Stylisme : 6 décembre 2019 Cour d’appel de Paris RG n° 18/16512

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Stylisme : 6 décembre 2019 Cour d’appel de Paris RG n° 18/16512
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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 2

ARRET DU 06 DECEMBRE 2019

(n°175, 12 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : n° RG 18/16512 – n° Portalis 35L7-V-B7C-B56TC

Décision déférée à la Cour : jugement du 25 mai 2018 -Tribunal de grande instance de PARIS – 3ème chambre 2ème section – RG n°17/00224

APPELANTE AU PRINCIPAL et INTIMEE INCIDENTE

Mme [R] [P] dite [V] [P]

Née le [Date naissance 1] 1991 à [Localité 10] (Hongrie)

De nationalité hongroise

Exerçant la profession de styliste

Demeurant [Adresse 8] – HONGRIE

Représentée par Me Antoine GITTON de la SELAS ANTOINE GITTON AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque L 96

INTIMEES AU PRINCIPAL et APPELANTES INCIDENTES

Société Européenne LVMH MOET HENNESSY LOUIS VUITTON, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social situé [Adresse 3]

[Localité 7]

Immatriculée au rcs de Paris sous le numéro 775 670 417

S.A. LOUIS VUITTON MALLETIER, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social situé

[Adresse 2]

[Localité 6]

Immatriculée au rcs de Paris sous le numéro 318 571 064

S.A. CHRISTIAN DIOR COUTURE, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social situé

[Adresse 4]

[Localité 7]

Immatriculée au rcs de Paris sous le numéro 612 035 832

S.A. PARFUMS CHRISTIAN DIOR, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social situé

[Adresse 5]

[Localité 7]

Immatriculée au rcs de Paris sous le numéro 552 065 187

Représentées par Me Christophe CARON de l’AARPI CABINET CHRISTOPHE CARON, avocat au barreau de PARIS, toque C 500

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 9 octobre 2019, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Anne-Marie GABER, Présidente, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport

Mme Anne-Marie GABER a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Anne-Marie GABER, Présidente

Mme Laurence LEHMANN, Conseillère

M. François THOMAS, Conseiller, désigné en remplacement de Mme Françoise BARUTEL, Conseillère, empêchée

Greffière lors des débats : Mme Carole TREJAUT

ARRET :

Contradictoire

Par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile

Signé par Mme Anne-Marie GABER, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

Vu le jugement contradictoire du 25 mai 2018 rendu par le tribunal de grande instance de Paris,

Vu l’appel interjeté le 28 juin 2018 par Mme [R] [P],

Vu les dernières conclusions, dénommées conclusions d’appel récapitulatives et en réponse sur appel incident n°1, remises au greffe, et notifiées, par voie électronique, le 9 mai 2019 de Mme [R] [P] dite [V] [P], appelante,

Vu les uniques conclusions en appel remises au greffe, et notifiées, par voie électronique, le 14 février 2019 des sociétés Européenne LVMH Moët Hennnessy Louis Vuitton (LVMH), Louis Vuitton Malletier (Louis Vuitton), Christian Dior Couture (Dior Couture) et Parfums Christian Dior (Parfums Dior), intimées et incidemment appelantes,

Vu l’ordonnance de clôture du 6 juin 2019,

SUR CE, LA COUR,

Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties, étant observé que seules peuvent être appréciées par la cour dans les pièces communiquées les indications écrites ou orales (s’agissant du support audio) traduites en langue française, langue du procès.

Il sera simplement rappelé que Mme [P], de nationalité hongroise, née le [Date naissance 1] 1991, et titulaire depuis 2014 de la marque verbale européenne [V] [P] VIP COUTURE notamment pour désigner des vêtements, se prévaut de droits d’auteur sur des créations vestimentaires et des oeuvres photographiques mettant en scène ses créations.

Ayant découvert au mois de septembre 2008, après avoir en particulier rencontré à [Localité 11] le directeur artistique de l’époque de la maison Louis Vuitton, qui l’est resté jusqu’en novembre 2013, et avoir été invitée par cette maison à la présentation à [Localité 11] du 2 mars 2008 de sa collection automne hiver 2008-2009, qu’une campagne publicitaire pour un parfum Dior reproduisait, selon elle, des éléments significatifs de ses photographies et que les sociétés Louis Vuitton et Dior dépendant du groupe LVMH auraient durant plus de 6 ans, alors qu’elle était initialement encore mineure, capté ses créations ainsi que ses mises en scène photographiques, elle a formé auprès de la société LVMH le 12 février 2016 par l’intermédiaire d’une société fiduciaire suisse une demande de conciliation dont elle admet qu’elle n’était étayée ni en droit ni en fait.

Elle a ensuite sollicité le 9 septembre 2016, par l’intermédiaire de son conseil, une rencontre avec la société LVMH avant de poursuivre par voie contentieuse, listant les reprises par elle invoquées comme constitutives de contrefaçon et de parasitisme. Le 3 octobre 2016, le conseil de la société Louis Vuitton faisant notamment valoir qu’aucune date précise et certaine de création n’était établie a réitéré le précédent refus du 25 février 2016 de faire suite à ses demandes.

C’est dans ces circonstances, que Mme [P] a fait assigner le 5 décembre 2016, les sociétés LVMH, Louis Vuitton, Dior Couture et Parfums Dior devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de droits d’auteur et parasitisme.

Les sociétés LVMH, Louis Vuitton, Dior Couture et Parfums Dior ont fait constater le 6 avril 2017 le contenu de diverses pages accessibles sur internet notamment sur le site ‘[09].com’ et Mme [P] a, pour sa part, fait dresser le 27 septembre 2017 un procès-verbal de constat de l’ouverture d’une enveloppe scellée en date du 27 octobre 2014 déposée auprès de l’Office hongrois de protection de la propriété intellectuelle de certaines de ses créations vestimentaires, contenant un récépissé en langue hongroise, 30 planches de dessins annotés, une clé USB et un DVD.

Par jugement dont appel, les premiers juges ont, entre autres dispositions :

– rejeté la demande de mise hors de cause de la société LVMH,

– déclaré Mme [P] irrecevable à agir en contrefaçon de droit d’auteur tant sur les photographies revendiquées que sur les créations vestimentaires à l’exception des vêtements communiqués en pièces 57 et 60 (à savoir respectivement, selon Mme [P], un ensemble veste pantalon à passementerie et une robe longue noire avec fermeture au dos),

– débouté Mme [P] de ses demandes fondées sur le droit d’auteur des vêtements communiqués en pièces 57 et 60, faute de démontrer l’originalité de ses créations, ainsi que de celles fondées sur le parasitisme,

– débouté les sociétés LVMH, Louis Vuitton, Dior Couture et Parfums Dior de leurs demandes reconventionnelles fondées sur l’abus du droit d’agir en justice et le dénigrement,

– condamné Mme [P] à leur payer la somme globale de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Mme [P], appelante, maintient qu’elle est recevable et fondée à agir au titre du droit d’auteur, faisant valoir que :

– les sociétés Louis Vuitton et Dior Couture ont reproduit, transformé, adapté et représenté ses créations vestimentaires et ses ‘uvres photographiques ou des éléments significatifs de ces dernières sur leurs propres créations vestimentaires ou ‘uvres photographiques,

– la société Parfum Dior a également reproduit, transformé, adapté et représenté ses oeuvres photographiques ou des éléments significatifs de ces dernières sur ses propres ‘uvres photographiques.

Elle soutient à titre subsidiaire que les intimées ont commis des actes de parasitisme.

Reprenant pour partie ses prétentions de première instance, elle demande, outre une publication de la décision à intervenir, la condamnation des sociétés :

– LVMH, Louis Vuitton, Dior Couture et Parfums Dior à lui payer 9 750 363 euros sur le fondement de la violation de ses droits patrimoniaux sur ses créations vestimentaires, subsidiairement sur le fondement du parasitisme, outre 15 000 euros pour résistance abusive et 20 000 euros au titre des frais irrépétibles,

– Louis Vuitton, Dior Couture et Parfums Dior à lui payer un million d’euros sur le fondement de la violation de ses droits patrimoniaux sur ses créations photographiques, subsidiairement sur le fondement du parasitisme,

– LVMH et Dior Couture à lui payer un million d’euros pour le préjudice moral subi.

Les quatre sociétés intimées, incidemment appelantes, demandent de débouter Mme [P] de ses prétentions à l’encontre de la société LVMH et de mettre celle-ci hors de cause et elles soutiennent à titre principal que l’appelante ne démontre pas être l’auteur notamment des vêtements communiqués en pièces adverses n° 57 et 60, et n’a donc pas qualité à agir en contrefaçon. Elles réitèrent leurs demandes de première instance aux fins d’obtenir le paiement de 10 000 euros pour procédure abusive et de 20 000 euros pour dénigrement, une publication judiciaire sous astreinte sur le blog de l’appelante et la cessation sous astreinte de toute publication sur internet, ou sur tous supports, qui les mettrait en cause et notamment qui évoquerait les accusations de contrefaçon et de parasitisme, et elle réclament le paiement de 20 000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel.

La cour relève que si la société LVMH se présente comme la société mère des 3 autres sociétés intimées, toutes renommées dans l’industrie du luxe, qu’elle ne contrôlerait pas et soutient n’avoir personnellement commis aucune faute, soulignant qu’il ne lui est reproché aucun fait particulier au titre de la contrefaçon dans le dispositif des écritures adverses, les premiers juges ont justement relevé que formant une demande avec les autres sociétés en cause elle ne saurait valablement solliciter sa mise hors de cause. La décision entreprise sera donc confirmée sur ce point.

Il sera également noté que l’ancien directeur artistique de la société LVMH dont l’appelante dénonce le comportement n’est pas en cause, pas plus que la société [L] [G] International qui porte son nom. Dès lors les critiques portées à l’encontre de ces derniers ne sauraient être examinées par la cour.

Sur les demandes de Mme [P]

L’appelante soutient avoir réalisé une collection complète de plus de 200 pièces présentées dans un catalogue publié sur son site internet, précisant imaginer, dessiner, coudre et réaliser les finitions de ses vêtements, divulgués, selon elle, au plus tard en 2014, par elle portés et minutieusement mis en scène afin de les présenter au public, sa mère exécutant matériellement selon ses directives les clichés photographiques les reproduisant.

Elle invoque plus précisément 22 créations de mode et 61 photographies, fait valoir qu’elles sont clairement identifiées dans ses écritures et se prévaut d’une ‘antériorité systématique’ de ses créations, invoquant pour preuve de ses oeuvres de couture et photographiques les dépôts à l’office hongrois précitées des 7 juillet et 27 octobre 2014.

Il ressort cependant des tableaux comparatifs figurant dans ses conclusions et sur lesquels elle fonde ses prétentions que sont reprochés des faits antérieurs à ces dates, et les intimées relèvent à juste titre que si l’antériorité des créations de Mme [P] n’est pas prouvée, aucun acte de contrefaçon ne peut leur être reproché.

Il convient donc pour évaluer la pertinence de l’action, tant principale en contrefaçon que subsidiaire pour parasitisme de Mme [P], de rechercher préalablement la date certaine de réalisation des créations vestimentaires et des oeuvres photographiques revendiquées, seule date à partir de laquelle peut être, le cas échéant, utilement recherchée l’existence de faits de contrefaçon ou d’actes de parasitisme à l’encontre des intimées.

S’il doit être considéré que le procès-verbal de constat précité du 27 septembre 2017 qui n’est contredit par aucun élément mais conforté par son contenu qui montre la capture de certaines dates d’écran ou la marque enregistrée en 2014 apporte une preuve suffisante que les éléments contenus en particulier dans la clé USB ou le CD Rom justifient de créations de Mme [P] déposées le 27 octobre 2014 auprès de l’office hongrois de protection de la propriété intellectuelle, aucun élément ne permet de démontrer à suffisance de date certaine de création antérieure à 2014.

A cet égard, il sera relevé que n’est en particulier pas produit de catalogue 2011 tel que visé dans le tableau comparatif des oeuvres photographiques et que le catalogue de la collection de vêtements [V] [P] VIP COUTURE sur le site internet de Mme [P] versé au débat comme étant celui de la collection 2014 mentionne uniquement un copyright de 2016 avec une date d’impression du 27 octobre 2016 qui ne saurait permettre de lui attribuer une autre date.

Dès lors toutes les comparaisons avec des collections antérieures à l’année 2014 des intimées ne sauraient valablement fonder l’action en contrefaçon ou en parasitisme de Mme [P], et seuls seront donc examinés les faits dénoncés dans les tableaux comparatifs à compter de ladite année.

Sur les créations vestimentaires

Mme [P] produit aux débats en original 10 vêtements avec une étiquette portant mention de sa marque (pièces 54 à 63) et en cite plus précisément 6 dans ses écritures (page 21) à savoir les pièces 54, 55, 57, 58, 60 et 61en donnant des liens permettant de les visualiser sur la clé USB ou sur le CD Rom objets du constat du 27 septembre 2017. La cour a également pu visualiser sur ces supports les vêtements produits en pièces 56 et 62.

La veste produite en pièce 61 n’apparaît toutefois pas arguée de contrefaçon selon le tableau comparatif produit ni subsidiairement d’acte de parasitisme. Il en est de même de la robe produite en pièce 63 qui apparaît dans une vidéo de promotion de 2017.

Enfin il sera relevé que si, selon mention portée en page 37 des écritures de l’appelante, la jupe produite en pièce 59 a été réalisée le 28 février 2015, cette date n’apparaît corroborée d’aucune façon, et elle ne saurait dès lors valablement permettre de considérer qu’une collection de prêt-à-porter automne hiver 2015-2016 serait susceptible de la contrefaire ou d’en capturer illicitement la valeur.

Il en résulte que les modèles ayant date suffisamment certaine et pour lesquels est incriminée la reproduction postérieure d’au moins un élément essentiel sont :

– des robes constituant les pièces 54, 55, 56 et 62 par la collection croisière 2016 de la maison Louis Vuitton,

– la jupe constituant la pièce 58 par la collection prêt-à-porter automne hiver 2015-2016 de ladite maison,

– l’ensemble avec passementerie constituant la pièce 57 et de la robe produite en pièce 60 par la collection Louis Vuitton de prêt-à-porter printemps été 2017.

Seules seront dès lors examinées au titre du doit d’auteur, et le cas échéant du parasitisme, ces 7 vêtements (pièces 54,55, 56, 57,60 et 62) suffisamment identifiés, étant relevé qu’ils figurent par ailleurs sur l’extrait du site internet de 2016 susvisé de Mme [P], sauf la robe produite en pièce 62 laquelle apparaît cependant avoir, selon le contenu de la clé USB objet du constat précité, été présentée sur le profil Facebook public de Mme [P] le 8 juillet 2014. La cour n’analysera pas les autres créations vestimentaires invoquées qui s’avèrent, au regard de la date suffisamment certaine de création seule établie de 2014 ou d’une comparaison par référence à des présentations contestées antérieures à cette date, dénuées d’intérêt pour la solution du présent litige qui tend à la sanction d’actes de contrefaçon ou de parasitisme.

Pour combattre le grief de contrefaçon, les intimées font valoir que Mme [P] ne démontre pas l’originalité des oeuvres revendiquées et qu’une simple comparaison des créations prétendument contrefaites avec celles prétendument contrefaisantes suffit à écarter la contrefaçon.

L’auteur d’une oeuvre de l’esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous qui comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial. Ce droit est conféré à l’auteur de toute oeuvre de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination. Il s’en déduit le principe de la protection d’une oeuvre, sans formalité, du seul fait de la création d’une forme originale, l’originalité devant être appréciée de façon objective.

Pour caractériser l’originalité de chacun des vêtements précités, Mme [P] sans prétendre s’approprier un genre, soutient qu’il procède de la combinaison des éléments caractéristiques suivants qu’elle décrit ainsi pour la pièce :

‘ 54 : une robe noire cintrée à la taille, qui comporte des bretelles épaisses incrustées de pierres, ainsi représentée

‘ 55 et 56 : deux robes mi-longues à col rond et manches longues avec apposition de dentelle, la cour notant que la robe jaune présente une ceinture montrant un noeud à l’avant avec deux pans plus importants en dentelle ainsi qu’une encolure incrustée de pierres et que la robe bleue (plus courte) présente notamment une juxtaposition de jupons et des incrustations de pierres au niveau de la ceinture,

Mme [P] revendique comme éléments caractéristiques de ces deux robes les manches présentant un volant partant du poignet pour descendre jusqu’aux doigts de la main, la robe jaune présentant une bande de tissus opaque cousue au dos du vêtement, au centre de laquelle se trouve une fermeture éclair dorée, partant du col pour descendre jusqu’au bas du dos, cette bande prenant la forme de la lettre ‘V’,

‘ 57 : un ensemble veste et pantalon taille haute :

de couleur foncée unie vert émeraude avec des passementeries fines de dentelle dorées cousues sur toute le longueur des jambes tranchant ainsi avec la couleur unie du vêtement, une fermeture éclair visible à l’entrejambe également dorée, donnant l’impression d’uniformes militaires, la cour notant, même si ces éléments ne sont pas précisément revendiqués, que les attaches dorées du haut de l’ensemble montrent des fleurs et pétales rappelant le motif de la passementerie apposée sur le volant en bas de ce vêtement,

‘ 60 :

décrite par Mme [P] comme une robe longue noire avec longue fermeture éclair verticale au dos du vêtement, la partie basse étant constitué d’un tissu satiné opaque et la partie haute étant constituée de tulle noir cloqué de petits points, transparent, des bandes géométriques de tissu noir et opaque étant cousues par dessus le tulle à l’arrière du vêtement, la première bande formant un losange, disposé horizontalement, coupé au milieu par la ligne verticale de la fermeture éclair et la seconde bande formant un losange de la même taille que le premier mais coupé en deux et se fondant avec la partie basse opaque de la robe, l’ensemble ayant une forme papillon,

‘ 62 : une robe noire longue à manches longue et col rond dénommée ‘Maestro of Glamour’

composée de dentelle noire sur la partie haute, l’encolure et les manches, entrecoupée de bandes de tissu noires horizontales, opaques, cousues sur la dentelle, la bande de tissu fort de la fermeture éclair démarre au col pour descendre jusqu’à l’entrejambe, à l’arrière du vêtement, Mme [P] précisant qu’en principe la bande de tissu fort sur laquelle sont serties les dents métalliques et qui est cousue ensuite au vêtement n’est pas visible étant cousue à l’intérieur et qu’elle a choisi de coudre cette bande à l’extérieur du vêtement de manière à créer un détail particulièrement reconnaissable, la bande de tissu venant alors en contraste sur l’ensemble du vêtement et se terminant en forme de flèche pointant vers le bas.

Pour contester l’originalité prétendue de ces pièces vestimentaires les intimées font en particulier valoir qu’il n’y a rien de créatif dans le fait d’ornementer des bretelles, et qu’il est courant de coudre de la dentelle ou de la passementerie dorée, d’utiliser du tulle transparent et de petits points sur des vêtements ou une fermeture éclair démarrant du col et descendant jusqu’à l’entrejambe pour une robe.

Elles justifient que des fermetures éclair avec une forme de flèche préexistaient en produisant un extrait de vente aux enchères d’une jupe ‘Gautier Junior, Circa 1985/1989″, qu’une robe avec des manches en finition avec volant partant du poignet pour descendre jusqu’aux doigts et en dentelle existait de longue date produisant notamment les extraits des ouvrages ‘La mode des années 1970″ montrant entre autres une robe trompette aux poignets avec des volants de 1973 et ‘Comment regarder la mode’ présentant en particulier une gravure de 1872 figurant une robe avec des manches longues terminées par des poignets mousquetaires au-dessus de la main.

Toutefois il ressort de l’examen auquel la cour s’est livrée, que les documents opposés ne présentent que l’un ou l’autre des éléments des vêtements dont s’agit et non pas tous les éléments dans une combinaison identique. Si certains des éléments qui composent chacun des vêtements en cause sont effectivement connus et que, pris séparément, ils appartiennent au fonds commun de l’univers de la mode, en revanche, leur combinaison telle que revendiquée et réalisée, dès lors que l’appréciation de la cour doit s’effectuer de manière globale, en fonction de l’aspect d’ensemble produit par l’agencement des différents éléments et non par l’examen de chacun d’eux pris individuellement, confère à chacun de ces vêtements une physionomie particulière qui distingue chacun d’eux de vêtements du même genre et qui traduit de manière suffisamment nette et significative un parti-pris esthétique empreint de la personnalité de son auteur.

Par voie de conséquence, ces vêtements sont dignes d’accéder à la protection instituée au titre du droit d’auteur, et le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a déclaré Mme [P] irrecevable à agir sur le fondement du droit d’auteur sur les créations vestimentaires à l’exception des vêtements communiqués en pièces 57 et 60 et en ce qu’il n’a pas retenu l’originalité de ces deux vêtements.

En revanche, il résulte de la comparaison à laquelle la cour a procédé des vêtements en cause, avec les créations de la maison Louis Vuitton incriminées selon les tableaux comparatifs produits au débat et reproduits dans les écritures de l’appelante que :

‘ les bretelles de la collection Croisière 2016 apposées sur un haut noir, et non une robe (pièce 54), présentant des petits ronds métalliques incrustés ne rappellent aucunement l’incrustation de grosses pierres présente sur le vêtement revendiqué, étant ajouté que les bretelles incriminées sont chacune décorées d’une boucle au niveau de l’épaule totalement inexistante dans le vêtement revendiqué et apposées non de manière droite comme sur la robe de Mme [P] mais de manière largement ouverte dans une encolure arrondie donnant à voir un effet totalement différent de celui conféré par les caractéristiques des bretelles de la robe de Mme [P],

‘ si des robes et un haut à manches longues de la Collection Croisière 2016 présentent des manches avec volant il s’agit ainsi que précédemment rappelé d’un élément connu dans l’univers de la mode et le tableau comparatif montre que les vêtements incriminés sont radicalement distincts de ceux revendiqués produits en pièces 55 et 56, de même si d’autres robes de la même collection Louis Vuitton reprennent une découpe en forme de V avec une fermeture éclair visible se terminant en flèche l’effet global de chacun d’eux ne rappelle aucunement celui conféré à la robe jaune fermée de Mme [P] (pièce 55) où il est figuré au dos, et non sur le devant avec une impression d’attache croisée laissant notamment apparaître le nombril de la personne le portant, étant précisé que si une autre robe de cette collection présente une découpe en V au dos elle ne montre aucunement l’effet combiné voulu par Mme [P] de contraste entre deux tissus l’un en dentelle et l’autre opaque, l’impression d’ensemble spécifique de chacun des vêtements critiqués n’étant nullement semblable à celle résultant des deux vêtements revendiqués,

‘ il n’est justifié d’aucune reprise du haut constituant l’ensemble veste et pantalon de la pièce 57 de Mme [P], ce qui exclut toute ressemblance globale avec un modèle de la collection de prêt-à-porter printemps été 2017, étant ajouté que si cette collection présente deux pantalons taille haute (un noir et un vert avocat) avec apposition d’une bande de tissus doré cette bande ne reprend aucunement le motif très particulier de passementerie choisi par Mme [P] et n’est pas apposée à l’extérieur le long des jambes mais à l’intérieur de celles-ci, le pantalon incriminé étant en outre largement décoré sur un revers inexistant dans le modèle revendiqué, de face au milieu en partie haute et sur la partie inférieure de la jambe, ainsi que sur une découpe en biais de poches nullement présentées dans le modèle revendiqué, montrant globalement un pantalon très particulier sans rapport aucun avec l’aspect militaire voulu par Mme [P] pour son vêtement,

‘ si la collection prêt-à-porter Louis Vuitton printemps/été 2017 montre une série de vêtements à manches longues présentant en partie haute du tulle transparent parfois noir avec de petits points, il a été retenu qu’il s’agit d’un effet commun dans le domaine de la mode, certes cette série donne à voir des découpes géométriques mais celles-ci sont toujours présentées de face et non de dos comme dans la robe revendiquée en pièce 60 et elles ne sont nullement de forme similaire à celle figurée sur la pièce 60 s’agissant d’habiller la poitrine avec une forme ouverte, les côtés apparaissant courbés et nullement présentés horizontalement ou coupés en deux, l’impression d’ensemble spécifique des vêtements contestés étant sans rapport avec celle rectiligne et coupée du haut du dos de la robe sans manches de Mme [P] excluant toute ressemblance avec l’effet produit par cette robe,

‘ la robe noire longue sans manche à col rond de la collection Croisière 2016 ne rappelle pas plus la robe à manches longues et col rond dénommée ‘Maestro of Glamour’ produite en pièce 62 de Mme [P] car elle présente un tissus à motif à carreaux occultant largement un effet de fines lignes noires horizontales coupant de chaque côté la fermeture éclair au centre de la robe descendant jusqu’à l’entrejambe et elle ne donne nullement à voir l’effet résultant de l’apposition de larges bandes faisant toute la largeur de la robe revendiquée ni une présentation contrastée à l’arrière d’une robe à manche longues, et l’impression d’ensemble n’est aucunement celle d’une reprise d’éléments caractéristiques de la robe revendiquée.

Force est de constater qu’il s’infère de cette comparaison que si les vêtements incriminés donnent à voir des éléments qui pris individuellement sont connus dans le domaine de la mode ou utilisés par Mme [P], ils ne sont jamais présentés dans la même combinaison que celle revendiquée ou présentée par cette dernière et il n’existe pour aucun des vêtements critiqués d’impression d’ensemble de ressemblance avec une quelconque des créations vestimentaires utilement opposées par Mme [P], seule susceptible de permettre de retenir l’existence d’une représentation, reproduction ou exploitation des dites créations constitutive de contrefaçon.

Dès lors aucun acte de contrefaçon n’est caractérisé en la cause et Mme [P] ne peut qu’être déboutée de l’intégralité de ses demandes fondées sur le droit d’auteur pour ses créations vestimentaires.

N’est pas plus établie la captation du savoir-faire ou du travail intellectuel de Mme [P] pour les dites créations ni une utilisation fautive de celles-ci. Il convient donc également de débouter l’appelante de ses demandes formées à titre subsidiaire pour parasitisme, le jugement entrepris étant confirmé de ce chef.

Sur les oeuvres photographiques

Mme [P] soutient que certaines de ses oeuvres photographiques seraient contrefaites par des images fixées dans des séquences animées de courts métrage ou de spots réalisés par les sociétés Parfum Dior et Dior Couture ainsi que par des reproductions, transformations et représentations de la maison Louis Vuitton.

Parmi les nombreux clichés examinés sur les tableaux comparatifs de l’appelante la cour n’est en mesure d’identifier que l’un d’eux, comme figuré sur la clé USB et le CD Rom objets du constat précité du 27 septembre 2017, l’appelante n’ayant fourni aucun élément permettant d’en identifier d’autres comme ayant date certaine et susceptible d’avoir fait l’objet d’actes illicites postérieurs au 27 octobre 2014, ne donnant en particulier aucun lien de rattachement entre les clichés et les supports objets du procès-verbal de constat quoique présentant 2 367 éléments s’agissant de la clé USB et 314 fichiers et 2 dossiers s’agissant du DVD.

La photographie dont s’agit, est également présentée sur l’extrait du site de 2016 de Mme [P] :

elle la montre revêtue d’une robe rouge marchant vers la gauche, se tenant de profil, en robe longue échancrée laissant voir sa jambe gauche jusque sur le haut de la cuisse lancée vers l’avant, l’appelante précisant que l’ensemble de la photographie donne une impression de mouvement.

La protection du droit d’auteur ne saurait toutefois bénéficier à un genre mais procède d’une combinaison de caractéristiques.

Il sera relevé que les pièces du dossier montrent à suffisance qu’il est usuel et en tout cas déjà connu en matière de photographies de mode de suggérer le mouvement avec un mannequin paraissant marcher avec une jambe en avant pour mettre en valeur une pièce vestimentaire. Il en est ainsi d’un cliché du modèle Hermès de 2006 produit au débat par les intimées ou d’un cliché de 1987 d’un photographe de mode ([B] [W]) publié dans un ouvrage sur ‘l’histoire secrète de la photographie de mode’ édité en 2002. Le seul fait que des clichés de la campagne Louis Vuitton pour sa collection Croisière 2017 reprennent pour un vêtement fendu une posture comparable, qui au surplus confère une impression distincte, plus fluide ou moins marquée que celle produite par l’attitude de Mme [P], ne saurait permettre de retenir l’existence d’une contrefaçon ni d’une reprise d’une mise en scène particulière révélatrice de l’effort créatif de Mme [P]. Il sera relevé que par ailleurs les décors choisis sont radicalement différents n’évoquant aucunement l’univers mis en scène dans le cliché revendiqué qui figure une pelouse avec en arrière plan une banquette placée devant une haie d’arbres, les clichés incriminés montrant des paysages arides sans végétation ni banc et des couleurs plus sombres avec un éclairage très partiel pour l’un des clichés dont au surplus les intimées contestent formellement en être à l’origine s’agissant d’une photographie extraite du magazine Vogue Mexico de janvier 2016, ou dans des tons clairs atténués, sans rapport aucun avec le cliché revendiqué très lumineux avec une note rouge vif centrale inexistante dans les clichés incriminés.

S’il peut être admis que Mme [P] bénéficie sur ce cliché d’une protection au titre du droit d’auteur en raison de choix particuliers quant au lieu de prise vue, à l’environnement, aux couleurs, au cadrage, au vêtement et à la pose figurée combinés ensemble, qui traduisent une effort créateur et sa personnalité, les photographies incriminées, qui relèvent manifestement d’autres choix spécifiques donnent à voir une impression d’ensemble nullement similaire à celle conférée par le cliché revendiqué. Aucun acte de contrefaçon n’est ainsi caractérisé.

Les demandes en contrefaçon formées par cette dernière au titre des oeuvres photographiques ne peuvent en conséquence qu’être également rejetées.

Il n’est pas plus démontré de captation ou d’utilisation fautive de réalisations de Mme [P] identifiées comme ayant une date certaine antérieure aux faits reprochés au titre des oeuvres photographiques et il n’y a donc pas lieu de faire droit aux demandes subsidiaires pour parasitisme. Le jugement dont appel sera dès lors confirmé en ce qu’il a débouté Mme [P] de ses demandes fondées sur le parasitisme.

Il s’infère de ce qui précède qu’il ne saurait y avoir lieu à mesures réparatrices, Mme [P] sera donc déboutée de toutes ses demandes pour violation de ses droits patrimoniaux, parasitisme, et préjudice moral et il n’y a pas plus lieu à condamnation des intimées pour résistance abusive ni à publication judiciaire de la présente décision.

Sur les autres demandes

Il ressort du sens du présent arrêt que si l’appelante succombe en ses demandes au titre de la contrefaçon et du parasitisme, elle a pu se méprendre sans faute susceptible d’engager sa responsabilité sur l’étendue de ses droits et le seul fait qu’elle réclame au total près de 12 millions d’euros ne suffit pas à caractériser un abus ou une légèreté blâmable préjudiciables aux intimées étant observé qu’il n’est nullement démontré que celles-ci aient effectivement provisionné le montant réclamé et que le droit d’auteur est retenu pour des pièces vestimentaires et une photographie dont la date est antérieure aux faits reprochés. Le rejet de la demande indemnitaire formée à ce titre sera donc confirmée et il n’y a pas lieu à prononcer une amende civile.

Par ailleurs il ne ressort d’aucun élément que Mme [P] ait sciemment entendu dénigrer les sociétés intimées ou leurs produits. Il sera relevé que nombre d’allégations reprochées visent des personnes physiques qui ne sont pas en cause, pour l’essentiel [L] [G] ainsi qu’il ressort du procès-verbal de constat que les intimées ont fait établir le 6 avril 2017, mais également selon les intimées [S] [F], et [Y] [A] et non les personnes morales intimées. Certes Mme [P] édite un blog où elle compare, comme sur sa page Facebook, des produits des sociétés intimées aux siens mais la quasi totalité des commentaires sont en langue étrangère non nécessairement comprise sur le territoire national par le public concerné par la mode ou les photographies de mode et aucun élément ne permet de considérer qu’il en est résulté un préjudice d’image pour les intimées. Sur twitter apparaît avoir été annoncé par Mme [P] en français dans un message en particulier les 1er et 2 décembre 2018 qu’elle a poursuivi LVMH en justice pour plagiats de ses créations tout en ajoutant espérer notamment que la vérité soit enfin connue, ce qui laisse à penser que la poursuite existante n’est pas nécessairement fondée n’excédant pas ainsi les limites de la liberté d’expression et n’étant pas susceptible de porter atteinte à l’image des sociétés intimées ou d’altérer le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé. L’ensemble de ces élément s ne saurait dès lors suffire à caractériser un acte dénigrement au préjudice des sociétés intimées.

Il n’y a donc pas lieu à condamnation à paiement ni à mesures de cessation d’actes de dénigrement ou d’insertion d’une publication judiciaire sur le blog de l’appelante.

Cette dernière sera en revanche condamnée aux dépens, et les frais non compris dans les dépens tant de première instance que d’appel mis à sa charge seront appréciés en équité, eu égard au sens de la présente décision et compte tenu de la situation économique respective des parties.

PAR CES MOTIFS,

Infirme la décision entreprise en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’elle a rejeté la demande de mise hors de cause de la société LVMH Moët Hennnessy Louis Vuitton, débouté Mme [R] [P] de ses demandes fondées sur le parasitisme, débouté les sociétés LVMH Moët Hennnessy Louis Vuitton, Louis Vuitton Malletier, Christian Dior Couture et Parfums Christian Dior de leurs demandes fondées sur l’abus du droit d’agir en justice et le dénigrement, et condamné Mme [P] aux dépens ;

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,

Déclare Mme [P] recevable mais mal fondée en son action au titre de droits d’auteur faute de contrefaçon ;

La déboute en conséquence de toutes ses demandes en réparations pour violations des dits droits ;

Rejette toutes autres demandes des parties contraires à la motivation ;

Condamne Mme [P] aux dépens d’appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile, et, vu l’article 700 du dit code, la condamne à verser à ce titre une somme totale de 5 000 euros aux sociétés LVMH Moët Hennnessy Louis Vuitton, Louis Vuitton Malletier, Christian Dior Couture et Parfums Christian Dior pour les frais irrépétibles de première instance et d’appel.

La Greffière La Présidente

 


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