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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-6
ARRÊT AU FOND
DU 06 AVRIL 2023
N° 2023/158
N° RG 20/04221
N° Portalis DBVB-V-B7E-BFY2Y
Compagnie d’assurance MAAF
C/
[M] [S]
Etablissement Public ONIAM TS MEDICAUX , DES AFFECTIONS IATROGENES ET DES
Organisme CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DES ALPES-MARITIMES
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
-SELARL BENSA & TROIN AVOCATS ASSOCIÉS
-SCP TOLLINCHI PERRET VIGNERON
-Me Gilles CHATENET
Décision déférée à la Cour :
Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de NICE en date du 04 Février 2020 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 18/02151.
APPELANTE
Compagnie d’assurance MAAF
Prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié ès qualité audit siège,
demeurant [Adresse 6]
représentée par Me Florence BENSA-TROIN de la SELARL BENSA & TROIN AVOCATS ASSOCIÉS, avocat au barreau de GRASSE, postulant et assistée par Me Thierry TROIN, avocat au barreau de NICE, plaidant.
INTIMES
Monsieur [M] [S]
Assuré [XXXXXXXXXXX02]
né le 03 Janvier 1953 à [Localité 1] ([Localité 1]),
demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Karine TOLLINCHI de la SCP TOLLINCHI PERRET VIGNERON, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, postulant et assisté par Me Jean-Pierre MIR, avocat au barreau de NICE, plaidant.
Etablissement Public ONIAM
Pris en la personne de son Directeur en Exercice, domicilié en cette qualité audit siège social,
demeurant [Adresse 4]
représenté par Me Gilles CHATENET, avocat au barreau de NICE, postulant et assisté par Me Sylvie WELSCH, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Judith LE FLOCH, avocat au barreau de PARIS, plaidant.
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DES ALPES-MARITIMES,
Assignée le 17/08/2020 à personne habilitée,
demeurant [Adresse 5]
Défaillante.
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 22 Février 2023 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président, a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président
Madame Anne VELLA, Conseillère
Madame Fabienne ALLARD, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Charlotte COMBARET.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 Avril 2023.
ARRÊT
Réputé contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 06 Avril 2023,
Signé par Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président et Madame Charlotte COMBARET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS & PROCÉDURE
M. [S] a été victime le 22/05/1992 d’un accident de la voie publique dans lequel était impliqué un véhicule terrestre à moteur assuré auprès de la SA MAAF Assurances. M. [S] a subi une dizaine d’interventions chirurgicales entre juin 1992 et novembre 1994.
Par jugement du 05/03/1997, le tribunal de grande instance de Nice a liquidé son préjudice corporel sur le fondement d’un rapport d’expertise du professeur [D] du 21/03/1995 et a condamné la SA MAAF Assurances à payer à M. [S] une somme de 1.328.667,00 francs en réparation de son préjudice corporel, outre 5.000,00 francs au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Le 05/05/2000, une sérologie positive au virus de l’hépatite C (VHC) a été mise en évidence, confirmée le 02/08/2000. Pour autant, aucun suivi hépatologique n’a été entrepris au cours de cette décennie. La prise en charge est intervenue en 2011. L’état dégradé de M. [S] a déterminé le 07/09/2013 une transplantion hépatique.
Par ordonnance du 12/02/2015, le juge des référés de Nice a commis le professeur [L] en qualité d’expert, au contradictoire de la SA MAAF Assurances et de l’Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux (ONIAM) afin de déterminer l’existence d’un lien entre les opérations chirurgicales consécutives à l’accident de 1992 et la contamination de M. [S] par le virus de l’hépatite C, et d’évaluer le cas échéant le préjudice corporel subséquent.
Le rapport d’expertise du professeur [L] a été déposé le 18/08/2017, assorti d’un avis sapiteur du docteur [V], médecin psychiatre, en date du 07/03/2017. L’expert a conclu à la non-imputabilité de la contamination hépatique aux transfusions liées aux interventions chirurgicales intervenues dans les suites de l’accident de 1993.
Par assignation des 19, 26 et 30/04/2018, M. [S], contestant les conclusions du professeur [L], a saisi le tribunal de grande instance de Nice d’une action indemnitaire dirigée contre la SA MAAF Assurances et l’ONIAM, au contradictoire de la caisse primaire d’assurance-maladie des Alpes-Maritimes.
Par jugement réputé contradictoire du 04/02/2020, le tribunal judiciaire de Nice a’:
– dit que les préjudices subis par M. [S] du fait de la contamination par le virus de l’hepatite C, suite à des transfusions sanguines en relation directe avec les blessures par lui subies, lors de l’accident du 22/05/1992, doivent être indemnisées par la SA MAAF Assurances, assureur du tiers responsable de l’accident,
– condamné la SA MAAF Assurances à verser à M. [S] la somme de 129.056,70 € en réparation de l’aggravation de ses préjudices imputables à la contamination par le virus de l’hepatite C, et celle de 3.000,00 € au titre de l’articIe 700 du code de procédure civile,
– mis hors de cause l’ONIAM,
– déclaré le jugement opposable à la caisse primaire d’assurance-maladie du Var,
– ordonné l’exécution provisoire, nonobstant appel et sans caution,
– condamné la SA MAAF Assurances aux entiers dépens, en ce compris les frais d’expertise médicale,
– accordé à Maîte Aurélie Huertas, et Maître Gilles Chatenet, avocats, le bénéfice de l’article 699 du code de procédure civile.
Le tribunal judiciaire a chiffré comme suit les différents postes de préjudice’:
– frais de médecin-conseil’: 4.320,00 €,
– déficit fonctionnel temporaire’: 21.236,70 €,
– déficit fonctionnel permanent 45’%’: 72.000,00 €,
– souffrances endurées 5,5/7′: 30.000,00 €,
– préjudice esthétique permanent’: 1/7.
Pour statuer ainsi, le premier juge :
– s’agissant du droit à indemnisation, a considéré qu’en dépit des conclusions du professeur [L] ne retenant qu’une probabilité faible d’imputabilité de l’hépatite à une transfusion sanguine, il y avait lieu de faire application de l’article 102 de la loi du 04/03/2002, qui inverse la charge de la preuve de l’imputabilité de la contamination, en ce qu’il revient au défendeur de démontrer que la transfusion ou l’injection n’est pas à l’origine de la contamination, le doute bénéficiant en tout état de cause au demandeur’;
– s’agissant de la liquidation du préjudice, a interprété le déficit fonctionnel permanent de 45’% retenu par le professeur [L] en ce qu’il correspond non pas à l’état séquellaire actuel de M. [S], mais à l’aggravation de l’état séquellaire intervenue depuis que le docteur [D], dans un précédent rapport d’expertise du 21/03/1995, avait retenu un taux d’incapacité permanente partielle de 25’%.
Par déclaration d’appel du 20/03/2020 dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, la SA MAAF Assurances a interjeté appel de tous les chefs du jugement du tribunal judiciaire de Nice.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières conclusions d’appelante en réponse et récapitulatives notifiées par RPVA le 16/11/2021, auxquelles il est renvoyé par application de l’article 455 du code de procédure civile pour un plus ample exposé des moyens, la SA MAAF Assurances demande à la cour de’:
À titre principal,
– réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit que les préjudices subis par M. [S] du fait de la contamination par le virus de l’hépatite C, suite à des transfusions sanguines, en relation directe avec les blessures par lui subies lors de l’accident du 22/05/1992, doivent être indemnisées par la SA MAAF Assurances, assureur du tiers responsable de l’accident,
– juger que M. [S] n’apporte pas un faisceau d’éléments conférant à l’origine transfusionnelle un degré suffisamment élevé de vraisemblance compte tenu de toutes les données disponibles, de sorte qu’il ne bénéficie pas de la présomption d’imputabilité édictée par l’article 102 de la loi du 04/03/2002,
Statuant de nouveau,
– débouter M. [S] de toutes ses demandes dirigées à l’encontre de la SA MAAF Assurances,
À titre subsidiaire,
– infirmer le jugement du 04/02/2020 du tribunal judiciaire de Nice en ce qu’il a mis hors de cause l’ONIAM,
– juger que l’ONIAM, venant en lieu et place du centre de transfusion sans pouvoir opposer à quiconque le fait qu’il n’est pas l’auteur de la contamination, est tenu de contribuer pour moitié à la réparation du dommage,
En tout état de cause,
– réformer le montant de la somme allouée à M. [S] au titre de l’indemnisation de l’aggravation de son préjudice,
– juger que l’aggravation du déficit fonctionnel permanent ne doit être indemnisée qu’à hauteur de 24.000,00 €, différence entre le taux de 30 % retenu en 1999 par le professeur [D] à la suite de l’accident, et le taux de 45 % retenu par le professeur [L] le 15/06/2016, date de consolidation,
– condamner l’ONIAM à rembourser à la SA MAAF Assurances la moitié de la condamnation de l’indemnisation de l’aggravation des préjudices de M. [S],
En tout état de cause,
– condamner M. [S] et l’ONIAM à verser à la SA MAAF Assurances la somme de 3.000,00 € chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens sous distraction de Maître Florence Bensa-Troin, avocate, en application de l’article 699 du code de procédure civile.
La SA MAAF Assurances fait valoir que’:
‘ À titre principal, aucune imputabilité’de l’hépatite C aux transfusions n’est caractérisée’:
– la présomption de l’article 102 ne bénéficie au plaignant que si un faisceau d’éléments confère un degré suffisamment élevé de vraisemblance à l’hypothèse d’une contamination d’origine transfusionnelle. Le fait que l’individu ait été exposé par ailleurs à d’autres facteurs de contamination, résultant notamment d’actes médicaux invasifs ou d’un comportement personnel à risque, peut faire obstacle à la présomption légale dans le cas où il résulte que la probabilité d’une origine transfusionnelle est manifestement moins élevée que celle d’une origine étrangère aux transfusions. Le Conseil d’État a ainsi statué que (16/03/2011, n°320734) en ce que la présomption de l’article 102 est écartée lorsque la probabilité d’une origine transfusionnelle est manifestement moins élevée que celle d’une origine étrangère aux transfusions’;
– M. [S] a reçu des produits sanguins provenant de 25 donneurs différents à la suite de son accident. L’enquête transfusionnelle a permis d’établir que 23 donneurs avaient une sérologie négative’;
– le professeur [L] retient de l’histoire personnelle de M. [S] plusieurs facteurs de contamination par le VHC’: un tatouage du bras gauche, l’exérèse d’un kyste de l’épaule gauche vers 1978, une chirurgie pour fracture du nez en 1971, une hémorroïdectomie et une anesthésie en 1981′;
‘ À titre subsidiaire, un partage des responsabilités doit intervenir entre l’assureur et l’ONIAM’:
– l’Établissement Français du Sang a une obligation de résultat de fournir aux utilisateurs des produits sanguins exempts de vices, il ne peut être totalement exonéré de sa responsabilité, l’assureur du conducteur n’a pas à assumer seul la totalité de l’indemnisation’;
– depuis le 01/06/2010, l’ONIAM se substitue à l’EFS dans les instances tendant à l’indemnisation des préjudices visés par l’article L.1221-14 du code de la santé publique’; l’ONIAM n’intervient pas en qualité d’auteur ou de responsable fautif du dommage, mais intervient au lieu et place de l’Établissement Français du Sang dont la responsabilité est présumée’;
– l’article L.1221-14 prévoit que le tiers payeur peut exercer l’action subrogatoire contre l’ONIAM’; en refusant la mise en cause de l’ONIAM tout en constatant que la contamination de la victime trouvait sa cause directe dans les transfusions, le premier juge a méconnu l’article 1240 du code civil’; la cour de cassation admet expressément une contribution à la dette par moitié entre celui dont la faute a rendu nécessaire la transfusion sanguine, et le centre de transfusion sanguine qui a fourni les produits sanguins défectueux (Civ. 1, 05/07/2006, 05-15.235)’; de même, le fournisseur de sang qui manque à son obligation de sécurité de résultat de fournir des produits exempts de vices commet une faute délictuelle à l’égard de la victime, de sorte que son recours contre le conducteur fautif d’un véhicule impliqué dans un accident de la circulation ne peut être que partiel (Civ. 2, 25/01/2007, 06-12.106)’;
– l’existence d’un régime d’indemnisation spécifique tel que la loi du 05/07/1985 n’exclut pas par principe une contribution à la dette associant l’assureur et l’ONIAM’; en l’occurrence, il est indiqué de condamner l’ONIAM à régler la moitié des sommes mises à la charge de la SA MAAF Assurances’;
‘ À titre subsidiaire, également, en ce qui concerne la liquidation du préjudice de M. [S]’:
– le docteur [V], sapiteur psychiatre, a relevé un état antérieur psychiatrique’: «’M. [S] allègue des manifestations que l’on peut imputer à un état anxio-dépressif d’intensité modérée. Cet état s’inscrit sur une problématique de personnalité qui est nécessairement antérieur à l’accident’»’;
– déficit fonctionnel permanent’: l’imputabilité du taux de 45’% ne peut absolument pas correspondre à l’aggravation, puisque par hypothèse ce poste a pour objet la description de l’état de santé global de la victime’; le professeur [D] a retenu une incapacité permanente partielle de 25’% dans son rapport du 21/03/1995, puis une aggravation de 5’% dans son rapport du 19/01/1999 portant le taux à 30’%’; par conséquent, l’aggravation n’est pas de 45’% mais de 15’% ;
‘ En tout état de cause, la demande de M. [S] tendant à une nouvelle expertise médicale est irrecevable’; l’aggravation invoquée date du 31/10/2018 alors que les demandes d’indemnisation soumises au premier juge et présentement à la cour visent l’aggravation entre la découverte du VHC le 02/08/2016 et la date de consolidation fixée au 15/06/2016 par l’expert judiciaire’; les nouvelles pièces médicales produites par M. [S] ‘ non traduites en français pour certaines ‘ constituent un fait nouveau, une nouvelle aggravation qui n’est pas liée aux demandes d’indemnisation formulées devant le premier juge.
* * *
Aux termes de ses dernières conclusions récapitulatives et responsives n°2 notifiées par RPVA le 07/06/2022, auxquelles il est renvoyé par application de l’article 455 du code de procédure civile pour un plus ample exposé des moyens et sur l’évaluation des préjudices, M. [S] demande à la cour de’:
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
‘ dit que ses préjudices subis du fait de la contamination par le virus de l’hépatite C, suite à des transfusions sanguines en relation directe avec les blessures qu’il a subies lors de l’accident du 22/05/1992, doivent être indemnisées par la SA MAAF Assurances, assureur du tiers responsable de l’accident,
‘ condamné la SA MAAF Assurances à lui verser la somme de 129.056,70 € en réparation de l’aggravation de ses préjudices imputables à la contamination par le virus de l’hépatite C, et celle de 3.000,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
‘ mis hors de cause l’ONIAM,
‘ déclaré le présent jugement opposable à la caisse primaire d’assurance-maladie du Var,
‘ ordonné l’exécution provisoire de la présente décision, nonobstant appel et sans caution,
‘ condamné la SA MAAF Assurances aux entiers dépens, en ce compris les frais d’expertise médicale,
‘ accordé à Maître Aurélie Huertas et Maître Gilles Chatenet, avocats, le bénéfice de l’article 699 du code de procédure civile,
À titre subsidiaire,
– s’entendre condamner l’ONIAM à lui payer au titre de l’aggravation de son prejudice corporel et économique, la somme de 129.056,70 € ventilée comme suit :
‘ préjudices patrimoniaux, sauf memoire’: 4.320,00 €
‘ préjudices extra-patrimoniaux, sauf mémoire’: 124.736,70 €
– s’entendre désigner tel médecin expert avec mission d’usage en matière d’aggravation,
– s’entendre condamner tout succombant a payer a M. [S] une somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– s’entendre condamner tout succombant aux entiers dépens qui comprendront les frais d’expertise, dont distraction au profit de la SCP Tollinchi Perret-Vigneron Bujoli-Tollinchi, avocat, sous sa due affirmation de droit.
M. [S] fait valoir que :
‘ sur l’imputabilité’du VHC aux transfusions :
– le doute sur la sérologie positive de 2 des 25 donneurs non retrouvés doit profiter à la victime’;
– la SA MAAF Assurances ne rapporte pas la preuve d’une origine du VHC autre que les transfusions subies des suites de l’accident,
‘ sur la liquidation du préjudice de M. [S]’:
– déficit fonctionnel permanent’45’% : le premier juge a relevé à juste titre qu’il appartenait à la SA MAAF Assurances d’adresser un dire au professeur [L] pour contester ce taux d’aggravation du déficit fonctionnel permanent’de 45’%;
‘ sur l’aggravation de l’état de santé de M. [S] le 31/10/2018′:
– à cette date, M. [S] a été hospitalisé au Portugal, une ponction hépatique a été effectuée, il a été transféré au CHU de [Localité 1] qu’il a quitté le 14/12/2018′;
– la demande d’expertise même en appel est légitime en cas d’aggravation de l’état de santé de la victime (Crim., 02/06/2015, 14-80.816).
* * *
Aux termes de ses dernières conclusions d’intimé notifiées par RPVA le 17/07/2020, auxquelles il est renvoyé par application de l’article 455 du code de procédure civile pour un plus ample exposé des moyens et sur l’évaluation des préjudices, l’ONIAM demande à la cour de’:
– statuer sur la recevabilité de l’appel,
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a mis hors de cause,
– débouter la SA MAAF Assurances de l’ensemble de ses demandes à l’encontre de l’ONIAM,
– rejeter toutes demandes formées à l’encontre de l’ONIAM,
– condamner la SA MAAF Assurances à lui payer la somme de 3.000,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de première instance et d’appel, distraits au profit de Maître Gilles Chatenet, avocat postulant aux offres de droit.
L’ONIAM fait valoir que :
– l’article L.1221-14 du code de la santé publique issu de la loi 2008-1330 du 17/12/2008 ne prévoit la substitution de l’ONIAM à l’EFS que dans le cas des contentieux en cours n’ayant pas donné lieu à une décision irrévocable à la date du 01/06/2010′; ce n’est pas le cas de l’instance engagée par M. [S]’;
– par ailleurs, la solidarité nationale est placée sous le signe de la subsidiarité, ainsi que l’a exprimé le Conseil d’État dans un avis du 22/01/2010 (n°3327l6) : la réparation qui incombe sous certaines conditions à l’ONIAM en vertu de l’article L.1142-1 du code de la santé publique a pour objet d’assurer au titre de la solidarité nationale la prise en charge des conséquences d’un accident médical, d’une affection ou d’une infection qui ne peuvent étre imputées à la faute d’un professionnel, d’un établissement ou service de santé ou au défaut d’un produit de santé, sans que cet établissement ait la qualité d’auteur responsable des dommages. Il en résulte que les recours subrogatoires des tiers payeurs ayant versé des prestations à la victime d’un dommage corporel, organisés par l’article L.376-1 du code de la sécurité sociale, l’article 1er de l’ordonnance du 7 janvier 1959 et l’article 29 de la loi du 05/07/I985, ne peuvent être exercés contre l’ONIAM lorsque celui-ci a pris en charge la réparation de ce dommage au titre de la solidarité nationale »’; autrement dit, le régime d’indemnisation par l’ONIAM ne se substitue pas au régime assurantiel et ne profite pas aux assureurs’; aucun recours d’un tiers responsable contre l’ONIAM ne peut prospérer.
* * *
Assignée à personne habilitée le 17/08/2020 par acte d’huissier contenant dénonce de l’appel, la caisse primaire d’assurance-maladie des Alpes-Maritimes n’a pas constitué avocat. Elle a indiqué n’avoir aucune créance à faire valoir.
* * *
La clôture a été prononcée le 07/02/2023.
Le dossier a été plaidé le 22/02/2023 et mis en délibéré au 06/04/2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la nature de la décision rendue’:
L’arrêt rendu sera réputé contradictoire, conformément à l’article 474 du code de procédure civile.
Sur le droit à indemnisation’:
L’article 102 de la loi 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades édicte une règle de preuve concernant la démonstration de l’imputabilité transfusionnelle de la contamination au VHC, en ce qu’« en cas de contestation relative à l’imputabilité d’une contamination par le virus de l’hépatite C antérieure à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n’est pas à l’origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné au cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Le doute profite au demandeur.’Cette disposition est applicable aux instances en cours n’ayant pas donné lieu à une décision irrévocable.».
Après avoir rappelé de façon générale que seulement 13’% des contaminations par le VHC sont consécutives à des transfusions, le professeur [L] indique que, dans le cas particulier de M. [S], 23 des 25 donneurs ont fait l’objet d’une sérologie négative au VHC, 2 des 25 donneurs n’ayant pu être identifiés. L’expert observe que la probabilité d’une imputabilité transfusionnelle de la contamination au VHC est de l’ordre de 1 pour 20.000, et ajoute que l’examen de M. [S] a révélé un ensemble de données de nature à substituer à l’imputabilité transfusionnelle une imputabilité fondée sur d’autres éléments de la vie de M. [S] ‘ en particulier un tatouage de l’épaule gauche en 1970, l’exérèse d’un kyste de l’épaule gauche en 1978, une intervention chirurgicale consécutive à une fracture du nez en 1970, une hémorroïdectomie avec anesthésie générale en 1981, et enfin les multiples interventions chirurgicales orthopédiques et les anesthésies générales effectuées en 1992, 1993 et 1995.
Le professeur conclut aux termes de son pré-rapport d’expertise que l’origine transfusionnelle d’une contamination au VHC est une hypothèse peu probable. Il maintient son analyse en réponse à un dire, soulignant que les interventions de chirurgie orthopédique pratiquées entre 1992 et 1995, ainsi que l’hémorroïdectomie de 1981, constituent un facteur explicatif plus plausible de la contamination de M. [S].
En tout état de cause, l’existence d’un taux de près de 10’% de non-identification des donneurs, soit 2 sur 25, est de nature à créer un doute quant à la possibilité d’exclure l’origine transfusionnelle de la contamination ‘ ce d’autant que les autres causes possibles de contamination évoquées par le professeur [L] sont nettement plus anciennes (1970, 1978, 1981) que les transfusions intervenues entre 1992 et 1994. Certes, la succession des interventions chirurgicales entre 1992 et 1994 est également retenue par le professeur [L] comme une cause possible de contamination. Mais le doute est permis, précisément. La présomption légale d’imputabilité’bénéficie à M. [S] : son droit à indemnisation intégrale est acquis.
Sur la charge de l’indemnisation’:
L’alinéa 1er de l’article L.1221-14 du code de la santé publique dispose que les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l’hépatite C causée par une transfusion de produits sanguins sont indemnisées au titre de la solidarité nationale par l’ONIAM.
Pour autant, l’ONIAM dédommage les victimes au nom de la solidarité nationale et non comme auteur responsable du dommage corporel subi par M. [S]. Sa vocation à intervenir est placée sous le signe de la subsidiarité et s’efface lorsque s’applique un régime de responsabilité.
En l’espèce, la SA MAAF Assurances, qui intervient comme assureur du véhicule impliqué dans le cadre de la loi du 05/07/1985 sur les accidents de la circulation, doit assumer la responsabilité d’un préjudice transfusionel n’ayant été rendu possible que du fait des interventions chirurgicales qu’imposait l’état du patient au cours des mois ayant suivi l’accident.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a mis l’ONIAM hors de cause.
Sur la liquidation du préjudice corporel de M. [S] :
Les parties ne contestent pas réellement les postes de préjudice suivants en appel’:
– frais de médecin-conseil’: 4.320,00 €,
– déficit fonctionnel temporaire’: 21.236,70 €,
– souffrances endurées 5,5/7′: 30.000,00 €,
– préjudice esthétique permanent’1/7′: 1.500,00 €.
S’agissant toutefois du déficit fonctionnel permanent, la SA MAAF Assurances soutient que l’aggravation n’est que de 15’% et non de 45’% comme retenu par le premier juge.
Ce poste de dommage vise à indemniser la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel résultant de l’atteinte anatomo-physiologique à laquelle s’ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques et notamment le préjudice moral et les troubles dans les conditions d’existence personnelle, familiale et sociale. Les séquelles conservées, le taux d’incapacité et l’âge de la victime déterminent le quantum de l’évaluation du poste déficit fonctionnel permanent.
Le professeur [L] souligne la possibilité de complications inhérentes à la transplantation hépatique (risque d’une rechute VHC, risque néoplasique, risque infectieux, risque de rejet de greffe) et évoque un horizon de survie à une transplantation de 83’% à un an, 70’% à 5 ans, 62’% à 8 ans et 60’% à 10 ans. L’état séquellaire qu’il décrit est évalué à 45’% de déficit fonctionnel permanent, pour un homme âgé de 59 ans à la date de consolidation, le 15/06/2016.
Il est contestable de déduire de l’absence de dire de la SA MAAF Assurances que l’expert judiciaire a voulu dire ce qu’il ne dit pas. En effet, le professeur [L] retient un taux de 45’% de déficit fonctionnel permanent et non de 45’% d’aggravation du déficit fonctionnel permanent.
Ce taux correspond en réalité à une aggravation de 15’% par rapport au dernier taux de 30’% que le docteur [D] avait retenu dans son rapport du 19/01/1999, ledit rapport retenant une aggravation de 5’% par rapport à son propre précédent rapport du 21/03/1995 fixant le déficit fonctionnel permanent à 25’%.
Admettre que les 45’% retenus par le professeur [L] correspondent à la seule aggravation de l’état de santé de M. [S] équivaudrait à lui adjuger le bénéfice d’un taux de 75’%, ce qui n’est pas réaliste dans la mesure où le professeur [L] a écarté toute assistance par tierce personne, y compris avant consolidation.
Ce poste de préjudice sera évalué à la somme de 25.950,00 €.
Sur la demande de nouvelle expertise médicale pour aggravation’:
Au soutien de sa demande de nouvelle expertise médicale, M. [S] se fonde sur une détérioration de son état de santé, qui aurait déterminé son hospitalisation au Portugal le 31/10/2018, puis son transfert au centre hospitalier de [Localité 1], dont il serait sorti le 14/12/2018.
La demande de expertise intervient 2,5 années après la consolidation du 15/09/2016. Il s’agit là d’une demande nouvelle en cause d’appel qui ne tend pas aux mêmes fins que celle ayant été soumise au premier juge, à savoir obtenir l’indemnisation de son préjudice transfusionnel. Il appartient le cas échéant à M. [S] de saisir le premier juge d’une demande d’expertise en aggravation.
Sur les demandes annexes’:
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles alloués à la victime doivent être confirmées.
La SA MAAF Assurances est débitrice de l’obligation d’indemnisation et succombe partiellement dans ses prétentions. Elle sera condamnée aux dépens de l’appel.
L’équité ne justifie pas de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement entrepris, hormis sur le montant de l’indemnisation de la victime et les sommes lui revenant.
Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,
Condamne la SA MAAF Assurances à payer à M. [S] la somme de 25.950,00 € (vingt cinq mille neuf cent cinquante euros) au titre de l’aggravation du déficit fonctionnel permanent.
Déboute M. [S] de sa demande de nouvelle expertise médicale.
Dit n’y avoir lieu à faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Condamne la SA MAAF Assurances aux dépens de l’appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT