriété des marques françaises verbales et semi figurative “ASBH” N°5009927 et N°5010339 déposées par Madame [Y] à son profit pour l’ensemble des produits et services couverts ;
– de dire et juger que le jugement à venir sera transmis à l’initiative de la partie la plus diligente et aux frais de Madame [Y] pour être inscrit sur le Registre National des Marques, une fois le jugement devenu définitif.
– À titre subsidiaire :
– prononcer la nullité des marques françaises verbales et semi figurative “ASBH” N°5009927 et N°5010339 déposé par Madame [Y] à son profit pour l’ensemble des produits et services couverts ;
– dire et juger que la radiation des marques “ASBH” N°5009927 et N°5010339 sera effectué par les services de l’INPI à l’initiative de la partie la plus diligente et aux frais de Madame [Y] une fois le jugement devenue définitif ;
– En tout état de cause,
– la condamner à lui verser la somme globale de 50 000 € à titre de dommages intérêts en couverture du préjudice subi par l’association au titre de l’usurpation de ses droits et des actes de dénigrement dont elle a été victime ;
– ordonner la publication du texte suivant dans les 5 journaux suivants : l’Agglo Rieuse, le Midi Libre, l’Indépendant, la Dépêche, le Figaro aux frais de Madame [Y], sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder la somme de 5000 € hors-taxes “par jugement en date du… le tribunal judiciaire de Marseille a condamné Madame [K] [Y] pour avoir commis une fraude au préjudice de l’association sportive [Localité 4] Hérault (sigle “ASBH”) et porté atteinte à sa dénomination sociale ASBH et aux droits que l’ASBH détient sur son logo en déposant, à titre personnel, la marque verbale “ASBH” association sportive [Localité 4] Hérault” N° 5009927 et la marque figurative N°5010339 :

Par ce même jugement, le tribunal de Marseille a ordonné le transfert des marques précitées au profit de l’ASBH et condamner Madame [K] [Y] à lui payer, à titre supplémentaire, des dommages et intérêts d’un montant de… euros en couverture du préjudice subi par l’ASBH du fait de ses dépôts abusifs et des actes de dénigrement injustement commis au détriment de l’ASBH”.
– la condamner à lui verser la somme de 10 000 € pour résistance abusive ;
– la condamner à lui verser la somme de 10 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– dire et juger que l’exécution provisoire de la décision à intervenir est compatible avec les circonstances de l’espèce ;
– la condamner aux dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 23 mai 2024, l’association ASBH demande, in limine litis, de dire et juger que les conclusions in limine litis et les conclusions au fond régularisées par Mme [Y] sont irrecevables, faute pour elle d’identifier son domicile.
Elle demande à titre préalable de rejeter la demande de sursis à statuer formulée par Mme [Y] ; rejeter ses fins de non recevoir ; se déclarer compétent pour statuer sur le litige.
Pour le surplus, elle maintient le surplus de ses demandes, sauf en ce qu’elle demande la somme de 15 000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de ses demandes, l’association sportive ASBH fait valoir qu’elle a été constituée en 1987 sous la forme d’une association loi de 1901 elle-même issue de la scission d’une association omnisports de la ville bien plus ancienne, créée en 1911 ; qu’elle utilise son sigle ASBH depuis 1991 ; que l’histoire de ce club mythique est connue du grand public dans la France entière ; qu’elle exploite de manière intensive non seulement la dénomination et le sigle ASBH mais encore le logo qui l’identifie aux yeux du public :

Elle indique que Madame [Y] exerce une activité de conseil en relations publiques et de communication suspendue en 2014 mais qu’elle reste néanmoins implantée dans le domaine de la presse et des médias dans lequel elle a de nombreuses connexions ; qu’elle a une réputation sulfureuse ; qu’elle est en litige avec la ville de [Localité 4] qui l’avait préalablement embauchée ; qu’elle est l’épouse de Monsieur [E] [Z], fils de Monsieur [V] [Z], coprésident de l’ASBH avec lequel elle est en instance de divorce ; qu’ayant constaté que la marque de l’association n’avait pas été renouvelée à son échéance en 2020, elle a pris l’initiative, en son nom personnel, de déposer les deux marques susvisées dans les mêmes classes que celles précédemment couvertes par l’association afin d’éviter selon elle, que n’importe qui puisse s’en emparer et afin de les préserver, se présentant ainsi comme la gardienne de l’identité du club ; qu’elle prétend à tort avoir agi dans l’intérêt général en dehors de toute velléité politique, s’inscrivant d’après ses propres déclarations dans une démarche citoyenne ; qu’en réalité Madame [Y] est animée par une volonté de représailles à l’encontre de son ancien employeur la mairie de [Localité 4] et à l’encontre de son ancienne belle-famille, ainsi que par des ambitions politiques dévorantes ; que le pilonnage médiatique et le dénigrement dont le club est l’objet est fortement dommageable à son image.

Elle soutient qu’en tout état de cause l’usage de la dénomination ASBH et du logo associé est bien antérieur au dépôt de marque effectué par Madame [Y] en novembre 2023 ; que les dépôts litigieux couvrent à l’identique le signe ASBH et le logo précédemment utilisé par l’association dans les mêmes classes que celles précédemment ouvertes et donc pour des produits et services identiques ; que Madame [Y] ne pouvait ignorer les droits antérieurs de l’ASBH ainsi que l’usage qui est fait depuis de nombreuses années du nom et du logo ASBH en raison de la notoriété de ces signes distinctifs propres au club, de ses propres relations familiales dès lors que son ex beau-père Monsieur [V] [Z] en était le coprésident, et compte tenu de ses ambitions électorales dans le secteur de [Localité 4] où elle réside ; qu’elle ne peut donc ignorer que le signe ASBH et le logo associé, emblématique du club, constituent un actif indispensable et de grande valeur pour l’ASBH ; que dès lors elle n’avait aucune légitimité à déposer ces marques en son nom ; que son intention malveillante est caractérisée ; que les dépôts qu’elle a effectués sont entachés de fraude.

Par conclusions signifiées le 17 mai 2024, la société [Localité 4] RUGBY est intervenue volontairement à la procédure ; elle demande au tribunal de déclarer recevable son intervention volontaire et de :
– condamner Madame [K] [Y] à lui payer la somme 50 000€ au titre de son préjudice personnel ;
– la condamner à lui payer la somme de 5 000€ en application de l’article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

Au soutien de ses demandes, elle fait valoir que l’association sportive ASBH a constitué pour la gestion de ses activités une société commerciale conformément aux dispositions de l’article L.122-1 du Code des Sports, dénommée société sportive [Localité 4] RUGBY constituée le 1er juillet 1999 ; que des conventions ont été signées depuis 1999 entre l’association et la société sportive pour répartir les activités entre elles ; que la dernière convention a été signée le 30 juin 2017 pour une durée de dix ans ; que cette convention autorise la société sportive à faire un usage de la marque ASBH ; que l’équipe professionnelle mythique (onze titres de championnat de France) évoluant actuellement pour la saison 2023-2024 en PRO D2 est gérée par la société sportive [Localité 4] RUGBY en faisant usage de la marque ASBH ; que l’équipe professionnelle, à présent troisième du classement en PRO D2, utilise le sigle suivant :

Elle précise que le logo a été dessiné en 2010, par l’agence de publicité SYMAPS, devenue LES DISSIDENTS, qui a cédé à l’ASBH l’intégralité des droits d’auteur correspondants ; qu’il est utilisé sur les maillots des joueurs et sur tous les supports commerciaux ; que par courrier en date du 17 avril 2024, elle a informé Madame [Y] que ses agissements lui causaient préjudice et qu’elle entendait se joindre à la procédure initiée par l’ASBH ; que le conseil de Madame [Y] lui a répondu le 19 avril 2024 considérant qu’elle était titulaire de la marque et qu’elle n’entendait pas subir de pressions pour la restituer eu égard notamment à la gestion calamiteuse du club.
Elle soutient que les dépôts litigieux couvrent à l’identique le signe « ASBH » et le logo utilisé par l’ASBH, ce qui n’est pas contesté par Madame [Y] qui se revendique « gardienne de la marque » du club ; que Madame [Y] a donc déposé des marques exactement identiques à celles antérieurement exploitées par l’ABSH pour désigner des produits et services également identiques ; que Madame [Y] a effectué le dépôt des marques verbale et figurative « ASBH » n°5009927 et n°5010339 uniquement dans le but de nuire à l’ASBH et avec l’intention de priver cette dernière de l’usage de signes nécessaires à son activité ; que ces dépôts accompagnés d’une campagne de dénigrement constituent une faute au sens de l’article 1240 du Code civil ; que les dépôts de marque litigieux réalisés par Madame [Y] portent atteinte à l’image du club, notamment son équipe professionnelle étant précisé que les revenus de la société [Localité 4] RUGBY résultent principalement des sponsors et des recettes réalisées ; que le dépôt a des conséquences sur les liens contractuels existants entre la société [Localité 4] RUGBY et ses partenaires utilisant également la marque ASBH ; que récemment, son principal sponsor (le groupe BMW) vient d’interroger le club sur ce point, la marque étant présente sur toute «la flotte automobile du club professionnel ».
Elle ajoute que les dépôts de marque litigieux, accompagnés des critiques publiques dans la presse, et les déclarations auprès des institutions de rugby, ont causé un préjudice incontestable au club professionnel (société [Localité 4] RUGBY) d’autant que le club se trouve en vente et que le classement actuel de l’équipe (3ème en pro D2 avec des chances d’évoluer en top 14) attire des investisseurs.
Elle considère que les agissements répréhensibles de Madame [Y] ont entraîné, outre la dévalorisation des investissements de l’entreprise en matière de communication, la dépréciation de son image ainsi que l’affaiblissement de sa capacité d’attraction auprès de la clientèle, des partenaires commerciaux et des acquéreurs ; qu’il faut également prendre en compte son préjudice moral dès lors que les agissements répréhensibles de Mme [Y] visent les valeurs et exigences de la marque.

Par conclusions in limine litis signifiées le 21 mai 2024, Mme [K] [Y] demande au tribunal, in limine litis, de sursoir à statuer dans l’attente de la décision du BAJ ; renvoyer l’affaire ; en tout état de cause, ordonner à titre provisoire le bénéfice de l’aide juridictionnelle ; juger l’assignation irrecevable faute de recours amiable ; juger irrecevable l’assignation faute d’urgence ; renvoyer le demandeur à mieux se pourvoir au fond ; juger l’incompétence du tribunal judiciaire de Marseille ; renvoyer le demandeur à mieux se pourvoir devant le tribunal judiciaire de Paris ; condamner solidairement l’ASBH et la SASP [Localité 4] RUGBY à lui payer la somme de 6 000€ sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile et les dépens.

Elle fait valoir que l’association ASBH constituée en 1987, est présidée depuis 2014 par Messieurs [O] et [Z] qui ont tous deux faits l’objet de multiples et récentes condamnations judiciaires directement en leur nom propre et indirectement par les sociétés qu’ils détiennent ; que c’est dans ce contexte qu’elle s’est préoccupée du sort de la marque ASBH ; qu’elle doit être considérée comme une lanceuse d’alerte.
Elle soutient qu’ayant réalisé que la marque ASBH était libre de droit elle a décidé de déposer la marque verbale ASBH ASSOCIATION SPORTIVE [Localité 4] HERAULT et la marque figurative trois ans et quatre mois après l’expiration du délai dont disposait l’association pour son renouvellement ; que s’en sont suivies des attaques à son encontre inconsidérées et comminatoires ; qu’elle a fait l’objet de communiqués de presse injurieux et diffamants.
Elle indique qu’il lui a été signifié l’assignation à jour fixe à une adresse où elle n’était plus du fait de son déménagement ; qu’elle a demandé au commissaire de justice de lui transmettre copie des actes dans une étude dans le ressort de sa nouvelle adresse à [Localité 6] ; que cela n’a jamais été fait ; que le commissaire de justice, Me [W] [F] est en conflit d’intérêts ; qu’il a été membre de l’association lorsqu’il était jeune et qu’il appartient à une étude de commissaires de justice qui compte parmi les partenaires de l’association.
Elle indique qu’elle a récemment déménagé de [Localité 4] à [Localité 6] et a formulé une demande d’aide juridictionnelle pour se défendre dans le cadre de la présente instance ; qu’il y a lieu d’ordonner un sursis à statuer dans l’attente de l’aide juridictionnelle réclamée ; qu’aucune tentative amiable de règlement du litige n’a précédé l’action judiciaire alors qu’elle avait manifesté son intention de le résoudre amiablement et que l’enjeu du litige n’excède pas 5000€ ; qu’à défaut d’urgence, l’assignation à jour fixe n’est pas recevable ; qu’au surplus, afin d’éviter un risque de conflit d’intérêts compte tenu notamment de l’aspect politique du conflit opposant les parties, il y a lieu de se déclarer incompétent au profit du tribunal judiciaire de Paris.

Aux termes de ses conclusions au fond signifiées le même jour, elle demande au tribunal de :
– juger sa qualité de lanceur d’alerte ;
– débouter l’ASBH de ses demandes ;
– juger l’absence d’intention de nuire de sa part ;
– juger sa bonne foi ;
A titre reconventionnel :
– juger l’intention de nuire de l’ASBH ;
– juger abusive son action ;
– condamner solidairement l’ASBH et la SASP [Localité 4] RUGBY à 1€ de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral ;
– les condamner solidairement à lui payer la somme de 6 000€ sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile et les dépens.

Au soutien de ses demandes, elle fait valoir que pendant quatre ans elle a exercé les fonctions d’agent contractuel au sein de la mairie de [Localité 4] ; que dans l’exercice de ses fonctions elle a constaté des dérives dans sa circonscription, et notamment dans la gestion de l’association avec les co-présidents [O] et [Z] qui ont fait l’objet de nombreuses condamnations tant sur le plan civil que pénal ; qu’elle a informé le 19 mars 2024 le président de la ligue nationale de rugby de l’utilisation de la marque ASBH par la société gérant le club de rugby professionnel ; que cette société a passé une convention rémunérée pour exploiter la marque ASBH avec l’association gérant le club amateur ; que cette confusion entre une association et une société commerciale rémunérée sur la base d’une convention à hauteur de 60 000 € par an peut être qualifiée d’enrichissement sans cause au préjudice des citoyens biterrois ; qu’en sa qualité de titulaire de la marque ASBH, elle peut garantir qu’aucune personne mal intentionnée ne puisse s’en emparer pour la détourner de son objet, voire ne réclame plusieurs dizaines de milliers d’euros sans aucune contrepartie.
Elle soutient être désintéressée, de bonne foi, et soucieuse de l’intérêt général.
Elle indique qu’elle a été victime d’articles diffamatoires ; qu’elle a été contrainte de faire valoir un droit de réponse ; que les agissements de la demanderesse créént un climat d’hostilité à son égard, la contraignant ainsi à élire domicile au cabinet de son avocat à [Localité 7] ; que l’intention de nuire de l’association ne fait aucun doute ; qu’elle n’a pas hésité à instrumentaliser un auxiliaire de justice à son encontre ; que l’association tente de l’intimider par une procédure d’exception et des demandes exorbitantes.

Pour un plus ample exposé des moyens, il est renvoyé expressément aux écritures susvisées.

L’affaire a été plaidée à l’audience du 23 mai 2024 et mise en délibéré au 11 juillet 2024.

MOTIFS :

Sur la recevabilité des conclusions signifiées par Mme [Y] :

En application de l’article 59 du code de procédure civile, “le défendeur doit, à peine d’être déclaré, même d’office, irrecevable en sa défense, faire connaître :
a) s’il s’agit d’une personne physique, ces nom, prénom, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance (…)” .

En application de l’article 766 du code de procédure civile, “les conclusions des parties sont signées par leur avocat et notifiées dans la forme des notifications entre avocats. En cas de pluralité de demandeurs ou de défendeurs, elles doivent être notifiées à tous les avocats constitués. Elles ne sont pas recevables tant que les indications mentionnées à l’alinéa 2 de l’article 765 n’auront pas été fournies.”

Or,l’alinéa 2 de l’article 765 vise expressément la mention des nom, prénom, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance.

En l’espèce Madame [Y] a signifié deux jeux de conclusions le 21 mai 2024 en se domiciliant sis [Adresse 1] qui est l’adresse professionnelle de son conseil, Me Pierre FARGE.

Elle n’a pas cru devoir régulariser ses écritures en défense à l’adresse de son nouveau domicile à [Localité 6], alors qu’elle reconnaît expressément avoir déménagé sur cette commune au moment où l’assignation en justice lui a été signifiée, et a persisté à maintenir sa domiciliation chez son conseil alors que son contradicteur a pris des conclusions d’irrecevabilité motivées.

En conséquence, les conclusions de Mme [K] [Y] seront déclarées irrecevables.

Sur les demandes principales :

L’action en revendication :

L’article L.712-6 du code de la propriété intellectuelle dispose que si un enregistrement a été demandé soit en fraude des droits d’un tiers, soit en violation d’une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut revendiquer sa propriété en justice.

Il s’agit d’une action en revendication mobilière, une action réelle.

L’intention frauduleuse s’entend de la connaissance par le déposant de l’existence d’un signe utilisé par un concurrent comme signe distinctif pour identifier un de ses produits ou une de ses activités.

L’action en revendication nécessite la démonstration d’un usage antérieur du signe dans le commerce, portant sur la même spécialité, et la preuve de la fraude commise par le déposant dans le seul but de nuire à autrui.

En l’espèce, il est constant et nullement contestable que l’association ASBH fait usage du signe ASBH depuis plusieurs décennies pour désigner l’ensemble de ses activités exercées au sein du club sportif, ainsi que du logo qui avait été créé en 2010, Madame [Y] ayant une parfaite connaissance de leur usage pour identifier les produits et activités du club sportif eu égard à la notoriété des signes propres au club, et à sa proximité avec son ex beau-père, [V] [Z], co-président de l’ASBH.

Si les dépôts effectués le 28 novembre 2023 pour la marque verbale “ASBH” Association Sportive [Localité 4] Hérault” N° 5009927 et le 29 novembre 2023 sous le N°5010339 pour la marque figurative :

portent sur des signes identiques, ils portent aussi sur les mêmes classes de produits et services 14,16,18,20,22,24,25, 26,27,28,35 et 41 que celles prélablement déposées et utilisées par l’association sportive, Mme [Y] reconnaissant et assumant cette identité avec les droits antérieurs de l’association qu’elle justifie en sa qualité de “lanceuse d’alerte”, et protectrice des signe et logo qui n’auraient pas été suffisamment protégés par l’association sportive.

Ainsi, elle connaissait parfaitement la valeur du signe ASBH et celle du logo associé pour le club dont ils constituent un actif indispensable.

A supposer que Mme [Y] se soit légitimement inquiétée de la protection dont bénéficiait le signe et des risques de contrefaçon encourus en l’absence du renouvellement de dépôt de la marque ASBH, elle ne justifie pas en quoi il lui était impossible de procéder au dépôt au nom de l’association sportive.

Mme [Y] n’avait aucune légitimité à déposer ces marques verbale et semi figurative en son nom alors qu’elle n’a aucun intérêt dans le club, le fait de se présenter comme un “chevalier blanc” ou la “gardienne de l’identité” du club, ne lui octroyant aucun droit ou aucun pouvoir en son sein.

En tout état de cause, à l’examen des pièces versées aux débats, force est de constater que ses intentions sont nourries par des motifs personnels et vindicatifs qui s’inscrivent sans doute dans une volonté de procéder à un “règlement de compte” avec sa famille et plusieurs acteurs économiques de la région biterroise, et qui sont susceptibles de porter atteinte à la notoriété du club sportif, à ses dirigeants, à ses activités, et à son avenir, les communiqués de presse ne pouvant qu’accroître, outre la renommée médiatique de l’intéressée photographiée avantageusement avec un ballon de rugby portant le signe distinctif du club, les rumeurs de mauvaise gestion de l’association sportive, et dès lors nuire à ses intérêts.

Ainsi, les deux dépôts effectués par Mme [Y] en novembre 2023 ont été effectués dans l’intention maligne de porter atteinte à des intérêts préexistants, l’intention frauduleuse consistant dans la connaissance par Mme [Y] de l’existence du signe utilisé par l’association sportive comme signe distinctif pour identifier ses produits et activités.

En conséquence l’action en revendication de l’association sportive est recevable et bien fondée. Il y a lieu d’ordonner le transfert de l’entière propriété des marques françaises verbale et semi figurative ASBH N° 5009927 et N°5010339 déposées par Mme [K] [Y] les 28 et 29 novembre 2023 au profit de l’Association Sportive [Localité 4] Hérault pour l’ensemble des produits et services couverts.

Le jugement, devenu définitif, sera transmis à l’initiative de la partie la plus diligente et aux frais de Mme [K] [Y] à l’INPI pour être inscrit sur le Registre National des Marques.

La réparation du préjudice de l’association sportive :

En application de l’article 1240 du Code civil, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

En l’espèce, en procédant aux deux dépôts susvisés, Mme [K] [Y] a acquis frauduleusement la propriété de la marque et du logo associé ASBH qu’elle a justifiés dans la presse par une volonté délibérée de protéger le club de prétendus agissements répréhensibles ; elle s’est ainsi rendu coupable non seulement de dépôts en fraude des droits de l’association sportive mais encore de propos dénigrants.

En conséquence, par une appréciation souveraine des éléments de la cause, Mme [K] [Y] sera condamnée à payer à l’Association Sportive [Localité 4] Hérault (sigle “ASBH”) la somme de 5000 € à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice subi.

En revanche, la résistance abusive de Mme [K] [Y] n’est pas caractérisée eu égard à la rapidité avec laquelle l’association sportive s’est prévalue de ses droits devant la Justice. En conséquence, la demande en dommages intérêts pour résistance abusive sera rejetée.

Sur la demande de publication :

Compte-tenu des condamnations prononcées, il y a lieu d’ordonner la publication du texte suivant dans les 5 journaux suivants : l’Agglo Rieuse, le Midi Libre, l’Indépendant, la Dépêche, le Figaro aux frais de Madame [Y], sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder la somme de 5000 € hors-taxes “par jugement en date du… le tribunal judiciaire de Marseille a condamné Madame [K] [Y] pour avoir commis une fraude au préjudice de l’association sportive [Localité 4] Hérault (sigle “ASBH”) et porté atteinte à sa dénomination sociale ASBH et aux droits que l’ASBH détient sur son logo en déposant, à titre personnel, la marque verbale “ASBH” association sportive [Localité 4] hérault” N° 5009927 et la marque figurative N°5010339.
Par ce même jugement, le tribunal judiciaire de Marseille a ordonné le transfert des marques précitées au profit de l’ASBH et condamné Madame [K] [Y] à lui payer à titre de dommages et intérêts la somme de 5 000€ en réparation du préjudice subi par l’ASBH du fait de ses dépôts abusifs et des actes de dénigrement injustement commis au détriment de l’ASBH”.

Sur les demandes de la société [Localité 4] RUGBY :

Vu les dispositions de l’article 1240 du Code civil,

Elle indique que bien que la marque semi figurative déposée par l’association ASBH déposée le 2 juillet 2010 à l’INPI en classes 14, 16, 18, 20, 22, 24, 25, 26, 27, 28, 35 et 41 n’ait pas été renouvelée à son échéance en 2020, elle est toujours exploitée de façon continue tant par l’association ASBH que la société sportive [Localité 4] RUGBY.

Les dépôts frauduleux de Mme [Y] portent atteinte à l’image du club, à celle de son équipe professionnelle et à l’activité commerciale de cette société adossée à l’association conformément aux dispositions de l’article L.122-1 du Code des sports, qui tire ses revenus principalement de ses sponsorts et de l’ensemble des produits et recettes provenant de l’utilisation du signe ASBH et du logo associé.

En effet, elle rapporte la preuve de l’incidence des dépôts frauduleux sur ses relations commerciales notamment avec la société BMW nécessitant qu’elle doive se justifier pour assurer la pérennité de la marque sur la flotte automobile du club professionnel.

Aussi, les critiques publiques répétées dans la presse, et les déclarations faites par Mme [Y] auprès des institutions sportives nuisent d’autant plus à la notoriété du club professionnel qu’il est actuellement en vente, et que son classement actuel est susceptible d’attirer des investisseurs qui pourraient être sensibles aux discours ambiants, à la dépréciation de l’image du club et à l’affaiblissement de sa capacité d’attraction auprès de la clientèle et des partenaires commerciaux.

En conséquence, par une appréciation souveraine des éléments de la cause, Mme [K] [Y] sera condamnée à payer à la société [Localité 4] RUGBY la somme de 5 000€ à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice.

Les parties seront déboutées de leurs demandes plus amples ou contraires.

Sur les demandes accessoires :

Mme [K] [Y], qui succombe, sera condamnée aux entiers dépens en application de l’article 696 du code de procédure civile, sous réserve de l’aide juridictionnelle qui pourra lui être accordée dans le cas de la présente instance.

Il n’est pas inéquitable de la condamner à payer à l’Association Sportive [Localité 4] Hérault “ASBH” et à la société [Localité 4] RUGBY la somme de 3500 € chacune en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

LE TRIBUNAL, statuant après débats publics par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire rendu en premier ressort,

DECLARE irrecevables les conclusions de Mme [K] [Y] ;
DECLARE recevable l’intervention volontaire de la SASP [Localité 4] RUGBY ;

ORDONNE le transfert de l’entière propriété des marques françaises verbale et semi figurative ASBH N° 5009927 et N°5010339 déposées par Mme [K] [Y] les 28 et 29 novembre 2023 au profit de l’Association Sportive [Localité 4] Hérault pour l’ensemble des produits et services couverts ;

DIT que le jugement, devenu définitif, sera transmis à l’initiative de la partie la plus diligente et aux frais de Mme [K] [Y] à l’INPI pour être inscrit sur le Registre National des Marques ;

CONDAMNE Mme [K] [Y] à payer à l’Association Sportive [Localité 4] Hérault (sigle “ASBH”) la somme de 5000 € à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice subi ;

ORDONNE la publication du texte suivant dans les 5 journaux suivants : l’Agglo Rieuse, le Midi Libre, l’Indépendant, la Dépêche, le Figaro aux frais de Madame [Y], sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder la somme de 5000 € hors-taxes “par jugement en date du… le tribunal judiciaire de Marseille a condamné Madame [K] [Y] pour avoir commis une fraude au préjudice de l’association sportive [Localité 4] Hérault (sigle “ASBH”) et porté atteinte à sa dénomination sociale ASBH et aux droits que l’ASBH détient sur son logo en déposant, à titre personnel, la marque verbale “ASBH” association sportive [Localité 4] hérault” N° 5009927 et la marque figurative N°5010339 :

Par ce même jugement, le tribunal judiciaire de Marseille a ordonné le transfert des marques précitées au profit de l’ASBH et condamné Madame [K] [Y] à lui payer à titre de dommages et intérêts la somme de 5 000€ en réparation du préjudice subi par l’ASBH du fait de ses dépôts abusifs et des actes de dénigrement injustement commis au détriment de l’ASBH” ;

CONDAMNE Mme [K] [Y] à payer à la société [Localité 4] RUGBY la somme de 5 000€ à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice ;

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

CONDAMNE Mme [K] [Y] à payer à l’Association Sportive [Localité 4] Hérault “ASBH” et à la société [Localité 4] RUGBY la somme de 3500 € chacune en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE Mme [K] [Y] aux entiers dépens, sous réserve de l’aide juridictionnelle qui pourra lui être accordée dans le cas de la présente instance.

AINSI JUGE PAR MISE A DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIERE CHAMBRE CIVILE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE 11 Juillet 2024

LE GREFFIER LE PRESIDENT