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19 janvier 2023
Cour d’appel d’Aix-en-Provence
RG n°
20/04018
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-5
ARRÊT AU FOND
DU 19 JANVIER 2023
N° 2023/
GM
Rôle N° RG 20/04018 – N° Portalis DBVB-V-B7E-BFYJG
[P] [C]
C/
Association LORENCEL
Copie exécutoire délivrée
le : 19/01/23
à :
– Me Gilles GARENCE, avocat au barreau de NICE
– Me Rosanna LENDOM, avocat au barreau de GRASSE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de grasse en date du 13 Février 2020 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 19/00410.
APPELANTE
Madame [P] [C], demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Gilles GARENCE, avocat au barreau de NICE
INTIMEE
Association LORENCEL
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/006631 du 29/10/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE), demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Rosanna LENDOM, avocat au barreau de GRASSE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Gaëlle MARTIN, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre
Monsieur Antoine LEPERCHEY, Conseiller
Madame Gaëlle MARTIN, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Karen VANNUCCI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 19 Janvier 2023.
ARRÊT
contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 19 Janvier 2023.
Signé par Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre et Mme Karen VANNUCCI, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS ET PROCÉDURE
L’association Lorencel est une association dont l’objet est notamment : « la création, production, promotion et représentation des spectacles vivants sous toutes leurs formes en France et à l’étranger ».
Depuis le mois de janvier 2015, la compagnie a produit la pièce de théâtre intitulée “pestes” à de nombreuses reprises dans de nombreux lieux privés ou publics et notamment des théâtres.
Mme [P] [C] avait bénéficié de contrats de travail à durée déterminée et de salaires.
Mme [P] [C], comédienne, jouait dans cette pièce. A ces occasions, elle a été rémunérée et recevait les attestations d’employeur, les fiches de paie, avec déclarations fiscales correspondantes.
Mme [P] [C] ensuite été sollicitée pour jouer cette pièce, toujours pour l’association Lorencel, pour le « festival off d'[Localité 3] » qui s’est déroulé au mois de juillet 2017.
L’association Lorencel a organisé la programmation de la pièce « pestes » avec interprétation de Mesdames [U], [B], [B], [C] au Théâtre de la Tache d’encre en [Localité 3] du 7 au 30 juillet 2017, avec relâches (journées sans représentation) les 13, 20 et 27 juillet.
Avant le début du festival off d'[Localité 3] 2017, Mme [F] [S] a effectué le 28 juin 2017 une déclaration préalable à l’embauche de Mme [P] [C] auprès de l’Urssaf pour des embauches les 10 juin 2017 et 7 juillet 2017.
L’association Lorencel n’a versé aucun rémunération à Mme [P] [C].
L’association Lorencel a décidé sa dissolution et sa mise en liquidation amiable après avoir attribué le patrimoine à Madame [F] [S]. Mme [F] [S] était désignée liquidatrice de l’association.
Par requête enregistrée le 29 juin 2018, Mme [P] [C] a saisi le conseil de prud’hommes de Grasse.
Par jugement rendu le 13 février 2020, le conseil de prud’hommes de Grasse a :
– déclaré le conseil de prud’hommes compétent en ce que la relation entre les parties relève de l’existence d’un contrat de travail,
– débouté Mme [P] [C] de toutes ses demandes,
– débouté l’association Lorencel de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code procédure civile,
– laissé à a chaque partie la charge de ses propres dépens.
Le 16 mars 2020, Mme [P] [C] a interjeté appel de cette décision dans des formes et délais qui ne sont pas critiqués.
L’appel de Mme [P] [C] est limité aux chefs de jugement expressément critiqués suivants :
– déboute Mme [P] [C] de toutes ses demandes,
– laisse à chaque partie la charge de ses dépens.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 3 novembre 2022.
MOTIFS
Par conclusions notifiées par voie électronique le 15 juin 2020, Mme [P] [C] demande à la cour de :
– infirmer le jugement en ce qu’il déboute Mme [P] [C] de ses demandes,
et statuant à nouveau,
– condamner l’association Lorencel et à défaut Madame [F] [S] sa liquidatrice amiable à verser à Mme [P] [C] :
– 2 457 euros à titre de salaire de juillet 2017
– 1113,56 euros de remboursement de frais de déplacement engagés durant le festival d'[Localité 3] off en juillet 2017
– 2 500 euros de dommages et intérêts à titre de réparation des préjudices économique et moral
– 2 457 euros d’indemnisation pour non délivrance du contrat de travail pour le mois de juillet 2017
– 14 742 euros d’indemnisation pour travail dissimulé
– 2 200 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
– condamner l’association Lorencel et à défaut Madame [F] [S] sa liquidatrice amiable à remettre à Mme [P] [C] :
– attestation employeur mensuelle destinée au Pôle Emploi
– certificat d’emploi destiné aux congés spectacles
– bulletin de paie correspondant au mois de juillet 2017
– le contrat de travail concernant le mois de juillet 2017
– Ordonner la capitalisation des intérêts au taux légal et ce à compter de la saisine de la juridiction de première instance.
Sur les exceptions d’incompétence matérielle du conseil de prud’hommes soulevées par l’intimée, l’appelante répond qu’il existait une relation contractuelle de travail entre elle et l’association Lorencel. La juridiction prud’homale était bien compétente.
Sur sa demande de rappel de salaires, Mme [P] [C] affirme qu’il existe une présomption de salariat pour l’artiste qui prête son concours à la réalisation d’un spectacle. C’est le cas de Mme [P] [C] en l’espèce. La juridiction constatera que Mme [P] [C] a été employée par l’association Lorencel qui a abusé de son pouvoir de direction et abusé la confiance de Mme [P] [C] dans la mesure où celle-ci était censée être rémunérée pour les prestations effectuées.
L’appelante soutient encore qu’elle n’a jamais renoncé à percevoir son salaire de juillet. L’association Lorencel a procédé à des déclarations préalables à l’embauche pour la période du festival off d'[Localité 3] 2017 pour chacune des trois comédiennes dont Mme [P] [C]. De ce fait, la salariée a été rassurée sur l’exécution de son contrat de travail avant même le début des prestations en [Localité 3]. Cette déclaration préalable à l’embauche n’est pas compatible avec une prétendue intervention à titre bénévole de Mme [P] [C]. Le salaire étant la contrepartie du travail, l’employeur a l’obligation de le payer dès lors que le travail a été effectué.
Sur sa demande en paiement au titre de 19 représentations avec un cachet de 117 euros bruts, l’appelante soutient que l’association Lorencel ne lui a versé aucune rémunération.
Sur sa demande de dommages-intérêts au titre de ses préjudices économiques et moraux, la salariée fait valoir que l’inexécution par l’employeur de ses obligations contractuelles autorise son salarié à solliciter l’exécution forcée de ses obligations mais l’article 1217 du code civil autorise aussi le salarié à réclamer le paiement de dommages-intérêts afférents.
Sur sa demande en remboursement des frais de déplacement de juillet 2017, la salariée fait valoir qu’elle n’a jamais renoncé au remboursement de ces frais et que, d’autre part, les prétendues pertes de l’association ne sont en aucun cas démontrées. Elle ajoute que le principe de remboursement des frais est d’ordre public, une clause contractuelle ne pouvant décider qu’une charge incombant à l’employeur sera assumée par le salarié.
Sur sa demande d’indemnisation pour absence de signature d’un contrat de travail, la salariée indique qu’elle n’a jamais disposé, ni a fortiori signé de contrat de travail pour ses prestations au festival off d'[Localité 3] en juillet 2017. Mme [P] [C] est bien fondée à solliciter la somme de 2 223 euros équivalente à un mois de salaire, à titre d’indemnisation.
Sur sa demande d’indemnité pour travail dissimulé, Mme [P] [C] fait valoir que l’association Lorencel s’est rendue coupable des faits récriminés par l’article l 8221-5 du code du travail en ne respectant pas ses obligations de paiement de salaires, de délivrance de bulletins de paie, et évidemment en ne déclarant aucune somme à titre de salaire dans sa relation contractuelle avec Mme [P] [C]. Il y a eu une déclaration préalable à l’embauche faite, il y aurait dû automatiquement y avoir paiement des salaires. Tel n’a pas été le cas.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 29 juin 2020, l’association Lorencel demande à la cour de :
– débouter l’appelante de ses moyens, fins et conclusions,
– réformer le jugement dont appel et statuant à nouveau,
in limine litis
– juger que la relation entre les parties ne relève pas d’un contrat de travail,
– juger que le Conseil de prud’hommes de Grasse était incompétent au profit du Tribunal de commerce d’Antibes,
en conséquence,
juger que la Chambre sociale est incompétente pour connaître de l’appel interjeté,
renvoyer Mme [P] [C] à mieux se pourvoir devant le tribunal de commerce d’Antibes.
in limine litis et à titre subsidiaire,
juger que la relation entre les parties ne relève pas d’un contrat de travail,
juger que le conseil de prud’hommes de Grasse était incompétent au profit du tribunal de grande instance de Grasse,
en conséquence,
juger que la chambre sociale est incompétente pour connaître de l’appel interjeté,
renvoyer Mme [P] [C] à mieux se pourvoir devant le tribunal de grande instance de Grasse
en toute hypothèse,
débouter Mme [P] [C] de l’ensemble de ses moyens, fins et conclusions,
Condamner Mme [P] [C] à 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et de l’article 37 de la loi de 1991 relative à l’aide juridictionnelle, outre les entiers dépens.
Sur sa demande tendant à l’incompétence du conseil de prud’hommes au profit du tribunal de commerce d’Antibes, l’employeur rappelle que l’article L 7121-3 du code du travail dit que « tout contrat » relatif au concours qu’un artiste apporte à un spectacle « est présumé être un contrat de travail » dès lors, ajoute-t-il, « que cet artiste n’exerce pas l’activité, objet du contrat, dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce ». Cette exception prévue par la loi elle-même révèle que les parties peuvent échapper à la conclusion implicite ou explicite d’un contrat de travail dans d’autres cas.
Le projet en cause avait été monté par une équipe artistique, participant ainsi aux risques de l’entreprise de spectacles en cause, ayant ainsi accepté de contribuer à ses pertes comme à ses bénéfices Les acteurs concernés avaient formé une société en participation née d’un affectio societatis partagé.
Solidaires, les actrices étaient toutes devenues coentrepreneurs de spectacles. Dès lors, si leur activité entrepreneuriale pouvait s’exercer sans inscription du fait du cadre juridique choisi, la société en participation, il n’en restait pas moins que, par nature, cette activité « impliquait » ladite inscription. A ce titre, la chambre sociale dans son arrêt du 31 oct. 1991 fait figure de modèle en recherchant si la volonté des intéressés de se comporter en coentrepreneurs de spectacles est réelle, ce qui reste l’option ouverte par l’art. L. 7121-3.
Outre que le propre d’une société en participation est bien de ne pas être immatriculée tout en développant une activité commerciale, on rejoint une logique irréfutable du droit commercial selon laquelle la détermination de la nature de l’activité exercée ne dépend pas de la seule immatriculation (ou non immatriculation) au registre du commerce, les juges gardant une possibilité de contrôle et de requalification éventuelle.
In limine litis et à titre subsidiaire, sur l’incompétence du conseil de prud’hommes au profit du tribunal de grande instance de Grasse, l’intimée soutient que le bénévolat constitue un engagement libre et sans contrepartie de quelque nature que ce soit, dans le cadre d’un contrat moral. Le bénévole participe à l’animation et au fonctionnement d’un organisme d’intérêt général, en dehors de tout lien de subordination.
En présence d’un éventuel conflit de qualification, les juges doivent veiller à l’impératif de protéger le milieu associatif et d’éviter des requalifications excessives de situations réelles de bénévolat. Les deux traits principaux du bénévolat sont l’absence de contrepartie et l’intention libérale. La juridiction prud’homale était incompétente car il convient de retenir la qualité de membre bénévole de l’association de Mme [P] [C], qui était nécessairement appelée à participer, par l’apport de ses connaissances, de son industrie, à la réalisation de son l’objet.
A titre subsidiaire sur l’absence de relation de salariat, l’association Lorencel fait valoir que la reconnaissance d’une relation de salariat impose que soit constatée l’existence d’un lien de subordination. C’est à celui qui se prétend lié par une relation de salariat de démontrer l’existence d’un lien de subordination. Or, la demanderesse ne produit aucun élément probant justifiant d’une relation de salariat. Et pour cause, il a parfaitement été démontré que l’association n’a permis qu’une seule chose : permettre à la demanderesse de réaliser un rêve consistant à jouer une pièce dans le cadre du festival d'[Localité 3].
MOTIFS
-Sur la demande de l’intimée de rejet des conclusions et pièces de l’appelante notifiées la veille de l’ordonnance de clôture :
L’article 16 du code de procédure civile dispose : Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement.Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.
L’appelante a notifié le 2 novembre 2022 à l’intimée de nouvelles pièces (pièces 17 à 21) et de nouvelles conclusions (« conclusions d’appelant n°2 »), soit la veille de l’ordonnance de clôture.
L’intimée a répliqué en notifiant le 6 novembre 2022, soit trois jours après l’ordonnance de clôture, de nouvelles conclusions (« conclusions en appel n°2 »).
Les conclusions tardives de l’appelante notifiées la veille de l’ordonnance de clôture, doivent être rejetées, en ce qu’elles ne respectent pas le principe du contradictoire. La date à laquelle elles ont été notifiées ne permettait pas à l’intimée de répliquer éventuellement et ce avant l’ordonnance de clôture. Il en est de même s’agissant des nouvelles pièces 17 à 21.
Pourtant, l’intimée avait notifié ses conclusions le 29 juin 2020 de sorte que l’appelante avait largement le temps de reprendre des conclusions nouvelles et de communiquer des pièces avant l’ordonnance de clôture du 3 novembre 2022.
Faisant droit à la demande de l’intimée, il y a lieu de rejeter les conclusions de l’appelante notifiées le 2 novembre 2022 ainsi que ses pièces numérotées 17 à 21.
La cour ne prendra en considération que les seules conclusions de l’appelante notifiées le 15 juin 2020.
En outre, compte tenu de l’ordonnance de clôture intervenue le 3 novembre 2022, la cour rejette également les conclusions de l’intimée notifiées le 6 novembre 2022. La cour ne se fondera que sur les seules conclusions et pièces de l’intimée notifiées à la partie adverse le 29 juin 2020.
-Sur les exceptions d’incompétence d’attribution de la juridiction prud’homale soulevées par l’intimée
1-Sur la compétence matérielle de la juridiction prud’homale pour se prononcer sur l’existence du contrat de travail invoqué
Le conseil de prud’hommes a compétence exclusive pour se prononcer sur l’existence du contrat de travail.
Il convient en conséquence de rejeter l’exception d’incompétence matérielle soulevée par l’association Lorencel concernant les demandes relatives à l’existence ou non d’un contrat de travail entre les parties.
Confirmant le jugement, il y a lieu de déclare la chambre sociale matériellement compétente pour connaître des demandes relatives à l’existence ou non d’un contrat de travail entre les parties.
2-Sur la compétence matérielle de la juridiction prud’homale pour se prononcer sur les autres demandes
L’article L 1411-1 du code du travail dispose : Le conseil de prud’hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient.Il juge les litiges lorsque la conciliation n’a pas abouti.
L’article L 7121-3 du même code ajoute : Tout contrat par lequel une personne s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un artiste du spectacle en vue de sa production, est présumé être un contrat de travail dès lors que cet artiste n’exerce pas l’activité qui fait l’objet de ce contrat dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce.
En l’espèce, si l’appelante se prévaut de la présomption de salariée en qualité d’artiste du spectacle, l’intimée répond qu’elle ne bénéficie pas de ladite présomption, ayant effectué sa prestation dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce.
La présomption de salariat s’applique si l’artiste n’exerce pas son activité dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce.
Cependant, il ne ressort pas des pièces versées de part et d’autre qu’il était prévu, en particulier, que Mme [P] [C] participe aux risques financiers de l’exploitation du spectacle. De même, rien ne permet de dire qu’une société s’était constituée entre l’association Lorencel et l’artiste impliquant un partage des bénéfices et des pertes. Les courriels échangés entre les parties évoquent seulement la question de la rémunération ou non et des modalités de prise en charge de certains frais. Aucun élément ne démontre que Mme [P] [C] se comportait comme exerçant une profession indépendante. Ainsi, dans un courriel du 2 mai 2017, l’association Lorencel donne des indications sur les frais pris en charge. Elle ajoute : « Pour info : le budget d'[Localité 3] est d’environ 12 000 euros (sans salaire), c’est vous dire si l’enjeu est de taille ». Cependant, elle n’ajoute pas que s’il y avait des pertes, Mme [P] [C] devrait les supporter. Elle n’évoque pas non plus la question d’un partage des bénéfices éventuels. Au contraire, l’association Lorencel garantit la prise en charge de « l’hébergement et le carburant de deux véhicules pour le trajet ».
En l’espèce, l’association Lorencel ne démontre pas suffisamment que Mme [P] [C] exerçait sa prestation de comédienne dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce.
Il y a lieu d’examiner si les conditions d’application de la présomption de salariat sont en l’espèce réunies, Mme [P] [C] en invoquant le bénéfice.
Il résulte des pièces produites et des écritures des parties que l’association Lorencel s’est assurée le concours de l’artiste Mme [P] [C] en vue de la production de la pièce « Pestes »au « Théâtre de la Tache d’encre » en [Localité 3] du 7 au 30 juillet 2017 avec relâches (journées sans représentation) les 13, 20 et 27 juillet.
La condition relative au concours de l’artiste en vue du spectacle est acquise
S’agissant de la condition relative à la rémunération de l’artiste, les parties versent les pièces suivantes :
– un courriel du 2 mai 2017 adressé par l’association Lorencel aux comédiennes de la pièce « Pestes » : « Pour info : le budget d'[Localité 3] est d’environ 12 000 euros (sans salaire), c’est vous dire si l’enjeu est de taille »
– un courriel en réponse du 3 mai 2017, de l’une des comédiennes, Mme [P] [C] : « En ce qui concerne les frais c’est noté et si j’ai bien compris il faut qu’on dépasse les 12 000 euros de recettes (avec Pestes et Adrienne) et à partir de là tous les frais étant payés on peut espérer un cachet par exemple ‘ »
– un courriel du 22 juin 2017 de l’association Lorencel : « Je dois anticiper les paies de juin, que faites vous finalement ‘ Sachant qu’il est impossible à ce jour de garantir un cachet à [Localité 3] ni après. »
– un courriel du 24 juin 2017 de l’une des comédiennes : « Ainsi mail mal formulé, mal compris, donc mal interprété puisqu’au final même si nous espérons tous le contraire et nous mettrons tout en ‘uvre pour, nous savons toutes cinq que ça va être difficile et qu’il n’y a aucune garantie. D’ailleurs, tu l’écris bien clairement dans ton dernier mail ».
– un courriel daté du 23 juin 2017 de l’une des actrices : « Coucou [F], nous avons bien pris en compte les messages précédents. Etant donné que personne ne souhaite compléter le montant du cachet et compte tenu qu’il n’est pas sur qu’on puisse le récupérer par la suite…serait il possible de faire exception et que tu nous déclares nos heures (les charges) avec le montant qui nous est attribué ‘ C’est ce qui avait été proposé au départ et qui convenait le mieux à toutes. On prendra pas ce chèque. Et s’il nous reste quelque chose, on pourrait le passer en défraiement pour manger ou boire un coup en [Localité 3]. Nous étions toutes OK pour cette alternative. »
Il résulte de cet échange de courriels que la question d’une rétribution de l’artiste avait été évoquée avant le festival de théâtre. L’association Lorencel n’a pas complètement exclu cette possibilité, faisant au contraire dépendre la question de la rémunération des gains à percevoir au cours du festival.
L’association Lorencel avait au surplus procédé à une déclaration préalable à l’embauche de la salariée ainsi qu’un courrier de l’Urssaf du 2 novembre 2018 l’établit. L’urssaf indique : « Concernant Mme [P] [C], une déclaration a été effectuée le 28 juin 2017 à 11h42 pour une embauche le 10 juin 2017 à 8h00 et une autre déclaration a été effectuée le 28 juin 2017 à 11h43 pour une embauche au 7 juillet 2017 à 8h00. »
C’est à tort que l’association Lorencel soutient donc que Mme [P] [C] avait entendu faire du bénévolat.
La présomption de l’existence d’un contrat de travail subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération.
Mme [P] [C] démontre la réunion des conditions d’application de la présomption de salariat.
Confirmant le conseil de prud’hommes en ce qu’il a retenu sa compétence matérielle, il y a lieu de rejeter les exceptions d’incompétence matérielles soulevées par l’employeur.
Sur les demandes liées à l’exécution du contrat de travail
1-Sur la demande en paiement du salaire de juillet 2017
Alors que le paiement du salaire est une obligation de l’employeur, l’association Lorencel reconnaît ne pas avoir réglé une quelconque rémunération à Mme [P] [C] pour juillet 2017.
La salariée fournit une méthode de calcul de la contrepartie financière due, qui n’est pas sérieusement critiquée par l’association Lorencel et qui est correctement argumentée : 21 représentations x 117 euros bruts par cachet, soit une somme totale due de 2457 euros.
Infirmant le jugement, il y a lieu de condamner l’association Lorencel à payer à Mme [P] [C] la somme de 2457 euros bruts au titre du paiement du salaire de juillet 2017.
2-Sur la demande en remboursement de frais professionnels
Les frais exposés par un salarié pour les besoins de son activité professionnelle et dans l’intérêt de l’employeur doivent lui être remboursés sauf s’il a été prévu contractuellement que le salarié en conserverait la charge moyennant le versement d’une somme fixée à l’avance de manière forfaitaire.
Toute clause du contrat de travail qui met à la charge du salarié les frais engagés par celui-ci pour les besoins de son activité professionnelle doit être réputée non écrite.
En l’espèce, aucun contrat de travail écrit n’a été formalisé. Les modalités de remboursement des frais professionnels à l’artiste n’avaient pas été aménagées.
Mme [P] [C] produit un tableau détaillé des frais professionnels exposés pour les besoins de sa prestation de comédienne à [Localité 3] en juillet 2017. Ce tableau répertorie des frais de restauration, d’alimentation générale et des frais particuliers intitulés « retrait ». Le montant total des frais engagés est de 1113, 56 euros selon l’appelante. Cependant, elle n’explique pas suffisamment en quoi consistent les sommes intitulées « retrait » et qu’elle chiffre à 340 euros au total. Cette somme de 340 euros doit être déduite du total réclamé.
Infirmant le jugement, il y a lieu de condamner l’association Lorencel à payer à Mme [P] [C] la somme de 773, 56 euros au titre du remboursement des frais professionnels.
3-Sur les dommages-intérêts pour préjudices économique et moral
En application des dispositions combinées des articles L1221-1, L1222-1 du code du travail et 1103, du code civil, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi, la partie défaillante étant condamnée au paiement de dommages et intérêts sur le fondement de l’article 1231-1 du code civil.
Mme [P] [C] a souffert de préjudices économiques et moraux, par la faute de l’association Lorencel, qui ne lui a pas réglé son salaire de juillet 2017 et qui ne lui a pas remboursé tous ses frais professionnels. Les préjudices économiques et moraux seront intégralement réparé en allouant à la salariée des dommages-intérêts à hauteur de 300 euros pour chaque préjudice.
Infirmant le jugement, il y a lieu de condamner l’association Lorencel à payer à Mme [P] [C] :
-300 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice économique
-300 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral
4-Sur l’indemnité pour travail dissimulé
L’article L8221-5 du code du travail dispose : Est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :
1° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ;
2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d’un bulletin de paie ou d’un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.
L’article L 8223-1 du même code ajoute :En cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
En l’espèce, l’appelante ne démontre pas suffisamment l’intention de l’association Lorencel de se soustraire à ses obligations. Les éléments mettent seulement en lumière une certaine confusion juridique. Confirmant le jugement, Mme [P] [C] est déboutée de demande d’indemnité pour travail dissimulé.
5-Sur la demande de dommages-intérêts pour non délivrance du contrat de travail
Le défaut de remise d’un contrat de travail écrit à la salariée a occasionné un préjudice moral à cette dernière, qu’il convient de réparer en lui allouant la somme de 150 euros de dommages-intérêts.
Infirmant le jugement, il y a lieu de condamner l’association Lorencel à payer à Mme [P] [C] 150 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice.
Sur la remise de documents :
La cour ordonne à l’association Lorencel de remettre à Mme [P] [C] les documents de fin de contrat : une attestation employeur pour le Pôle Emploi, un bulletin de paie conforme à cette décision, un certificat d’emploi destiné aux congés spectacles.
Il n’est pas nécessaire d’assortir cette obligation d’une astreinte. L’appelant est débouté de sa demande à ce titre.
La relation de travail n’existant plus, la salariée est déboutée de sa demande tendant à voir ordonner à l’association Lorencel de lui remettre un contrat de travail concernant le mois de juillet 2017.
Sur les intérêts
Les créances salariales ainsi que la somme allouée à titre d’indemnité de licenciement sont productives d’intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l’employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation.
Les créances indemnitaires sont productives d’intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
La capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil.
Sur les frais du procès
L’association Lorencel est déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
En application des dispositions des articles 696 et 700 du code de procédure civile, l’association Lorencel sera condamnée aux dépens ainsi qu’au paiement d’une indemnité de 2.200 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, après en avoir délibéré, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par mis à disposition au greffe, en matière prud’homale :
– Confirme le jugement en ce qu’il :
– déclare le conseil de prud’hommes compétent,
– rejette la demande de Mme [P] [C] d’indemnité pour travail dissimulé,
– Infirme le jugement en ce qu’il rejette les demandes de Mme [P] [C] :
– en paiement de son salaire de juillet 2017 ,
– en remboursement de ses frais professionnels,
– en indemnisation de ses préjudice économiques et moraux,
– en indemnisation de son préjudice lié au défaut de délivrance d’un contrat de travail pour juillet 2017
Statuant à nouveau,
– rejette les exceptions d’incompétence formées par l’association Lorencel,
– condamne l’association Lorencel à payer à Mme [P] [C] :
– 2 457 euros au titre du paiement du salaire de juillet 2017
– 773, 56 euros de remboursements de frais professionnels
– 300 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice économique
– 300 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral
– 150 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice lié au défaut de remise d’un contrat de travail écrit
Y ajoutant
– rejette les conclusions et pièce 17 à 21 de Mme [P] [C] notifiées le 2 novembre 2022,
– rejette les conclusions de l’association Lorencel notifiées le 6 novembre 2022,
– rejette les exceptions d’incompétence matérielle de la juridiction prud’homale,
– ordonne à l’association Lorencel de remettre à Mme [P] [C] les documents de fin de contrat : une attestation employeur pour le Pôle Emploi, un bulletin de paie conforme à cette décision, un certificat d’emploi destiné aux congés spectacles,
– Rejette la demande de Mme [P] [C] tendant à voir ordonner à l’association Lorencel de lui remettre un contrat de travail concernant le mois de juillet 2017,
– rejette la demande d’astreinte,
– dit que les créances salariales ainsi que la somme allouée à titre d’indemnité de licenciement sont productives d’intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l’employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation,
– dit que les créances indemnitaires sont productives d’intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
– ordonne la capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil,
– condamne l’association Lorencel aux entiers dépens,
– condamne l’association Lorencel à payer à Mme [P] [C] la somme de 2200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT