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N° RG 21/04586 – N° Portalis DBVM-V-B7F-LDBI
C1
Minute N°
Copie exécutoire
délivrée le :
la SCP CONSOM’ACTES
la SELARL JEAN-MICHEL ET SOPHIE DETROYAT
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT DU JEUDI 08 SEPTEMBRE 2022
Appel d’une ordonnance (N° RG 2021R00001)
rendu par le Tribunal de Commerce de VIENNE
en date du 14 octobre 2021
suivant déclaration d’appel du 28 octobre 2021
APPELANT :
M. [O] [Y]
né le 28 Mars 1979 à SCHITLTIGHEIM
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représenté par Me Régine PAYET de la SCP CONSOM’ACTES, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant et Me MICHAUD Alban, avocat au barreau de LYON,
INTIMÉE :
S.A.S.U. EOLIA CONSULTING
SAS au capital de 120 000 €, immatriculée au Registre du Commerce et des Société de LYON sous le numéro 484 141 395 prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège,
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Sophie DETROYAT de la SELARL JEAN-MICHEL ET SOPHIE DETROYAT, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant, plaidant par Me Eric AGAMI, avocat au barreau de PARIS,
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Marie-Pierre FIGUET, Présidente,
Mme Marie-Pascale BLANCHARD, Conseillère,
M. Lionel BRUNO, Conseiller,
Assistés lors des débats de Madame Sarah DJABLI, Greffier placé.
DÉBATS :
A l’audience publique du 18 mai 2022, Mme BLANCHARD, conseillère, a été entendue en son rapport,
Les avocats ont été entendus en leurs conclusions et Me AGAMI en sa plaidoirie,
Puis l’affaire a été mise en délibéré pour que l’arrêt soit rendu ce jour,
EXPOSE DU LITIGE :
La Sas Eolia Consulting exerce une activité d’édition de logiciel, de développement informatique et d’infogérance (hébergement et sécurisation de données).
Elle a développé une solution logicielle pour la gestion des recrutements, dénommée système ATS, combinant trois portails : un portail recruteur, un portail manager et un portail candidat (site carrière).
M. [O] [Y] a été salarié de la société Eolia Consulting en qualité de Responsable Développement Export du 4 janvier 2017 au 24 juin 2019, date à laquelle son contrat de travail a fait l’objet d’une rupture conventionnelle.
Se prévalant d’actes de démarchage de ses prospects par M. [Y] sous la dénomination commerciale “Kiss my job” et sur la base d’informations frauduleusement communiquées par un de ses salariés M. [S], licencié depuis pour faute grave le 1er décembre 2020, la société Eolia a obtenu le 23 novembre 2020, une ordonnance du président du tribunal de commerce de Vienne l’autorisant à mandater un huissier de justice pour rechercher tout document, sur tout support relatif à APEX ENERGIE, SECURILOG, INTERIMAN, sur la période du mois de juin 2020 au jour de l’ordonnance.
Ces mesures d’investigation se sont déroulées le 25 novembre suivant au domicile de M. [Y].
Par acte d’huissier du 20 avril 2021, la société Eolia a également fait assigner M. [Y] devant le juge du fond en concurrence déloyale par actes de parasitisme.
Sur l’assignation aux fins de rétractation de l’ordonnance du 23 novembre 2020 et par décision du 14 octobre 2021, le président du tribunal de commerce de Vienne a :
– débouté M. [O] [Y] de l’ensemble de ses demandes et confirmé l’ordonnance sur requête prononcée le 23 novembre 2020 en toutes ses dispositions,
– ordonné la levée du séquestre des éléments recueillis dans le cadre des opérations de saisie du 25 novembre 2020,
– dit que l’huissier instrumentaire effectuera avant toute remise, un tri des éléments saisis afin de transmettre à la société Eolia Consulting les seuls documents dont la saisie a été spécialement autorisée par l’ordonnance sur requête, à l’exclusion de tout courrier d’avocats,
– ordonné la remise par l’huissier instrumentaire à la société Eolia Consulting de la copie des éléments tels que définis, saisis au cours des opérations de constat,
– condamné M. [O] [Y] à payer à la société Eolia Consulting la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens incluant les frais et honoraires de la saisie.
Suivant déclaration au greffe du 28 octobre 2021, M. [Y] a relevé appel de cette décision en toutes ses dispositions qu’il a énumérées dans son acte d’appel.
Prétentions et moyens de M. [Y] :
Au terme de ses dernières écritures notifiées le 14 décembre 2021, M. [Y] demande à la cour de :
– infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions,
– statuant à nouveau,
– constater que la société Eolia Consulting s’est livrée à une présentation incomplète des faits ayant donné lieu au prononcé d’une ordonnance non contradictoire, ceci en violation de la vie privée de M. [O] [Y],
– constater que le Président du tribunal de commerce de Vienne était incompétent tant matériellement que territorialement,
– en conséquence,
– à titre principal,
– rétracter l’ordonnance rendue le 23 novembre 2020,
– prononcer la nullité de l’ensemble des opérations de constat et des saisies pratiquées à la demande de la société Eolia Consulting,
– ordonner à l’huissier de justice de restituer l’ensemble des éléments qu’il a saisi à M. [O] [Y] et cela sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir,
– interdire à l’huissier de justice instrumentaire toute remise de documents, éléments ou informations à la société Eolia Consulting, obtenus au moyen des mesures qu’il a pratiquées,
– interdire à la société Eolia Consulting ou tout ayant droit de produire ou de communiquer en tout ou partie le constat dressé le 25 novembre 2020 par l’huissier de justice instrumentaire ainsi que tous les éléments ayant permis l’établissement de ce constat et cela sous astreinte de 50 000 euros par infraction constatée,
– à titre subsidiaire,
– modifier l’ordonnance rendue le 23 novembre 2020 et y ajoutant,
– renvoyer les parties devant le juge qui a rendu l’ordonnance du 23 novembre 2020 en audience de cabinet pour examiner, en présence de l’huissier de justice commis et le cas échéant de l’expert informatique l’ayant assisté, quelles pièces pourront être communiquées à la société Eolia Consulting,
– en tout état de cause,
– condamner la société Eolia Consulting à payer à M. [O] [Y] la somme de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société Eolia Consulting aux entiers dépens.
M. [Y] conteste la compétence matérielle et territoriale du tribunal de commerce de Vienne aux motifs que :
– comme l’indiquent les prospects, il a toujours agi sous mandat d’une société tierce, notamment des sociétés Equest et RT2D, cette dernière étant propriétaire de la marque déposée “Kiss My Job”, et non pour son propre compte,
-en recherchant sa seule responsabilité personnelle, la société Eolia a entendu agir sur le fondement de l’obligation de discrétion et de confidentialité pendant et après l’exécution du contrat de travail figurant à l’article 11 de ce dernier, dont la violation relève de la juridiction prud’homale,
– les mesures d’investigations auraient du s’exécuter à [Localité 3] au siège social de la société RT2D, titulaire de la marque déposée “Kiss My Job”.
Il considère que si des actes de concurrence déloyale ont été commis seule la société RT2D doit en répondre, que la société Eolia Consulting pouvait facilement indentifier le propriétaire de la marque et s’en est fautivement abstenu.
A titre subsidiaire, il demande une modification de l’ordonnance pour que le juge de la requête détermine les pièces pouvant être communiquées à la société Eolia Consulting.
Prétentions et moyens de la société Eolia Consulting :
Selon ses dernières conclusions notifiées le 3 mars 2022, la société Eolia Consulting entend voir :
– dire la société Eolia Consulting recevable et bien-fondée en ses prétentions,
– confirmer l’ordonnance en toutes ses dispositions,
– rejeter tous les moyens, fins et prétentions de M. [O] [Y],
– subsidiairement,
– renvoyer l’affaire devant le tribunal de commerce de Vienne aux fins de convocation des parties en audience de cabinet aux fins d’examiner les éléments issus de la saisie et séquestrés selon le procès-verbal de constat du 25 novembre 2020 et définir ceux qui seront remis à la société Eolia Consulting,
– en tout état de cause,
– condamner M. [O] [Y] à payer à la société Eolia Consulting la somme de 7.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens d’appel, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
La société Eolia Consulting soutient que :
– l’intervention personnelle de M. [Y] dans la commercialisation de produits concurrentes auprès de ses prospects n’est pas sérieusement contestable,
– M. [Y] ne rapporte pas la preuve de ses interventions en qualité de représentant ou salarié d’autres sociétés, ni d’un lieu d’exercice de son activité autre que son domicile,
– l’appréciation du bien fondé de l’autorisation donnée doit se faire sur la base des éléments présentés dans la requête initiale,
– à la date de sa requête, le mandat de la société RT2D n’apparaissait dans aucun des documents remis ou des échanges avec les prospects concernés, le site internet “Kiss My Job” ne renvoyait à aucune structure juridique et elle n’a pas été en mesure d’établir de liens entre ce nom commercial et la société RT2D.
Elle considère que le dépôt par cette dernière de la marque “Kiss My Job” ne suffit pas à établir que les démarchages de M. [Y] ont été faits pour son compte, ni à justifier de la publication opposable aux tiers, que les liens entre la société RT2D et M. [Y] demeurent opaques et qu’il ne peut en conséquence lui être reproché d’avoir dirigé sa requête à l’encontre de M. [Y].
Elle fait valoir que le contrat de travail de M. [Y] a pris fin plus d’un an avant les faits, que sa clause de confidentialité ne pouvait porter que sur des informations portées à la connaissance de M. [Y] en cours d’exécution du contrat de travail, alors que celles dont il a fait usage pour développer une concurrence déloyale sont bien postérieures s’agissant de besoins exprimés par des clients en juin et octobre 2020.
Elle estime en conséquence que s’étant prévalue de faits de concurrence déloyale, étrangers à des obligations contractuelles, le litige de nature commerciale relevait bien du tribunal de commerce et qu’en l’absence d’informations, à la date de sa requête, sur l’intervention de la société RT2D, comme sur une adresse professionnelle de M. [Y] distincte de son domicile, elle a pu valablement saisir le tribunal de commerce de ce domicile, soit celui de Vienne, matériellement et territorialement compétent.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 14 mars 2022.
MOTIFS DE LA DECISION :
En vertu de l’article 145 du code de procédure civile, toute personne disposant d’un motif légitime peut obtenir sur requête ou en référé la désignation d’un expert pour rechercher et établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un procès éventuel, sauf lorsque la mesure n’est pas de nature à améliorer la situation probatoire du demandeur ou que l’action au fond qui motive la demande d’expertise est manifestement vouée à l’échec.
Selon l’article 493 du code de procédure civile, l’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse, en présence de circonstances autorisant qu’il soit dérogé au principe de la contradiction.
1°) Sur la compétence matérielle et territoriale du tribunal de commerce de Vienne :
La requête présentée par la société Eolia Consulting au président du tribunal de commerce de Vienne reproche à M. [Y] le développement d’un système logiciel de recueil et de traitement de données de ressources humaines directement concurrent du sien sous couvert d’une enseigne commerciale et le démarchage de ses prospects en utilisant des informations communiquées par l’un de ses salariés, M.[S].
Elle n’entend ainsi pas agir sur le fondement de la clause de non concurrence inscrite dans le contrat de travail de M. [Y], mais sur la déloyauté de la démarche commerciale de ce dernier.
Les témoignages de ces prospects font état de leur démarchage par M. [O] [Y] se présentant sous le nom commercial de “Kiss My Job” ou d’e-Quest.
S’il justifie par témoignage avoir travaillé entre juillet 2019 et septembre 2020 pour le service commercial de la société e-Quest et chargé par cette dernière de l’acquistion de nouveaux clients, il ne rapporte pas de preuve de sa qualité de salarié de la société RT2D.
En conséquence, la requête en ce qu’elle porte sur une activité commerciale déloyale personnelle de M. [Y] relève donc bien de la compétence du tribunal de commerce et non de la juridiction prud’homale.
Il résulte des pièces produites aux débats que les adresses mail utilisées par M. [Y] dans ses courriels de prospection commerciale étaient soit une adresse personnelle : ” @ gmail.com “, soit une adresse professionnelle : ” @kissmyjob.com “.
Les recherches effectuées auprès du site infogreffe n’ont pas permis de découvrir une entreprise immatriculée sous le nom de Kiss My Job et il ne pouvait être exigé de la société Eolia Consulting qu’elle vérifie préalablement l’éventuel dépôt d’une marque protégeant ce qui pouvait correspondre à une simple enseigne.
Au regard des informations recueillies, la société Eolia Consulting pouvait légitimement rechercher la preuve de faits de concurrence déloyale commis à titre personnel par M. [Y].
Dès lors, le tribunal de commerce de Vienne, dans le ressort duquel M. [Y] a son domicile, est territorialement compétent pour connaître du fond du litige et son président pour connaître de la requête.
L’ordonnance sera confirmée en ce qu’elle a rejeté la demande de rétractation de l’ordonnance sur requête.
2°) Sur la protection du secret des affaires :
Lorsqu’il est saisi sur requête sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, le juge peut ordonner d’office, conformément à l’article R.153-1 du code de commerce, le placement sous séquestre provisoire des pièces demandées afin d’assurer la protection du secret des affaires.
Si le juge n’est pas saisi d’une demande de modification ou de rétractation de son ordonnance en application de l’article 497 du code de procédure civile, dans le mois suivant la signification de la décision, la mesure de séquestre provisoire est levée et les pièces remises au requérant.
Le juge saisi d’une demande de modification ou de rétractation de l’ordonnance est compétent pour statuer sur la levée totale ou partielle de cette mesure dans les conditions énoncées par les articles R.153-3 à R.153-10.
Ces dernières dispositions prévoit une procédure dans laquelle la protection du secret des affaires invoquée doit préciser quelle pièce est concernée dont une version confidentielle intégrale et une version non confidentielle ou un résumé sont remis au juge ainsi qu’un mémoire “précisant pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d’un secret des affaires”.
Dans son ordonnance du 23 novembre 2020, le président du tribunal de commerce a bien ordonné le placement sous séquestre des pièces et documents recueillis par l’huissier de justice dans le cadre de la mesure d’investigation autorisée.
En première instance, M. [Y] n’a pas saisi le juge de la rétractation, d’une demande de protection du secret des affaires et n’a pas mis en ‘uvre la procédure idoine devant la cour.
Il n’y a donc pas lieu de modifier l’ordonnance sur requête qui en a prévu la faculté, ni l’ordonnance du juge de la rétractation qui a ordonné la remise des pièces à la société Eolia Consulting.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi,
CONFIRME l’ordonnance du 14 octobre 2021 dans toutes ses dispositions soumises à la cour,
y ajoutant,
CONDAMNE M. [O] [Y] à payer à la Sas Eolia Consulting la somme complémentaire en cause d’appel de 2. 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. [O] [Y] aux dépens de l’instance d’appel.
SIGNÉ par Mme FIGUET, Présidente et par Mme RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La GreffièreLa Présidente