Séquestre provisoire : 6 juillet 2023 Cour d’appel de Grenoble RG n° 22/03733

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Séquestre provisoire : 6 juillet 2023 Cour d’appel de Grenoble RG n° 22/03733
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N° RG 22/03733 – N° Portalis DBVM-V-B7G-LRR2

C1

Minute N°

Copie exécutoire

délivrée le :

la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY

la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT DU JEUDI 06 JUILLET 2023

Appel d’une ordonnance (N° RG 2022R58)

rendue par le Tribunal de Commerce de GRENOBLE

en date du 02 août 2022

suivant déclaration d’appel du 17 octobre 2022

APPELANTE :

Société TIMKL immatriculée au RCS de Grenoble sous le numéro 848 743 027, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant et plaidant par Me Christian DARGHAM, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE :

S.A. VITALAIRE au capital de 6.821.760 €, immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 425 039 773, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,

[Adresse 4]

[Localité 5]

représentée par Me Josette DAUPHIN de la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant et plaidant par Me BUISSON de la SELARL ALTANA, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Marie-Pierre FIGUET, Présidente,

Mme Marie-Pascale BLANCHARD, Conseillère,

M. Lionel BRUNO, Conseiller,

Assistés lors des débats de Alice RICHET, Greffière

DÉBATS :

A l’audience publique du 22 mars 2023, Mme BLANCHARD, conseillère, a été entendue en son rapport,

Les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries,

Puis l’affaire a été mise en délibéré pour que l’arrêt soit rendu ce jour, après prorogation du délibéré.

EXPOSE DU LITIGE :

Les sociétés Timkl et Vitalaire exploitent toutes les deux une activité de prestations d’accompagnement médical à domicile, notamment auprès de patients diabétiques.

Le 9 mars 2017, la SA Vitalaire a acquis le fonds de commerce de prestations de services de santé à domicile pour les patients diabétiques traités par pompe à insuline du Centre d’Etudes et de Recherche sur l’Intensification du Traitement du Diabète (CERITD) association à laquelle plusieurs Centres Hospitaliers, dont ceux de [Localité 8], [Localité 7] et [Localité 6], ont fait appel pour la mise en place de suivis à domicile conformes au dispositif légal du Protocole de Coopération permettant la délégation d’actes médicaux à des personnels paramédicaux.

Cette cession s’étant effectuée sans transfert de personnel, la société Vitalaire a confié au CERITD, suivant convention du même jour et pour une durée de cinq ans renouvelable, les prestations de services de santé nécessitées par le suivi de ces patients.

En octobre 2020, le CERITD a informé la société Vitalaire de la fermeture de ses centres de Strabourg et [Localité 6] entraînant le licenciement économique de leurs infirmier(e)s.

Dans le courant du mois de mai 2021, les cinq infirmier(e)s concernés ont démissionné après avoir fait connaître dans le courant du mois de mars leur refus de rejoindre la société Vitalaire.

Trois infirmières salariées sur le site de [Localité 7] du CERIDT ont également démissionné en octobre 2021.

Ces infirmier(e)s ont été recrutés par la SAS Timkl.

Se prévalant d’actes de concurrence déloyale par détournement de patientèle, la société Vitalaire a obtenu du président du tribunal de commerce de Grenoble, par ordonnances des 16 février et 22 mars 2022, l’autorisation de pratiquer des mesures d’instruction au siège de la société Timkl et au domicile du président de cette dernière, ainsi qu’aux domiciles respectifs de cinq infirmiers anciens salariés du CERITD.

Les mesures de constat ont été réalisées par ministère d’huissier le 8 avril 2022.

Le 6 mai 2022, la société Vitalaire a fait assigner la société Timkl devant la juridiction commerciale en indemnisation de faits de concurrence déloyale.

Par acte d’huissier du 9 mai 2022, la société Timkl a fait assigner la société Vitalaire en référé devant le tribunal de commerce de Grenoble en rétractation des ordonnances en question, et subsidiairement, en modification de la mission confiée aux huissiers.

Par ordonnance du 2 août 2022, le juge des référés du tribunal de commerce de Grenoble a :

– dit n’y avoir lieu à rétractation des ordonnances rendues par le Président du tribunal de commerce de Grenoble des 16 février et 22 mars 2022,

– débouté la société Timkl de sa demande subsidiaire tendant à modifier lesdites ordonnances,

– condamné la société Timkl à payer à la société Vitalaire la somme de 15.000 euros à titre d’indemnité en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la société Timkl aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SELARL Dauphin-Mihajlovic et/ou la SELARL Altana,

– liquidé les dépens.

Suivant déclaration au greffe du 17 octobre 2022, la société Timkl a relevé appel de cette décision, en toutes ses dispositions qu’elle a énumérées dans son acte d’appel.

Prétentions et moyens de la société Timkl:

Au terme de ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 29 novembre 2022, la société Timkl demande à la cour de :

– à titre principal,

– réformer l’ordonnance

– juger que les ordonnances des 16 février et 22 mars 2022 doivent être rétractées,

– à titre subsidiaire,

– modifier les ordonnances des 16 février et 22 mars 2022 comme suit : Mener des recherches sur les ordinateurs professionnels, serveurs professionnels, cloud professionnel, tablettes professionnelles, boîtes mails professionnelles et téléphones portables professionnels de M.[H] [Y], M. [W] [Z], M. [M] [E], Mme [L] [K], Mme [A] [P] et Mme [V] [J], en appliquant les mots-clés suivants : «Vitalaire» + «changement de prestataire» ou «transfert de patient» ou «transfert de patientèle»,

– en tout état de cause,

– condamner Vitalaire au paiement de la somme de 35.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

La société Timkl conteste l’existence d’un motif légitime aux mesures ordonnées aux motifs que :

– elle n’a procédé à aucun détournement de patientèle au préjudice de la société Vitalaire,

– les numéros de téléphone portable de patients ont été transmis dans le cadre du Protocole de Coopération par les médecins diabétologues prescripteurs,

– les démissions concomitantes d’infirmiers sont la conséquence de l’annonce par le CERITD de la fermeture de ses centres de [Localité 8], [Localité 6] et [Localité 7] et de licenciements économiques,

– ces infirmiers n’étaient pas astreints au respect de clauses de non concurrence,

– les patients ayant le libre choix de leur prestataire de service de santé, leur changement au profit de la société Timkl ne caractérise pas des actes de concurrence déloyale.

Elle estime que la procédure vise, par le choix de mots-clefs très larges et sans lien avec les allégations de concurrence déloyale à permettre à la société Vitalaire de collecter des informations sur un concurrent sur le marché des pompes à insuline.

Elle fait valoir que par leur généralité, les mesures d’instruction demandées excèdent ce qui est légalement admissible et confinent à des mesures générales d’investigation dès lors que :

– le mot Timkl est un mot générique donnant accès à tous types d’informations et à l’intégralité des documents contenus sur ses supports informatiques,

– les mots clefs en lien avec la prise en charge des patients donnent accès à l’intégralité de son activité commerciale,

– les contrats entre elle et les CHU de [Localité 8] et [Localité 6] sont étrangers à l’affaire, le contrat de coopération concernant les médecins prescripteurs et non les établissements hospitaliers,

– les recherches sur la base de noms sans croisement avec d’autres mots clefs permet le recueil de l’intégralité de l’activité commerciale de ces personnes, comme à leur correspondance personnelle.

Elle considère que les mesures ordonnées portent atteinte au secret de ses affaires et que leur périmètre est trop vaste.

Prétentions et moyens de la société Vitalaire :

Selon ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 5 janvier 2023, la société Vitalaire entend voir :

– déclarer la société Timkl mal fondée en son appel et en ses demandes de réformation de l’ordonnance sur référé du 2 août 2022 et de rétractation et de modification des ordonnances sur requête des 16 février et 22 mars 2022 ;

– débouter la société Timkl de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions; – confirmer dans toutes ses dispositions l’ordonnance de référé rendue le 2 août 2022 par le Président du tribunal de commerce de Grenoble ;

– condamner la société Timkl à verser à la société Vitalaire la somme de 35.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société Timkl aux entiers dépens d’instance, dont distraction au profit de la SELARL Dauphin-Mihajlovic et/ou la SELARL Altana, pour ceux dont elles auraient fait l’avance sans avoir reçu provision.

La société Vitalaire fait valoir que l’ensemble des cinq infirmiers travaillant sur les sites de Strabourg et [Localité 6] ont concomitamment et de manière coordonnée, refusé sa proposition d’embauche, que quatre d’entre eux ont démissionné au même moment et rejoint la société Timkl ; que les trois infirmières officiant à [Localité 7] ont également démissionné en octobre 2021 pour être embauchées par la société Timkl et que dans le même temps, elle a constaté une perte soudaine et significative de ses patients sur ces trois sites.

Elle soutient que ses patients ont été directement incités à changer de prestataire au profit de sa concurrente, que ce démarchage actif pratiqué par les infirmiers procède manifestement d’une stratégie déloyale de captation de patientèle justifiant les mesures d’instruction sollicitées.

Elle conteste le caractère général des investigations ordonnées alors que l’ordonnance les a précisées et limitées quant à la nature des éléments à recueillir et dans le temps ; que les mots clefs ont été utilisés avec discernement par les huissiers instrumentaires.

Elle soutient que les mesures ordonnées n’ont pas porté une atteinte au secret des affaires, l’ordonnance les ayant au contraire aménagé pour assurer sa protection au travers d’un séquestre provisoire et que la société Timkl a la faculté de faire usage de la procédure des articles R.153-3 et suivants du code de commerce.

Subsidiairement, elle considère qu’il n’existe aucun motif sérieux de modification des termes de l’ordonnance.

Il convient en application de l’article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions susvisées pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 16 mars 2023.

MOTIFS DE LA DECISION :

En application des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.

Il est justifié d’un motif légitime lorsqu’il existe un litige potentiel entre les parties, que l’action au fond qui motive la mesure d’instruction n’est pas manifestement irrecevable ou dénuée de fondement ou encore vouée à l’échec, que la mesure sollicitée améliore la situation probatoire du requérant et qu’elle ne porte pas atteinte aux intérêts légitimes du défendeur.

La société Vitalaire suspecte la société Timkl d’actes de concurrence déloyale par démarchage de ses clients et débauchage de ses salariés.

Si la détermination du motif légitime n’impose pas au requérant de rapporter dès à présent la preuve des faits sur le fondement desquels il envisage une action en justice éventuelle, il lui appartient néanmoins de présenter les éléments concrets qui lui permettent d’étayer ses suspicions.

Il résulte des pièces produites que cinq infirmiers des antennes de [Localité 8] et de [Localité 6] du CERITD ont fait connaître à leur employeur, au mois de mars 2021, leur refus de rejoindre la société Vitalaire et que quatre d’entre eux ont démissionné, que par ailleurs, trois infirmières de l’antenne de [Localité 7] ont démissionné au mois d’octobre 2021 et que l’ensemble de ces personnels a rejoint la société Timkl qui, ainsi qu’elle le reconnaît en page 8 de ses écritures: «leur a fait une offre d’embauche».

Il n’est pas discuté que les infirmier(e)s salariés du CERIDT avaient été informés de la décision de ce dernier, en fin d’année 2020, de fermer ses centres de [Localité 8] et [Localité 6] et de la perspective de leur licenciement.

Pour autant, il résulte d’un courriel du CERIDT du 8 novembre 2021 que ce dernier a été surpris par la démission conjointe de trois de ses salariées du centre de [Localité 7] et que les propositions de recrutement immédiat de nouveaux soignants pour pallier ces départs soumises à l’un des médecins prescripteurs et par ailleurs administrateur du CERIDT ont été jugées inutiles en raison d’un autre projet d’accompagnement avec un autre prestataire, la société Timkl.

Il est en outre établi que le 6 juillet 2021, par un sms adressé au numéro de téléphone portable personnel de l’un de ses anciens patients, client de la société Vitalaire, M [Z] l’a informé que M. [E] et lui-même avait changé d’employeur au profit de la société Timkl dans les termes suivants :

«ça y est [M] et moi avons rejoint notre nouvelle société de prestation Timkl. Comme spécifié dans le courrier du Pr [T], nous vous proposons de continuer à vous accompagner. Pour cela je vous appellerai très rapidement pour les modalités pratiques. En attendant, merci de continuer à appeler le [XXXXXXXX01] en cas de difficulté avec votre matériel et l’urgence hospitalière au ‘ en cas de problème médical».

L’examen des questionnaires d’une enquête réalisée par la société Vitalaire entre août et septembre 2021, auprès de ses clients ayant choisi de changer de prestataire révèle que pour nombre d’entre eux, cette décision a été orientée ou proposée par leur infirmier «ex CERIDT» ou «Timkl».

L’ensemble de ces éléments étayent les suspicions de détournement de patientèle pouvant conduire la société Vitalaire à engager une action à l’encontre de la société Timkl.

Le fait que cette patientèle soit sujet d’une prise charge dans le cadre d’un protocole de soins ne peut à ce stade, constituer une justification des sollicitations directes dont elle a fait l’objet, de nature à vouer cette action à l’échec, puisqu’il ressort des termes du sms précédemment cités, comme de plusieurs échanges de courriels entre le CERITD et la société Vitalaire que la continuité des soins avait été organisée pour pallier la désaffection des infirmier(e)s concernés.

Dans l’exposé des mesures d’investigations sollicitées figurant dans sa requête, dont le président du tribunal de commerce a adopté les termes dans son ordonnance du 16 février 2022, la société Vitalaire a précisé la nature des éléments de preuve recherchés en les limitant aux :

– échanges de correspondances entre les infirmiers démissionnaires du CERIDT et leurs patients, clients de la société Vitalaire, au sujet du changement de prestataire de suivi à domicile, depuis le 1er décembre 2020,

– listes des patients ayant changé de prestataire depuis le 1er juin 2021 et de ceux communs aux deux sociétés.

Elle a précisé de façon détaillé que les documents recherchés devaient avoir trait aux relations de travail entre les infirmiers et la société Timkl, au transfert des patients de Vitalaire au profit de celle-ci et aux opérations visant à les inciter au changement de prestataire de santé à domicile.

Elle a également encadré les recherches par l’utilisation de mots clefs relatifs aux structures, aux infirmiers et médecins prescripteurs concernés, ainsi qu’à différentes situations pertinentes au regard du contexte et des buts poursuivis tels que «changement de pompe», «désapareillage», «changement» ou «nouvelle société», «transfert de patient».

Si les investigations autorisées portent atteinte à la vie privée des personnes physiques concernées, ainsi qu’au secret des affaires de la société Timkl, leur délimitation précise et circonstanciée dans le temps, comme dans leur objet, les rend proportionnées au but poursuivi de recherches de preuves d’un détournement de patientèle.

La société Vitalaire a ainsi établi l’existence d’un motif légitime autorisant le recours aux mesures d’investigations demandées que la nature des informations recherchées, s’agissant de flux de données téléphoniques et informatiques aisément destructibles ou transférables, justifiait qu’il soit dérogé au principe du contradictoire.

Il n’y a donc pas lieu ni de rétracter, ni de modifier l’ordonnance du président du tribunal de commerce de Grenoble du 16 février 2022 ce qui conduira la cour à confirmer l’ordonnance de référé du 2 août 2022.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

CONFIRME l’ordonnance du juge des référés du tribunal de commerce de Grenoble en date du 2 août 2022, en ses chefs de dispositif soumis à la cour,

y ajoutant,

CONDAMNE la SAS Timkl à payer à la SA Vitalaire la somme complémentaire en cause d’appel de 3000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la SAS Timkl aux dépens de l’instance d’appel et autorise la SELARL Dauphin-Mihajlovic et/ou la SELARL Altana à recouvrer directement ceux dont elles ont fait l’avance sans avoir reçu provision.

SIGNÉ par Mme FIGUET, Présidente et par Mme RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente

 


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