Stylisme : 13 juillet 2023 Cour d’appel de Toulouse RG n° 22/01674

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Stylisme : 13 juillet 2023 Cour d’appel de Toulouse RG n° 22/01674
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13/07/2023

ARRÊT N°2023/331

N° RG 22/01674 – N° Portalis DBVI-V-B7G-OYKQ

NB/LT

Décision déférée du 25 Avril 2022 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ALBI

( 20/00081)

J. CASSAGNES

Section encadrement

[V] [J]

C/

[K] [C]

Association CGEA DE [Localité 2]

INFIRMATION PARTIELLE

Grosse délivrée

le 13 juillet 2023

à Me LEONI, Me BESSE, Me LAFFONT

Ccc à Pôle Emploi

le 13 juillet 2023

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 1

***

ARRÊT DU TREIZE JUILLET DEUX MILLE VINGT TROIS

***

APPELANTE

Madame [V] [J]

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Laure LEONI, avocat au barreau D’ALBI

INTIM”ES

Maître [K] [C] agissant en qualité de liquidateur de la SAS [Y] INDUSTRIE

[Adresse 6]

[Localité 4]

Représenté par Me Dominique BESSE de la SELARL B2B AVOCATS, avocat au barreau D’ALBI

Association CGEA DE [Localité 2] UNEDIC

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Jean-françois LAFFONT, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 30 Mai 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant N. BERGOUNIOU, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles chargé du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

S. BLUM”, présidente

M. DARIES, conseillère

N. BERGOUNIOU, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

Greffier, lors des débats : C. DELVER

ARRET :

– CONTRADICTOIRE

– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

– signé par M. DARIES, conseillère, pour S. BLUM” présidente empêchée, et par C. DELVER, greffière de chambre

FAITS – PROCÉDURE – PRÉTENTIONS DES PARTIES

La société Pro CD [Y] Industrie est une société holding, spécialisée en fabrication de vêtements de dessus, et comporte trois filiales, dont deux sont situées en France, à [Localité 5] :

– la société [Y] Industrie,

– la société Manufacture des Teinturiers,

la troisième, la société Factory C, étant située au Maroc.

Mme [V] [J] a été embauchée à compter du 6 décembre 1995 par la société [Y] Industrie, en qualité de responsable d’ordonnancement, de lancement de collection et de suivi de production, suivant contrat de travail à durée indéterminée régi par la convention collective nationale de l’industrie et de l’habillement.

Par jugement du 20 octobre 2002, le tribunal de commerce d’Albi a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’encontre de la société [Y] Industrie.

Par jugement du 30 mars 2004, le tribunal de commerce d’Albi a adopté le plan de redressement de la société [Y] Industrie.

Par jugement du 1er octobre 2019, le tribunal de commerce d’Albi, saisi par M. [M] [Y] d’une demande de résolution du plan de redressement adopté le 30 mars 2004 en raison d’un nouvel état de cessation des paiements, a prononcé la résolution du plan de redressement et ouvert une procédure de liquidation judiciaire de la société [Y] Industrie, Maître [K] [C], de la SCP [C]-Bru étant désignée en qualité de liquidateur.

Par lettre recommandée du 2 octobre 2019, Maître [C] a convoqué Mme [J] à un entretien préalable à son licenciement, envisagé pour motif économique et fixé au 11 octobre 2019.

Par lettre du même jour, Maître [C] a consulté les sociétés Pro CD et Manufacture de Teinturiers au sujet des perspectives de reclassement des deux salariés de la société [Y] Industrie(Mme [V] [J] et M. [O] [Z]) au sein de ces deux structures.

Par courrier du 4 octobre 2019, la société Pro CD a informé le liquidateur de l’absence de poste vacant qui permettrait le reclassement de ces deux salariés.

Par courrier du même jour, la société Manufacture des Teinturiers a informé le liquidateur de la disponibilité d’un poste d’ouvrier polyvalent qui a été proposé à Mme [V] [J] et à M. [O] [Z] par lettre remise en main propre le 8 octobre 2019. M. [Z] a accepté cette proposition.

Son licenciement a été notifié à Mme [V] [J] par lettre recommandée du 15 octobre 2019 pour motif économique.

Mme [V] [J] a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle (CSP) le 2 novembre 2019.

Contestant son licenciement, Mme [V] [J] a saisi le conseil de prud’hommes d’Albi le 6 août 2020 pour entendre juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et demander le versement de dommages et intérêts.

Par jugement du 25 avril 2022, le conseil de prud’hommes d’Albi, section Encadrement, a :

– débouté Mme [J] de toutes ses demandes,

– dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,

– a condamné Mme [J] aux entiers dépens.

***

Par déclaration du 29 avril 2022, Mme [J] a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 27 avril 2022, dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas contestées.

***

Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 22 juillet 2022, Mme [V] [J] demande à la cour et de :

– déclarer son appel recevable,

– infirmer la décision entreprise du 25 avril 2022 en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau.

A titre principal :

– juger que la société [Y] Industrie a volontairement fait échec à l’application de l’article L. 1224-1 du code du travail et des règles de reclassement,

– juger en conséquence que la SCP [C]-Bru, prise en la personne de Me [C] ès-qualités de mandataire liquidateur de la société [Y] Industrie a manqué à son obligation de reclassement,

– juger que la SCP [C]-Bru, prise en la personne de Me [C] ès qualités de mandataire liquidateur de la société [Y] Industrie a manqué à son obligation de reclassement en ne justifiant pas avoir effectué une recherche de reclassement au sein de la société Factory C.

– juger en conséquence que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

En réparation,

– fixer sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société [Y] Industrie à la somme de 80 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu’elle a subi.

A titre subsidiaire,

-juger que la cessation totale d’activité procède d’un choix stratégique du dirigeant de la société [Y] Industrie pour des motifs étrangers à ceux retenus par l’article L 1233-3 du code du travail,

– juger que la société [Y] Industrie est responsable des conséquences de sa légèreté blâmable lui ayant causé un préjudice.

En réparation,

– fixer sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société [Y] Industrie à la somme de 80 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu’elle a subi.

En tout état de cause :

– juger que la société [Y] Industrie a manqué à son devoir de formation et d’adaptation,

– fixer sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société [Y] Industrie à la somme de 4 800 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu’elle a subi.

– juger que l’arrêt à intervenir sera déclaré commun et opposable à l’AGS, dans la limite de sa garantie,

– condamner la SCP [C]-Bru, prise en la personne de Maître [C] ès qualités de mandataire liquidateur de la société [Y] Industrie à lui payer la somme de 2500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir, pour l’essentiel, que M. [Y] a volontairement provoqué la cessation de l’activité de la société [Y] Industrie en transférant toute son activité vers son autre filiale, la Sarl Manufacture des Teinturiers en prenant pour intermédiaire les sociétés Factory C et Seamtex ; que M. [Y], dirigeant des sociétés [Y] Industrie et Manufacture des Teinturiers, a, au moyen d’une fraude, fait échec au transfert du contrat de travail de Mme [J] vers la société Manufacture des Teinturiers ; qu’il a, en revanche, proposé à la salariée de conserver la même activité sous le statut d’autoentrepreneur ; que sa volonté d’externaliser les missions de Mme [J] pour lui faire adopter un statut précaire constitue un échec au transfert du contrat de travail ; qu’au demeurant, la Sarl Manufacture des Teinturiers a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 8 mars 2022, Maître [C] étant également désignée en qualité de liquidateur, alors que M. [Y] a créé, le 8 novembre 2021, la société Casper ayant exactement la même activité ; que contrairement à ce que soutient le dirigeant de la société, M. [Y] n’a pas perdu son client Eden Park qui a souhaité travailler avec la société Manufacture des Teinturiers après la liquidation judiciaire de la société [Y] Industrie : que Mme [J], qui travaillait indistinctement pour les deux structures, a continué à travailler sur la collection Eden Park après la liquidation judiciaire de la société [Y] Industrie ; que le mandataire liquidateur a manqué à son obligation de reclassement en n’effectuant pas de recherches au sein de la société Factory C ; qu’en tout état de cause, la cessation d’activité de la société [Y] Industrie procède d’une légèreté blâmable de l’employeur et n’est donc pas loyale; que la société employeur à manqué à son obligation de formation et d’adaptation à l’emploi, ce qui lui a causé un préjudice.

***

Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 21 octobre 2022, Maître [K] [C], ès qualités de liquidateur de la société [Y] Industrie, demande à la cour de :

A titre principal :

– confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a :

* débouté Mme [J] de toutes ses demandes,

* condamné Mme [J] aux entiers dépens.

– infirmer le jugement dont appel en ce qu’il a dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile.

Statuant à nouveau,

– condamner Mme [J] à lui payer une somme de 3 500,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

A titre subsidiaire :

– limiter l’indemnisation de Mme [J] à trois mois de salaire.

Elle soutient que les conditions de transfert du contrat de travail de Mme [J] à la société Manufacture des Teinturiers ne sont pas réunies en l’espèce ; que le contrat de travail de M. [Z] n’a pas été transféré dans le cadre de l’article L. 1224-1 du code du travail, mais dans celui d’un reclassement au sein du groupe; que Mme [J] ne rapporte pas la preuve que le client Eden Park avait une importance particulière dans le chiffre d’affaires de la société [Y] Industrie et a été transféré au bénéfice de la société Manufacture des Teinturiers; que les enregistrements sonores de conversations entre la salariée et son employeur, à l’insu de ce dernier, doivent être écartés comme éléments de preuve obtenus au moyen d’un procédé déloyal; que la sommation interpellative du 3 mars 2021 produite par la salariée doit également être écartée des débats, l’huissier de justice instrumentaire ayant outrepassé ses fonctions; que Mme [J] ne démontre pas avoir continué à travailler après la liquidation judiciaire de l’entreprise, ni que l’entité économique autonome constituée par la société [Y] Industrie a conservé son identité au sein de la société Manufacture des Teinturiers; que le licenciement de Mme [J] repose sur une cause réelle et sérieuse, et que le liquidateur a loyalement respecté son obligation de reclassement; que Mme [J] ne rapporte pas la preuve d’une faute ou légèreté blâmable commise par M. [Y]; que la société employeur n’a pas manqué à son obligation de formation, le poste occupé par la salariée n’ayant pas subi d’évolution technologique ou de mutation nécessitant une adaptation.

***

Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 18 octobre 2022, l’association CGEA [Localité 2] Unedic demande à la cour de :

– prendre acte que l’AGS demande à la cour de noter son intervention,

– que s’agissant de l’intervention forcée de l’AGS, l’action ne peut avoir d’autre objet que l’inscription des créances salariales et que cette action ne peut que rendre le jugement commun à l’AGS sans condamnation directe à son encontre.

– que l’arrêt à intervenir ne lui sera opposable que dans les limites des conditions légales d’intervention de celle-ci en vertu des articles L 3253-17 et D 3253-5 du code du travail.

Et statuant :

– confirmer le jugement dont appel,

– débouter Mme [J] de toutes ses autres demandes,

– subsidiairement, réduire d’éventuels dommages et intérêts.

En tout état de cause

– mettre l’AGS hors de cause en ce qui concerne la demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– statuer ce que de droit quant aux dépens.

***

La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance en date du 19 mai 2023.

***

Il est fait renvoi aux écritures pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

– Sur le transfert du contrat de travail de la salariée en vertu des dispositions de l’article L. 1224-1 du code du travail :

Ce texte, interprété à la lumière de la directive n° 2001/23/CE du 12 mars 2001, s’applique en cas de transfert d’une entité économique autonome qui conserve son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise. Constitue une entité économique autonome un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels ou incorporels poursuivant un objectif économique propre. Le transfert d’une telle entité se réalise si des moyens corporels ou incorporels significatifs et nécessaires à l’exploitation de l’entité sont repris, directement ou indirectement, par un nouvel exploitant.

Le transfert d’une entité économique autonome s’opère à la date à laquelle le nouvel exploitant est mis en mesure d’assurer la direction de cette entité.

En l’espèce, Mme [J] soutient que l’activité de la société [Y] Industrie a été transférée à la société Manufacture des Teinturiers, les deux sociétés ayant le même dirigeant et appartenant au même groupe.

Il est constant qu’à la date du prononcé de la liquidation judiciaire, la société [Y] Industrie avait deux salariés (Mme [J] et M. [Z]).

Le contrat de travail de M. [O] [Z] a été non pas transféré à la société Manufacture des Teinturiers, mais lui a été proposé dans le cadre du reclassement, cette même proposition ayant été adressée à Mme [V] [J].

La société Manufacture des Teinturiers a elle-même été placée en liquidation judiciaire par jugement du 8 mars 2022.

Concernant le client Eden Park, client important de la société [Y] Industries, il n’est pas établi par les pièces versées aux débats qu’il était le seul partenaire de cette dernière, ni même qu’il représentait une part prépondérante de son chiffre d’affaires. S’il n’est pas contesté qu’il a continué à adresser des commandes à [Y] Industrie au cours du mois de septembre 2019, il a, lorsqu’il a pris connaissance de la procédure de liquidation judiciaire de celle ci, émis des réticences quant à son souhait de travailler avec la société Manufacture des Teinturiers (pièce n° 28 de Mme [J]).

Il s’ensuit que les dispositions de l’article L. 1224-1du code du travail n’avaient pas vocation à s’appliquer en l’espèce.

– Sur le licenciement :

Le salarié licencié, en vertu d’une autorisation du juge commissaire ou par décision du tribunal de commerce, est recevable à contester la cause économique de son licenciement lorsqu’il prouve que cette décision résulte d’une fraude.

La charge de la preuve d’une fraude repose sur celui qui l’invoque.

Mme [J] verse aux débats la retranscription par un huissier de justice de conversations ayant eu lieu entre elle et son employeur les 30 septembre, 1er et 4 octobre 2019, enregistrées à l’insu de son employeur (pièce n° 41).

Ces enregistrements sonores constituent a priori un mode de preuve illicite devant la juridiction prud’homale, car contraire au principe de loyauté dans l’administration de la preuve.

Cependant, l’illicéité d’un moyen de preuve, au regard du principe de loyauté du salarié, n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier l’utilisation de cette preuve en mettant en balance le principe de loyauté et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments obtenus en méconnaissance du principe de loyauté à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

Il n’y a donc pas lieu de rejeter cette pièce des débats.

En l’espèce, le procès verbal de constat (pièce n° 40) indique que ‘Mme [J] me remet une clé USB . J’introduis cette dernière dans mon ordinateur portable et ouvre le contenu.

Je constate que cette dernière contient six fichiers de type mp3…

Je copie les six fichiers audio susvisés sur mon ordinateur de marque Microsoft Laptop dans un dossier intitulé 02.02.2021Mme [J] clé USB afin de les conserver et dresser le présent procès verbal.’

L’huissier précise en outre la durée de chaque enregistrement.

Il ressort des enregistrements susvisés que M. [Y] affirme à Mme [J] avoir besoin d’elle et poursuit : ‘On peut, sans que tes droits en soient touchés, tu peux travailler, c’est très simple, c’est un truc à signer [le CSP], tu peux travailler en tant que auto-entrepreneur pour l’entreprise à la semaine…

Ce serait une pirouette qui te permettrait d’être là et sans comptabilité de merde, machin, c’est un truc très très simple …

Moi, je te le dis, mon objectif c’est qu’on puisse redémarrer sainement…Je vais trouver une solution pour trouver de l’argent et continuer…

Alors, évidemment, si au mois de février, il y a un trou, tu ne viens pas travailler, c’est autant d’allégé pour l’entreprise, et à la place, c’est le chômage qui te paie, tu vois, c’est des choses comme ça que je cherche…'(enregistrement n° 2 du 30/09/2019).

Auto-entrepreneur, c’est une façade, c’est un moyen de pouvoir facturer, c’est pas, c’est pas…(enregistrement n°5 du 1er octobre 2019).

M. [Y] a par ailleurs reconnu, sur sommation interpellative d’huissier du 3 mars 2021, avoir proposé à Mme [J] de continuer à travailler pour le compte de la société Manufacture des Teinturiers en qualité d’autoentrepreneur (pièce n° 29).

Il résulte par ailleurs des nombreuses productions de la salariée que :

– le client Eden Park a finalement accepté de continuer à travailler avec la société Manufacture des Teinturiers après la liquidation judiciaire de la société [Y] Industrie pour préparer la collection de l’hiver 2020 et de l’été 2021 (pièces n° 34 de 35),

– Mme [J] a continué à travailler en qualité de styliste pour préparer la collection Eden Park 2020 après le prononcé de la liquidation judiciaire de la société [Y] Industrie (pièce n°19 de l’intimée),

– deux ans après la liquidation judiciaire de la société [Y] Industrie, le 8 novembre 2021, M. [M] [Y] a créé une autre société, la société Casper, dont le siège social est situé à l’adresse des sociétés [Y] Industrie et Manufacture des Teinturiers (pièce n° 37).

La cour remarque par ailleurs que le mandataire liquidateur et le CGEA ne produisent aucun élément pertinent concernant la situation économique de la société [Y] Industrie à la date de résolution du plan de redressement.

Dès lors, la cessation des paiements de la société [Y] Industrie résulte d’un choix délibéré de l’employeur qui a privé l’entreprise de toute activité lucrative pour la transférer sur ses autres sociétés (Manufacture des Teinturiers, Factory C au Maroc, Seamtex en Tunisie). La société [Y] Industrie a ainsi organisé activement sa propre cessation totale d’activité. Ces agissements sont constitutifs d’une fraude.

Il ressort de l’ensemble des observations qui précèdent que le licenciement de Mme [V] [J], prononcé pour motif économique, sera jugé sans cause réelle et sérieuse, par infirmation sur ce point du jugement déféré.

– Sur les conséquences du licenciement :

A la date de la rupture du contrat de travail, Mme [V] [J] , âgée de 53 ans, avait une ancienneté dans l’entreprise, employant moins de dix salariés, de près de 24 ans et percevait un salaire mensuel de 3 550,86 euros. Elle a droit à des dommages et intérêts résultant de l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, calculs en application de l’article L. 1235-3 du code du travail, et que la cour estime devoir fixer à la somme de 21 305 euros représentant l’équivalent de 6 mois de salaire brut.

Cette somme sera inscrite au passif de la liquidation judiciaire de la société [Y] Industrie.

– Sur l’obligation de formation et d’adaptation :

En application de l’article L. 6321-1 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, l’employeur assure l’adaptation des salariés leur poste de travail. Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations. Il peut proposer des formations qui participent au développement des compétences y compris numériques, ainsi qu’à la lutte contre l’illetrisme, notamment des actions d’évaluation et de formation permettant l’accès au socle de connaissances et de compétences défini par décret. Les actions de formation mises en oeuvre à ces fins sont prévues, le cas échéant, par le plan de développement des compétences mentionné au 1° de l’article L. 6312-1.

Il est en l’espèce constant que la société employeur n’a pas proposé à Mme [J] d’action de formation, peu important que la salariée n’ait formé aucune demande sur ce point.

La salariée verse aux débats un courrier de Pôle Emploi du 13 mai 2022 ainsi rédigé : ‘Nous avons reçu le bilan de la PMSMP que vous avez réalisé chez Atelier Vezes Publicité. Votre tuteur de stage indique que vous avez des compétences et que vous avez besoin d’une formation d’infographiste pour exercer ce métier, il précise également la nécessité de maîtriser parfaitement le logiciel Illustrator.’

Du fait de la carence de la société [Y] Industrie à dispenser à Mme [J] une quelconque formation, concernant notamment l’adaptation aux nouvelles technologies, la salariée a subi un préjudice distinct qu’il convient de réparer par l’allocation d’une somme de que la cour estime devoir fixer à 4 800 euros (soit 200 euros par année d’ancienneté).

Cette somme sera également inscrite au passif de la liquidation judiciaire de la société [Y] Industrie.

– Sur la garantie de l’AGS :

Le présent arrêt sera déclaré opposable au CGEA-AGS, dans la limite des plafonds de garantie applicables.

– Sur les autres demandes :

Maître [C], ès qualités de liquidateur de la société [Y] Industrie, qui succombe, sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d’appel et déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles.

Eu égard à la liquidation judiciaire de la société [Y] Industrie, aucune considération particulière d’équité ne commande qu’il soit fait application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de Mme [J].

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu’il a dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,

Et, statuant de nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,

Dit que le licenciement de Mme [V] [J] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Dit que la société [Y] Industrie a manqué à son obligation de formation et d’adaptation à l’emploi.

Fixe comme suit la créance de Mme [V] [J], à inscrire au passif de la liquidation judiciaire de la société [Y] Industrie :

– 21 305 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,

– 4 800 euros pour manquement de l’employeur à son obligation de formation et d’adaptation à l’emploi.

Déboute les parties de toutes leurs autres demandes.

Déclare le présent arrêt opposable au CGEA- AGS, dans la limite des plafonds de garantie applicables.

Condamne Maître [K] [C], ès qualités de liquidateur de la société [Y] Industrie, aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Le présent arrêt a été signé par M. DARIES, conseillère, pour S. BLUM”, présidente empêchée et C. DELVER, greffière empêchée.

La greffière P/La Présidente empêchée,

La Conseillère

C. DELVER M. DARIES

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