1 septembre 2022 Cour d’appel de Dijon RG n° 21/00459

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1 septembre 2022 Cour d’appel de Dijon RG n° 21/00459

SD/IC

S.A.S.U. SENIOR & CIE

C/

[B] [S] [K] [L] épouse [O]

Expédition et copie exécutoire délivrées aux avocats le

COUR D’APPEL DE DIJON

2ème chambre civile

ARRÊT DU 01 SEPTEMBRE 2022

N° RG 21/00459 – N° Portalis DBVF-V-B7F-FVKI

MINUTE N°

Décision déférée à la Cour : au fond du 15 mars 2021,

rendue par le tribunal judiciaire de Dijon – RG : 1119000055

APPELANTE :

S.A.S.U. SENIOR & CIE exploitant sous l’enseigne BLEU BOHNEUR prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés au siège social sis :

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Claire GERBAY, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 126

assistée de Me Isabelle MERVAILLE, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉE :

Madame [B] [S] [K] [L] épouse [O]

née le 24 Avril 1938 à [Localité 5] (51)

domiciliée :

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par Me Eric RUTHER, avocat au barreau de DIJON, vestiaire : 106

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 mai 2022 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Sophie DUMURGIER, Conseiller, chargé du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la cour étant alors composée de :

Françoise VAUTRAIN, Présidente de Chambre,

Michel WACHTER, Conseiller,

Sophie DUMURGIER, Conseiller,

qui en ont délibéré.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Maud DETANG, Greffier

DÉBATS : l’affaire a été mise en délibéré au 01 Septembre 2022,

ARRÊT : rendu contradictoirement,

PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ : par Françoise VAUTRAIN, Présidente de Chambre, et par Maud DETANG, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Mme [B] [O], cliente de la société de vente par correspondance dénommée Bleu Bonheur, a reçu au mois de février 2017 un jeu comportant un chèque de 4 218 euros à gagner en cas de numéro gagnant.

Constatant que son numéro était gagnant, elle a participé au jeu et a renvoyé le chèque aux fins d’encaisser son lot.

N’ayant pas reçu de réponse à cette participation, elle a adressé une réclamation au service clientèle de la société Bleu Bonheur qui lui a répondu qu’aucun destinataire des documents relatifs au jeu ne pouvait être certain d’être le gagnant de la loterie, ce qui l’a conduite à saisir le tribunal d’instance de Dijon, par acte du 4 janvier 2019, afin de voir, au visa de l’article 1300 du code civil :

– dire et juger que la SASU Senior & CIE lui a annoncé un gain sans mettre en évidence à première lecture l’existence d’un aléa,

– dire et juger que la société Senior & CIE a utilisé une pratique commerciale agressive,

– en conséquence,

– la voir condamner à lui régler à la somme de 4 218 euros à titre principal, la somme de 1 000 euros au titre du préjudice subi, augmentées des intérêts au taux légal à compter de l’assignation, et la somme de 1 300 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– la voir condamner enfin aux entiers dépens.

La société Senior & CIE a demandé au tribunal de se déclarer incompétent au profit du tribunal d’instance de Saint Ouen en application des dispositions des articles 42 et 46 du code de procédure civile, pour le cas où Mme [O] entend solliciter sa condamnation sur le fondement contractuel.

A titre subsidiaire, au fond, elle a conclu au rejet de l’ensemble des demandes de Mme [O], en application des dispositions des articles 1300 et 1240 du code civil et de l’article L 121- 7 du code de la consommation, et à sa condamnation au paiement d’une indemnité de procédure de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers frais et dépens.

Par jugement du 15 mars 2021, le Tribunal judiciaire de Dijon :

– s’est déclaré territorialement compétent,

– a condamné la SASU société Senior & CIE, exploitant sous l’enseigne Bleu Bonheur, à payer à Mme [B] [L] épouse [O] la somme de 4 218 euros avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision,

– a débouté Mme [B] [L] épouse [O] de sa demande de dommages et intérêts,

– a condamné la SASU société Senior & CIE, exploitant sous l’enseigne Bleu Bonheur, à payer à Mme [B] [L] épouse [O] la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– a condamné la SASU société Senior & CIE, exploitant sous l’enseigne Bleu Bonheur, aux dépens, comprenant notamment le coût de l’assignation du 4 janvier 2019. 

La SASU Senior & CIE a relevé appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe le 1er avril 2021, portant sur l’ensemble des chefs de dispositif de la décision.

Au terme de ses conclusions n° 2 notifiées par RPVA le 24 novembre 2021, l’appelante demande à la cour de :

– la recevoir en son appel,

– infirmer le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Dijon en toute ses dispositions, sauf en ce qu’il a débouté Mme [O] de sa demande au titre de dommages et intérêts,

– recevoir Mme [O] en son appel incident,

– la déclarant non fondée,

Ce faisant, statuant à nouveau,

À titre principal,

Vu les dispositions des articles 42 et 46 du code de procédure civile,

Vu les dispositions de l’article 90 du code de procédure civile,

– dire que le Tribunal judiciaire de Dijon est incompétent pour statuer sur les demandes au titre de l’article 1300 du code civil,

– renvoyer devant la Cour d’appel de Paris,

A titre subsidiaire, au fond,

Vu les dispositions de l’article 1300 du code civil,

– débouter Mme [O] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

– débouter Mme [O] de son appel incident et par conséquent confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [O] de sa demande au titre des dommages et intérêts,

– condamner Mme [O] au paiement de la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner Mme [O] aux entiers frais et dépens de 1ère instance et d’appel.

Au terme de conclusions notifiées le 15 septembre 2021, Mme [O] demande à la cour de :

En ce qui concerne l’appel principal de la SASU Senior & CIE,

En ce qui concerne le premier chef de jugement critiqué, la compétence territoriale du Tribunal Judiciaire de Dijon,

– juger pour les causes avant dites que la Cour d’appel de Dijon est compétente pour statuer sur ses demandes,

– rejeter l’exception d’incompétence soulevée par la SASU Senior & CIE,

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il s’est déclaré territorialement compétent,

En ce qui concerne le deuxième chef de jugement critiqué, le règlement de la somme de 4 218 euros à Mme [O],

– juger que la société Senior & CIE lui a annoncé un gain, sans mettre en évidence à la première lecture l’existence d’un aléa,

– juger que la société Senior & CIE a utilisé une pratique commerciale agressive,

En conséquence,

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la SASU Senior & CIE à lui régler la somme de 4 218 euros,

En ce qui concerne le troisième chef de jugement critiqué, le règlement de la somme de 500 euros au titre de l’article 700 et les dépens,

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la SASU Senior & CIE à lui régler la somme de 500 euros au titre l’article 700 du code de procédure civile et les dépens,

En ce qui concerne son appel incident,

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de dommages et intérêts,

Statuant à nouveau,

– condamner la SASU Senior & CIE à lui régler la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts augmentés des intérêts au taux légal à compter de l’assignation,

En tout état de cause,

– condamner la SASU Senior & CIE à lui régler la somme de 4 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner enfin la SASU Senior & CIE aux entiers dépens de première instance et d’appel.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 12 avril 2022.

Par application de l’article 455 du code de procédure civile, il est référé, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions susvisées.

SUR CE

Sur la compétence territoriale du Tribunal judiciaire de Dijon

Pour se déclarer territorialement compétent, le tribunal s’est fondé sur l’article L 141-5 du code de la consommation qui permet au consommateur de saisir, à son choix, outre l’une des juridictions territorialement compétentes en vertu du code de procédure civile, la juridiction du lieu où il demeurait au moment de la conclusion du contrat ou de la survenance du fait dommageable et il a retenu que Mme [O], qui fonde ses demandes sur la pratique commerciale agressive de la SASU Senior & CIE relevant des dispositions de l’article L 121-7 du code de la consommation, a procédé à une commande auprès de cette société en renvoyant le chèque spécimen de 4 218 euros.

Pour conclure à l’incompétence territoriale du Tribunal judiciaire de Dijon et au renvoi de l’affaire devant la Cour d’appel de Paris, l’appelante relève que, dans son exploit introductif d’instance, Mme [O] se prévalait des dispositions de l’article 1300 du code civil relatives aux quasi-contrats pour solliciter sa condamnation et elle rappelle que la Cour de cassation juge de manière constante, qu’en matière de quasi-contrat, l’option de compétence de l’article 46 du code de procédure civile n’a pas vocation à s’appliquer et considère que doit être respecté le principe fondamental du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle.

Elle ajoute que la demanderesse ne peut, à la fois, fonder son action sur les quasi contrats et sur la pratique commerciale agressive, régis par des règles de compétence différentes, dont les conséquences sont également radicalement différentes.

Elle relève que, même si Mme [O] fait référence aux articles L 121-7 et L 132-11 du code de la consommation, elle fonde toujours ses demandes sur les dispositions de l’article 1300 du code civil.

Elle ajoute que le tribunal ne pouvait pas, pour retenir sa compétence, considérer que Mme [O] fondait ses demandes sur la pratique commerciale agressive relevant de l’article L 121-7 du code de la consommation et la condamner à délivrer le gain en application de l’article 1300 du code civil.

L’intimée conclut à la confirmation du jugement en faisant valoir que, devant le Tribunal judiciaire de Dijon, elle a fondé son argumentation sur la pratique commerciale agressive en évoquant notamment les articles L 121-7 du code de la consommation et 1300 du code civil.

Elle rappelle que l’article L 132-11 du code de la consommation prévoit des sanctions pénales en cas de pratiques commerciales agressives telles que visées à l’article L 121-7, et que, dans l’hypothèse où il y aurait des poursuites pénales à l’encontre de la société Senior & CIE, elle pourrait parfaitement se constituer partie civile et solliciter le règlement du préjudice qu’elle a subi en invoquant les dispositions de l’article 1241 du code civil.

Elle en déduit qu’elle disposait des options de compétence ouvertes à l’article 46 du code de procédure civile et qu’elle pouvait saisir la juridiction du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi, à savoir le Tribunal d’instance de Dijon, le dommage étant subi au domicile du participant.

Elle se prévaut par ailleurs de la jurisprudence rendue en application de l’article L 141-5 du code de la consommation sur le droit d’option de compétence du consommateur et d’un arrêt de la cour de cassation du 7 mai 2010 qui a admis que le consommateur agisse devant le tribunal d’instance de son domicile en application des articles 15 et 16 du règlement CE n°44/2001 pour l’obtention de son gain.

L’organisation d’un jeu publicitaire qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence à première lecture l’existence d’un aléa et qui oblige par ce fait purement volontaire l’organisateur à délivrer le lot est un quasi-contrat, dont la qualification est exclusive de celle de contrat.

Dans ces conditions, les options de compétence territoriale ouvertes au demandeur par l’article 46 du code de procédure civile, qui sont d’interprétation stricte, ne s’appliquent pas aux actions fondées sur un quasi-contrat.

En l’espèce, Mme [O] a saisi le tribunal d’instance de Dijon d’une action aux fins d’obtenir le règlement du lot promis par la société SASU Senior & CIE au visa de l’article 1300 du code civil.

Si elle a également visé la pratique commerciale agressive de cette société en arguant des dispositions de l’article L 121-7 du code de la consommation qui les définit, elle n’a formé aucune demande en application de ce texte et n’en forme toujours aucune en cause d’appel, puisqu’elle persiste à demander le règlement du gain en application de l’article 1300 du code civil, à l’exclusion de dommages-intérêts, et c’est donc à tort que le tribunal a jugé qu’elle pouvait bénéficier de l’option de compétence de l’article L 141-45, devenu R 631-3, du code de la consommation qui ne concerne, d’une part, que les litiges liés à l’exécution d’un contrat, alors que le litige porte sur une prétendue promesse de gain, ou, d’autre part, en matière délictuelle, ceux résultant d’un fait dommageable, qui n’est pas caractérisé en l’espèce puisque l’intimée se contente d’invoquer la possibilité de poursuites pénales à l’encontre de l’appelante à l’occasion desquelles elle pourrait se constituer partie civile et solliciter l’indemnisation d’un préjudice.

La compétence de la juridiction saisie ne saurait s’apprécier au regard des demandes accessoires.

Enfin, s’agissant de l’application du règlement CE n°44/2001 en vertu duquel Mme [O] serait fondée à agir devant le tribunal de son domicile, elle est exclue lorsque le litige ne comporte aucun élément d’extranéité, comme c’est le cas en l’espèce.

En application des dispositions générales de l’article 42 du code de procédure civile, la juridiction territorialement compétente est celle du lieu où demeure le défendeur, soit, s’agissant d’une société, le lieu de son siège social.

Dans ces conditions, la juridiction compétente était le juge des contentieux de la protection du tribunal de Saint Ouen dans le ressort duquel se situe le siège social de la société SASU Senior & CIE et le Tribunal judiciaire de Dijon sera déclaré incompétent pour connaître du litige opposant Mme [O] à la société SASU Senior & CIE, le jugement entrepris méritant infirmation en toutes ses dispositions.

En application de l’article 90 du code de procédure civile, lorsque la cour infirme du chef de la compétence, si elle n’est pas juridiction d’appel, elle renvoie l’affaire devant la juridiction d’appel de la juridiction qui eût été compétente en première instance.

L’affaire sera ainsi renvoyée devant la Cour d’appel de Paris.

Les dépens de la procédure d’appel seront mis à la charge de Mme [O], sans qu’il y ait lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en faveur de la SASU Senior & CIE.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 15 mars 2021 par le Tribunal judiciaire de Dijon,

Statuant à nouveau,

Déclare le Tribunal judiciaire de Dijon incompétent pour connaître du litige opposant Mme [B] [O] à la société SASU Senior & CIE au profit du juge des contentieux de la protection du tribunal de Saint Ouen,

Vu l’article 90 du code de procédure civile,

Ordonne le renvoi de l’affaire devant la Cour d’appel de Paris,

Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit de l’appelante,

Condamne Mme [B] [O] aux dépens d’appel.

Le Greffier,Le Président,

 


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