COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-1
ARRÊT EN MATIERE DISCIPLINAIRE
DU 10 JUILLET 2020
DD
N° 2020/ 4D
Rôle N° RG 19/10620 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BEQ4F
[D] [M]
C/
MINISTERE PUBLIC
BATONNIER DE L’ORDRE DES AVOCATS DE MARSEILLE
Copie exécutoire délivrée le :
à :
LE PROCUREUR GENERAL
Me Béatrice DUPUY
Me Gérard BAUDOUX
Décision déférée à la Cour :
Délibération du conseil régional de discipline des avocats de la cour d’appel d’Aix-en-Provence en date du 8 juin 2019.
APPELANTE
Madame [D] [M]
demeurant [Adresse 2]
comparante en personne, assistée de Me Gérard BAUDOUX, avocat au barreau de NICE
INTIMES
LE PROCUREUR GENERAL
PRES LA COUR D’APPEL D’AIX EN PROVENCE
[Adresse 6]
représenté par Monsieur Thierry VILLARDO, Avocat général
MONSIEUR LE BATONNIER DE L’ORDRE DES AVOCATS DE MARSEILLE, pris en la personne de Me [Y] [O] bâtonnier de l’Ordre des avocats de Marseille
demeurant [Adresse 5]
représenté par Me Béatrice DUPUY, avocate au Barreau de Marseille
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue en audience publique le 11 Juin 2020en audience solennelle tenue dans les conditions prévues par l’article R 312-9 du code de l’organisation judiciaire devant la Cour composée de :
Madame Anne VIDAL, Présidente
Mme Véronique NOCLAIN, Président
Madame Anne DAMPFHOFFER, Conseiller
Mme Danielle DEMONT, Conseiller
Mme Virginie BROT, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : M. Rudy LESSI
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 10 Juillet 2020..
Ministère Public : Thierry VILLARDO, avocat général, présent uniquement lors des débats
ARRÊT
Contradictoire
Prononcé par mise à disposition au greffe le 10 Juillet 2020.
Signé par Madame Anne VIDAL, Présidente et M. Rudy LESSI, greffier présent lors du prononcé.
A l’audience des plaidoiries du 11 juin 2020, tenue en audience publique, ont été successivement entendus, après le rapport fait par Mme Demont :
‘ Me Gérard Baudoux conseil de Me [D] [M] appelante est entendu en sa plaidoirie
– Me Béatrice Dupuy, avocate au Barreau de Marseille pour le bâtonnier de l’Ordre des avocats de Marseille, intimé est entendue en sa plaidoirie
‘ Le ministère public, en la personne de M. Villardo avocat général, a repris oralement ses conclusions écrites; Le ministère public demande la confirmation de la délibération.
– Me [M] a eu la parole en dernier.
Les parties ont été informées que la décision était mise en délibéré et que l’arrêt serait mis à disposition au greffe le 10 juillet 2020.
Exposé du litige
Par délibération du 8 juin 2019 le conseil régional de discipline des avocats de la cour d’appel d’Aix-en-Provence a radié du Tableau Me [D] [M].
Le conseil régional de discipline relève :
1°) en son exposé des faits et de la procédure suivie contre Me [M] :
‘ qu’il a été saisi le 14 décembre 2018 par le bâtonnier de Toulon [en réalité le bâtonnier de Marseille] qui reproche à Me [D] [M] des manquements aux lois et règlements, aux règles professionnelles, à l’honneur, à la probité et à la délicatesse, justifiant des poursuites disciplinaires en application des articles 183 à 188 du décret n° 91-1191 du 27 novembre 1991 modifié le 24 mai 2005 organisant la profession d’avocat , pour manquements à l’article 1.3 du Règlement intérieur national (RIN)organisant la profession d’avocat et aux obligations de son serment prévues à l’article 3 de la loi du 31 décembre 1971 et à l’obligation d’exercer ses fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité ;
‘ que l’intéressée n’a jamais répondu aux convocations du bâtonnier [F] [T] désigné pour effectuer l’instruction disciplinaire ; que celui-ci a clôturé son rapport le 19 février 2019 ;
‘ que Me [M] n’est ni présente, ni représentée, alors qu’elle a été citée à sa dernière adresse professionnelle déclarée à l’ordre des avocats comme étant la sienne, soit au [Adresse 2], mais aussi à l’adresse de [Adresse 3] ;
‘ que le conseil départemental de l’ordre des chirurgiens-dentistes des Alpes-Maritimes a transmis le 3 août 2018, par l’intermédiaire du bâtonnier de Paris, une plainte disciplinaire à l’encontre de Me [M], cette plainte visant des faits de faux et usage, usurpation d’identité et escroquerie au jugement ;
‘ que le bâtonnier de l’ordre des avocats du barreau de Grasse a transmis à l’ordre des avocats du barreau de Marseille la copie d’une nouvelle plainte reçue le 20 novembre 2018 pour des faits identiques à ceux relatés dans la précédente plainte ;
‘ que Me [M] a parfaitement reconnu elle-même ces faits selon une attestation du 27 juin 2018; que par lettre du 28 juin 2018 adressée au bâtonnier de l’ordre des avocats du barreau de Marseille, Me [M] a donné sa démission à compter du 10 juillet 2018 ;
‘ et qu’aucun moyen n’est soulevé relatif à la procédure suivie ;
2°) en ses motifs :
‘ qu’il résulte des pièces de la procédure disciplinaire que les faits commis par Me [D] [M] constituent une violation des principes déontologiques de la profession d’avocat, notamment ceux de dignité, de conscience, d’indépendance et de délicatesse, et des manquements aux principes essentiels de la profession d’avocat énoncés à l’article 1. 3 du RIN ; qu’elle a manqué aux valeurs déontologiques du serment d’avocat lui imposant d’exercer ses fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité (article 3 de la loi du 31 décembre 1971 ), et que l’ensemble des faits soumis à l’appréciation du conseil régional de discipline, reconnus par l’avocat, constituent des fautes disciplinaires devant entraîner une sanction ; et que par lettre du 28 juin 2018 adressée au bâtonnier de l’ordre des avocats au barreau de Marseille, Me [M] a donné sa démission à compter du 10 juillet 2018.
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Le 25 juin 2019 Me [D] [M] a formé un recours contre cette décision.
Le recours, exercé dans le mois suivant la notification le 15 juin 2019 de la décision, et dans les formes légales, est recevable en application de l’article 16 du décret du 27 novembre 1991.
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Le ministère public, en la personne du procureur général, par conclusions du 13 septembre 2019 portées à la connaissance des autres parties en la cause et reconnues par ces dernières comme l’ayant été dans des conditions leur permettant d’y répondre, a demandé à la cour de confirmer la délibération attaquée.
Il fait valoir que, par lettre du 28 juin 2018, Me [M] a remis sa démission à compter du 10 juillet 2018 et qu’elle a reconnu dans une attestation du 7 juin 2018 les faits qui lui sont reprochés dans le cadre d’une plainte transmise le 3 août 2018 par le conseil de l’ordre des chirurgiens-dentistes des Alpes-Maritimes portant sur des faits de faux et usage, usurpation d’identité et escroquerie au jugement ; et que ces faits, contraires à la probité et à l’honneur, justifient la sanction prononcée.
*
Me [M] a été convoquée pour l’audience du 19 mars 2020 par lettre recommandée datée du 21 octobre 2019, qui a été retournée ‘non réclamée’.
Me [M] a été convoquée pour cette audience à l’adresse figurant sur sa déclaration d’appel comme étant la sienne, soit au [Adresse 2], par LRAR qui a été retournée avec la mention des services de La Poste : ‘inconnue à l’adresse indiquée’.
Me Baudoux qui s’est constitué dans ses intérêts a été avisé par message RPVA du greffe le 13 mai 2020 de la date et heure de l’audience du 11 juin 2020.
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Par conclusions du 10 juin 2020, portées à la connaissance des autres parties en la cause et reconnues par ces dernières comme l’ayant été dans des conditions leur permettant d’y répondre, Me [D] [M] a demandé à la cour à titre principal de constater la nullité de la procédure disciplinaire diligentée contre elle, et de prononcer en conséquence son annulation, à titre subsidiaire, d’infirmer la décision en date du 8 juin 2019 rendue par le conseil régional de discipline en ce qu’elle a prononcé sa radiation, et statuant à nouveau, de prononcer une sanction proportionnée à la faute commise.
Par conclusions du 10 juin 2020 portées à la connaissance des autres parties en la cause et reconnues par ces dernières comme l’ayant été dans des conditions leur permettant d’y répondre, M. Le Batonnier de l’Ordre des avocats de Marseille demande la confirmation de la décision déférée.
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A l’audience des plaidoiries du 11 juin 2020, tenue en audience publique, ont été successivement entendus, après le rapport fait par Mme Demont :
‘ Me [D] [M] comparante en personne et son conseil, Me Baudoux,
Me [D] [M], a déclaré abandonner son moyen de nullité de la procédure et ne plus élever cette prétention et reprendre pour le surplus les demandes contenues dans ses dernières écritures .
Me [M] reprend les moyens qu’elle avait développés par écrit en exposant que le conseil de discipline a été destinataire :
– d’une plainte de Me [N] aux intérêts du Conseil départemental de l’ordre des chirurgiens-dentistes des Alpes-Maritimes du 3 août 2018 transmise par le bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris au service ‘déontologie’ du Barreau de Marseille pour des faits de ‘faux et usage de faux, usurpation d’identité et escroquerie au jugement’ qui auraient été avoués et reconnus par leur auteur ;
– d’une plainte de Me [E] aux intérêts des docteurs [L], [U], [I] et [K] du 20 novembre 2018 enregistrée par l’Ordre des avocats au barreau de Grasse faisant état de ce que:
« Mes clients sont les principales victimes de manoeuvres particulièrement déloyales de Me [M] inscrite au Barreau de Marseille qui a démissionné avec effet au 10 juillet 2018, mais également des pratiques répréhensibles pour leur profession de Me [C] (…) qui a présenté deux requêtes devant le tribunal de grande instance de Nice aux fins d’obtenir deux constats d’huissier à effectuer dans les cabinets dentaires des docteurs [L], [U], [I] et [K].
Maître [C] n’a jamais rédigé ces requêtes.
En effet à l’audience de référé d’heure à heure diligentée par mes clients, il était produit une lettre de Madame [M] dans laquelle celle-ci reconnaissait être la rédactrice de deux requêtes, une au nom de Mme [W] [H] (son employée), une au nom de M. [A] (un de ses proches) »;
‘ que les deux requêtes datées du 18 avril 2018 présentées par Me [C] [l’avocate de l’association Dental Access présidée par Mme [M] ] en vue de la désignation d’un huissier aux fins de constats dans les cabinets dentaires des docteurs [L], [U], [I] et [K], l’une au nom de Mme [W]-[H], l’autre au nom de M. [A], s’inscrivent dans un lourd contentieux opposant la société Dental Access et l’Ordre des chirurgiens-dentistes ; que Mme [W]-[H] était employée de la société Dental Access et M. [A] intervenait également dans le cadre des activités de la société ;
‘ qu’une ordonnance de référé a fait droit aux demandes le 30 juin 2018, et que Me [J], huissier de justice a exécuté les ordonnances le 1er juin 2018 au cabinet des docteurs [L] et [U] ;
‘ qu’à la suite de ces constats d’huissier, une assignation en référé-rétractation a été déposée par les chirurgiens-dentistes et l’Ordre des chirurgiens-dentistes contre M. [A] et Mme [W]-[H]; que l’audience s’est tenue le 29 juin 2018 devant le tribunal de grande instance de Nice ; que Me [C] s’est dessaisie des deux dossiers ; que M. [A], représenté par Me Durand, avocat au barreau de Grasse et Mme [W]-[H] ont conclu le jour de l’audience ;
‘ qu’il est rapporté dans la plainte du 3 août 2018 déposée par l’ordre des chirurgiens-dentistes que Mme [W]-[H] aurait déposé plainte et pris des conclusions le jour de l’audience par lesquelles elle « a sollicité la rétractation en indiquant que son identité avait été usurpée. Madame [W]-[H] qui a été très surprise de découvrir l’existence de cette ordonnance n’a jamais été à l’origine de la requête, elle n’a jamais diligenté aucune procédure à l’encontre des docteurs [L] et [U] et elle a été très surprise, dans le cadre de cette assignation en référé d’heure à heure, de découvrir qu’en réalité des actes de procédure dont, notamment une requête en date du 30 avril conduisant à une ordonnance signifiée le 1er juin 2018, auraient été déposés en son nom.
En réalité, Mme [W]-[H] , qui travaille en qualité de secrétaire auprès du cabinet Dental Access n’a jamais effectué, via Me [X] [C], avocat au barreau de Nice, des actes de procédure. Elle produisait sa propre plainte pénale ainsi que l’attestation valant aveu de Mme [M] » ;
‘ que ces affirmations sont fausses ; que Mme [W]-[H] a eu connaissance des instances judiciaires entreprises en son nom par Me [M], qu’elle a participé avec son mari à la recherche d’éléments nécessaires aux requêtes aux fins de constat d’huissier, ce qui est démontré par un SMS du 17 juillet 2018, ce qui a été constaté par huissier ; que Mme [M] a écrit le 10 avril 2018 à Mme [W]-[H] pour lui demander sa CNI en vue du constat d’ huissier chez le docteur [L], ce que Mme [W]-[H] a accepté ; qu’elle a adressé à Mme [M], volontairement et en toute connaissance de cause, les photos qui ont été prises dans les cabinets des chirurgiens-dentistes ;
‘ que Mme [W]-[H] a craint les conséquences d’une plainte contre elle du chef de dénonciation calomnieuse déposée par l’Ordre départemental des chirurgiens dentistes ; qu’elle s’est rapprochée de Mme [M] ; que c’est dans ce contexte que celle-ci a rédigé l’attestation invoquée contre elle, qu’une plainte a été déposée devant le bâtonnier et que le conseil régional de discipline a été saisi;
‘ que l’élément moral des infractions de faux et usage, usurpation d’identité et escroquerie au jugement suppose de la part de l’auteur que soit démontrée l’altération de la vérité ; que l’attestation du 27 juin 2018 de Mme [M] invoquée par le procureur général dans ses conclusions ne contient aucun aveu des faits qui lui sont reprochés par le conseil de l’ordre des chirurgiens-dentistes des Alpes-Maritimes du 3 août 2018 ;
‘ que l’attestation en cause contient seulement, en l’état de la participation active de Mme [W]-[H], la reconnaissance par Mme [M] d’avoir remis un faux matériel à Me [C], en l’espèce un mandat de Mme [W] et d’avoir été à l’origine de la rédaction de la requête de celle-ci, ce qui n’est pas ‘la reconnaissance de culpabilité des infractions de faux, usage, usurpation d’identité et escroquerie au jugement’ alléguée ;
‘ que si Mme [M], comme elle l’indique dans sa lettre de démission du 28 juin 2018, a « perdu toute lucidité et la prudence que l’on attend d’un avocat et accompli un acte en contravention avec la loi et les principes d’honneur et de probité », la faute déontologique commise par Mme [M] consiste en la remise à Me [C] d’un mandat apocryphe de Mme [W]-[H] ;
‘ qu’en prononçant une sanction fondée sur la reconnaissance de la culpabilité de Mme [M] sur les faits de faux, usage, usurpation d’identité, escroquerie au jugement, le conseil régional de discipline a commis une erreur dans la qualification juridique des faits, les éléments constitutifs de ces infractions n’étant pas réunis ;
‘ que d’ailleurs aucune décision judiciaire n’est intervenue à la suite de la plainte déposée par Mme [W]-[H] contre Mme [M] ;
‘ que le faux matériel qu’elle reconnaît justifie une sanction qui doit respecter les principes de proportionnalité et d’individualisation ;
‘ que la sanction de radiation, sanction la plus grave prévue par l’article 184 du décret du 27 novembre 1991, prise à l’encontre de Me [M] est manifestement disproportionnée au regard du fait unique commis dont elle a reconnu l’existence, et dont elle a assumé les conséquences en présentant sa démission du tableau de l’Ordre des avocats au barreau de Marseille ;
‘ et qu’elle mérite un blâme ou au plus, une suspension professionnelle, ayant l’intention de reprendre son activité d’avocate, ce qui aurait sans doute été prononcé par le conseil de discipline si elle avait été mise en mesure de comparaître.
‘ Me [Y] [O] bâtonnier de l’Ordre des avocats de Marseille, représenté par Me Dupuy, avocate au Barreau de Marseille.
Le bâtonnier a repris oralement les conclusions écrites déposées le 10 juin 2020.
Il prend acte de l’abandon à l’audience du moyen de nullité de la procédure ayant conduit à la décision querellée auquel il avait longuement répondu dans ses écritures.
Il fait valoir oralement qu’il n’y aucun acharnement de sa part ; que 6 ou 7 précédentes plaintes avaient été déposées entre ses mains précédemment ; qu’il a donné suite à la présente, dans la mesure où maître [M] a fait un faux mandat et usurpé l’identité de quelqu’un qui avait un intérêt à présenter une requête ; que dans sa lettre de démission du 28 juin 2018 Me [M] indique avoir perdu sa lucidité dans le conflit qui touche son compagnon, chirurgien-dentiste, et reconnaît des atteintes à la loi et à la probité, ainsi qu’une infraction au préjudice de Mme [W]-[H], peu important le classement sans suite de la procédure pénale contre elle.
Elle ne peut pas rester dans la profession et elle plaide aujourd’hui la pertinence de ses agissements alors que le principe de dignité et d’honneur de l’avocat n’a pas été respecté.
Le Bâtonnier demande la confirmation de la décision de radiation.
‘ Le ministère public, en la personne de M. Villardo avocat général, a repris oralement ses conclusions écrites, sauf à préciser que les conclusions de nullité ne sont pas reprises alors qu’elles n’ont pas été soulevées in limine litis ; que Me [M] a été convoquée dans les formes légales ; qu’il n’est pas question de savoir si elle a commis un faux au sens pénal, les poursuites disciplinaires étant indépendantes ; qu’il est à relever que la plainte de Mme [W] est toujours en cours et qu’elle n’est pas classée, de même que la plainte d’exercice illégal de la profession de chirurgien-dentiste et d’homicide involontaire sur la personne d’un patient ; que l’attestation signée par Me [M] ne fait que relever des éléments exacts et un comportement qui n’est pas normal de la part d’un avocat ; que Me [M] reconnaît avoir agi sans mandat, et plaide la connaissance de ces actes par Mme [W]-[H].
Le ministère public demande la confirmation de la délibération.
Me [M] a eu la parole en dernier.
Elle a ajouté que Mme [W]-[H] n’avait jamais été sa cliente et qu’elle-même n’a pas agi en qualité d’avocat, la requête ayant été déposée par une consoeur ; qu’en ce qui concerne les motifs de sa démission, la situation l’imposait ; qu’elle avait été prise dans un mouvement dans lequel les établissements qu’elle dirigeait ont été fermés par le conseil de l’ordre des chirurgiens-dentistes, et que c’est pour résoudre tous ces problèmes et clore le dossier pénal qu’elle avait démissionné, en assumant ses responsabilités.
Les parties ont été informées que la décision était mise en délibéré et que l’arrêt serait mis à disposition au greffe le 10 juillet 2020.
Motifs
Attendu qu’il convient de prendre acte de l’abandon par Me [M] de son moyen de nullité de la procédure disciplinaire ;
Attendu que Me [M] a reconnu dans une attestation du 7 juin 2018 les faits qui lui sont reprochés, dans le cadre d’une plainte transmise le 3 août 2018 par le conseil de l’ordre des chirurgiens-dentistes des Alpes-Maritimes (CDO) portant sur des faits de faux et usage, usurpation d’identité et escroquerie au jugement, et ce, dans les termes suivants :
«Je soussignée , [D] [M], née le [Date naissance 1] 1981 à [Localité 7] , de nationalité française, reconnaîs les faits suivants :
J’ai, sans que Mme [S] [W] ne soit informée, mandaté Me [C] [X] avocat au barreau de Nice, en usant d’un faux mandat.
J’ai, en son nom rédigé une requête en vue d’obtenir une ordonnance aux fins de constat au sein du cabinet dentaire du Dr [L], chirurgien-dentiste à [Localité 4].
J’atteste sur l’honneur ne pas avoir engagé aucune autre procédure ou acte en son nom et m’engage à ne plus commettre d’infraction à son encontre dans le futur.
L’ensemble des frais et procédure découlant de mes actes et lui causant préjudice seront entièrement à ma charge. » ;
Attendu qu’à l’audience du 11 juin 2020 Me [M] a déclaré in fine, minimisant la portée de cette attestation :
« Mme [W] est ma salariée, secrétaire médicale, sous ma subordination. En effet elle a pris contact avec le cabinet du Dr [L] pour nous aider. Lorsqu’elle m’envoie les photos elle est avec son compagnon, non sous ma subordination. De même, elle est à son domicile lorsqu’elle envoie sa carte nationale d’identité.
J’ai agi en toute transparence.
Mon manquement a été la signature du mandat dans lequel j’autorisais mon confrère à déposer la requête. À ce moment-là Mme [W] n’était pas au courant de ces procédures. » ;
Attendu qu’il ressort des éléments versés aux débats que Me [M] est avocate, mais aussi présidente d’une association Dental Acess prodiguant des soins dentaires au sein de laquelle officie son compagnon de PACS, docteur en chirurgie dentaire, M. [R] [P], et que celui-ci a fait l’objet de plusieurs poursuites disciplinaires par le conseil départemental de l’Ordre des chirurgiens-dentistes des Alpes-Maritimes (CDO) ;
Attendu que Me [M] a usé de manoeuvres envers des salariés de l’association Dental [H] qu’elle préside et leurs proches (Mme [W]-[H] étant employée et M. [A] étant le colocataire d’un employé de l’association Dental Access, M. [G]) à des fins personnelles, afin que M. [A] et Mme [W] [H] se fassent passer pour des patients qui auraient prétendument constaté des manquements aux règles d’hygiène dans les cabinets des docteurs [I]-[K] et [L], chirurgiens-dentistes membres du conseil départemental de l’Ordre (respectivement ancien président et président actuel de l’instance ordinale) ; que M. et Mme [W]-[H] ont pris subrepticement des clichés dans le cabinet du Dr [L] ;
Que sous les noms de M. [A] et Mme [W]-[H], en fournissant leurs adresses et coordonnées téléphoniques correspondant en réalité à Dental access, Me [M] a ensuite sollicité Me [C] pour qu’elle présente deux requêtes le 18 avril 2018 auxquelles il a été fait droit par deux ordonnances du tribunal de grande instance de Grasse le 30 avril 2018 aux fins de dresser des constats d’ huissier aux cabinets de chirurgie dentaire des membres susdits du conseil de l’Ordre;
Que ces derniers ont subi les investigations de l’huissier instrumentaire et obtenu dans le cadre de procédures de référés-rétractation d’heure à heure le retrait des ordonnances rendues par fraude, Mme [W]-[H] ayant déclaré qu’elle n’avait jamais été signataire du mandat d’ester en justice fourni à Me [C] ;
Attendu que Mme [W]-[H] connaissait les intentions malveillantes de Me [M] à l’égard des chirurgiens-dentistes visés, membres du conseil de l’Ordre, puisqu’elle a accepté de s’y prêter en s’y rendant et en fournissant notamment des documents d’identité et des clichés ‘en vue du constat d’huissier’, ce qui ressort de leurs échanges amicaux de SMS ;
Mais qu’il ne ressort d’aucun élément probant la connaissance que Mme [W]-[H] aurait eue de la procédure judiciaire conduite en son nom ; qu’à l’opposé Me [M] a dû signer pour elle le mandat donné à Me [C] ;
Attendu qu’ayant usé ainsi d’un faux mandat, Me [M] a escroqué l’ordonnance rendue sur pied d’une requête qu’elle ne pouvait présenter elle-même ;
Attendu que doit être écarté le moyen tiré de ce que Me [M] a agi en qualité de présidente de l’association et non dans l’exercice de sa profession d’avocat, l’article 183 du décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat disposant clairement que :
« Toute contravention aux lois et règlements, toute infraction aux règles professionnelles, tout manquement à la probité, à l’honneur ou à la délicatesse, même se rapportant à des faits extraprofessionnels, expose l’avocat qui en est l’auteur aux sanctions disciplinaires énumérées à l’article 184. », d’où il suit le rejet du moyen ;
Attendu qu’en application du règlement intérieur national (RIN) :
« 1. 3 Les principes essentiels de la profession guident le comportement de l’avocat en toutes circonstances.
L’avocat exerce ses fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité, dans le respect des termes de son serment.
Il respecte en outre, dans cet exercice, les principes d’honneur, de loyauté, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie.
Il fait preuve à l’égard de ses clients de compétence, de dévouement, de diligence et de prudence.
1. 4 La méconnaissances d’un seul de ces principes, règles et devoirs, constitue en application de l’article 183 du décret du 27 novembre 1991 une faute pouvant entraîner une sanction disciplinaire. » ;
Attendu que la machination ourdie et les faux et usage commis par Me [M] sont contraires à la dignité, à la conscience et à la probité que l’on attend de la part d’un avocat ;
Que Me [M] a également manqué à ses obligations professionnelles de loyauté, de désintéressement, de confraternité, et de délicatesse ;
Que ces faits sont constitutifs d’une faute disciplinaire ;
Attendu que l’article 184 du décret du 27 novembre 1991 prévoit que :
« Les peines disciplinaires sont :
1° L’avertissement ;
2° Le blâme ;
3° L’interdiction temporaire, qui ne peut excéder 3 années ;
4° La radiation du tableau des avocats ou de la liste du stage, ou le retrait de l’honorariat. (‘)»;
Attendu que les faits commis par Me [M] sont d’une particulière gravité s’agissant d’un faux commis par un avocat ayant conduit à une décision de justice rendue à l’insu de la prétendue requérante ;
Que la circonstance que Me [M] n’ait pas agi dans l’exercice de son activité professionnelle ne constitue pas une circonstance atténuante, dès lors qu’elle a usé de ses compétences d’avocat pour mettre en place la stratégie judiciaire destinée à piéger les membres du conseil de l’ordre des chirurgiens-dentistes et pour rédiger la requête permettant d’obtenir de manière indue des constats d’huissier dans leurs cabinets, et ce au profit de l’association dont elle est présidente et pour favoriser les intérêts de son compagnon ;
Qu’elle a justement considéré, dans sa lettre de démission du 28 juin 2018 adressée au bâtonnier de l’ordre des avocats au barreau de Marseille, qu’elle avait perdu la lucidité et la prudence que l’on attend d’un avocat ;
Attendu qu’eu égard aux fautes commises et à l’absence de conscience de leur extrême gravité, ce qui ressort des moyens qui sont encore développés en défense puisque Me [M] entend se disculper en arguant du caractère extra-professionnel des faits et qu’elle considère qu’elle n’a commis qu’un faux matériel, la cour estime que le comportement de Me [M] est incompatible avec les qualités déontologiques requises pour l’exercice de la profession d’avocat ;
Attendu que la radiation du tableau des avocats prononcée par le conseil régional de discipline des avocats de la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 8 juin 2019 à l’encontre de Me [M] est proportionnée aux agissements de cette dernière ; que cette sanction disciplinaire sera en conséquence confirmée ;
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Déclare recevable le recours formé par Mme [D] [M] contre la délibération du conseil régional de discipline des avocats de la cour d’appel d’Aix-en-Provence en date du 8 juin 2019, mais l’en déboute au fond,
Dit que Me [M] a manqué aux obligations de la profession d’avocat définies aux articles 183 du décret du 27 novembre 1991 et 1. 3 du règlement intérieur national,
Confirme la décision du conseil régional de discipline des avocats de la cour d’appel d’Aix-en-Provence en date du 8 juin 2019 ayant radié Me [D] [M] du Tableau des avocats au barreau de Marseille,
Dit que Me [M] supportera la charge des dépens.
LE PRESIDENT LE GREFFIER