Tatouages : 14 novembre 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 19/06748

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Tatouages : 14 novembre 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 19/06748
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COUR D’APPEL DE BORDEAUX

1ère CHAMBRE CIVILE

————————–

ARRÊT DU : 14 NOVEMBRE 2023

EB

N° RG 19/06748 – N° Portalis DBVJ-V-B7D-LMBW

CPAM DE LA GIRONDE

c/

[M] [I] veuve [D] (DECEDEE)

[B] [D]

[T] [D]

[N] [S]

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Partielle numéro 2020/000591 du 23/01/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de BORDEAUX)

SA LA MEDICALE DE FRANCE

[B] [D]

[T] [D]

Nature de la décision : AU FOND

JONCTION AVEC DOSSIER RG 19/06802

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 19 novembre 2019 par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX (chambre : 6, RG : 17/08499) suivant deux déclarations d’appel du 23 décembre 2019 (RG 19/06748) et du 27 décembre 2019 (RG 19/06802)

APPELANTE suivant déclaration d’appel du 23 décembre 2019 et intimée :

CPAM DE LA GIRONDE, agissant en la personne de son directeur en exercice domicilé en cette qualité au siège sis [Adresse 13]

représentée par Maître Max BARDET de la SELARL BARDET & ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE et appelante suivant déclaration d’appel du 27 décembre 2019 :

[N] [S]

née le [Date naissance 4] 1945 à [Localité 12] (33)

de nationalité Française

demeurant [Adresse 10]) ESPAGNE

représentée par Maître Mathieu RAFFY de la SELARL MATHIEU RAFFY – MICHEL PUYBARAUD, avocat postulant au barreau de BORDEAUX et assistée de Maître SADEGHIAN substituant Maître Jean-Christophe COUBRIS de la SELARL COUBRIS, COURTOIS ET ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de BORDEAUX

INTIMÉS :

[M] [I] veuve [D], prise tant à titre personnel qu’en sa qualité d’ayant droit de Monsieur [G] [D], son époux, décédé,

née le [Date naissance 2] 1926 à [Localité 11], décédée le [Date décès 5] 2020

[B] [D], pris en sa qualité d’ayant droit de Monsieur [G] [D], son père, décédé

né le [Date naissance 3] 1956 à [Localité 9] (33)

de nationalité Française

demeurant [Adresse 8]

[T] [D], pris en sa qualité d’ayant droit de Monsieur [G] [D], son père, décédé

né le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 12] (33)

de nationalité Française

demeurant [Adresse 7]

SA LA MEDICALE DE FRANCE, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 6]

représentés par Maître Cécile FROUTE, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assistés de Maître Olivier LECLERE de l’ASSOCIATION LECLERE & Associés, avocat plaidant au barreau de PARIS

INTERVENANTS :

[B] [D], agissant en qualité d’ayant droit de son père [G] [D], décédé, et en qualité d’ayant droit de sa mère [M] [I] épouse [D], décédée le [Date décès 5] 2020

né le [Date naissance 3] 1956 à [Localité 9] (33)

de nationalité Française

demeurant [Adresse 8]

[T] [D], agissant en qualité d’ayant droit de son père [G] [D], décédé, et en qualité d’ayant droit de sa mère [M] [I] épouse [D], décédée le [Date décès 5] 2020

né le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 12] (33)

de nationalité Française

demeurant [Adresse 7]

représentés par Maître Cécile FROUTE, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assistés de Maître Olivier LECLERE de l’ASSOCIATION LECLERE & Associés, avocat plaidant au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été examinée le 03 octobre 2023 en audience publique, devant la cour composée de :

Mme Paule POIREL, Président

Mme Bérengère VALLEE, Conseiller

M. Emmanuel BREARD, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Véronique SAIGE

Le rapport oral de l’affaire a été fait à l’audience avant les plaidoiries.

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

Mme [N] [S], née le [Date naissance 4] 1945, a consulté les docteurs [G] et [M] [D], médecins phlébologues à [Localité 9], pour des soins de traitement des varices par sclérose, à compter du 24 octobre 1988 au sein de leur cabinet médical et a subi 15 séances de sclérothérapie des membres inférieurs, jusqu’au 2 février 1991.

En 1988, à l’âge de 43 ans, Mme [S] a présenté une hépatite virale A avec cytolyse.

Le 30 avril 2005, le bilan hépatique s’est révélé perturbé, permettant de poser le diagnostic d’hépatite, les examens ultérieurs complémentaires réalisés mettant en évidence une sérologie de l’hépatite A positive avec IGM négatives, une sérologie de l’hépatite B négative et une sérologie de l’hépatite C positive le 16 avril 2006, l’échographie abdominale réalisée le 26 avril 2006 ne montrant aucune anomalie du foie, de la vésicule, du pancréas ou de la rate.

Le 4 mai 2006, la recherche de l’ARN du virus de l’hépatite C était toujours positive, avec un génotype de type 2b.

À compter du 22 août 2006, un traitement par VIRAFERON a été initié, avant d’être substitué par INTERFERON jusqu’en février 2007, à l’origine d’intolérances et d’effets secondaires pour la patiente (épisodes de fièvre, diarrhée, prurit, dyspnée, palpitations…).

Le bilan hépatique s’est normalisé et les différents contrôles de l’ARN du virus, notamment des 30 novembre 2006 et 2 octobre 2007, se sont révélés négatifs, montrant la disparition du virus, constatée le 11 octobre 2007 par le docteur [O], hépato-gastroentérologue en charge du suivi de la patiente.

Parallèlement à compter du mois de janvier 2007, Mme [S] a présenté une hypothyroïdie justifiant un traitement par LEVOTHYROX.

Imputant sa contamination par le virus de l’hépatite C et les désagréments en résultant aux soins de sclérose de varices réalisés par les docteurs [D] entre 1988 et 1991, Mme [S] a sollicité, en référé, une expertise médicale.

Par ordonnance du 29 septembre 2008, le juge des référés du tribunal de grande instance de Bordeaux a désigné le docteur [C], en qualité d’expert.

Le 17 avril 2009, le docteur [G] [D] est décédé.

Le 27 septembre 2010, le docteur [C] a établi son rapport concluant notamment, à la question de savoir si la contamination de la patiente par le virus de l’hépatite C pouvait trouver son origine dans les séances de sclérose de varices que ‘Au total, il semble vraisemblable que Madame [S] ait été contaminée par le virus de l’hépatite C au cours des séances de sclérothérapie, mais la normalité du bilan hépatique 10 ans après les injections et 4 ans avant le diagnostic de l’hépatite C laisse quand même planer un doute’. Il a fixé la date de consolidation au 11 octobre 2007 et évalué les différents préjudices subis.

Le 6 juillet 2011, une ordonnance de non-lieu a été rendue dans le cadre de l’information judiciaire ouverte le 1er février 2003 à l’encontre des époux [D], les magistrats instructeurs ayant constaté, outre l’extinction de l’action publique à l’égard du docteur [G] [D], que l’information n’avait pas permis de caractériser la preuve de fautes d’asepsie et d’hygiène de la part des mis en examen et que le lien de causalité entre les éventuelles fautes et la contamination de leurs patients par le virus de l’hépatite C n’était pas établi.

Par actes d’huissier des 14, 18, 20 et 27 septembre 2017, Mme [S] a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Bordeaux Mme [I] veuve [D], MM. [B] et [T] [D], leur assureur la SA La Médicale de France et la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de la Gironde, aux fins de voir engager la responsabilité des docteurs [D] sur le fondement de l’article 1147 du code civil et obtenir leur condamnation, sous la garantie de leur assureur, à réparer les préjudices subis résultant de sa contamination par le virus de l’hépatite C.

Par jugement du 19 novembre 2019, le tribunal de grande instance de Bordeaux a :

– dit que le lien de causalité entre les actes de sclérose de varices pratiqués par les docteurs [D] et la contamination de Mme [S] par le virus de l’hépatite C n’est pas établi,

– débouté Mme [S] de l’ensemble de ses demandes présentées à l’encontre de Mme [I] veuve [D], tant à titre personnel qu’en sa qualité d’ayant droit du docteur [G] [D] et de Messieurs [D], en leur qualité d’ayants droit du docteur [G] [D] et à l’encontre de la SA Médicale de France,

– débouté la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de la Gironde de l’ensemble de ses demandes,

– débouté les parties du surplus de leurs demandes,

– débouté Mme [I] veuve [D], tant à titre personnel qu’en sa qualité d’ayant droit du docteur [G] [D], Messieurs [D], en leur qualité d’ayants droit du docteur [G] [D] et la Sa Médicale de France de leur demande présentée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– dit n’y avoir lieu a ordonner l’exécution provisoire du jugement,

– condamné Mme [S] aux entiers dépens, en ce compris ceux afférents à la procédure de référé et aux frais d’expertise, et dit que les avocats en la cause en ayant fait la demande pourront, chacun en ce qui le concerne, recouvrer sur la partie condamnée ceux des dépens dont ils auraient fait l’avance sans avoir reçu provision en application de l’article 699 du code de procédure civile.

La CPAM de la Gironde et Mme [S] ont relevé appel de ce jugement par déclarations respectives des 23 et 27 décembre 2019. Les deux procédures ont été jointes.

Mme [M] [I] veuve [D] est décédée le [Date décès 5] 2020.

Par conclusions déposées le 23 août 2023, Mme [S] demande à la cour de :

– réformer le jugement entrepris dans l’ensemble de ses dispositions,

– juger Mme [S] recevable et bien fondée en ses demandes,

– constater le lien de causalité entre les séances de sclérose de varices litigieuses pratiquées par les Docteurs [D] sur la personne de Mme [S] et la contamination de cette dernière par le virus de l’hépatite C,

– condamner solidairement Messieurs [D] es qualité d’ayants droit du Dr [D], sous garantie de la Médicale de France, à réparer les préjudices qui ont résulté pour Mme [S] de la contamination par le virus de l’hépatite C dont il a été victime à la suite des séances de sclérose de varices pratiquées par les Docteurs [D],

– condamner en conséquence solidairement Messieurs [D], sous garantie de la Médicale de France, à verser à Mme [S] les sommes suivantes :

* 19.050 € au titre des préjudices extrapatrimoniaux temporaires

* 9.050 € au titre des préjudices extrapatrimoniaux permanents

* 30.000 € au titre du préjudice spécifique de contamination,

– juger que ces sommes porteront intérêts de droit y afférents.

– juger l’arrêt à intervenir commun à l’organisme social, et opposable à la Médicale de France, dire que la liquidation de l’éventuelle créance de l’organisme social interviendra poste par poste conformément aux dispositions de l’article 25 de la loi du 21 décembre 2006,

– débouter toutes parties de toutes demandes contraires,

– condamner solidairement MM. [D], sous garantie de la Médicale de France, à verser à Mme [S] une indemnité de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Par conclusions déposées le 15 avril 2021, la CPAM de la Gironde demande à la cour de :

– la juger recevable et bien fondée en son appel,

En conséquence,

– réformer le jugement déféré n°17/08499 rendu le 19 novembre 2019 par le tribunal de grande instance de Bordeaux,

Et statuant de nouveau,

– débouter Messieurs [D] ainsi que la SA LA Médicale de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,

– condamner in solidum Messieurs [D], en leur qualité d’ayants droit tant du Docteur [G] [D] que de Mme [M] [I] veuve [D] (décédée en cours d’instance), in solidum avec la SA LA Médicale, à rembourser à la CPAM de la Gironde à verser à la CPAM de la Gironde la somme de 178,83 € exposée au titre des frais futurs occasionnels réalisés,

– condamner in solidum Messieurs [D], en leur qualité d’ayants droit tant du Docteur [G] [D] que de Mme [M] [I] veuve [D] (décédée en cours d’instance), in solidum avec la SA LA Médicale, à verser à la CPAM de la Gironde les frais futurs viagers au fur et à mesure qu’ils seront exposés par elle, à moins qu’ils ne préfèrent se libérer de leur obligation par le versement immédiat du capital représentatif de 2.765,88 €,

– condamner in solidum Messieurs [D], en leur qualité d’ayants droit tant du Docteur [G] [D] que de Mme [M] [I] veuve [D] (décédée en cours d’instance), in solidum avec la SA LA Médicale, à payer à la CPAM de la Gironde, la somme de 109 € au titre de l’indemnité forfaitaire, en application des articles 9 et 10 de l’ordonnance n° 96-51 du 24 janvier 1996,

– dire que ces sommes seront assorties des intérêts de retard au taux légal à compter de la décision à intervenir, et ce en application des dispositions de l’article 1231-6 du code civil,

– dire qu’il sera fait application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil,

– condamner in solidum Messieurs [D], en leur qualité d’ayants droit tant du Docteur [G] [D] que de Mme [M] [I] veuve [D] (décédée en cours d’instance), in solidum avec la SA LA Médicale, à payer à la CPAM de la Gironde, la somme de 1.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel, dont distraction au profit de la SELARL Bardet & Associés sur le fondement de l’article 699 du code de procédure civile.

Par conclusions déposées le 11 septembre 2023, la compagnie La Médicale de France et MM. [D], es qualités d’héritiers de Mme [M] [I] veuve [D] et de M. [G] [D], demandent à la cour de :

I- A TITRE PRINCIPAL, SUR L ‘ IMPUTABILITÉ

– juger que la preuve est rapportée par les concluants que la contamination par le VHC est postérieure aux soins litigieux et dont extérieure au Cabinet [D],

A défaut, sur les présomptions alléguées par l’appelante, constatant que :

‘ Le sous génotype du virus dont était porteuse Mme [S] (2b) diffère de celui de Mme [V] (2c/2d) qui, partant ne peut l’avoir infectée,

‘ Le traitement subi par les deux femmes était différent ce qui exclut une contamination par la même ampoule, voire la même seringue,

‘ Le seul génotype 2 n’est pas à lui seul un critère d’imputabilité,

– juger que le lien de causalité entre les scléroses de varices réalisées par le Docteur [G] [D] et la contamination de Mme [S] par le virus de l’hépatite C fait défaut,

– confirmer en conséquence le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté les demandes de Mme [S] et celles de la CPAM de la Gironde,

– condamner la demanderesse à verser aux consorts [D] la somme de 4.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– la condamner aux entiers dépens qui seront directement recouvrés par Maître Cécile Froute, avocat à la cour, conformément à l’article 699 du code de procédure civile,

II- SUBSIDIAIREMENT, SUR LES PRÉJUDICES

– dire que l’indemnisation à laquelle pourrait éventuellement prétendre Mme [S] ne saurait excéder l’indemnisation des souffrances endurées à hauteur de 2 000 €.

– la débouter en conséquence de ses autres demandes en toutes fins qu’elles comportent,

– fixer la créance de la CPAM de Gironde à la somme de 178.80 € correspondant aux D.S.A,

– dire que la créance de la CPAM relative aux D.S.F, soit 2 765.88 €, sera réglée au fur et à mesure de l’engagement des frais futurs et sur justificatifs,

– statuer ce que de droit sur les dépens dont distraction au profit de Maître Froute, avocat aux offres de droit.

L’affaire a été fixée à l’audience collégiale du 3 octobre 2023.

L’instruction a été clôturée par ordonnance du 19 septembre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION.

I Sur la responsabilité.

Il est constant que Mme [S] a subi 15 séances de sclérothérapie pratiquées par les docteurs [D] entre le 24 octobre 1988 et le 2 février 1991.

De même, il n’est pas remis en cause que l’intéressée a été contaminée par le virus de l’hépatite C au vu d’un bilan sanguin effectué le 30 avril 2005, confirmée par la recherche de l’ARN viral réalisée quelques mois plus tard, suite à une asthénie inhabituelle.

La contamination d’un patient par le virus de l’hépatite C consécutive à des soins prodigués dans un cabinet médical constitue, si elle est avérée, une infection nosocomiale définie comme celle apparaissant au cours ou à la suite de soins alors qu’il en était exempt antérieurement.

Le droit en vigueur à la date des soins subis par Mme [S], mettait à la charge du médecin, quel que soit le lieu où ils étaient prodigués, cabinet de ville ou établissement de soins, une obligation de sécurité de résultat, reposant sur le fait que le devoir d’asepsie constitue une obligation fondamentale du médecin dont il ne peut se libérer qu’en rapportant la preuve d’une cause étrangère conformément aux dispositions de l’article 1147 du code civil.

Il appartient au patient de rapporter la preuve, non de la faute du médecin, mais du lien de causalité entre l’infection et les soins prodigués, la seule preuve du dommage étant insuffisante et le lien de causalité entre les soins et l’infection n’étant pas présumé. Cependant, la preuve du lien de causalité peut être rapportée par tous moyens et spécialement par des présomptions graves, précises et concordantes.

En application de ce qui précède, il revient à Mme [S] de démontrer que la contamination de celle-ci par le virus de l’hépatite C a pour origine les soins pratiqués par les docteurs [D] dont ni la réalité, ni la nature, ni la date ne sont contestées.

Il convient d’examiner les quatre éléments invoqués par Mme [S] pour caractériser lesdites présomptions :

– l’absence de facteurs de risque au regard de son état antérieur

– l’existence d’un sous-génotype commun aux patients des docteurs [D]

– la concomitance de ses séances de sclérothérapie avec une patiente des docteurs [D] contaminée par le VHC de sous génotype identique

– les conditions d’asepsie lors de séances de sclérothérapie.

La CPAM de la Gironde soutient qu’il n’a pas été décelé d’autre antécédent chez Mme [S] avant les actes objets du présent litige ayant pu prédisposer cette patiente à la contamination subie. Elle conteste que l’endoscopie avec probable biopsie réalisée en 2001, date où le bilan hépatique réalisé ne présentait aucun signe d’anormalité soit suffisant, faute de soins antérieurs présentant un risque.

Elle rappelle que la sclérose de varices est une pratique à risque de transmission du virus de l’hépatite C, que Mme [S] présente un génotype de type 2 commun à l’ensemble des patients infectés par la pathologie objet du litige suite aux soins prodigués par les docteurs [D], alors que ce n’est pas celui retrouvé généralement dans la population.

Elle met en avant la concomitance de séances de sclérothérapie de l’intéressée avec 10 autres patientes du Docteur [D].

Elle dénonce encore les conditions d’asepsie déplorables qui existaient lors des séances concernées, lesquelles se déroulaient selon les patientes à la chaîne, avec l’utilisation d’une même ampoule et la même seringue pour plusieurs personnes. Elle estime cette seule présomption opérante, quand bien même elle ne serait pas suffisante, notamment au vu de la sanction prononcée par l’ordre des médecins.

Mme [S], outre ces éléments, met en avant le fait que l’hépatite C, en particulier dans le cas des patientes du docteur [D], est une pathologie à évolution lente et reste asymptomatique pendant plusieurs années, ce qui explique que les symptômes ne soient apparus que dans un laps de temps éloigné des séances de sclérothérapie.

Elle reproche aux premiers juges d’avoir écarté la présomption de lien de causalité entre les séances de sclérothérapie réalisées par les docteurs [D] et son affection du fait du bilan hépatique réalisé en 2001, avant une endoscopie. Elle avance que même infectée, ses analyses pouvaient présenter des taux normaux, notamment de transaminases, qui fluctuent. Elle observe que l’expert n’a pas retenu ce risque du fait des pratiques professionnelles en vigueur qui permettait selon lui de le supprimer.

Elle insiste sur le fait que le génotype 2 ne représente que 5 à 10% des cas d’hépatite C en France, avec une grande proportion chez les patients des docteurs [D], avec un sous génotype 2 b. Elle considère que le défaut ou l’absence d’identité entre le sous génotype et deux patientes ne constitue pas un obstacle pour retenir une source commune de contamination en présence du même génotype, voir constitue une présomption de contamination.

Elle retient également que le recoupage des dates auxquelles les différentes patientes ont été sclérosées chez les docteurs [D] lui permet de démontrer qu’elle a été traitée en même temps que 10 d’entre elles, toutes contaminées et présentant un génotype 2. Elle note ne pas avoir pu participer au séquençage en même temps que les intéressées, le virus dont elle était atteinte étant alors éradiqué.

Elle fait valoir qu’elle a été dans un délai de 1 à 4 jours suivants 11 rendez-vous des intéressées, soit dans le laps de temps de la durée de vie du virus, entre le 24 octobre 1988 et le 1er février 1991, notamment les 12 et 15 novembre 1990, alors que par exemple Mme [V] a été sclérosée alors qu’elle était contaminée le 12 novembre 1990, ou Mme [R] le 17 novembre 1988 ou à quelques jours de différence avec Mme [Y] le 4 janvier 1991.

Elle affirme que la différence de sous génotype, qui est de type 2 c ou 2d chez Mme [V] peut résulter d’une technique différente pour définir le sous génotype et ne peut être un argument pour rejeter la réalité de la contamination croisée entre les deux patientes.

Elle se prévaut encore de conditions d’aseptie déplorables lors des séances de sclérose chez les docteurs [D], constatées par un grand nombre de patients, notamment un traitement à la chaîne, des ampoules de médicaments et des seringues communes.

Elle souligne que les aiguilles jetables ont été utilisées à compter du 31 janvier 1986, les seringues jetables du 10 octobre 1990 et le stérilisateur acquis le 17 novembre 1989, soit pendant la période de soins la concernant pour les deux derniers éléments.

Elle dit que ces éléments ont été confortés par les condamnations de l’ordre des médecins relatives aux pratiques professionnelles du docteur [D], du fait de son retard à utiliser des dispositifs médicaux recommandés et généralisés plusieurs années auparavant.

Elle conclut que l’ensemble de ces éléments permet d’imputer sa contamination par le VHC aux séances de sclérothérapie effectuées par les docteurs [D].

***

L’article 1147 du code civil applicable prévoit que ‘Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part’.

Il est de principe qu’il appartient, du fait du droit positif applicable, en l’espèce, antérieur à la loi du 4 mars 2022, à la partie demanderesse de prouver l’existence d’un lien de causalité entre les actes de soins par le soignant, preuve pouvant être rapportée par tout moyens, en particulier par présomptions, à condition qu’elles soient graves, précises et concordantes.

Il revient à la cour d’examiner les quatre éléments de présomption sur lesquels Mme [S] s’appuie pour établir le lien de causalité entre sa contamination et les soins prodigués par les docteurs [D].

Le premier est l’absence de facteur de risque. Sur ce point, les premiers juges ont exactement retenu qu’il existait de la part de la patiente d’autres antécédents pouvant justifier de la découverte du virus de l’hépatite C, à savoir :

– un percing des oreilles en 1950,

– deux accouchements, l’un en 1964 avec épisiotomie suturée et agrafée, l’autre en 1973,

– une amygdalectomie en 1969,

– une hépatite A en 1988,

– une hypertension artérielle à partir de 1995,

– deux extractions de dents de sagesse en 1997,

– une gastroscopie réalisée en 2001 avec des possibilités de biopsie.

Il n’est pas établi que l’intéressée ait subi une transfusion, des soins d’acupuncture, de mésothérapie, de pédicure ou de manucure, qu’elle présente un tatouage ou ait été toxicomane.

Il résulte des conclusions de l’expert ayant examiné Mme [S], le docteur [C], que l’endoscopie digestive haute, peut être accompagnée de biopsies, réalisée en 2001 dans un hôpital parisien, ne peuvent être à l’origine de la transmission du virus, du fait des mesures d’aseptie alors utilisées. Ce sachant en déduit que l’hypothèse d’une contamination postérieure aux séances de sclérose de varices pratiquées par les docteurs [D] n’est pas vérifiée au regard des facteurs à risques relevés.

Précisément, il conclut ‘Au total, il semble vraisemblable que Mme [S] ait été contaminée par le virus de l’hépatite C au cours des séances de sclérothérapie, mais la normalité du bilan hépatique 10 ans après les injections et 4 ans avant le diagnostic de l’hépatite C laisse quand même planer un doute’.

Or, outre qu’il existe d’autres faits, tel que l’extraction de dents de sagesse, pouvant expliquer avant le bilan hépatique du 27 novembre 2001 la présence du virus de l’hépatite C chez Mme [S], faute d’indication sur l’antériorité de la maladie en l’absence de symptôme particulier, il doit être remarqué que la pathologie n’a été diagnostiquée qu’en 2005.

Une durée de 14 ans s’est donc écoulée entre les derniers actes médicaux réalisés par les docteurs [D] et la détection de la pathologie objet du présent litige, alors que la patiente bénéficiait d’un suivi médical à compter de l’année 1988 et s’est vu détectée une hépatite A.

De même, il est remarquable, alors que le bilan hépatique était négatif fin 2001, que Mme [S] a subi une endoscopie digestive fin novembre 2001, probablement une biopsie, actes qui doivent être considérés comme présentant un risque certain d’exposition au virus de l’hépatite C.

Dès lors, les observations de l’expert quant au respect de l’asepsie dans l’établissement ayant réalisé ces opérations, faute qu’elles soient circonstanciées et ne constituant que des généralités, ne peuvent être suffisantes, et permettent de retenir que les actes médicaux effectués en 2001 ont constitué pour Mme [S] un risque l’exposant à la contamination par le virus de l’hépatite C, dont elle était exempte avant et qui a été détectée après.

Il doit être déduit de ces éléments, comme l’a exactement fait le premier juge, qu’il existait d’autres facteurs de risque dans les antécédents médicaux de Mme [S] que les faits en lien avec les interventions des docteurs [D].

C’est pourquoi, Mme [S] et la CPAM de la Gironde ne sont donc pas fondées à conclure à l’absence de facteur de risque et par conséquent à une première présomption à ce titre.

En deuxième lieu, en ce qui concerne le génotype du virus, il ressort du rapport d’expertise que le virus qui a affecté l’intimée est d’un génotype 2, mais que le séquençage chez l’intéressée a déterminé un sous type viral b.

Il ne ressort d’aucune pièce versée aux débats, en particulier du fait la présence du sous type b, qu’il puisse être tiré de conséquence de ce séquençage, faute de preuve d’une source de contamination commune au sein du cabinet des docteurs [D].

En effet, s’il peut exister une discussion quant à la détermination exacte du sous génotype du fait des techniques employées par le corps médical, il sera observé que les seules références faites à ce titre le sont entre les sous génotypes 2 c et 2 d et non le 2 b relevé chez Mme [S].

Par conséquent, la seule identification du génotype 2 ne saurait constituer une présomption suffisante pour établir le lien de causalité entre les actes de scléroses de varices pratiquées par les docteurs [D] et la contamination de la patiente partie au présent litige.

De même, il ne résulte pas du tableau de rapprochement entre les séances de sclérothérapie subies par Mme [S] avec celles des autres patientes ayant fait l’objet de séances de dans un délai compris entre 16 heures et 4 jours qu’il existe de rapprochement à ce titre.

Effectivement, il n’est pas établi que les autres patientes aient présenté le même sous génotype 2 b. En outre, il sera remarqué, comme l’a exactement retenu la décision attaquée, que du fait de l’imprécision des fiches de consultation, il n’est pas établi que Mme [S] a été traitée pour une sclérothérapie le 16 octobre 1989, soit en même temps que Mme [W]. Il en est de même pour Mmes [R] ou [Y], faute que l’hépatite C de ces patientes aient été reconnues comme en lien avec des séances de sclérothérapie des docteurs [D].

C’est pourquoi, il ne résulte des pièces versées que deux dates pouvant correspondre, à savoir les 12 et 15 novembre 1990, du fait du traitement de Mme [V] dont le lien de causalité entre les actes de sclérose et la contamination du virus de l’hépatite C est judiciairement établi. Il s’ensuit qu’il n’existe pas un nombre d’actes suffisants, ce d’autant qu’il n’est pas remis en cause qu’à cette période, il était utilisé non seulement des aiguilles et des seringues à usage unique, mais également un stérilisateur.

Ces éléments ne permettent donc pas de déterminer un recoupement suffisant entre les personnes contaminées.

Et quand bien même Mme [S] aurait présenté un génotype et sous génotype commun à d’autres patientes ayant subi des soins avec elle chez le Dr [D], contaminées par le VHC et qui ont été séquencées 2c-2d, que cela ne permettrait pas de passer outre le fait que Mme [S] a été détectée négative au VHC plusieurs années après les séances pratiquées chez le Dr [D] et que sa positivité en 2005 peut être mise en relation avec des actes subis postérieurement aux séances de scléroses de varices.

Il ne sera par conséquent pas davantage retenu de présomption de ce chef.

En l’absence de plusieurs présomptions graves et concordantes, il ne saurait être rapporté la preuve de la responsabilité des docteurs [D] dans la contamination de Mme [S] par le virus de l’hépatite C, quelles qu’aient été les conditions d’asepsie au sein du cabinet de ces praticiens.

Les demandes faites à ce titre seront donc rejetées et le jugement en date du 19 novembre 2019 confirmé.

II Sur les demandes annexes.

En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

En l’espèce, l’équité commande que Mme [S] et la CPAM de la Gironde soient condamnées in solidum à verser à MM. [D] es qualités d’héritiers de Mme [M] [I] veuve [D] et de M. [G] [D] et à la société La Médicale de France, ensemble, la somme de 1.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de l’article 696 alinéa premier du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. Sur ce fondement, Mme [S] et la CPAM de la Gironde, qui succombent au principal, supporteront in solidum la charge des dépens, dont distraction au profit de Maître Froute, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Confirme le jugement rendu le 19 novembre 2019 par le tribunal de grande instance de Bordeaux,

Y ajoutant,

CONDAMNE in solidum la CPAM de la Gironde et Mme [S] à verser à MM. [D] es qualités d’héritiers de Mme [M] [I] veuve [D] et de M. [G] [D] et à la société La Médicale de France, ensemble, la somme de 1.000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE in solidum la CPAM de la Gironde et Mme [S] aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Froute.

Le présent arrêt a été signé par Madame Paule POIREL, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,

 


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