Séquestre provisoire : 9 novembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 23/04349

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Séquestre provisoire : 9 novembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 23/04349
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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 2

ARRÊT DU 09 NOVEMBRE 2023

(n° , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/04349 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CHHMY

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 02 Février 2023 -Président du TC de PARIS 04 – RG n° 2022040231

APPELANTE

S.A.R.L. MONGODB FRANCE SARL, RCS de Paris sous le n°794 107 326, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assistée à l’audience par Me Emilie FAUCHEUX, substituant Me Fabienne PANNEAU, avocat au barreau de PARIS, toque : R235

INTIMEES

S.A. ALTEN, RCS de Nanterre sous le n°348 607 417, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 6]

S.A.S.U. ALTEN TECHNOLOGIES, RCS de Nanterre sous le n°808 630 826, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentées et assistées par Me Antoine VIVANT de la SELEURL Vivant Avocat SELARL, avocat au barreau de PARIS, toque : B1063

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 05 Octobre 2023, en audience publique, Laurent NAJEM, Conseiller, ayant été entendu en son rapport dans les conditions prévues par l’article 804, 805 et 905 du code de procédure civile, devant la cour composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre,

Michèle CHOPIN, Conseillère,

Laurent NAJEM, Conseiller,

Qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSÉ DU LITIGE

Faisant valoir que depuis l’été 2021, elles avaient constaté des débauchages et tentatives de débauchages de la part de la société MongoDB SARL, par requête enregistrée le 6 janvier 2022, la société Alten et la société Alten Technologies («’les sociétés Alten’») ont sollicité du président du tribunal de commerce de Paris une mesure d’instruction in futurum au visa de l’article 145 du code de procédure civile, au siège social de la société MongoDB France SARL. Les requérantes visaient plus particulièrement cinq business manager.

Il a été fait droit à la demande par ordonnance du 11 janvier 2022.

L’huissier de justice a effectué sa mission suivant procès-verbal du 8 février 2022 (procès-verbal de constat converti en procès-verbal de difficultés).

Suivant assignation du 7 mars 2022, la société MongoDB France a sollicité la rétractation de l’ordonnance.

Par ordonnance de référé du 25 mai 2022, le tribunal de commerce a débouté la société MongoDB France de cette demande et dit que l’opération de levée de séquestre devait être engagée, même en cas d’appel mais tout en préservant les intérêts du requis.

La société MongoDB France a interjeté appel de cette décision le 30 mai 2022.

La cour d’appel de Paris dans un arrêt en date du 15 décembre 2022 a confirmé l’ordonnance, à titre principal.

Parallèlement, les sociétés Alten ont déposé devant le président du tribunal de commerce de Paris une seconde requête enregistrée le 5 juillet 2022, alléguant que le débauchage se poursuivait et visant quatre nouveaux salariés pour solliciter la désignation d’un commissaire de justice pour une nouvelle mesure d’instruction in futurum.

Par ordonnance en date du 08 juillet 2022, il a été fait droit à la demande.

La SCP [Y] [R] et [K] Flament ès qualités, a effectué sa mission le 21 juillet 2022 et en a dressé constat, converti partiellement en procès-verbal de difficultés.

Par acte du 18 août 2022, la société MongoDB France Sarl a fait assigner les sociétés Alten et Alten Technologies devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins de, notamment :

In limine litis :

– surseoir à statuer sur la demande de rétractation formée par la société MongoDB France Sarl, dans l’attente de la décision de la cour d’appel de Paris sur l’appel interjeté par la société MondoDB France Sarl à l’encontre de l’ordonnance du 25 mai 2022, l’ayant déboutée de sa demande de rétractation de l’ordonnance du 11 janvier 2022 ayant autorisé l’exécution d’une mesure d’instruction dans ses locaux au bénéfice des sociétés Alten et Alten Technologies’;

– ordonner en conséquence le maintien sous séquestre des éléments saisis par l’étude SCP [R]-Flament, Etude de commissaire de justice instruite à la suite de l’ordonnance entreprise ;

En tout état de cause :

– écarter des débats les pièces des sociétés Alten et Alten Technologies n°5, 8, 10, 12, 14, 21, 23, 27, 28, 29 et 32 ;

– prononcer la rétractation en toutes ses dispositions de l’ordonnance entreprise ayant autorisé la mesure d’instruction contestée ;

En conséquence :

– juger l’ensemble des actes d’exécution de l’ordonnance entreprise privés d’effets et prononcer la nullité du ou des procès-verbaux qui auraient été établis par la SCP [R]-Flament, Etude de commissaire de justice instrumentaire, en exécution de l’ordonnance entreprise ;

– ordonner à la SCP [R]-Flament, Etude de commissaire de justice instruite, de restituer à la société MongoDB France, à première demande, sur présentation de l’ordonnance à intervenir, l’ensemble des pièces séquestrées à son étude et de n’en conserver aucune copie ;

– donner acte de ce que la société MongoDB France réserve ses droits quant à toute action visant à obtenir l’indemnisation des préjudices découlant du caractère abusif et illicite de la mesure d’instruction contestée ;

– condamner les sociétés Alten et Alten Technologies à payer à la société MongoDB France la somme totale de 15.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– les condamner enfin aux entiers dépens d’instance.

Par ordonnance du 10 novembre 2022, il a été fait droit à la demande de sursis à statuer dans l’attente de la décision de la cour d’appel sur la première ordonnance (décision précitée intervenue le 15 décembre 2022).

Par ordonnance réputée contradictoire du 02 février 2023, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris, a :

– dit n’y avoir lieu à surseoir à statuer ;

– débouté la société MongoDB France Sarl de sa demande d’écarter les pièces 5, 8, 10, 12, 14, 21, 23, 27, 28, 29 et 32 produites par les sociétés Alten et Alten Technologies ;

– rétracté partiellement notre ordonnance du 08 juillet 2022 en ce qu’elle exclura des pièces saisies :

le registre d’entrée et de sortie du personnel ;

les contrats de travail des salariés mentionnés dans l’ordonnance initiale, ainsi que leurs bulletins de salaire ;

ces pièces devant être détruites ou restituées à la société MongoDB France Sarl, selon ses instructions ;

– confirmé en tous points les autres dispositions de notre ordonnance du 08 juillet 2022 ;

– dit n’y avoir lieu à statuer sur la demande de levée de séquestre, celle-ci pouvant être considérée comme une demande reconventionnelle et devant faire l’objet d’une nouvelle assignation de la part des requérantes’;

– dit que la SCP [Y] [R] et [K] Flament prise en la personne de l’un de ses associés, commissaire de justice de ce tribunal, ès qualités de séquestre, ne pourra procéder à la libération des éléments sus visés entre les mains des sociétés Alten et Alten Technologies et/ou la destruction des pièces communicables, qu’après que tous les délais d’appel soient expirés, que dans cette attente la SCP [Y] [R] et [K] Flament, ès qualités, conservera sous séquestre l’ensemble des pièces ;

– condamné la société MongoDB France Sarl à verser aux sociétés Alten et Alten Technologies la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– rejeté toutes demandes autres, plus amples ou contraires des parties ;

– condamné en outre la société MongoDB France Sarl aux dépens de l’instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 41,93 euros TTC dont 6,78 euros de TVA ;

– la décision est de plein droit exécutoire par provision en application de l’article 514 du code de procédure civile.

Par déclaration du 28 février 2023, la société MongoDB France Sarl a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 19 septembre 2023, la société MongoDB France Sarl demande à la cour de :

– accueillir la société MongoDB France en son appel, l’y déclarer recevable et bien fondée ;

En conséquence,

A titre principal,

– débouter les Sociétés Alten et Alten Technologies de l’ensemble de leurs moyens, fins et prétentions ;

– les juger en outre mal fondées en leur appel incident ;

– infirmer l’ordonnance de référé du 2 février 2023 en ce que le Juge des référés a :

rétracté seulement partiellement l’ordonnance rendue sur requête en date du 8 juillet 2022 ;

confirmé en tous points les dispositions de l’ordonnance rendue sur requête en date du 8 juillet 2022 autres que celles permettant la saisie des éléments suivants : le registre d’entrée et sortie du personnel, les contrats de travail des salariés litigieux ainsi que leurs bulletins de salaires ;

violé les articles R. 153-1 et suivants du Code de commerce en excluant la prise en considération de la protection du secret des affaires revendiquée par MongoDB France dans le cadre de l’instance devant le Juge des référés ;

condamné MongoDB France à verser aux Sociétés Alten la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

rejeté toutes demandes autres, plus amples ou contraires de MongoDB France ;

condamné MongoDB France aux dépens d’instance.

Dès lors, statuant de nouveau sur les chefs de l’ordonnance du 2 février 2023 réformés :

– prononcer la rétractation en toutes ses dispositions de l’ordonnance rendue sur requête en date du 8 juillet 2022 ;

En conséquence :

– juger l’ensemble des actes d’exécution de l’ordonnance rendue sur requête en date du 8 juillet 2022 privés d’effet ;

– prononcer la nullité du ou des procès-verbaux qui auraient été établis par la SCP [R]-Flament, Etude de commissaires de justice instrumentaire, en exécution de l’ordonnance rendue sur requête en date du 8 juillet 2022 ;

– faire interdiction aux sociétés Alten et Alten Technologies de se prévaloir des actes d’exécution de l’ordonnance rendue sur requête en date du 8 juillet 2022 et en particulier du ou des procès-verbaux établis par la SCP [R]-Flament, Etude d’huissiers de justice instrumentaire, en exécution de l’ordonnance sur requête susvisée ;

– ordonner à la SCP [R]-Flament, Etude de commissaires de justice instruite, de restituer à la société MongoDB France, à première demande, sur présentation de la décision à intervenir, l’ensemble des pièces séquestrées à son étude et de n’en conserver aucune copie ;

A titre subsidiaire, si, par impossible, la Cour refusait d’infirmer l’ordonnance de référé entreprise et de rétracter intégralement l’ordonnance rendue sur requête en date du 8 juillet 2022 ;

– débouter les Sociétés Alten de leur appel incident ;

– dès lors, confirmer l’ordonnance de référé du 2 février 2023 en ce que le Juge des référés a rétracté partiellement l’ordonnance sur requête du 8 juillet 2022 et jugé « qu’elle exclura des pièces saisies :

le registre d’entrée et de sortie du personnel,

les contrats de travail des salariés mentionnés dans l’ordonnance initiale ainsi que leurs bulletins de salaire,

ces pièces devant être détruites ou restituées MongoDB France selon ses instructions » ;

– prononcer la rétractation partielle de l’ordonnance rendue sur requête en date du 8 juillet 2022 d’une manière plus élargie que ne l’a envisagé le Juge des référés ;

En conséquence, ordonner :

– le retrait du champ de la mesure d’investigation critiquée les mots clés suivants : [M] [H], Renault, Amplify, Nex6, Muse, RCI, [B] [L], HCM Fundamentals, EAE Challenge ;

– l’exclusion du périmètre de la mission de l’huissier du chef de mission « F » reproduit ci-après : « Tous éléments établissant la détention, l’utilisation ou la suppression, entre le 8 février 2022 et le jour des constatations, sur tous supports et particulièrement sur les postes informatiques et/ou serveurs mis à disposition ou utilisés par les dirigeants ou salariés, de MongoDB France, et/ou toute société qui la contrôlerait, qu’elle contrôlerait ou sous contrôle commun avec elle, notamment toute autre société du groupe MongoDB de fichiers propriétaires et/ou éléments qui pourraient émaner des sociétés Alten SA et Alten Technologies, notamment fichiers clients et/ou prospects, fichiers renfermant des données internes, informations techniques, commerciales, tarifaires et/ou comptables, anciennes propositions commerciales, correspondances, devis, contrats. La propriété de ces documents ou éléments pourra ressortir des propriétés informatiques, d’éléments visuels (logo, nom commercial) ou de leur contenu. Copier si faire se peut leurs propriétés informatiques et/ou les éléments établissant l’origine ainsi que les modifications et/ou suppressions de ceux-ci » ;

– à titre subsidiaire, si par impossible la Cour d’appel refusait d’infirmer l’ordonnance de référé entreprise et de rétracter intégralement l’ordonnance rendue sur requête en date du 8 juillet 2022, renvoyer les parties devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris pour la mise en ‘uvre de la procédure de tri contradictoire afin d’assurer une protection efficiente du secret des affaires comme le prévoient les articles R. 153-1 et suivants du code de commerce ;

– ordonner en conséquence le maintien sous séquestre des pièces ayant fait l’objet des mesures d’instruction à l’égard des Sociétés Alten Technologies et Alten SA qui ne pourront, sans qu’une nouvelle décision ait été rendue à ce titre, avoir accès à ces pièces ;

En tout état de cause,

– débouter les sociétés Alten et Alten Technologies de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

– condamner les sociétés Alten et Alten Technologies à payer à la société MongoDB France la somme totale de 12.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,

– les condamner enfin aux entiers dépens d’instance, dont distraction au profit de Me Matthieu Boccon-Gibod, Selarl Lexavoué [Localité 4]-[Localité 7].

La société MongoDB France SARL fait valoir qu’il n’est pas justifié par le juge des référés en quoi elle aurait opéré des débauchages de profils «’rares et ciblés’» et aurait désorganisé les sociétés Alten’; que de simples affirmations non démontrées sont insuffisantes.

Elle considère que les sociétés Alten ont procédé à une présentation tronquée et n’ont versé qu’un dossier probatoire vide, qui excluait que soit retenu un motif légitime. Elle relève notamment que l’attestation d’un salarié des sociétés Alten se limite à rapporter des faits relatés par des tiers.

Elle soutient que l’ordonnance ne démontre pas les conditions cumulatives de la mesure in futurum et se contente de renvoyer à’la requête’; qu’en réalité, les arguments avancés n’étaient pas de nature à justifier la mesure’; qu’une première mesure concernait déjà le même objet’; qu’elle avait communiqué certains contrats de travail’; que les sociétés Alten exposaient qu’elles détenaient suffisamment d’éléments, ce qui est contradictoire avec sa demande.

Elle rappelle que s’agissant du risque de dépérissement des preuves, des motifs généraux ne sont pas suffisants, relevant qu’une demande de communication sous astreinte est formée, démontrant qu’il existe d’autres moyens procéduraux que la procédure non contradictoire. Elle considère que la caractérisation du motif légitime ne peut provenir de la nature des données et de son activité.

Elle fait valoir qu’elle n’a pas fait obstruction à de précédentes mesures d’instruction’; qu’elle fait au contraire preuve d’une totale collaboration dans le cadre des autres procédures («’référé-cessation’» pour lequel elle a produit des contrats de travail et première procédure de référé rétractation), et elle estime que les sociétés Alten présentent de manière trompeuse le procès-verbal de constat.

Elle souligne qu’un évènement postérieur à la requête ne peut être invoqué pour justifier la dérogation. Elle considère que la mesure d’instruction n’est nullement limitée en son objet, s’agissant par exemple de mots clés génériques et non spécifiques, de sorte qu’elle est disproportionnée et non corrélée au dossier et elle soutient que le juge aurait dû étendre cette rétractation à tous les mots clés qu’elle détaille et qui justifient à tout le moins la rétractation partielle, si par extraordinaire, il n’était pas fait droit à la demande de rétractation totale.

Elle allègue que le premier juge a violé les dispositions de l’article R.153-1 et suivants du code de commerce, en considérant que la procédure décrite par ces articles n’avait pas sa place dans l’instance en rétractation, lui faisant courir en outre de se voir juger irrecevable à se prévaloir de la protection du secret des affaires dans une instance distincte. Elle considère que dans l’hypothèse de rétractation, la cour devrait renvoyer au juge des référés pour la mise en ‘uvre de la mesure de tri contradictoire. Elle précise qu’elle a communiqué les contrats de travail sollicités et le registre d’entrée et de sortie.

Dans leurs dernières conclusions remises et notifiées le 11 septembre 2023, les sociétés Alten et Alten Technologies demandent à la cour de :

– accueillir les sociétés Alten et Alten Technologies en l’ensemble de leurs moyens, fins et prétentions et les juger bien fondées ;

– constater qu’il existait un motif légitime pour les sociétés Alten SA et Alten Technologies de solliciter les mesures d’instruction ordonnées le 8 juillet 2022 sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ;

– constater qu’il existait un motif légitime justifiant de ne pas appeler la partie visée par la mesure ;

En conséquence :

– confirmer l’ordonnance de référé du 2 février 2023 en ce que le juge des référés a :

dit qu’il n’y avait lieu surseoir statuer ;

débouté MongoDB France SARL de sa demande d’écarter les pièces 5, 8, 10, 12, 14, 21, 23, 27, 28, 29 et 32 produites par les sociétés Alten et Alten Technologies ;

confirmé en tous points les dispositions de l’ordonnance rendue sur requête en date du 8 juillet 2022 autres que celles permettant la saisie des éléments suivants : le registre d’entrée et sortie du personnel, les contrats de travail des salariés litigieux ainsi que leurs bulletins de salaires ;

dit que la SCP [Y] [R] et [K] Flament, ès qualités, conservera sous séquestre l’ensemble des pièces saisies ;

condamné MongoDB France verser aux sociétés Alten et Alten Technologies la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

rejeté toutes demandes autres, plus amples ou contraires de MongoDB France ;

condamné MongoDB France aux dépens d’instance.

– infirmer l’ordonnance de référé du 2 février 2023 en ce que le juge des référés a :

pris acte à tort qu’au cours de l’audience du 24 janvier 2023 MongoDB France Sarl aurait remis spontanément aux sociétés Alten et Alten Technologies le livre des entrées et des sorties du personnel, les contrats d’embauche de leurs anciens collaborateurs ainsi que leurs bulletins de paie ;

rétracté partiellement l’ordonnance du 8 juillet 2022 et exclu des pièces saisies :

le registre d’entrée et de sortie du personnel ;

les contrats de travail des salariés mentionnés dans l’ordonnance initiale, ainsi que les bulletins de salaires.

dit n’y avoir lieu à statuer sur la demande de levée de séquestre,

– ordonner à la société MongoDB France Sarl, sous astreinte de 1.500 euros par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la signification de l’ordonnance à intervenir, de communiquer aux demanderesses, ou à défaut à Maître [R] :

les contrats de travail de Messieurs [E] et [X] ;

le registre d’entrée et de sortie du personnel de la société MongoDB France ;

les bulletins de paies des premiers salariés débauchés : Messieurs [D], [T], [F] et [A] ;

– ordonner le renvoi des parties devant le Juge des référés du Tribunal de commerce de Paris pour la mise en ‘uvre de la procédure levée du séquestre, conformément aux dispositions des articles R. 153-1 et suivants du Code de commerce ;

En tout état de cause,

– débouter la société MongoDB France Sarl de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

– condamner la société MongoDB France Sarl au paiement de l’ensemble des frais liés à l’exécution de la mesure ordonnée, en ce compris les frais exposés par l’huissier de justice ayant exécuté l’ordonnance ;

– ajoutant au montant de la condamnation prononcée en première instance, condamner la société MongoDB France Sarl au paiement de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société MongoDB France Sarl aux entiers dépens.

Les sociétés Alten et Alten Technologies font valoir qu’il existe un motif légitime justifiant de conserver ou d’établir la preuve des faits’; qu’il y a un recrutement massif et déloyal des business managers par la société MongoDB France’; que cette dernière est parvenue à débaucher huit collaborateurs de haut niveau, dont trois postérieurement à la mesure d’instruction, ce débauchage étant toujours en cours, ainsi qu’en attestent les nombreux mails’; qu’il existe des primes de cooptation dévoilant une stratégie ainsi qu’une violation de données personnelles et d’informations de nature confidentielle.

Elles allèguent qu’il existe de possibles détournements de fichiers leur appartenant et soulignent l’important préjudice résultant de ce débauchage. Elles considèrent qu’elles ont qualité pour engager une action en concurrence déloyale en raison du débauchage, action non prescrite. Elles indiquent se prévaloir d’indices concordants, peu important que les sociétés ne soient pas en situation de concurrence directe et effective.

Elles soutiennent que s’agissant de données sur support informatique, le risque de suppression est avéré’; qu’il y a eu obstruction à une précédente mesure d’instruction.

Elles estiment justifiées les mesures ordonnées comme étant indispensables pour connaître la nature et l’ampleur des agissements en cause et relèvent que le président du tribunal de commerce a défini la méthode d’exécution à destination du commissaire de justice, notamment la combinaison de mots clés. Elles font valoir que la mission présente un caractère précis et limité.

A titre reconventionnel, elles contestent l’exclusion de certains éléments par le premier juge, les éléments en cause ne lui ont pas été remis (registre d’entrée et de sortie du personnel notamment).

Elles sollicitent, au visa de l’article R. 153-1 du code de commerce, l’infirmation de l’ordonnance et le renvoi devant le juge des référés du tribunal de commerce pour la mise en ‘uvre de levée du séquestre.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 26 septembre 2023.

SUR CE, LA COUR

Sur la demande de rétractation

Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.

L’article 145 suppose l’existence d’un motif légitime, c’est-à-dire un fait crédible et plausible, ne relevant pas de la simple hypothèse, qui présente un lien utile avec un litige potentiel futur dont l’objet et le fondement juridique sont suffisamment déterminés et dont la solution peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée, à condition que cette mesure ne porte pas une atteinte illégitime aux droits d’autrui. Elle doit être pertinente et utile.

Ainsi, si le demandeur à la mesure d’instruction n’a pas à démontrer l’existence des faits qu’il invoque puisque cette mesure in futurum est justement destinée à les établir, il doit néanmoins justifier d’éléments rendant crédibles ses suppositions et démontrer que le litige potentiel n’est pas manifestement voué à l’échec, la mesure devant être de nature à améliorer la situation probatoire du demandeur. De plus, si la partie demanderesse dispose d’ores et déjà de moyens de preuves suffisants pour conserver ou établir la preuve des faits litigieux, la mesure d’instruction demandée est dépourvue de toute utilité et doit être rejetée. Enfin, ni l’urgence ni l’absence de contestation sérieuse ne sont des conditions d’application de ce texte.

L’article 493 du code de procédure civile dispose lui que l’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.

Le juge doit donc également rechercher si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe du contradictoire. Les circonstances justifiant cette dérogation doivent être caractérisées dans la requête ou l’ordonnance qui y fait droit.

La mesure ordonnée doit être circonscrite aux faits dénoncés dans la requête dont pourrait dépendre la solution du litige et ne pas s’étendre au-delà. Elle ne peut porter une atteinte illégitime au droit d’autrui.

Enfin, il résulte des articles 497 et 561 du code de procédure civile que la cour d’appel, saisie de l’appel d’une ordonnance de référé statuant sur une demande en rétractation d’une ordonnance sur requête, est investie des attributions du juge qui l’a rendue devant lequel le contradictoire est rétabli. Cette voie de contestation n’étant que le prolongement de la procédure antérieure, le juge doit apprécier l’existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête, à la lumière des éléments de preuve produits à l’appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui.

En l’espèce, dans un arrêt du 15 décembre 2022, la présente cour, s’agissant d’une première mesure d’instruction in futurum, a relevé qu’il s’avérait avec évidence que s’agissant de faits de débauchage allégués, les preuves recherchées se trouvent dans des fichiers informatiques contenant des échanges électroniques dont la fragilité intrinsèque ne fait pas débat, et qu’au cas d’espèce, de plus, le risque de dépérissement des preuves était d’autant plus établi qu’il s’agit de saisir des offres de contrats, assorties de propositions financières faites aux salariés, ce que les sociétés Alten ont peu de chances d’obtenir spontanément. La cour a considéré que de la sorte, les faits de débauchage allégués, dont il est recherché les preuves, justifiaient le recours à une procédure non-contradictoire, et le caractère non contradictoire de cette mesure constituait pour les sociétés Alten le seul moyen pour elles d’en obtenir la production.

Il apparaît que la société MongoDB France a débauché trois nouveaux cadres après la première mesure d’instruction mise en ‘uvre le 8 février 2022′: MM [P], [X] et [E]. Les intimées versent à ce titre les contrats de travail des salariés (pièces 24 à 26). Les déclarations mensuelles obligatoires de main-d”uvre de la société MongoDB (sa pièce 11 b) témoignent de ce que ses effectifs sont passés de 54 au 1er janvier 2021 à 103 au 30 juin 2022, dont plusieurs anciens salariés des intimées.

Ces trois salariés ont démissionné respectivement les 16 février 2022, 21 juin 2022 et 29 mars 2022.

Un quatrième salarié, M. [V] a démissionné le 3 février 2022 et n’était pas visé par la première requête.

Il est justifié (pièce 29 des intimées) que des centaines de courriels ont été adressés par la société MongoDB à des salariés des intimées.

Il résulte de la lecture d’exemples de contrat que des conditions particulièrement attractives sont proposées aux salariés concernés, pour des profils particulièrement qualifiés et donc rares, tels des directeurs, responsables d’agence ou des ingénieurs d’affaires’; ces embauches sont de nature à désorganiser et affaiblir de manière durable les sociétés Alten, sans préjudice des informations confidentielles dont tous les salariés ainsi recrutés sont détenteurs et portant sur des éléments de stratégie ou de clientèle.

L’existence d’un litige crédible, plausible est suffisamment établie et il consiste en une action pour concurrence déloyale en raison d’un débauchage intervenu postérieurement à la première requête. Aucune prescription ne peut être opposée aux requérants s’agissant de nouveaux faits allégués survenus en 2022.

Les données sont conservées sur support informatique et leur suppression est donc aisé, étant relevé en l’espèce que la société MongoDB France est spécialisée dans le stockage de données informatiques ce qui lui confère une compétence particulière sur ce point (pièce 2 des intimées).

Par ailleurs, avant l’ordonnance du 8 juillet 2022, objet du présent litige, la SCP [R] & Flament, huissiers audienciers, dans le cadre de l’exécution de la première ordonnance en date du 11 janvier 2022 a dressé un procès-verbal de constat converti en procès-verbal de difficultés le 8 février 2022.

Ce procès-verbal détaille de manière très circonstanciée et notamment (page 9) le refus de communiquer les éléments visés à l’ordonnance qui pourraient être détenus par la Direction des ressources humaines. Il est relevé (page 10) qu’avait été constaté à l’ouverture de la boite Gmail, un historique de recherches de mots clés, en relation avec l’ordonnance, dans les dernières recherches effectuées sur la boîte de messagerie, alors que l’huissier audiencier avait expressément demandé de ne pas accéder aux éléments demandés. Il en résulte à l’évidence un risque que certaines données aient été effacées alors même que par ailleurs, l’huissier a constaté que la corbeille était complètement vide.

Ce procès-verbal relate ainsi toute une série d’obstructions qu’il convient de prendre en compte pour apprécier la nécessité de procéder par requête non contradictoire, seule susceptible de garantir un effet de surprise à la suite des premières investigations en l’espèce.

La mesure est parfaitement justifiée en son principe.

Elle est limitée par ailleurs dans le temps, avec indication de périodes, et dans l’espace (le siège social de la société MongoDB France).

S’agissant des mots clés, ils sont pertinents en ce qu’ils concernent Alten ou les outils développés en interne (Amplify, Nex6, Muse ‘ Pièces 47, 48, 49). Le mot «’cooptation’» apparait également pertinent au regard de l’ampleur, dans un temps aussi réduit, du recrutement des salariés des sociétés Alten. Il importe peu, par exemple, que «’Alten group’» n’ait pas d’existence juridique’: il est plausible que les deux intimées soient désignées sous cette dénomination.

S’agissant des mots «’Renault’», un client de Alten (pièce 46 – site internet), ou RCI (pour Renault Crédit International), ils sont combinés avec des noms d’anciens salariés et des outils de gestion de ressources humaines de Alten.

L’identité des salariés en cause est spécifiée ce qui permet de justifier de la nécessité de cette nouvelle requête par rapport à la précédente et de la circonscrire.

Contrairement à ce qu’expose la société Mongo DB, le risque que les débauchages aussi importants se soient accompagnés de détournement de détournements de fichiers justifie que la mission porte également pour une période circonscrite sur «’Tous éléments établissant la détention, l’utilisation ou la suppression, entre le 8 février 2022 et le jour des constatations, sur tous supports et particulièrement sur les postes informatiques et/ou serveurs mis à disposition ou utilisés par les dirigeants ou salariés, de MongoDB France, et/ou toute société qui la contrôlerait, qu’elle contrôlerait ou sous contrôle commun avec elle, notamment toute autre société du groupe MongoDB de fichiers propriétaires et/ou éléments qui pourraient émaner des sociétés Alten SA et Alten Technologies, notamment fichiers clients et/ou prospects, fichiers renfermant des données internes, informations techniques, commerciales, tarifaires et/ou comptables, anciennes propositions commerciales, correspondances, devis, contrats. (‘)’».

Plus généralement, il doit être relevé, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, qu’il n’appartient pas aux sociétés Alten de rapporter la preuve des faits que la mesure vise précisément à étayer’; au demeurant, le caractère plausible de ces allégations est suffisamment démontré au regard des débauchages en cause. Cette mesure d’instruction est de nature à permettre d’établir la réalité et l’ampleur de la stratégie dénoncée par les intimées et du préjudice y afférent.

Comme l’a relevé le premier juge, la procédure de levée de séquestre permettra d’éviter que soient transmises des informations non pertinentes pour le litige ou de prévoir des modalités d’une divulgation aménagée en considération du secret des affaires.

Dès lors, il convient de constater la requête est parfaitement fondée en son principe et qu’elle est circonscrite et pertinente dans son périmètre sur ces différents points.

Il y a lieu de confirmer la décision déférée de ce chef.

S’agissant de la rétractation partielle ordonnée par la décision déférée

Le premier juge a rétracté partiellement l’ordonnance du 8 juillet 2022 en ce qu’elle exclura des pièces saisies’:

– Le registre d’entrée et de sortie du personnel’;

– Les contrats de travail des salariés mentionnés dans l’ordonnance initiale ainsi que leurs bulletins de salaire.

Il a pris acte de ce que la société MongoDB avait remis spontanément aux sociétés Alten ces pièces et qu’en tout état de cause, elles ne présentaient pas de risque de dépérissement.

Les sociétés Alten contestent à hauteur d’appel cette remise en ce qu’elle serait incomplète s’agissant des contrats de travail et des bulletins de paie et que le registre d’entrée et de sortie n’aurait pas été remis mais uniquement une déclaration de mouvements des salariés.

Cependant, comme l’a retenu le premier juge, il n’existe aucun risque de déperdition de ces différentes pièces alors même que la société MongoDB est légalement tenue de les détenir, aucun effet de surprise n’est à ce titre nécessaire. Il convient d’ailleurs de relever que les sociétés Alten sollicitent leur communication sous astreinte’: une telle demande est sans lien avec la présente procédure portant sur la demande de rétractation dont la cour est saisie.

La décision déférée sera également confirmée de ce chef.

Sur la procédure de levée de la mesure de séquestre

Selon l’article R. 153-1 du code de commerce, lorsqu’il est saisi sur requête sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ou au cours d’une mesure d’instruction ordonnée sur ce fondement, le juge peut ordonner d’office le placement sous séquestre provisoire des pièces demandées afin d’assurer la protection du secret des affaires.

Le juge saisi en référé d’une demande de modification ou de rétractation de l’ordonnance est compétent pour statuer sur la levée totale ou partielle de la mesure de séquestre dans les conditions prévues par les articles R. 153-3 à R. 153-10.

Il y a lieu dès lors d’infirmer la décision entreprise en ce qu’elle a dit n’y avoir lieu à statuer sur la demande de levée de séquestre, c’est à tort que le premier juge a retenu que cette demande pouvait être considérée comme une demande reconventionnelle et devait faire l’objet d’une nouvelle assignation de la part des requérantes. Le juge saisi en référé de la rétractation était compétent pour statuer, dans la même instance.

Sur les autres demandes

Le sens de la présente décision conduit à confirmer l’ordonnance s’agissant des frais irrépétibles et des dépens.

A hauteur d’appel, la société MongoDB France sera condamnée aux dépens ainsi qu’à la somme de 3.500 euros au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

Confirme l’ordonnance entreprise en ses dispositions déférées à la cour sauf en ce qu’elle a’dit n’y avoir lieu à statuer sur la demande de levée de séquestre, celle-ci pouvant être considérée comme une demande reconventionnelle et devant faire l’objet d’une nouvelle assignation de la part des requérantes’;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que le juge saisi en référé de la demande de rétractation est compétent pour statuer sur la levée totale ou partielle de la mesure de séquestre dans les conditions prévues par les articles R. 153-3 à R. 153-10 et par conséquent ordonne le renvoi devant le premier juge pour qu’il statue sur ce point’;

Condamne la société MongoDB à payer aux sociétés Alten et Alten technologies la somme de 3.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile’;

Condamne la société MongoDB aux dépens d’appel’;

Déboute les parties de tout autre demande.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

 


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