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République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
TROISIEME CHAMBRE
ARRÊT DU 28/04/2022
****
N° de MINUTE : 22/171
N° RG 19/06824 – N° Portalis DBVT-V-B7D-SYPT
Jugement (N° ) rendu le 05 décembre 2019 par le tribunal de grande instance de Cambrai
APPELANT
Monsieur [K] [S]
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représenté par Me Eric Laforce, avocat au barreau de Douai et Me Martin Sol, avocat au barreau de Chartres substitué par Me Planchenault, avocat au barreau de Chartres
INTIMÉES
Sarl Decherf agissant par la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentée par Me Emmanuel Masson, avocat au barreau de Lille substitué par Me Flores avocat au barreau de Lille
SAS Philagro France prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 9]
[Adresse 2]
[Localité 8]
Représentée par Me Marie Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai et Me Barbara-Sylvie Bertholet avocat au barreau de Lyon
SCA UNEAL prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 7]
Représentée par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai et Me Christian Delevacque, avocat au barreau d’Arras substitué par Me Fatoux, avocat au barreau d’Arras
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Guillaume Salomon, président de chambre
Claire Bertin, conseiller
Danielle Thébaud, conseiller
———————
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Fabienne Dufossé
DÉBATS à l’audience publique du 03 février 2022 après rapport oral de l’affaire par Claire Bertin
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 28 avril 2022 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président, et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 24 janvier 2022
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EXPOSE DU LITIGE
1. Les faits et la procédure antérieure :
Le 29 février 2016, M. [K] [S], exploitant agricole, a régularisé avec la société Agromex un contrat annuel de livraison de pommes de terre de variété Régina.
La société Europlant lui a livré les plants de pommes de terre le 5 avril 2016 pour un poids total de 22’420 kilogrammes (kg).
Le 6 avril 2016, une partie de ces plants pour 20’200 kg a été traitée par la société Decherf, prestataire de services pour la société coopérative agricole Unéal (la société Unéal), au moyen de la machine d’enrobage Oscar system avec le produit phytosanitaire Oscar WG, commercialisé par la société Philagro France (la société Philagro).
Ces plants ont été stockés pendant près d’un mois avant d’être plantés le 3 mai 2016.
M. [S] a constaté que les plants traités avec le produit fongicide Oscar WG ne se développaient pas normalement.
M. [S] a fait assigner les sociétés Philagro, Agromex, Europlant, Decherf, et Unéal devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Cambrai pour obtenir une mesure d’expertise judiciaire.
Par ordonnance du 6 septembre 2016, le juge des référés du tribunal de grande instance de Cambrai a fait droit à la demande de M. [S] tendant à obtenir une expertise de ses cultures de pommes de terre.
L’expert judiciaire désigné, M. [L], a déposé son rapport le 23 juin 2017, aux termes duquel il retient comme «’seule cause ayant déclenché le sinistre, l’absence de séchage adéquat du plant de pommes de terre après traitement ; toutes les autres causes étudiées doivent à [son] avis être écartées. Deux phénomènes sont venus aggraver cette cause déclenchante (absence de séchage adéquat) : il s’agit des caractéristiques propres à la variété Régina et des désastreuses conditions météorologiques du printemps 2016. Ce sinistre a donc été causé par des actes inadaptés de M.'[S] quand il fallait sécher dynamiquement son plant Régina après traitement. »
M. [S] a fait assigner les sociétés Philagro, Decherf et Unéal devant le tribunal de grande instance de Cambrai, par acte du 22 décembre 2017, pour obtenir, en premier lieu, la nullité du rapport d’expertise judiciaire de M. [L] et en second lieu, sur le fondement de l’article 1382 ancien du code civil, l’indemnisation à hauteur de 35’383,92 euros de son préjudice lié au mauvais développement de ses cultures de pommes de terre de variété Régina, traitées avec un produit fongicide dénommé Oscar WG commercialisé par la société Philagro.
2. Le jugement dont appel :
Par jugement du 5 décembre 2019, le tribunal de grande instance de Cambrai a :
1. débouté M. [S] de toutes ses demandes ;
2. débouté les sociétés Unéal et Decherf de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
3. condamné M. [S] à payer une somme de 25’000 euros à la société Philagro France, 3’000 euros à la société Decherf, et 3’000 euros à la société Unéal au titre des frais irrépétibles sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
4. condamné M. [S] aux dépens, en ce compris les frais d’expertise judiciaire, avec faculté de recouvrement direct au profit de Maître [D] ;
5. débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
6. ordonné l’exécution provisoire.
3. La déclaration d’appel :
Par déclaration du 26 décembre 2019, M. [S] a formé appel, dans des conditions de forme et de délai non contestées, de ce jugement en limitant la contestation du jugement critiqué aux seuls chefs du dispositif numérotés 1, 3, 4, 5, 6 ci-dessus.
4. Les prétentions et moyens des parties :
4.1. Aux termes de ses conclusions d’appelant n°6 notifiées le 10 janvier 2022,
M.'[S], appelant principal, demande à la cour, au visa des articles 1382, 1147 du code civil, 175, 237, 246 du code de procédure civile, de :
– infirmer le jugement querellé en ce qu’il l’a :
‘débouté de toutes ses demandes ;
‘condamné au paiement des sommes de 25’000 euros à la société Philagro, 3’000 euros à la société Decherf et 3’000 euros à la société Unéal au titre des frais irrépétibles ;
‘condamné aux entiers dépens, en ce compris les frais d’expertise judiciaire, avec faculté de recouvrement direct au profit de Maître [D] ;
– en conséquence, rejeter comme non fondés l’ensemble des moyens développés par les sociétés Philagro, Decherf et Unéal ;
– condamner solidairement les sociétés Philagro, Unéal et Decherf pour manquement à leur devoir de précaution, d’information et de conseil, à lui payer les sommes suivantes :
’35’383,92 euros en réparation de son préjudice, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la présente assignation ;
’50’000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– les condamner solidairement aux entiers dépens, lesquels comprendront les frais d’expertise judiciaire, ainsi que l’ensemble des frais d’huissier de justice portant sur les constats, la délivrance des assignations, les significations des décisions de référé et de fond, les frais de première instance et ceux d’appel, avec faculté de recouvrement direct au profit de son conseil ;
– dire que le rapport d’expertise judiciaire de M. [L] est entaché de nullité, et apprécier à tout le moins que ses conclusions sur la cause du sinistre sont critiquables ;
– juger inopérants et irrecevables les moyens développés par la société Decherf, dire son appel incident non fondé, et en conséquence, rejeter toutes ses demandes ;
– juger inopérants et irrecevables les moyens développés par la société Philagro, et en conséquence rejeter tous ses moyens et ses demandes.
A l’appui de ses prétentions, M. [S] fait valoir que :
Sur le défaut d’information et de conseil des sociétés Philagro, Decherf et Unéal :
– l’attestation de Mme [G] du 5 juin 2019 (pièce 45) ne porte pas atteinte à la vie privée ni à tout autre intérêt légitime des sociétés Philagro, Decherf, Unéal ; elle est parfaitement recevable ;
– la non-levée des plants de Régina traités Oscar WG avec Oscar system est due à l’application de ce traitement fongicide sur ces plants de pommes de terre à yeux superficiels et dormance longue avec un dosage de produit (bouillie) supérieur à celui recommandé pour ce type de variété de pommes de terre ;
– la notice d’information du produit Oscar WG imprimée sur les bidons de traitement des plants Régina ne comportait pas les préconisations de traitement adaptées à ces plants de pommes de terre à yeux superficiels et dormance longue ;
– malgré ses demandes, il n’a reçu des sociétés Unéal et Decherf aucune information relative aux préconisations particulières du traitement pour ses plants Régina avec le produit Oscar WG et Oscar system ;
– les sociétés Philagro, Unéal et Decherf ne rapportent pas la preuve de l’avoir informé et conseillé sur les risques encourus ;
– il n’a reçu aucune information et aucun conseil de leur part sur les risques encourus par ses plants de Régina du fait d’un traitement par Oscar WG et Oscar system à la dose appliquée, c’est-à-dire dose supérieure à celle recommandée sur ce type de variété de pommes de terre ;
– le guide des bonnes pratiques du traitement des tubercules de semences de pomme de terre par pulvérisation de 2012 (pièce 7) et le diaporama des bonnes pratiques du traitement liquide des plants de pomme de terre, document établi par M. [I] (responsable des expérimentations du comité Nord) en 2013 étaient parfaitement connus des sociétés Philagro, Decherf et Unéal à la date de traitement de ses plants, de sorte qu’ils leur sont opposables ;
– les sociétés Philagro, Decherf et Unéal ont manqué envers lui à leur devoir de précaution, d’information et de conseil ;
– les rapports de Mme [G], M. [R] et M. [W] sont recevables pour établir la cause du sinistre ;
– il n’est pas responsable de la non-levée de ses plants Régina traités Oscar WG avec Oscar system ;
– il explicite et justifie pleinement sa demande d’indemnisation, et il suffit de se reporter à cet égard aux paragraphes 3.4 et 3.5 du rapport d’expertise judiciaire ;
Sur le défaut d’information et de conseil des sociétés Philagro, Decherf, Unéal ne pouvant être remis en cause par les conclusions du rapport d’expertise judiciaire :
– la mission d’expertise judiciaire pour la recherche et l’établissement de la cause du sinistre n’a pas été conduite consciencieusement par M. [L] ;
– la conclusion sur la cause du sinistre contenue dans le rapport d’expertise judiciaire établi par M. [L] le 23 juin 2017, selon laquelle le défaut de germination des plants Régina provient d’un défaut de séchage qui lui est imputable, est erronée eu égard aux faits objectifs corroborés par les rapports de Mme [G], MM. [R] et [W] ;
– la machine Oscar system ne permet pas un traitement par brouillard, mais par enrobage de bouillie’;
– ses plants de Régina ont été traités à l’aide de la machine Oscar system et à la dose de 2 litres par tonne avec le fongicide Oscar WG ;
– son bâtiment, en ce qui concerne le séchage des tubercules après traitement et leur conservation avant plantation, est conforme aux exigences et recommandations contenues dans le guide des bonnes pratiques du traitement des tubercules de semences de pomme de terre par pulvérisation de 2012 (pièce 7) et le diaporama des bonnes pratiques du traitement liquide des plants de pomme de terre, document établi par M. [I] (responsable des expérimentations du comité Nord) en 2013 ;
– ses plants Régina traités à l’aide de l’Oscar system à la dose de 2 litres par tonne d’Oscar WG ont été correctement séchés après traitement et correctement stockés avant plantation ;
– il justifie pleinement de sa demande en paiement de sorte qu’il convient de rejeter le moyen de la société Philagro tiré d’un défaut de justification de sa demande de paiement.
4.2. Aux termes de ses conclusions n°2 notifiées le 12 octobre 2021, la société
Philagro intimée et appelante incidente, demande à la cour, au visa des article 175, 236, 114 du code de procédure civile, 1382 ancien et 1240 du code civil, de confirmer le jugement querellé et de :
– à titre principal, débouter M. [S] de son appel et de l’ensemble de ses demandes qui seront jugées mal fondées ;
– à titre subsidiaire, juger qu’elle n’a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité ;
– à titre encore plus subsidiaire, juger que le préjudice de M. [S] n’est pas justifié en son montant ;
– débouter les sociétés Unéal et Decherf de leurs demandes de garantie formées contre elle ;
– y ajoutant, condamner M. [S] à lui payer la somme supplémentaire de 30’000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner M. [S] aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Laurent avocat.
A l’appui de ses prétentions, la société Philagro fait valoir que :
– M. [S], n’étant pas satisfait des conclusions de l’expert judiciaire, produit trois rapports d’expertise unilatéraux et une note technique qu’il a fait établir seul après le dépôt du rapport d’expertise judiciaire sans en informer ses adversaires ;
– M. [S] a manqué de loyauté dans la conduite des procédures judiciaires ;
– si les parties demeurent libres de contester les conclusions de l’expert au fond, le fait que celles-ci soient défavorables à l’une d’elles ne constitue pas une formalité substantielle pouvant conduire le juge à prononcer la nullité du rapport d’expertise en application des articles 114, 175, 237, 246 du code de procédure civile ;
– les arguments invoqués par M. [S], notamment le fait que l’expert judiciaire n’ait pas procédé à des relevés d’hygrométrie pendant son expertise, qu’il ne se soit pas prononcé sur le lien de causalité existant entre le défaut de levée et l’absence de ventilation dynamique, et qu’il ait extrapolé de la nécessité d’une ventilation dynamique, à l’appui de sa demande de nullité de l’expertise judiciaire pour manquement de l’expert à son devoir de conscience, d’objectivité et d’impartialité, est une question qui relève du fond du litige et non de la validité de l’expertise ;
– l’allégation de M. [S] selon laquelle l’expert judiciaire n’aurait pas répondu à certains points de sa mission est erronée ;
– elle n’a jamais consenti à ce que des éléments propres à d’autres affaires confidentielles dans lesquelles sa responsabilité aurait été mise en cause soient utilisés dans la présente procédure, de sorte qu’il convient d’écarter le courrier de Mme [G] (pièce 45 de M. [S]) comme constitutif d’un manquement au devoir de probité de cette dernière ;
– les recommandations prévues dans le support de présentation powerpoint de M. [I] du comité Nord (pièce n°43 de M. [S]) non datées n’ont pas de valeur juridique contraignante, et ne permettent pas d’en déduire sa responsabilité quant au défaut de levée des plants Régina traités avec l’Oscar WG ; elles ne viennent pas corroborer les rapports d’expertise unilatéraux produits par M. [S] ;
– il appartient à la cour de statuer à la lumière du rapport d’expertise judiciaire, et non des rapports d’expertise amiable unilatéraux produits ;
– elle n’a commis aucune faute de nature à voir engager sa responsabilité pour manquement à son obligation d’information des utilisateurs sur les préconisations d’usage du produit Oscar WG ;
– elle a commercialisé son produit Oscar WG après avoir obtenu l’autorisation de mise sur le marché sans restriction quant aux variétés de pommes de terre traitées, délivrée par la direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN) suite au rapport d’évaluation scientifique de l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) ;
– aucun des essais avec le produit Oscar WG et l’Oscar system n’ont révélé de problèmes de germination en cas de respect de ses conditions et recommandations ;
– l’utilisation du produit Oscar WG sur les pommes de terre Régina à dormance longue et germes superficiels n’est pas la cause de leur défaut de germination ;
– sa documentation réglementaire technique et commerciale comporte toutes les indications prévues par la réglementation quant au dosage du produit phytopharmaceutique, aux modalités de stockage et de séchage après traitement des pommes de terre ;
– c’est l’absence de séchage adéquat avant et après traitement, alors que les conditions climatiques étaient très humides, qui est seule à l’origine du dommage subi par M. [S].
4.3. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 26 juin 2020, la société
Unéal, intimée, demande à la cour de confirmer le jugement critiqué et de :
à titre principal,
– juger irrecevables et infondées les prétentions émises par M. [S] ;
– débouter M. [S] de l’ensemble de ses demandes, et notamment de sa demande d’annulation du rapport de l’expert judiciaire [L] ;
– condamner M. [S] au paiement d’une somme de 3 000 euros en première instance et de 5’000 euros en cause d’appel par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner M. [S] en tous les frais et dépens, en ce compris les frais et honoraires de l’expert judiciaire ;
à titre subsidiaire, et dans l’hypothèse où la cour entrerait en voie de condamnation à son encontre,
– condamner la société Philagro à la garantir de toutes condamnations intervenant à son encontre tant en principal, intérêts, frais et accessoires, et ce sur le fondement des dispositions des anciens articles 1134 et suivants, 1143 et 1147 et suivants du code civil, au titre du manquement par la société Philagro à son obligation de conseil et d’information, notamment dans le cadre de la rédaction de ses notices d’utilisation ;
– condamner dans cette hypothèse la société Philagro à lui payer la somme de 3 000 euros en première instance et la somme de 5’000 euros en cause d’appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
– condamner la société Philagro en tous les frais et dépens, en ce compris les frais et honoraires de l’expert judiciaire.
A l’appui de ses prétentions, la société Unéal fait valoir que :
– M. [S] a décidé au printemps 2016, sans même la consulter préalablement, et sans indiquer la variété des plants à traiter, de s’adresser directement à la société Decherf pour effectuer le traitement de ses plants avec le fongicide Oscar WG ;
– M. [S] a tenté de jeter le discrédit sur les travaux de l’expert judiciaire ;
– l’expert [L] a parfaitement respecté le principe du contradictoire, en déposant un rapport sérieux, consciencieux et circonstancié ;
– le rapport [L] n’évoque pas l’anormalité du taux d’hygrométrie du hangar, mais plutôt un défaut de séchage dynamique des plants après traitement ;
– M. [R] a effectué ses mesures du taux d’hygrométrie à l’automne 2017, époque totalement distincte de celle du sinistre ;
– M. [W] n’a effectué aucun constat sur les tubercules sinistrés ;
– M. [S] tente d’obtenir l’annulation du rapport d’expertise judiciaire sur la base de trois rapports non contradictoires d’experts amiables qu’il a seul mandatés et rémunérés ;
– le sinistre trouve sa cause d’après l’expert judiciaire dans l’absence de séchage dynamique des plants traités, outre dans les circonstances climatiques extrêmement défavorables du printemps 2016′;
– s’agissant du manquement allégué à son devoir de conseil, M.'[S] est un agriculteur professionnel de la culture des pommes de terre, lequel a déjà utilisé le produit Oscar WG en 2012 et 2013, et disposait de la notice technique de la société Philagro remise par la société Decherf, du guide des bonnes pratiques et du diaporama établi par le comité Nord, qui précisaient la nécessité de ventiler mécaniquement les plants traités ;
– en choisissant de produire des pommes de terre de petit calibre à germes superficiels et dormance longue, M. [S] a choisi une production certes rémunératrice, mais technique et plus fragile, qui nécessitait de sa part des précautions de ventilation ;
– M. [S] n’a pas sollicité son avis sur l’opportunité de traiter ses plants Régina avec le produit Oscar WG, et n’a régularisé aucune commande écrite auprès d’elle ;
– dès lors que la société Philagro, fabricant, n’émettait pas elle-même de restriction ni de contre-indication à l’emploi du produit Oscar WG pour certaines variétés de plants, M. [S] ne peut sérieusement lui reprocher en sa qualité de fournisseur de ne pas avoir émis de recommandations particulières à cet égard ;
4.4. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 14 octobre 2020, la
société Decherf, intimée et appelante incidente, demande à la cour, au visa des articles 1103, 1222 et 1231-1 du code civil (anciens articles 1134, 1143 et 1147 et suivants du code civil), 32-1 du code de procédure civile, de :
à titre principal,
– confirmer le jugement querellé en ce qu’il a débouté M. [S] de l’ensemble de ses demandes ;
à titre infiniment subsidiaire, si la cour d’appel venait à réformer le jugement dont appel en ce qu’il a débouté M. [S] de sa demande d’indemnisation de 35’383,92 euros et de ses demandes relatives aux frais et dépens de première instance et d’appel,
– condamner la société Philagro à la garantir de toutes les condamnations intervenant à son encontre, tant en principal qu’en intérêts, frais et accessoires, au titre du manquement à son obligation de conseil et d’information ;
– condamner la société Philagro à lui payer la somme de 3’000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
en tout état de cause,
– confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a condamné M.'[S] à lui payer la somme de 3’000 euros au titre des frais irrépétibles de la première instance, et aux entiers dépens ;
– constater que la procédure initiée par M. [S] est abusive ;
– en conséquence, réformer le jugement querellé en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
– condamner M. [S] au paiement de la somme de 10’000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
– condamner M. [S] à lui payer la somme de 10’000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner M. [S] aux entiers dépens de la procédure d’appel.
A l’appui de ses prétentions, la société Decherf fait valoir que :
– M. [S] n’a pas respecté les préconisations du guide des bonnes pratiques en ne réalisant pas un séchage dynamique des plants de Régina traités ;
– si l’expert judiciaire doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité, les critiques de fond, selon lesquelles le rapport de M. [L] serait incomplet, erroné et non motivé, ne sont pas de nature à entacher la régularité des opérations d’expertise, dès lors que les reproches formés par M. [S] ne sont relatifs à aucune inobservation d’une formalité substantielle ;
– M. [L] est un expert spécialiste en matière agricole et agro-alimentaire, réputé intègre et professionnel, qui s’est livré à une analyse factuelle minutieuse ;
– les avis de M. [R], M. [W] et Mme [G] sont partiaux, dès lors qu’ils ont été mandatés par M. [S] dans l’unique but de remettre en cause le rapport d’expertise judiciaire ;
– dans le cadre des opérations d’expertise judiciaire, chacune des parties était assistée d’un expert issu du monde agricole ;
– M. [S] ne peut sérieusement prétendre qu’il ignorait les usages, dès lors que tous les producteurs de pommes de terre ont accès à la documentation telle que les notes techniques dont celle de la société Philagro, le guide des bonnes pratiques ou le diaporama du comité Nord, lesquels précisaient l’obligation de ventilation mécanique des plants traités avec le fongicide Oscar WG ;
– M. [S] a négligé seul cette information ;
– elle n’était pas le conseiller technique de M. [S] et n’avait aucune obligation de lui conseiller le traitement préconisé, dès lors qu’elle n’est intervenue que sur instructions de la société coopérative Unéal qui avait opté pour la sous-traitance ;
– elle conteste toute inexécution contractuelle à l’égard de M. [S], qui ne démontre ni sa faute, ni son préjudice ni le lien de causalité entre la faute alléguée et le préjudice ;
– la société Philagro, développeur et le concepteur du produit Oscar WG, doit délivrer tous les renseignements nécessaires à son usage, notamment quant à sa dangerosité ; il lui appartenait de déconseiller au professionnel l’usage du fongicide pour le traitement des pommes de terre à germes superficiels et dormance longue, cette dangerosité ne pouvant être présumée par elle-même qui était sous-traitante de la société Unéal.
Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
L’instruction du dossier a été clôturée par ordonnance du 24 janvier 2022.
MOTIFS DE LA DECISION
A titre liminaire, en application de l’article 954 du code de procédure civile, la cour rappelle qu’elle n’est pas tenue de statuer sur les «’dire et juger’» et les «’constater’» qui ne sont pas des prétentions en ce qu’ils ne confèrent pas de droit à la partie qui les requiert dès lors qu’ils s’analysent en réalité comme le rappel des moyens invoqués, ou en ce qu’ils formulent exclusivement des réserves alors que la partie qui les exprime n’est pas privée de la possibilité d’exercer ultérieurement les droits en faisant l’objet.
Sur la nullité du rapport d’expertise judiciaire
Aux termes de l’article 175 du code de procédure civile, la nullité des décisions et actes d’exécution relatifs aux mesures d’instruction est soumise aux dispositions qui régissent la nullité des actes de procédure.
Aux termes de l’article 114 du code précité, aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n’en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d’inobservation d’un formalité substantielle ou d’ordre public.
La nullité ne peut être prononcée qu’à charge pour l’adversaire qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité, même lorsqu’il s’agit d’une formalité substantielle ou d’ordre public.
Aux termes de l’article 237 du code de procédure civile, le technicien commis doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité.
En l’espèce, M. [S] prétend que la mission d’expertise judiciaire pour la recherche et l’établissement de la cause du sinistre n’a pas été conduite consciencieusement en toute objectivité et impartialité par l’expert, alors que celui-ci, spécialiste dans le domaine agricole et agro-alimentaire, a répondu à pas moins de sept dires que lui a adressés le conseil de l’appelant le 16 septembre 2016, 31 janvier, 6 et 14 février, 30 mars, 7 avril, 26 mai 2017 (pages 51 à 81 du rapport), dans un rapport d’expertise de 112 pages, précis, documenté et circonstancié.
Il s’observe également que lors des réunions d’expertise sur site le 19 septembre et 20 octobre 2016, chaque partie a pu bénéficier de l’assistance de son propre expert issu du monde agricole.
Par ailleurs, M. [S] invoque le caractère inachevé de la mission de l’expert, arguant que celui-ci n’avait pas répondu à la question relative à la sélectivité du produit Oscar WG sur certaines variétés de pommes de terre. Or, M. [S] a été débouté, suivant ordonnance d’incident rendue le 20 mai 2021 par le magistrat chargé de la mise en état, de sa demande tendant à voir ordonner sur ce point le reprise des opérations d’expertise judiciaire.
A cet égard, la société Philagro récapitule, dans un tableau de correspondance en page 13 et 14 de ses écritures, l’ensemble des questions posées à l’expert [L] par l’ordonnance de référé du 6 septembre 2016 et les paragraphes du rapport d’expertise dans lesquels celui-ci y répond.
En réalité, les arguments invoqués par M. [S], notamment le fait que l’expert judiciaire n’ait pas procédé à des relevés d’hygrométrie pendant son expertise, qu’il ne se soit pas prononcé sur le lien de causalité existant entre le défaut de levée et l’absence de ventilation dynamique, et qu’il ait extrapolé de la nécessité d’une ventilation dynamique, à l’appui de sa demande de nullité de l’expertise judiciaire, sont des questions qui relèvent du fond du litige, et non de la validité de l’expertise.
En effet, M. [S] n’invoque dans son argumentaire aucune atteinte aux droits de la défense ou au principe du contradictoire de nature à lui faire grief lors de l’exécution de la mesure d’instruction, telle que peut l’être l’absence de convocation d’une partie aux opérations d’expertise, le prélèvement d’échantillons ou la réalisation d’un constat d’état des lieux sans convocation des parties, le fait de ne pas remplir personnellement sa mission, ou l’absence d’établissement d’un pré-rapport.
En tout état de cause, le juge n’est pas lié par l’avis de l’expert, qui demeure soumis à son appréciation et peut être critiqué et discuté par les parties.
Dès lors que les parties demeurent libres de contester au fond les conclusions de l’expert judiciaire, le fait que celles-ci soient défavorables à l’une d’elles ne constitue pas une atteinte à une formalité substantielle ou d’ordre public pouvant conduire le juge à prononcer la nullité du rapport d’expertise en application des articles 114, 175, 237, 246 du code de procédure civile.
En conséquence, le jugement dont appel est confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de l’appelant tendant à voir prononcer la nullité du rapport d’expertise judiciaire.
Sur la responsabilité délictuelle de la société Philagro pour manquement à son obligation de précaution, d’information et de conseil
En application de l’article 1382 du code civil, devenu l’article 1240 depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Il appartient en conséquence à M.'[S] de rapporter la preuve d’une faute du fabricant, d’un préjudice, et d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice.
M.'[S] considère que le sinistre trouve sa cause dans l’enrobage au moyen de la machine Oscar system des plants de pommes de terre Régina à yeux superficiels et à dormance longue avec le produit Oscar WG dosé à deux litres par tonne, et non dans le défaut de séchage de ses plants. Il estime que le défaut de germination provient de l’application par enrobage du produit qui remplit totalement le germe dans les yeux superficiels, et empêche leur levée dans des conditions climatiques défavorables.
Pour ce faire, il s’appuie sur les avis non contradictoires de trois experts amiables qu’il a consultés unilatéralement après dépôt de l’expertise judiciaire, et sur un document de présentation de M. [I] du comité Nord plants, lequel ne comporte aucune date, relatif aux bonnes pratiques pour le traitement liquide des plants de pomme de terre.
Dans ce document qui conseille aux professionnels de se référer au guide des bonnes pratiques de traitement des tubercules de semences de pommes de terre par pulvérisation, il est indiqué qu’il faut traiter sur des tubercules secs et non germés, qu’il ne faut pas traiter par temps humide et forte hygrométrie, que pour les variétés à yeux superficiels, il faut privilégier les traitements par brouillard avec un dosage inférieur à 1 litre par tonne surtout si la germination a démarré, qu’il ne faut pas remplir les yeux de produit, qu’il faut éviter la condensation et assurer un séchage rapide des tubercules de semences et vérifier le séchage avant plantation.
Dans l’édition 2013 du guide des bonnes pratiques de traitement, il est ajouté qu’il convient de sécher parfaitement les tubercules de semences avant plantation ; pour un volume de produit supérieur à une tonne par litre, il est indispensable de sécher par recyclage interne dans le local de traitement, ou avec un air extérieur plus froid que la température des tubercules, jamais dans un hangar fermé sans circulation d’air, dans des bennes agricoles impérativement équipées de systèmes de ventilation dynamique, dès lors que planter des tubercule secs permet d’éviter de cumuler les risques avec un sol humide. Pour parvenir à un séchage rapide après traitement, il est conseillé de mettre en ‘uvre une ventilation énergique et efficace, et il est fortement déconseillé de stocker les tubercules en big-bag ou remorque sans équipement de ventilation dynamique. Pour un remisage en palox, il est préférable de disposer d’une ventilation positive au c’ur des caisses ou à tout le moins d’un brassage d’air vigoureux autour des piles de palox.
Si M.'[S] vient soutenir que l’application par enrobage du fongicide Oscar WG avec la machine Oscar system n’est pas recommandée sur des variétés de pommes de terre à yeux superficiels telles que Régina, le seul avis de M.'[I] dans un powerpoint de présentation est insuffisant à en rapporter la preuve, alors que ce produit phytopharmaceutique a obtenu l’autorisation de mise sur le marché sans restriction quant aux variétés de pommes de terre traitées, délivrée par la direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN) suite au rapport d’évaluation scientifique de l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES).
Il s’observe que dans cet écrit, M.'[I] ne proscrit pas le traitement par le fongicide Oscar WG sur les plants à yeux superficiels, mais se contente d’émettre une simple préconisation pour le dosage.
Comme l’a exactement apprécié le premier juge, le support de présentation de M. [I] n’a aucune valeur juridique contraignante dès lors qu’il n’a fait l’objet d’aucune publication officielle, notamment sur le site du ministère de l’agriculture, et ce contrairement au document de référence que constitue le guide des bonnes pratiques du traitement des tubercules de semences de pommes de terre par pulvérisation – édition 2013.
Dans son rapport d’expertise du 23 juin 2017, M. [L] considère en page 39 que l’utilisation du produit Oscar WG en tant que tel ne doit pas être suspectée d’être en lien de causalité avec les problèmes de levée et de germination si les conditions strictes d’application sont respectées ; celles-ci figurent sur les notices du fabricant et sur le guide pratique rédigé à l’usage des professionnels. Il ajoute toutefois que selon l’avis du comité Nord, les variétés de pommes de terre à yeux superficiels paraissent moins bien adaptées à l’utilisation du produit Oscar WG.
Il précise en page 43 que la variété Régina à chair ferme a une bonne qualité commerciale et de hauts rendements, mais présente l’inconvénient d’avoir une dormance élevée et un développement hésitant dans des conditions peu favorables, ses yeux de germination peu profonds constituant une difficulté pour le traitement des plants.
En page 45, il est décrit un stockage des plants après traitement dans un hangar non ventilé, dépourvu de ventilation dynamique, situé à proximité immédiate d’un cours d’eau. Le traitement a eu lieu le 6 avril 2016, et la plantation 27 jours plus tard le 3 mai 2016.
Au total en page 111 et 112 de son rapport, l’expert judiciaire retient que :
«’M.'[S] a pris, pour sa récolte 2016, la décision de planter sur six hectares, des pommes de terre de variété Régina qui devaient être commercialisées selon les modalités d’un contrat passé avec la société Agromex.
Le plant de Régina est du plant d’origine hollandaise, commercialisé par la société [Europlant] France. Ce plant de qualité a des caractéristiques bien particulières qu’il convient de prendre en compte pour obtenir une récolte abondante, correspondant aux modalités du contrat.
M. [S] a décidé de faire traiter son plant avec le produit Oscar WG qui était un produit de la marque Philagro France, en 2016. Ce produit lui a été vendu par la coopérative Unéal. Ce traitement a été effectué par la société Decherf à la demande de M. [S]. À l’issue de ce traitement, les capacités germinatives du plant n’étaient pas altérées, comme le montre l’analyse du comité Nord plant.
Ce traitement utile exige des conditions de séchage des plants après traitement qui sont indiquées dans la «’fiche produit Oscar WG » de Philagro de 2015 et dans le guide de bonnes pratiques de traitement publié par la profession et accessible à tous.
M. [S] n’a pas respecté ces préconisations. II n’a pas réalisé un séchage dynamique.
Cela est très dommageable, car les capacités germinatives d’un plant diminuent quand il reste trop longtemps humide.
Le plant Régina qu’il a mis en terre n’a pas bien levé. Les conditions de conduite de la culture au champ ont été conformes à ce que les professionnels raisonnables ont fait.
La mauvaise germination a eu pour conséquence une perte de rendement de 56% et une perte financière qu'[il] évalue à 35’380 euros.
L’étude faite dans le cadre de [la] mission [le] conduit à retenir comme seule cause ayant déclenché le sinistre, l’absence de séchage adéquat du plant de pommes de terre après traitement.
Toutes les autres causes étudiées doivent, à [son] avis, être écartées.
Deux phénomènes sont venus aggraver cette cause déclenchante (absence de séchage adéquat). II s’agit des caractéristiques propres à la variété Régina et des désastreuses conditions météorologiques du printemps 2016.
Ce sinistre a donc été causé par les actes inadaptés de M. [S] quand il fallait sécher dynamiquement son plant Régina après traitement’».
Pour s’opposer aux conclusions de l’expertise judiciaire, M. [S] produit trois rapports non contradictoires établis unilatéralement par des experts, MM. [R] et [W], Mme [G], qu’il a choisis et sélectionnés seul pour défendre ses intérêts.
En premier lieu, le procès-verbal de constat d’huissier réalisé le 22 septembre, 14 octobre et 6 novembre 2017 en présence de M. [R], expert en bâtiment, et le rapport amiable du 14 novembre 2017 de ce dernier, aux termes duquel il conclut que la ventilation naturelle du hangar empêche tout excès d’humidité, et que la qualité des plants de pommes de terre ne peut avoir été altérée par une humidité trop importante, ne sont pas significatifs en ce qu’ils apprécient la situation factuelle et mesurent les taux d’hygrométrie du hangar à l’automne 2017, à une période totalement distincte de celle du sinistre.
En deuxième lieu, M. [W], qui a étudié le dossier le 15 décembre 2017, n’a pu en réalité effectuer directement aucun constat sur les tubercules sinistrés l’année précédente.
En troisième et dernier lieu, Mme [G], dans son avis du 22 mai 2018 rendu postérieurement à l’expertise judiciaire à laquelle elle a pourtant participé en adressant plusieurs dires, considère que M. [L] n’établit pas le lien de causalité entre la ventilation dynamique des plants après traitement et le défaut de levée de la seule variété Régina, dès lors qu’il ne tient pas compte des faits réels et objectifs constatés chez M. [S] avant et après plantation, et qu’il ignore l’état des connaissances scientifiques sur le traitement liquide des plants.
Or dans sa notice d’information éditée en mai 2015 à l’intention des professionnels pour l’utilisation du fongicide Oscar WG pour la protection des plants de pommes de terre, la société Philagro recommande de façon claire et circonstanciée, au titre de ses précautions d’emploi et mises en garde, notamment de :
-‘éviter les écarts brutaux de température et d’hygrométrie qui sont un facteur majeur de formation de condensation ; vérifier l’absence de condensation sur 50 cm d’épaisseur dans les caisses ou les big-bags avant de commencer le traitement ;
– ne pas stocker les plants en big-bag ou en benne après le traitement ;
– avant plantation, traiter des tubercules propres et secs ;
– assurer un séchage complet des plants après l’application du produit et avant plantation ;
– mettre en ‘uvre une ventilation dynamique pour assurer un séchage complet des plants;
– les plants traités et secs doivent être stockés dans des palox permettant une bonne aération et dans un local thermo-régulé indemne de toute trace de produits anti-germinatifs ; respecter les bonnes pratiques de stockage en palox (espacement…) ;
– réaliser la plantation en conditions favorables ;
– planter dans un sol bien préparé et ressuyé ;
– avant toute utilisation d’Oscar WG, s’assurer de son adéquation avec votre filière de production et avec les recommandations officielles régionales ;
«’Nous mettons en garde contre l’utilisation de nos produits dans des conditions non conformes à nos recommandations d’emploi ; les utilisateurs seraient les seuls responsables des éventuels échecs constatés’».
De l’ensemble de ces pièces, considérations et énonciations, il ressort qu’aucun des essais réalisés avec le produit Oscar WG et l’Oscar system n’ont révélé de problèmes de germination en cas de respect des conditions et recommandations rappelées ci-dessus, et qu’en définitive, ce n’est pas l’utilisation du produit Oscar WG sur la variété Régina qui est la cause du défaut de germination, mais bien l’absence de respect des consignes d’utilisation et de séchage adéquat complet des plants avant et après traitement, alors que les conditions climatiques étaient très humides et particulièrement défavorables, et qu’aucune ventilation dynamique suffisamment rapide n’a été mise en place par l’agriculteur, laquelle est seule à l’origine du dommage subi par celui-ci.
La cour retient que la documentation réglementaire, technique et commerciale, mise à la disposition des professionnels par la société Philagro, comporte les indications détaillées prévues par la réglementation quant au dosage du produit phytopharmaceutique, aux modalités de stockage et de séchage après traitement des pommes de terre.
Il s’ensuit que la société Philagro n’a commis aucune faute vis à vis de M. [S] de nature à voir engager sa responsabilité délictuelle pour manquement à son obligation de précaution, d’information et de conseil s’agissant des préconisations d’usage pour le produit Oscar WG commercialisé.
Sur la responsabilité contractuelle des sociétés Unéal et Decherf pour manquement à leur obligation d’information et de conseil
Aux termes de l’article 1147 ancien du code civil dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au payement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.
A l’égard de l’acheteur professionnel, l’obligation d’information ou de conseil du fabricant ou du fournisseur n’existe que dans la mesure où la compétence de cet acheteur ne lui donne pas les moyens d’apprécier la portée exacte des caractéristiques techniques des biens qui lui sont livrés.
En l’espèce, M. [S] est un agriculteur professionnel de la culture des pommes de terre, lequel avait déjà auparavant traité ses plants avec le produit Oscar WG, et qui avait accès à la documentation réservée aux professionnels, constituée par le guide des bonnes pratiques et la notice technique du fabricant Philagro. Il lui appartenait de prendre toutes les précautions utiles pour procéder au séchage adéquat de ses plants avant et après traitement, étant ici rappelé que la variété Régina, certes rémunératrice mais par nature plus fragile, nécessitait un respect strict des préconisations, outre une attention particulière.
En l’espèce, la société Unéal n’a pas participé au choix des plants de pomme de terre sélectionnés par M. [S], celui-ci n’ayant pas sollicité son avis sur l’opportunité de traiter ses plants Régina avec le produit Oscar WG, ni régularisé de commande écrite auprès d’elle.
De plus, la société Unéal a sous-traité à la société Decherf l’opération de traitement des plants de pommes de terre par enrobage au moyen de la machine Oscar system.
Sur la fiche d’intervention n°00274 du 6 avril 2016 renseignée par la société Decherf, co-signée par M. [S], il est précisé à la rubrique «’suivi plant’» :
«’- séchage ventilation dynamique du plant traité : NON ;
– système de séchage utilisé : naturel ;
– type de contenant et de stockage du plant traité : palox ;
– lieu de stockage : appentis ;
– date prévisionnelle de plantation : [pas renseigné] ;
NB : pour la préservation de la qualité du plant traité, veillez à une bonne ventilation de celui-ci lors du stockage.’»
Dans ce document contractuel, il est donc rappelé à M. [S] la nécessité de veiller au séchage et à la parfaite ventilation de ses plants.
Dès lors que le fabricant lui-même n’émettait aucune restriction ni contre-indication à l’emploi du produit Oscar WG sur les variétés de pommes de terre à yeux superficiels et dormance longue, sous réserve de leur parfait séchage avant et après traitement, et que M. [S] disposait du mode d’emploi dispensé par celui-ci, et de toute la documentation technique destinée aux agriculteurs professionnels, il ne peut être sérieusement reproché au fournisseur et au sous-traitant de ne pas avoir émis de recommandations particulières à cet égard.
Il s’ensuit que les sociétés Unéal et Decherf n’ont commis aucune faute vis à vis de M. [S] de nature à voir engager leur responsabilité contractuelle pour manquement à leur obligation d’information et de conseil s’agissant des préconisations d’usage du produit Oscar WG.
Le jugement dont appel sera confirmé en ce qu’il a débouté M. [S] de sa demande de dommages et intérêts à l’égard des sociétés Philagro, Unéal et Decherf.
Sur les appels en garantie
L’appelant étant débouté de l’ensemble de ses prétentions, les appels en garantie du fournisseur et du sous-traitant à l’égard du fabricant sont devenus sans objet.
Sur les dommages et intérêts pour procédure abusive
En application de l’article 1240 du code civil dans sa rédaction postérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, l’exercice d’une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi, d’erreur grossière équipollente au dol, de faute, même non grossière ou dolosive, ou encore de légèreté blâmable, dès lors qu’un préjudice en résulte.
L’appelant ne commet pas de faute lorsqu’il forme ses prétentions en présentant des moyens sérieux, même si ses prétentions sont finalement rejetées.
La mauvaise appréciation de ses droits par M. [S] ne peut suffire en l’espèce à qualifier sa procédure d’appel d’abusive ou de vexatoire pour la société Decherf au sens de l’article précité, ni à établir sa mauvaise foi, alors qu’il fournit de nouvelles pièces et un nouvel argumentaire au soutien de ses demandes.
Le jugement déféré sera par conséquent confirmé en ce qu’il a débouté à ce titre la société Decherf de sa demande de dommages et intérêts.
Sur dépens et les frais irrépétibles
Le sens de l’arrêt conduit à confirmer le jugement dont appel sur les dépens de première instance, en ce compris les frais d’expertise judiciaire.
En revanche, il sera infirmé sur les frais irrépétibles alloués en première instance sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
M. [S] qui succombe sera condamné aux entiers dépens d’appel.
L’équité commande de le condamner à payer au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel les sommes de 12’000 euros à la société Philagro, de 6’000 euros à la société Unéal, de 6’000 euros à la société Decherf sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
En application de l’article 699 du code de procédure civile, la cour autorisera Me Laurent avocat à recouvrer directement contre la personne condamnée les dépens dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant par mise à disposition au greffe, publiquement et contradictoirement,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 5 décembre 2019 par le tribunal de grande instance de Cambrai, sauf en ce qu’il a condamné M. [K] [S] à payer les sommes de 25’000 euros à la société Philagro France, de 3’000 euros à la société coopérative agricole Unéal, de 3’000 euros à la société Decherf au titre des frais irrépétibles ;
L’infirme de ces seuls chefs,
Prononçant à nouveau et y ajoutant,
Déboute les parties de leurs plus amples prétentions ;
Condamne M. [K] [S] aux entiers dépens d’appel ;
Dit qu’en application de l’article 699 du code de procédure civile, Me Laurent, avocat, recouvrera directement contre M. [K] [S] les dépens dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision’;
Condamne M.'[K] [S], au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel, à payer les sommes de 12’000 euros à la société Philagro France, de 6’000 euros à la société coopérative agricole Unéal, de 6’000 euros à la société Decherf sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Le GreffierLe Président
F. DufosséG. Salomon