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COUR D’APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE – SECTION A
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ARRÊT DU : 17 JUIN 2020
(Rédacteur : Madame Nathalie Pignon, présidente)
PRUD’HOMMES
N° RG 18/01858 – N° Portalis DBVJ-V-B7C-KLQD
Mademoiselle [I] [N], [K] [V]
c/
SASU MA
SA GROUPE [O]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 02 mars 2018 (R.G. n°F 14/01463) par le Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de BORDEAUX, Section Commerce, suivant déclaration d’appel du 30 mars 2018,
APPELANTE :
Mademoiselle [I] [N], [K] [V]
née le [Date naissance 1] 1978 à [Localité 6] de nationalité Française, Acheteur, demeurant [Adresse 2]
représentée et assistée de Me Hervé MAIRE, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉES :
SASU MA, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social [Adresse 3]
SIRET 347 664 930
SA GROUPE [O], prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège social [Adresse 9]
N° SIRET : Rennes B 309 742 492
représentées par Me Lucie TEYNIE, avocat au barreau de BORDEAUX
assistées de Me Hélène LAUDIC-BARON, avocat au barreau de RENNES
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 17 février 2020 en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Nathalie Pignon, présidente
Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente
Madame Annie Cautres, conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
***
EXPOSÉ DU LITIGE
Madame [I] [V] a été embauchée à compter du 1er avril 2009 par la SAS MA en qualité de chef de produit.
Par jugement en date du 16 février 2011, le tribunal d’instance de Rennes a constaté que la société Groupe [O] et la SAS MA constituaient, avec 15 autres sociétés, une unité économique et sociale (UES) à compter du 30 novembre 2010.
Le 18 juin 2013, un plan de sauvegarde de l’emploi a été mis en place au sein de l’UES [O].
Le 26 juin 2013, Mme [V] s’est vu proposer une modification de son contrat de travail pour motif économique. La salariée a refusé cette modification.
Une convention de résiliation amiable pour motif économique a été signée entre les parties le 19 août 2013 et Mme [V] a adhéré au CSP le 9 septembre 2013.
Le 28 mai 2014, Mme [V] a saisi le conseil de prud’hommes de Bordeaux aux fins de solliciter des dommages et intérêts sur le fondement de l’article L.1235-10 du code du travail, afférents, outre des dommages et intérêts au titre du préjudice d’anxiété et du manquement de l’employeur à son obligation de prévention de la santé mentale des salariés.
La SA Groupe [O], la SAS MA, la SAS Laherrere et la société [O] Logistique ont été appelées à la cause.
Par jugement en date du 2 mars 2018, la formation de départage du conseil de prud’hommes de Bordeaux a constaté que la SA Groupe [O] et la SAS MA sont co-employeurs de Mme [V], débouté Mme [V] de l’ensemble de ses demandes de dommages et intérêts, débouté les défenderesses de leur demande au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et condamné Mme [V] au surplus des dépens.
Par déclaration en date du 30 mars 2018, Mme [V] a relevé appel partiel du jugement de première instance dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas discutées.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
Aux termes de ses dernières écritures signifiées par RPVA le 13 janvier 2020, auxquelles la cour se réfère expressément, Mme [V] sollicite de la cour la confirmation du jugement du 2 mars 2018 en ce qu’il a constaté que la SA Groupe [O] et la SAS MA sont co-employeurs à son égard, et statuant à nouveau, demande à la cour de :
– condamner la défenderesse à :
– 25 476 euros, à titre de dommages et intérêts pour nullité du plan de sauvegarde de l’emploi sur le fondement de l’article L.1235-10 du code du travail,
– 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de prévention de la santé mentale des salariés, sur le fondement de l’article L. 4121-2 du code du travail,
– à titre principal, 25 000 euros de dommages-intérêts, au titre du préjudice d’anxiété, sur le fondement de l’article L.4121-1 du code du travail,
– à titre subsidiaire, 10 000 euros de dommages et intérêts, au titre du préjudice d’exposition fautive sur le fondement des articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail,
– 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– outre les entiers dépens dont distraction au profit de Maître Maire, en application de l’article 699 du code de Procédure Civile,
– le cas échéant, débouter les intimées de leur appel incident et demandes reconventionnelles.
A l’appui de ses prétentions, l’appelante fait essentiellement valoir :
– que la SA Groupe [O] n’était pas l’employeur de droit mais se trouvait en position de co-employeur, qu’à tout le moins la responsabilité extracontractuelle de cette société est engagée,
– que le plan de sauvegarde de l’emploi est nul,
– que l’employeur n’a pas respecté son obligation de prévention de la santé mentale des travailleurs,
– qu’il existe une exposition certaine à l’amiante, laquelle a généré un préjudice d’anxiété important.
Aux termes de leurs dernières écritures signifiées par RPVA le 26 septembre 2018, auxquelles la cour se réfère expressément, la société MA et la société Groupe [O] sollicitent de la cour la confirmation du jugement du 2 mars 2018 sauf en ce qu’il a reconnu l’existence d’une situation de co-emploi entre la société MA et la société Groupe [O] et, statuant à nouveau, demandent à la cour de :
– dire qu’aucune situation de co emploi ne peut être retenue entre la société MA et la
société Groupe [O] ;
– dire que la cour d’appel statuant en matière sociale est incompétente pour connaître des demandes de Mme [V] présentées à l’encontre de la société Groupe [O] visant à voir retenir la responsabilité délictuelle de celle-ci ;
– condamner Mme [V] à verser à chacune des sociétés une somme de 500 euros au visa des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner Mme [V] aux entiers dépens.
A l’appui de leurs prétentions, les sociétés MA et Groupe [O] font valoir que la situation financière difficile du groupe a rendu la restructuration nécessaire, que les risques psycho-sociaux induits par la réorganisation ont été pris en compte, que les sociétés MA et Groupe [O], ni même le groupe lui-même, ne se sont retrouvés en situation de co-emploi et que la responsabilité délictuelle de ce dernier ne saurait être engagée.
La clôture des débats a été ordonnée le 10 février 2020 et le conseiller de la mise en état a fixé l’affaire à l’audience de la cour le 17 février 2020.
MOTIFS
Sur le coemploi
Le co-emploi par la société mère des salariés de sa filiale n’est caractérisé, hors lien de subordination direct, que s’il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d’intérêts, d’activités et de direction, se manifestant par une immixtion globale et permanente dans la gestion économique et sociale dépassant le périmètre acceptable de son intervention dans la filiale au point de la priver de toute autonomie.
L’existence d’une Unité Economique et Sociale (UES) ne suffit pas à caractériser une situation de co-emploi, dont la preuve incombe au salarié.
Seule une intervention constante et permanente de la société-mère dans les décisions concernant la gestion économique et sociale de la filiale, au point de la priver de toute autonomie, devenant par là même le détenteur du pouvoir de décision et de direction sur les salariés, est susceptible de constituer une immixtion caractéristique du co-emploi.
En l’espèce, il est constant que :
– la SA Groupe [O] détient directement ou indirectement 100 % des titres de chacune de ses filiales, dont la société MA, laquelle a pour unique associée la SA Groupe [O],
– il existe une concentration des pouvoirs de direction entre les différentes sociétés du groupe [O], chacune étant dirigée soit par Monsieur [P] [O] soit par Monsieur [F] [O], la SASU MA étant dirigée par la SA Groupe [O], laquelle a pour président du conseil de surveillance M. [F] [O] et pour président du directoire M. [P] [O],
– les services de direction et administratifs dits de “support” sont centralisés pour les sociétés du groupe : direction commune, DRH centralisée (recrutement, formalisation des contrats, formation professionnelle des salariés), direction financière commune, système administratif et informatique commun, service de communication centralisé, services juridique et comptable centralisés (gestion des salaires, règlements intérieurs des sociétés, participation aux réunions des instances représentatives). La note d’information du projet de réorganisation du groupe [O] remis aux membres du comité central d’entreprise le 15 mars 2013 précise à cet égard que le groupe comporte un pôle d’activité “support”, composé des sociétés Groupe [O] et [O] Logistique qui dispensent aux autres sociétés du Groupe des prestations de services de type administratif pour la première et logistique pour la seconde,
– le projet de restructuration dénommé “projet R2015” a été élaboré par la direction générale du groupe [O], ainsi que cela résulte des termes du courrier en date du 27 juin 2013 versé aux débats,
– le plan de sauvegarde de l’emploi présenté aux instances représentatives du personnel a été élaboré au niveau de l’UES [O].
Par ailleurs, la proposition de modification de son contrat de travail du 26 juin 2013, la convention de résiliation amiable du 19 août 2013 ainsi que le certificat detravail de Mme [V] lui ont tous été adressés par Mme [M] [L], DRH du groupe [O], dont il n’est ni démontré ni même soutenu qu’elle était salariée de la SASU MA.
Si l’intervention du groupe dans l’accompagnement du PSE ne caractérise pas nécessairement une situation de co-emploi, en revanche, l’immixtion sociale globale et permanente de la société Groupe [O] dans les affaires de sa filiale est démontrée par la direction et la gestion du personnel qui sont assurés par la société mère, laquelle a de ce fait la qualité d’employeur, sa filiale, la SASU MA, ne se comportant plus comme le véritable employeur à l’égard de ses salariés.
La présence de cadres au sein de la SASU MA est indifférente à l’appréciation du co-emploi allégué, dès lors qu’aucun d’eux n’était en charge de la gestion économique et sociale de la société.
Il résulte de ce qui précède que c’est à juste titre que le premier juge a estimé que la SA Groupe [O] devait être considérée comme co-employeur de Mme [V].
Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.
Sur la nullité du PSE
Conformément à l’article L.1235-10 du code du travail, dans sa version applicable au présent litige, dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciements concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, la procédure de licenciement est nulle tant que le plan de reclassement des salariés prévu à l’article L. 1233-61 et s’intégrant au plan de sauvegarde de l’emploi n’est pas présenté par l’employeur aux représentants du personnel, qui doivent être réunis, informés et consultés.
Ce texte précise que la validité du plan de sauvegarde de l’emploi est appréciée au regard des moyens dont dispose l’entreprise ou l’unité économique et sociale ou le groupe.
L’article L.1233-61, dans sa version applicable, dispose : “Dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, l’employeur établit et met en oeuvre un plan de sauvegarde de l’emploi pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre.
Ce plan intègre un plan de reclassement visant à faciliter le reclassement des salariés dont le licenciement ne pourrait être évité, notamment celui des salariés âgés ou présentant des caractéristiques sociales ou de qualification rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile.”
L’article L.1233-62 (version antérieure à la loi du 14 juin 2013) précise : “Le plan de sauvegarde de l’emploi prévoit des mesures telles que :
1 Des actions en vue du reclassement interne des salariés sur des emplois relevant de la même catégorie d’emplois ou équivalents à ceux qu’ils occupent ou, sous réserve de l’accord exprès des salariés concernés, sur des emplois de catégorie inférieure ;
2 Des créations d’activités nouvelles par l’entreprise ;
3 Des actions favorisant le reclassement externe à l’entreprise, notamment par le soutien à la réactivation du bassin d’emploi ;
4 Des actions de soutien à la création d’activités nouvelles ou à la reprise d’activités existantes par les salariés ;
5 Des actions de formation, de validation des acquis de l’expérience ou de reconversion de nature à faciliter le reclassement interne ou externe des salariés sur des emplois équivalents ;
6 Des mesures de réduction ou d’aménagement du temps de travail ainsi que des mesures de réduction du volume des heures supplémentaires réalisées de manière régulière lorsque ce volume montre que l’organisation du travail de l’entreprise est établie sur la base d’une durée collective manifestement supérieure à trente-cinq heures hebdomadaires ou 1 600 heures par an et que sa réduction pourrait préserver tout ou partie des emplois dont la suppression est envisagée.”
Enfin, l’article L1233-63 indique : “Le plan de sauvegarde de l’emploi détermine les modalités de suivi de la mise en oeuvre effective des mesures contenues dans le plan de reclassement prévu à l’article L. 1233-61.
Ce suivi fait l’objet d’une consultation régulière et détaillée du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel.
L’autorité administrative est associée au suivi de ces mesures.”
Le plan de sauvegarde de l’emploi qui ne répond pas aux exigences de ces textes est nul.
La salariée fait valoir que le plan devait notamment prévoir des actions en vue de
reclassement interne des salariés, sur des emplois relevant de la même catégorie d’emploi ou équivalents à celui qu’ils occupent, mais que le périmètre de reclassement pris en compte ne correspond pas à l’ensemble des entreprises du groupe et au motif que les propositions de reclassement à l’étranger sont imprécises.
Elle soutient que la nullité du PSE résulte aussi du défaut d’information et de l’absence de mesures relatives aux risques psycho-sociaux.
Les sociétés intimées soutiennent en réponse avoir recherché des postes disponibles au sein de l’ensemble des sociétés du groupe,
Le plan de reclassement intégré au plan de sauvegarde de l’emploi doit, à peine de nullité, comporter des mesures précises et concrètes propres à permettre le reclassement effectif des salariés dont le licenciement ne pourrait être évité et il doit, notamment, préciser le nombre, la nature et la localisation des emplois proposés en vue d’un reclassement dans les sociétés du groupe dont relève l’employeur.
Le respect de cette obligation doit s’apprécier en tenant compte des moyens dont dispose
l’entreprise ou le groupe.
Ainsi, la pertinence d’un plan de sauvegarde de l’emploi doit s’apprécier, s’agissant des
postes proposés pour le reclassement interne, non en fonction du nombre total
d’emplois dans le groupe, mais en fonction des emplois effectivement disponibles et
adaptés au profil des catégories professionnelles concernées par le projet de
licenciement .
En l’espèce, c’est à tort que la salariée fait valoir l’imprécision du PSE en ce qui concerne les propositions de reclassement à l’étranger, dès lors qu’aux termes de l’article L.1233-4-1 du code du travail dans sa version applicable à la présente instance, la proposition d’un poste de reclassement à l’étranger doit être précédée de l’accord exprès du salarié de recevoir des offres de reclassement hors du territoire national.
Le plan de sauvegarde de l’emploi du groupe [O] prévoit dans son chapitre 3 intitulé “Mesures destinées à éviter le nombre de licenciements” un paragraphe consacré au plan de reclassement interne au Groupe.
Il y est rappelé “que le reclassement correspond à une opportunité d’emploi sur un poste disponible relevant de la même catégorie ou sur un emploi équivalent assorti d’une rémunération équivalente ou, à défaut, sur un poste de catégorie inférieure assorti d’une rémunération inférieure, susceptible d’être occupé par le salarié, éventuellement après suivi d’une formation d’adaptation si nécessaire.”
Les listes des postes disponibles et/ou dont la création sont envisagées dans le Groupe
figurent en annexe du document de présentation du PSE.
A la lecture des annexes jointes, il apparaît qu’un seul poste disponible est mentionné au sein de la société MA.
Si plusieurs postes disponibles ont été listés ultérieurement lors des propositions de reclassement en exécution du plan, tous situés à [Localité 5], le PSE établi par le Groupe apparaît à cet égard manifestement insuffisant.
Par ailleurs, aucun poste n’est envisagé pour la société [O] logistique, et il n’est envisagé qu’un seul poste dans la société [O] SAS.
Or des pièces produites aux débats par l’employeur, il ressort que quatre postes de magasinier au sein de la société [O] logistique ont été omis de la liste intégrée au PSE des postes disponibles dans le Groupe, et que parmi eux deux postes, l’un situé à [Localité 8] (62), l’autre à [Localité 7] (12), effectivement disponibles, n’ont été in fine proposés qu’à deux salariés de la société [O] logistique.
En outre, cette liste ne comprend aucun poste de la catégorie “opérateur”, alors pourtant que cette catégorie est celle qui est la plus impactée par le licenciement collectif, avec 31 suppressions de postes dans la société MA.
Par ailleurs, les postes disponibles listés dans le PSE correspondent à des fonctions faisant appel à des compétences très diverses, en inadéquation avec les compétences de la plupart des salariés dont la suppression de poste est envisagée.
Ainsi sont inventoriés par exemple, des postes de responsable marketing communication, assistant commercial, styliste, juriste en droit de la propriété intellectuelle, comptable, chef de produit web, magasinier, responsable comptes clés, chef projet informatique ou encore assistant de direction.
A l’évidence, ces postes requièrent pour la plupart un niveau de compétence et de technicité que la plupart des salariés dont le licenciement était envisagé auraient été dans l’incapacité d’atteindre dans un délai raisonnable.
Ainsi, sur l’ensemble des postes disponibles listés par les sociétés MA et Groupe [O], tous n’étaient pas susceptibles d’être effectivement proposés à au moins un des salariés concernés par le PSE. Tel est le cas, par exemple, du poste de juriste en droit de la propriété intellectuelle, mentionné comme disponible, mais ne correspondant au profil d’aucun des salariés visés par le PSE, de sorte que la liste des postes disponibles apparaît avoir été artificiellement gonflée.
Il ressort en outre de la décision de l’inspection du travail, dont les termes sur ce point ne sont pas contestés par l’employeur, que le comité central d’entreprise n’a pas été informé de la conduite d’un projet de reprise de l’activité du site par les salariés de la société MA avec l’appui des collectivités territoriales et de l’Etat, ce dont il résulte que les instances représentatives du personnel ont été privées des informations économiques relevant de leur compétence.
En conséquence, outre ce défaut d’information, au regard des moyens du groupe [O], dont les sociétés employaient en France à fin février 2013, 718 salariés, la cour estime que c’est à juste titre que les appelants soutiennent qu’en raison de l’inconsistance des mesures de reclassement prévues, le plan de sauvegarde de l’emploi, dont la pertinence s’apprécie en fonction des moyens dont dispose l’entreprise, est insuffisant notamment faute de réelles mesures de reclassement à l’intérieur du groupe auquel la société appartient, et qu’ainsi, il ne répond pas aux exigences de la loi, de sorte que la nullité du PSE doit être prononcée, en infirmation de la décision déférée à la cour.
La nullité du PSE entraîne la nullité subséquente du licenciement de Mme [R] et le droit pour celle-ci de percevoir une indemnisation équivalente à celle à laquelle elle aurait pu prétendre en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les dommages et intérêts
Compte tenu du nombre de salariés dans l’entreprise, supérieur à 11 salariés, de l’ancienneté de quatre ans de Mme [V] au moment de la rupture du contrat, des circonstances de la rupture, du montant de sa rémunération, de son âge, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle, tels qu’ils résultent des pièces et explications fournies, il y a lieu de lui allouer une somme de 25 476 euros à titre d’indemnité.
Sur le remboursement des allocations chômage
Aux termes de l’article L.1235-4 du code du travail, dans les cas prévus aux articles L.1235-3 et L.1235-11, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de 6 mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé.
Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’audience ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.
En application de ces dispositions, la SAS MA et la SA Groupe [O] seront condamnées à procéder au remboursement auprès de l’organisme Pôle emploi des indemnités de chômage versées à la salariée dans la limite de trois mois d’indemnités.
Sur l’exécution du contrat de travail
Sur le non-respect de l’obligation de prévention de la santé mentale des travailleurs
L’article L.4121-1 du code du travail, dans sa version applicable en l’espèce, dispose :
“L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :
1 Des actions de prévention des risques professionnels ;
2 Des actions d’information et de formation ;
3 La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.”
Pour la mise en oeuvre de ces mesures, l’employeur doit s’appuyer sur les principes généraux suivants visés à l’article L.4121-2 du code du travail :
“L’employeur met en oeuvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° Eviter les risques ;
2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° Combattre les risques à la source ;
4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;
6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 ;
8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.”
Il incombe à l’employeur de démontrer avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1et L. 4121-2 du code du travail afin d’assurer l’effectivité de l’obligation de sécurité dont il est tenu.
A l’appui de sa demande de dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité, Mme [V] fait valoir qu’elle a été confrontée à une situation de surcharge de travail, de pression et à des propos négatifs susceptibles de fragiliser son avenir professionnel, voire une réorientation professionnelle, et produit pour en justifier un courrier de l’inspection du travail en date du 22 juillet 2013.
Ainsi que l’a justement relevé le premier juge, il résulte des échanges de courriels entre Madame [I] [V] et Madame [E] [H] les 15 et 16 juillet 2013 que Madame [I] [V] fait valoir auprès de sa hiérarchie qu’e1le est dans l’impossibilité de rejoindre [Localité 5], que le projet de réorganisation de la société 1’affecte, qu’elle demeure investie dans son travail et que les méthodes de travail et les propos de Madame [A] l’ont blessée et exerce sur elle une pression psychologique et qu’elle se sent mal.
C’est à bon droit qu’il a été retenu que, si les réponses de Madame [E] [H] à l’interpellation de Madame [I] [V] ne répondent pas aux exigences mises à la charge de l’employeur afin d’éviter les risques psycho- sociaux en lien avec le travail, il n’en demeure pas moins qu’à la suite d’un courrier de l’inspection du travail en date du 22 juillet 2013 appelant son attention sur les risques psycho-sociaux en lien avec la réorganisation, la SAS MA s’est engagée à enquêter sur cette situation et qu’une cellule psychologique a été mise en place.
Enfin, Mme [V] ne produit aucun élément médical de nature à démontrer qu’elle aurait subi un préjudice physique ou psychologique en relation avec le comportement de son employeur.
En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de la salariée de ce chef.
Sur les dommages et intérêts en lien avec l’exposition à l’amiante
Il ressort d’un rapport rédigé par l’APAVE le 18 juillet 2008 que des matériaux et produits contenant de l’amiante ont été localisés dans le faux plafond et le plafond en plaques ondulées fibres-ciment d’un entrepôt du site “Les Pins” situé à [Localité 4], des travaux de retrait ou de confinement dans un délai de 36 mois étant préconisés, le rapport précisant : “Compte tenu de l’état dégradé du faux plafond contenant de l’amiante stock1.2 et 3, nous vous conseillons de faire une analyse complémentaire avec un contrôle d’empoussièrement.”
A la suite d’une seconde visite, l’APAVE a relevé le 10 mars 2011 : “Un recensement amiante a été réalisé en 2008. L’état de conservation des faux-plafonds a été classé en 3, avec obligation de travaux dans les 36 mois. Les travaux n’ont pas été réalisés. Les faux-plafonds sont dégradés.”. Le rapport indiquait in fine en caractères gras : “Bien que les résultats d’empoussièrement ne montrent pas de présence d’amiante lors des prélèvements, les travaux d’enlèvement doivent être réalisés.”
Par courrier du 10 novembre 2011, la section syndicale FO de l’entreprise a alerté la direction sur la non réalisation des travaux préconisés par l’APAVE.
Par courrier en date du 16 novembre 2011, l’inspection du travail, destinataire de la copie de cette correspondance, a demandé au directeur de la société de lui faire parvenir l’évaluation du risque amiante, ainsi que l’analyse complémentaire de contrôle d’empoussièrement stocks 1, 2 et 3 et précisait : “Vous voudrez bien m’indiquer également pourquoi les travaux obligatoires avant fin juillet 2011 n’ont pas été effectués. Dans l’attente d’une régularisation de la situation, vous voudrez bien condamner l’accès à ces locaux en l’état.”
Un nouveau contrôle ayant donné lieu à un rapport du 31 janvier 2012 a noté que les niveaux d’empoussièrement en fibres d’amiante mesurés étaient inférieurs au seuil de référence de 5 fibres/litre d’air, tout en mentionnant que les faux-plafonds conservaient la cotation 3, nécessitant des “travaux à achever sous 36 mois à compter de la date de
remise des résultats du contrôle de l’état de conservation.”
S’agissant des locaux “Moulin de Canteret” situés sur le site de [Localité 4] , un contrôle de l’APAVE mené le 18 juillet 2008 a permis de constater la présence d’amiante, dans les dalles de sol et dans la colle, dans le local DP étage, le local de stockage matière première, au rez-de-chaussée, dans la salle de restaurant (dalles de sol et poteaux coffrage perdu), dans le mur extérieur bâtiment C2, le rez-de-chaussée bâtiment C2 notamment sur des dalles de sol, le rapport précisant : “Compte tenu de l’état dégradé des dalles de sol noires prélèvement n°10 dans les locaux produits finis et quai expédition, nous vous conseillons un enlèvement ou un recouvrement.
Compte tenu de l’état dégradé des dalles de sol gris clair prélèvement n°4 dans le bureau stockage matière première au 1er étage, nous vous conseillons un enlèvement ou un recouvrement.”
Par courrier du 31 octobre 2012, l’inspectrice du travail a écrit à l’employeur : “Le DTA indique la présence d’amiante dans les dalles (et/ou colle) de sol dans différentes parties de votre établissement.
Ces sols sont détériorés et la circulation quotidienne des salariés et matériels mécaniques (‘) l’amiante friable et permet l’émission de fibres dans l’atmosphère.
Vous devez sans délai, prendre des mesures conservatoires afin de préserver la santé des travailleurs.”
Ce courrier n’ayant reçu qu’une réponse partielle, un nouveau courrier était adressé le 24 janvier 2013 par l’inspection du travail, dans ces termes : “Le DTA indique la présence d’amiante dans les dalles (et/ou colle) de sol dans différentes parties de votre établissement.
Il vous appartient en conséquence de contrôler les niveaux d’empoussièrement en fibres d’amiante afin de garantir le respect des valeurs limites d’exposition et protéger les salariés (article R.4412-105 du code du travail).
Ces prélèvements doivent être faits sur des postes de travail en situation significative (article R.4412-107 du code du travail).
Vous voudrez bien m’adresser les résultats des contrôles d’empoussièrement.
Je vous rappelle que ces résultats doivent être communiqués aux membres du CHSCT et au médecin du travail (article R.4412-109 du code du travail).”
Plusieurs rapports d’essai de mesures d’empoussièrement en fibres d’amiante établis dans les locaux “Moulin de Canteret” les 29 janvier, 28 février, 19 avril 2013 ont mesuré un niveau inférieur à la valeur limite d’exposition professionnelle.
En revanche, à la suite d’une mission de repérage des matériaux et produits contenant de l’amiante avant démolition partielle, et à la constatation, de nouveau, de la présence d’amiante dans les dalles de sol, la colle, et le coffrage perdu de la salle de restaurant, un rapport établi le 4 avril 2013 par l’APAVE a conduit l’employeur à fermer l’entrepôt
du site “Moulin de Canteret” dès le 8 avril 2013.
La problématique de l’amiante dans les locaux a été régulièrement évoquée au cours de réunions du CHSCT.
Ainsi, le procès verbal de réunion du CHSCT du 25 février 2011, qui fait référence à la présence d’amiante dans les locaux des Pins précise qu’une mesure de prélèvement du niveau de fibre par litre d’air sera réalisée au plus vite.
Il ressort par ailleurs du projet de procès verbal de la réunion du CHSCT du 30 octobre 2012 produit aux débats par la salariée les mentions suivantes : “Les DTA réalisés en 2008 mentionnent la présence de plaques dégradées (dalles et colles), sans obligation de travaux. Aujourd’hui certaines plaques sont plus dégradées encore, dû au passage des chariots. M. [Z] (contrôleur Carsat) attire notre attention sur la situation qui devient alarmante et nous propose 3 solutions :
– ne rien faire jusqu’en 2013, jusqu’à la fin de notre bail et recouvrir d’une simple moquette ou lino,
– Retrait et immobilisations : travaux d’une durée minimum de 15 jours,
– Confinement : prendre des mesures conservatoires sur les circulations et faire réaliser les travaux par une entreprise spécialisée.
Par ailleurs, M. [Z] (contrôleur Carsat), précise qu’il faut informer les salariés et le personnel chargé du nettoyage des locaux, de ne plus utiliser le balai et prendre les mesures adéquates pour l’aspiration des poussières.
Le docteur [X] sera amené à ouvrir des fiches d’exposition amiante.”
Par délibération en date du 23 mai 2013, les membres du CHSCT se sont inquiétés des risques liés à l’amiante, soulignant : “dernièrement la fermeture de l’entrepôt de [Localité 4] par mesure préventive relative à l’amiante(…) souligne la persistance d’un risque grave pour la santé des salariés”, et rappelant que les fiches d’exposition amiante n’étaient toujours pas réalisées par l’employeur.
Par courrier en date du 3 juillet 2013, dans le cadre de la réorganisation de l’entreprise, l’employeur a sollicité du médecin du travail, le Docteur [X], que soient organisées des visites de fin de carrière pour ses salariés dans les termes suivants : “Ayant pour certains été exposés au cours de leur carrière chez Mod8 Aster, à la présence d’amiante dans leurs lieux de travail, nous nous permettons de vous solliciter afin d’organiser des visites de fin de carrière rendues obligatoires pour les salariés ayant été exposés à l’amiante durant leur carrière.”
De l’ensemble de ces éléments, il ressort que l’employeur n’a pas exécuté dans les délais impartis les travaux nécessaires pour prévenir à l’égard de ses salariés le risque d’être exposés à l’amiante dans des conditions susceptibles de mettre en cause gravement leur
santé.
Malgré les conclusions des rapports de l’APAVE, les mises en demeure de l’inspection du travail, les procès verbaux de délibération du CHSCT, et les courriers adressés par une organisation syndicale, aucune mesure n’a été prise par la société, hormis la fermeture des sites concernés, de plus tardivement, ce dont il résulte un manquement à l’obligation de sécurité imputable à l’employeur, en violation des articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail.
Il importe peu à cet égard que les taux d’amiante relevés n’aient pas excédé la valeur limite d’exposition professionnelle, ainsi que cela résulte du rapport de M. [J], expert commis par l’employeur, dès lors d’une part, que les conditions dans lesquelles les mesures ont été effectuées, en dehors de la présence des salariés, ne permettent pas d’en assurer la totale fiabilité, et que, d’autre part, l’exposition des salariés à l’amiante est avérée, seul l’empoussièrement à un taux élevé n’étant pas établi.
L’indemnisation du préjudice d’anxiété doit réparer l’ensemble des troubles psychologiques résultant de la connaissance d’un tel risque y compris ceux liés aux
bouleversements dans les conditions d’existence.
En l’espèce, il ne ressort pas des documents médicaux produits aux débats par Mme [V] que la paralysie faciale dont son fils a été atteint ait un lien quelconque avec l’exposition de la salariée à l’amiante au cours de sa grossesse. Elle-même ne justifie d’aucun trouble physique qui serait en relation avec son exposition à l’amiante.
En conséquence au vu des pièces produites, il est justifié par la salariée de l’existence d’un préjudice d’anxiété résultant de la connaissance du risque de développer une maladie induite par son exposition à l’amiante et résultant de ce risque et qu’il est en droit de prétendre à une indemnisation à ce titre pour réparer l’ensemble des troubles psychologiques dont elle peut être affectée.
Il lui sera alloué à ce titre la somme de 3000 euros que la cour considère comme étant la juste réparation de ce préjudice.
Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
Compte tenu de la décision intervenue, les dépens de première instance et d’appel seront laissés à la charge des sociétés MA et Groupe [O], avec distraction au profit de Me Maire, en ce qui concerne les seuls dépens d’appel, la représentation par ministère d’avocat n’étant pas obligatoire devant le conseil de prud’hommes.
Il est équitable d’allouer à Mme [V] la somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, que les sociétés MA et Groupe [O] seront condamnées in solidum à lui payer.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Infirme le jugement du conseil de prud’hommes de Bordeaux en date du 2 mars 2018 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a constaté que la SA Groupe [O] et la SAS MA sont co-employeurs de Madame [I] [V], et a débouté la salariée de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de prévention de la santé mentale des salariés ;
Statuant à nouveau des chefs réformés :
Prononce la nullité du Plan de sauvegarde de l’emploi ;
Condamne in solidum la SA Groupe [O] et la SAS MA à payer à Madame [I] [V] les sommes de :
– 25.476 euros à titre de dommages et intérêts ;
– 3000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice d’anxiété ;
Ordonne le remboursement in solidum par la SA Groupe [O] et la SAS MA aux organismes concernés des indemnités de chômage qu’ils ont versées le cas échéant à la salariée à compter du jour de son licenciement dans la limite de trois mois d’indemnité de chômage ;
Condamne in solidum la SA Groupe [O] et la SAS MA à payer à Madame [I] [V] la somme de 1.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum la SA Groupe [O] et la SAS MA aux dépens de première instance et d’appel, avec distraction de ces derniers au profit de Me Maire, dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.
Signé par Madame Nathalie Pignon, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A.-Marie Lacour-Rivière Nathalie Pignon