Stylisme : 23 juin 2022 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 21/10594

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Stylisme : 23 juin 2022 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 21/10594
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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-1

ARRÊT

DU 23 JUIN 2022

N° 2022/224

N° RG 21/10594 – N° Portalis DBVB-V-B7F-BHZVE

SARLU MIDNIGHT

SARL SUSJE (SDE)

C/

SARL SOY CUBA

[S] [Z]

Copie exécutoire délivrée

le :

à : Me Sébastien BADIE

Me Krista LEROUX

Décision déférée à la Cour :

Ordonnance de référé du Tribunal de Commerce d’Aix en Provence en date du 05 Juillet 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 2021001193.

APPELANTES

SARLU MIDNIGHT, dont le siège social est sis [Adresse 3]

SARL SUSJE (SDE), dont le siège social est sis [Adresse 5]

toutes représentées par Me Sébastien BADIE de la SCP BADIE SIMON- THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Samuel BENHAMOU, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant

INTIMEE

S.A.R.L. SOY CUBA, dont le siège social est sis [Adresse 1]

représentée par Me Krista LEROUX de la SELARL LEROUX KRISTA, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Aurélie NADIRAS, avocat au barreau de PARIS, plaidant

PARTIE INTERVENANTE

Monsieur [S] [Z], demeurant [Adresse 4]

toutes représentées par Me Sébastien BADIE de la SCP BADIE SIMON- THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Samuel BENHAMOU, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 09 Mai 2022 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère, a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Pierre CALLOCH, Président

Madame Marie-Christine BERQUET, Conseillère

Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : M. Alain VERNOINE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 23 Juin 2022.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 23 Juin 2022,

Signé par Monsieur Pierre CALLOCH, Président et M. Alain VERNOINE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

La société Soy Cuba, domiciliée à [Localité 2], a été créée en octobre 2016 et est gérée par Mme [Y] [O]. Elle a pour activité la conception et la fabrication d’articles de mode, et fait réaliser depuis 2018 certains modèles de chaussures auprès de la société Susje, société de droit italien, avant de les revendre à des boutiques indépendantes.

M. [S] [Z], styliste de formation, était titulaire avec la société Soy Cuba d’un contrat de licence de dessins et modèles signé le 31 juillet 2019.

Le couple [O]-[Z] s’est séparé en juillet 2020 dans un contexte conflictuel et le 4 août 2020 M. [S] [Z] a créé la société Midnight, spécialisée dans la conception et la fabrication de chaussures. M. [Z] a par ailleurs résilié le contrat de licence le liant à la société Soy Cuba.

Le 20 août 2020, la société Susje, dénonçant des retards de paiement, a mis fin aux relations contractuelles la liant à la société Soy Cuba et a procédé directement aux livraisons auprès des acheteurs de chaussures, auxquels elle a également adressé ses factures.

Le 22 octobre 2020, la société Soy Cuba a mis en demeure la société Susje de cesser ses agissements, de lui restituer tous les documents relatifs à ses modèles de chaussures, et de cesser toute communication auprès de ses clients et de l’indemniser du préjudice subi.

En l’absence d’accord, la société Soy Cuba a assigné la société Susje et la société Midnight devant le tribunal de commerce d’Aix-en-Provence le 3 février 2021 afin de faire cesser à titre principal la facturation opérée directement par les sociétés Susje et Midnight auprès de ses clients, et l’usage de son fichier client.

Par ordonnance en date du 5 juillet 2021 le juge des référés du tribunal de commerce d’Aix-en-Provence a :

-déclaré la société Soy Cuba légitime à agir,

-retenu sa compétence,

-interdit à la société Susje et à la société Midnight d’émettre ou de solliciter le paiement de factures auprès des clients de la société Soy Cuba, sous astreinte de 2.000 euros par violation constatée,

-ordonné la publication de l’ordonnance dans deux journaux au choix de la société Soy Cuba aux frais de la société Susje et de la société Midnight sans que le coût de chaque publication puisse excéder la somme de 10.000 euros hors taxe,

-autorisé la société Soy Cuba à communiquer à ses clients copie de la décision,

-ordonné solidairement aux sociétés Susje et Midnight de payer à la société Soy Cuba une provision de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts,

-débouté la société Soy Cuba de ses demandes relatives au fichier clients,

-condamné la société Susje et la société Midnight à payer chacune la somme de 1.500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

-condamné la société Susje et la société Midnight solidairement aux dépens

————-

Par déclaration en date du 13 juillet 2021 la société Midnight et la société Susje ont interjeté appel de l’ordonnance.

Le 6 octobre 2021 M. [S] [Z], gérant de la société Midnight, est intervenu volontairement à l’instance.

————–

Par ordonnance d’incident en date du 1er février 2022 le président a :

-déclaré recevable la demande de radiation formée par la société Soy Cuba mais l’a rejetée au fond,

-rejeté la demande formée par la société Susje et la société Midnight tendant à faire déclarer irrecevables comme tardives les conclusions déposées au fond par la société Soy Cuba,

-dit que l’affaire serait clôturée le 4 avril 2022 et évoquée à l’audience du 9 mai 2022

Le 4 avril 2022 la date de clôture a été reportée au 9 mai 2022, date des débats.

————–

Par dernières conclusions enregistrées le 6 mai 2022, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, la société Midnight (Sarlu), la société Susje (Sarl de droit italien) et M. [S] [Z] font valoir qu’en réalité, Mme [O] n’avait à l’origine aucune activité en matière de chaussures et fabriquait essentiellement des bijoux et qu’à la faveur de sa rencontre avec M. [Z], lui-même styliste de chaussures depuis près de 30 ans, il lui a permis de développer cette activité, notamment en la mettant en relation avec la société Susje, avec laquelle il entretenait des relations commerciales de longue date.

Ils ajoutent que, dans ce cadre, M. [Z] a ainsi concédé à la société Soy Cuba un contrat de licence de dessins et modèles le 31 juillet 2019.

Les appelants dénoncent, à la suite de la séparation du couple en juillet 2020, la volonté de Mme [O] de spolier M. [Z] par le pillage de l’actif de la société Soy Cuba, ses tentatives d’encaisser le paiement de commandes sur lesquelles elle n’a aucun droit, la contrefaçon de dessins et modèles et la mise en place de diverses procédures destinées à obtenir l’indemnisation d’une activité qu’elle n’exerçait pas.

Les appelants font valoir que Mme [O] a d’ores et déjà encaissé directement les paiements auprès des revendeurs détaillants mais n’a pas réglé la société Susje, fournisseur, conduisant cette dernière à mettre fin à leurs relations commerciales.

Ils ajoutent que Mme [O] n’a plus aucun droit sur les dessins et modèles de M. [Z].

Ainsi, à titre principal ils soulèvent le défaut d’intérêt à agir de la société Soy Cuba dès lors que la décision du juge des référés concourt à la tentative d’escroquerie réalisée par Mme [O] et la société Soy Cuba, et à titre subsidiaire, ils soulèvent l’incompétence matérielle et territoriale du tribunal de commerce d’Aix-en-Provence en l’état de l’existence d’un contrat de licence de dessins, de modèles et de marque relevant de la compétence du tribunal judiciaire de Marseille, incompétence qui a été retenue au fond par le tribunal de commerce.

Par ailleurs, les appelants contestent l’existence d’un dommage imminent ou d’un trouble manifestement illicite au visa de l’article 873 du code de procédure civile et dénoncent les tentatives d’extorsion de fonds menées par Mme [O] à leur encontre.

Ils soulignent enfin le préjudice qu’ils subissent en terme d’image et du fait de l’impossibilité de facturer des prestations même postérieures à l’ordonnance rendue.

Ainsi, les appelants demandent à la cour de réformer l’ordonnance en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :

A titre principal,

-opposer une fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir de la société Soy Cuba

A titre subsidiaire,

-déclarer incompétent le président du tribunal de commerce d’Aix-en-Provence,

A titre infiniment subsidiaire,

-rejeter toutes les demandes, fins et conclusions de la société Soy Cuba

En tout état de cause, condamner la société Soy Cuba à payer à la société Susje et la société Midnight et à M. [Z] les sommes suivantes :

55.621,21 euros au titre des factures impayées

30.000 euros chacun au titre du préjudice d’image subi auprès de la clientèle

5.000 euros chacun pour abus de droit d’ester en justice

une amende civile dont la cour fixera la montant

5.000 euros chacun en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens

Par conclusions d’incident en date du 31 mars 2022 les appelants soulèvent l’irrecevabilité des conclusions d’intimée de la société Soy Cuba ainsi que de toutes les pièces produites le 30 mars 2022 et sollicitent sa condamnation à payer à la société Susje, la société Midnight et M. [Z] la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en faisant valoir qu’en dépit de la suspension des délais prévus par l’article 524 du code de procédure civile, en présence d’une demande de radiation, les conclusions de la société Soy Cuba sont hors délai.

———–

Par dernières conclusions enregistrées le 8 mai 2022, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Soy Cuba (Sarl) fait valoir que contrairement aux affirmations des appelants, elle a toujours eu une activité de création de chaussures et depuis le mois de novembre 2018 la fabrication en avait été confiée à la société Susje.

Elle dénonce pour sa part le pillage opéré par M. [Z] de l’actif de la société Soy Cuba après la séparation du couple et dénonce l’attitude de la société Susje, qui par les liens l’unissant à M. [Z], a brutalement mis fin à leurs relations commerciales.

La société Soy Cuba fait grief à la société Susje d’avoir livré et facturé à ses propres clients des commandes qu’elle avait passées et d’avoir par ailleurs utilisé son fichier clients pour prendre contact avec eux. Elle ajoute que la société Midnight se faisait adresser les règlements en indiquant être mandatée par la société Susje.

La société Soy Cuba dénonce ainsi le détournement opéré par les sociétés adverses et confirme dans ces conditions les nombreux contentieux actuellement pendant entre les parties.

S’agissant de son intérêt à agir, elle conteste toute irrecevabilité au motif d’une « escroquerie » en rappelant que la clientèle appartient sans contestation possible à la société Soy Cuba et M. [Z] ne détient de droits que sur cinq modèles de chaussures.

S’agissant de la compétence du juge des référés, la société Soy Cuba rappelle l’arrêt rendu par la cour d’appel confirmant la compétence du tribunal de commerce et soutient que les aces de concurrence déloyale sont constitutifs d’un trouble manifestement illicite dont le juge des référés peut ordonner la cessation.

La société Soy Cuba maintient donc ses demandes au regard des actes de concurrence déloyale commis par la société Susje et la société Midnight mais demande à ce que les dommages et intérêts soient portés à la somme de 50.000 euros et mis solidairement à la charge des sociétés et de M. [Z].

L’intimée demande ainsi à la cour de confirmer l’ordonnance en ce que le juge des référés :

-s’est déclaré compétent,

-a débouté la société Midnight et la société Susje de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

-autorisé la société Soy Cuba à communiquer à ses clients copie de la décision,

-interdit à la société Susje et à la société Midnight d’émettre ou de solliciter le paiement de factures auprès des clients de la société Soy Cuba, sous astreinte de 2.000 euros par violation constatée,

L’infirmant partiellement et statuant à nouveau, elle demande à la cour de :

-juger irrecevables les demandes reconventionnelles de M. [Z], la société Susje et la société Midnight,

-débouter M. [S] [Z] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

-condamner solidairement et à défaut in solidum la société Susje, la société Midnight et M. [Z] à payer à la société Soy Cuba une provision de 50.000 à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale,

-ordonner la publication de l’ordonnance dans deux journaux au choix de la société Soy Cuba aux frais de la société Susje et de la société Midnight sans que le coût de chaque publication puisse excéder la somme de 10.000 euros hors taxe, TVA en sus au taux en vigueur,

-condamner la société Susje, la société Midnight et M. [Z] à payer chacun à la société Soy Cuba la somme de 4.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et les condamner solidairement aux dépens

Par conclusions d’incident en réponse du 1° avril 2022 l’intimé demande à la cour de juger recevables ses conclusions au fond du 30 mars 2022 et de condamner solidairement la société Midnight, la société Susje et M. [Z] à lui payer la somme de 6.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en faisant valoir que le délai de suspension a recommencé à courir non pas à compter de la décision du président mais à compter de sa notification, soit le 28 mars 2022, de sorte que ses conclusions datées du 30 mars 2022 sont recevables.

————

L’affaire a été retenue à l’audience du 9 mai 2022 et mise en délibéré au 23 juin 2022.

MOTIFS

A titre liminaire il convient de rappeler qu’aux termes de l’article 954 du code de procédure civile la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif. Dès lors, elle n’est pas tenue de répondre aux demandes formulées dans les motifs des écritures, et non reprises au dispositif.

Sur la recevabilité des conclusions de la partie intimée en date du 30 mars 2022 :

En application de l’article 524 du code de procédure civile le conseiller de la mise en état peut prononcer la radiation d’une affaire enrôlée en appel dès lors que l’appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision rendue en première instance et assortie de l’exécution provisoire.

Aux termes de ce même article, la demande de radiation suspend les délais impartis à l’intimé par les articles 905-2, 909, 910 et 911. Ces délais recommencent à courir à compter de la notification de la décision autorisant la réinscription de l’affaire au rôle de la cour ou de la décision rejetant la demande de radiation.

En l’espèce, suite aux conclusions de l’appelant enregistrées au réseau privé virtuel des avocats le 6 octobre 2021 (et non le 4 octobre), le délai d’un mois donné à l’intimé afin de conclure en réponse a été suspendu par les conclusions d’incident de ce dernier tendant à la radiation de l’affaire datées du 29 octobre 2021, étant relevé qu’un délai de 22 jours s’était d’ores et déjà écoulé.

Aux termes de l’article 2230 du code civil, la suspension de la prescription en arrête temporairement le cours sans effacer le délai déjà couru, de sorte que la société Soy Cuba disposait d’un délai de 8 jours à compter de la notification de la décision du conseiller de la mise en état, et non à compter de la date de la décision elle-même, afin de conclure en réponse.

Ainsi, au regard de la notification de la décision de rejet de la demande de radiation intervenue le 28 mars 2022, les conclusions de la société Soy Cuba enregistrées le 30 mars 2022, soit avant l’expiration du délai de 8 jours restant à courir, sont recevables.

Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir de l’intimée :

En application des articles 31 et 122 du code de procédure civile l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, et constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Au cas particulier le moyen tiré du défaut d’intérêt à agir de la société Soy Cuba aux motifs que la décision du juge des référés « concourt à la tentative d’escroquerie réalisée par Mme [O], la société Soy Cuba » ne constitue pas une fin de non-recevoir au sens de l’article 122 du code de procédure civile mais un moyen au fond tiré du bien-fondé des prétentions de la partie adverse.

L’ordonnance est confirmée à ce titre.

Sur la compétence du tribunal de commerce :

Aux termes de l’article L.521-3-1 du code de la propriété intellectuelle les actions civiles les demandes relatives aux dessins et modèles, y compris lorsqu’elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale, sont exclusivement portées devant les tribunaux judiciaires déterminés par voie réglementaire.

Pour autant, en l’espèce, nonobstant l’existence d’un contrat de licence de dessins et modèle conclu le 31 juillet 2019 entre la société Soy Cuba et M. [S] [Z], il apparaît que le litige entre les parties procède essentiellement d’un litige commercial entre sociétés dans un contexte de séparation conflictuelle de ses dirigeants, et porte sur le règlement de factures impayées ainsi que sur des actes déloyaux commis à l’occasion de la scission.

Dès lors, le contrat de licence ne nécessitant pas d’interprétation particulière relevant de la compétence des tribunaux judiciaires, il y a lieu de juger que le juge des référés du tribunal de commerce était compétent à l’effet de statuer sur les demandes de la société Soy Cuba.

L’ordonnance déférée est dès lors confirmée de ce chef.

Sur les mesures ordonnées :

Aux termes de l’article 872 du code de procédure civile, dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend.

Par ailleurs, en application de l’article 873 du même code, le président peut, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans tous les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.

En l’espèce, indépendamment du différend opposant la société Soy Cuba et la société Susje quant au paiement de certaines factures au titre de la fabrication de modèles de chaussures et du différend opposant la société Soy Cuba à la société Midnight quant à l’exploitation de certains modèles de chaussures, différends qui relèvent du seul juge du fond, il apparaît que le juge des référés a pu valablement estimer que constituait un trouble manifestement illicite le fait pour la société Susje et la société Midnight de détourner partie de la facturation jusqu’alors effectuée par la société Soy Cuba auprès de ses clients, en utilisant notamment des informations et données de cette dernière et en s’immisçant dans les relations commerciales entretenues par la société Soy Cuba avec ses clients.

Par ailleurs, certains des messages émis par M. [Z], tant par mails que sur des listes de discussion, ou encore à l’en-tête d’un courrier d’avocat, traduisent une volonté non dissimulée de nuire à la société Soy Cuba et à sa gérante Mme [O], mêlant en outre des griefs personnels aux difficultés des sociétés, M. [Z] usant par ailleurs de la création de la nouvelle société Midnight et de ses liens avec la société Susje pour entretenir une confusion dans l’esprit des clients et n’hésitant pas à user de procédés manipulatoires (« lettre rassurante aux clients » ou encore modèles de lettres-types à faire en réponse à la société Soy Cuba notamment).

Ces éléments confortent dès lors le bien-fondé des mesures ordonnées par le juge des référés afin de faire cesser un trouble manifestement illicite et de mettre fin en outre au dommage imminent résultant des difficultés de fonctionnement occasionnées à la société Soy Cuba.

En conséquence, l’ordonnance est confirmée de ce chef.

Sur les dommages et intérêts en réparation du préjudice:

Il a été déduit des articles 484 et suivants du code de procédure civile que le juge des référés n’a pas compétence pour prononcer des condamnations à des dommages et intérêts sauf à l’effet de statuer sur le dommage causé par le comportement abusif de l’une des parties dans le développement procédural dont elle a eu à connaître.

En conséquence, il y a lieu d’infirmer la décision attaquée en ce qu’elle a alloué à la société Soy Cuba une provision de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts.

Sur la recevabilité des demandes nouvelles des appelants :

En application des articles 564 et suivants du code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions, si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.

En outre les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent.

En l’espèce, les demandes des appelants tendant à obtenir, pour la première fois en cause d’appel, la condamnation de la société Soy Cuba au paiement des sommes de 55.621,21 euros au titre des factures impayées et 30.000 euros chacun au titre du préjudice d’image subi auprès de la clientèle sont des demandes nouvelles.

Ces demandes doivent être considérées comme irrecevables dès lors qu’il n’est pas justifié qu’elles répondent aux conditions des alinéas premier et second de l’article susvisé. Elles constituent en outre des demandes au fond tendant à faire régler le différend par le juge des référés, de sorte qu’elles ne peuvent être considérées en l’espèce comme l’accessoire, le complément ou la conséquence de mesures ordonnées sur le fondement des articles 872 et 873 du code de procédure civile.

Sur l’amende civile :

Aux termes de l’article 32-1 du code de procédure civile- article 559 du code de procédure civile en appel – celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros sans préjudice des dommages et intérêts qui seraient réclamés.

Pour autant, il convient de rappeler que l’amende civile prononcée sur le fondement de l’article 32-1 du code de procédure civile ne peut l’être qu’à l’initiative du juge et non des parties, cette amende revenant à l’Etat.

En tout état de cause, le renvoi aux motifs adoptés ci-dessus conduit à considérer que le comportement procédural reproché à la société Soy Cuba ne revêt pas un caractère abusif ou dilatoire.

En conséquence, il y a lieu de débouter la société Susje, la société Midnight et M. [Z] de leur demande à ce titre.

Sur les frais et dépens :

La société Susje, la société Midnight et M. [S] [Z] conserveront in solidum la charge des dépens de la procédure d’appel, recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

En outre, ils seront tenus in solidum de payer à la société Soy Cuba la somme de 6.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Dit recevables les conclusions d’appel enregistrées par la société Soy Cuba le 30 mars 2022,

Confirme l’ordonnance rendue le 5 juillet 2021 par le juge des référés du tribunal de commerce d’Aix-en-Provence sauf en ce qu’elle a ordonné solidairement aux sociétés Susje et Midnight de payer à la société Soy Cuba une provision de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit irrecevables les demandes nouvelles formées par la société Susje, la société Midnight et M. [Z] tendant à la condamnation de la société Soy Cuba au paiement des sommes de 55.621,21 euros au titre des factures impayées et 30.000 euros chacun au titre du préjudice d’image subi auprès de la clientèle,

Dit le juge des référés incompétent à l’effet de statuer sur une demande de dommages et intérêts à valoir sur la réparation du préjudice,

Rejette la demande formée par la société Susje, la société Midnight et M. [Z] au titre de l’amende civile,

Condamne in solidum la société Susje, la société Midnight et M. [S] [Z] aux entiers dépens de la procédure d’appel, recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile,

Condamne in solidum la société Susje, la société Midnight et M. [S] [Z] à payer à la société Soy Cuba la somme de 6.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Le GREFFIER Le PRÉSIDENT

 


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