Séquestre provisoire : 28 septembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 22/06168

·

·

Séquestre provisoire : 28 septembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 22/06168
Ce point juridique est utile ?

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 1

ARRET DU 28 SEPTEMBRE 2022

(n° 144/2022, 16 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 22/06168 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFQ7G

Décision déférée à la Cour : Arrêt du 11 Janvier 2022 rendu par 1ère chambre du pôle 5 de la Cour d’Appel de PARIS RG n° 21/00626

DEMANDERESSES À LA MODIFICATION

S.A.S. TOTALENERGIES RAFFINAGE FRANCE

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de NANTERRE sous le numéro 529 221 749,

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 8]

[Adresse 8]

[Localité 7]

Représentée par Me Jean-Claude CHEVILLER, avocat au barreau de PARIS, toque : D0945

Assistée de Me François POCHART de la SCP AUGUST & DEBOUZY et associés, avocat au barreau de PARIS, toque : P0438

S.A.S. BIONEXT

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de COMPIEGNE, sous le numéro 519 022 214

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Localité 4]

Représentée par Me Jean-Claude CHEVILLER, avocat au barreau de PARIS, toque : D0945

Assistée de Me Jean-Christophe GUERRINI de la SELARL PLASSERAUD AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : T07

DÉFENDEURS À LA MODIFICATION

Etude AUXILIACT

Huissiers de justice,

Société par actions simplifiée à associé unique,

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de DUNKERQUE sous le numéro 831 328 034,

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 3]

[Localité 2]

N’ayant pas constitué avocat

Monsieur [E] [J]

Né le 29 Octobre 1965 à [Localité 11] (92)

De nationalité française

Inventeur indépendant

Demeurant [Adresse 6]

[Localité 5]

Représenté par Me Arnaud GUYONNET de la SCP AFG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0044

Assisté Me Dariusz SZLEPER de l’AARPI SZLEPER HENRY Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : R017

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 15 Juin 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre

Mme Françoise BARUTEL, Conseillère

Mme Deborah BOHEE, Conseillère

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON

ARRET :

Réputé contradictoire

par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Karine ABELKALON, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire

***

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [E] [J] est titulaire de la partie française du brevet européen n° EP 1 292 657 (ci-après « EP 657») qui a pour titre « utilisation d’un carburant solide dans des moteurs, des chaudières ou des fours ». Ce brevet européen, déposé le 19 juin 2001, a été délivré suivant publication au bulletin européen des brevets n° 2008/30 du 23 juillet 2008.

Une correction a été apportée à la description du brevet EP 657, à son paragraphe 27, et la version corrigée du brevet délivrée EP 657 a été publiée sous la référence EP 657 B9 au bulletin européen des brevets n° 2009/09 du 25 février 2009.

Le brevet EP 657 de M. [J] comporte 13 revendications :

« 1. Utilisation d’au moins un constituant qui contient majoritairement au moins un composé sélectionné dans le groupe consistant en l’amidon, le lactose, la cellulose, et leurs dérivés ; et au moins 15% en poids de glucides par rapport au poids total du (des) constituant(s), le(les) constituant(s) étant sous la forme d’une poudre d’un diamètre moyen et d’un diamètre médian de particules supérieur ou égal à 150 µm, en tant que carburant solide, seul ou en mélange avec un autre carburant, pour moteur à combustion interne ou pour moteur à combustion externe, ou pour moteur fonctionnant selon le cycle de stirling, ou pour moteur fixe, ou pour chaudière, ou pour four dans tout type d’industrie.

2. Utilisation d’au moins un constituant solide sous forme de poudre sélectionné dans le groupe consistant en une farine de céréale, une farine de coton, une farine de soja, une farine de pomme de terre, une farine de manioc, une poudre de chocolat déshydraté, une poudre de lait déshydraté, et leurs mélanges, ladite poudre ayant un diamètre moyen et un diamètre médian de particules supérieur ou égal à 150 µm, en tant que carburant solide, seul ou en mélange avec un autre carburant, pour moteur à combustion interne ou pour moteur à combustion externe, ou pour moteur fonctionnant selon le cycle de stirling, ou pour moteur fixe, ou pour chaudière, ou pour four dans tout type d’industrie.

3. Utilisation selon la revendication 1 ou 2, caractérisée en ce que le diamètre moyen et le diamètre médian des particules de ladite poudre sont compris entre 150 et 500 µm.

4. Utilisation selon la revendication 1 ou 2 ou 3, caractérisée en ce que plus de 70 % en volume de ladite poudre est constituée de particules ayant un diamètre supérieur ou égal à 150µm.

5. Utilisation selon l’une quelconque des revendications précédentes, caractérisée en ce que ledit au moins un constituant est une farine de céréale sélectionnée dans le groupe consistant en la farine de blé, la farine de seigle, la farine de maïs, la farine d’orge, la farine de sorgho, la farine de mil, la farine de millet, la farine d’avoine, la farine de son, la farine de sarrasin, la farine de méteil, la farine de triticale, la farine de riz, et leurs mélanges.

6. Utilisation selon l’une quelconque des revendications 1 à 4, caractérisée en ce que ledit au moins un constituant est la farine de coton.

7. Utilisation selon l’une quelconque des revendications 1 à 4, caractérisée en ce que ledit au moins un constituant est la farine de soja.

8. Utilisation selon l’une quelconque des revendications 1 à 4, caractérisée en ce que ledit au moins un constituant est la farine de pomme de terre.

9. Utilisation selon l’une quelconque des revendications 1 à 4, caractérisée en ce que ledit au moins un constituant est la farine de manioc.

10. Utilisation selon l’une quelconque des revendications 1 à 4, caractérisée en ce que ledit au moins un constituant est du chocolat déshydraté en poudre.

11. Utilisation selon l’une quelconque des revendications 1 à 4, caractérisée en ce que ledit au moins un constituant est du lait déshydraté en poudre.

12. Utilisation selon l’une quelconque des revendications précédentes, caractérisée en ce que ledit (lesdits) au moins un constituant compose la totalité dudit carburant solide.

13. Utilisation selon l’une quelconque des revendications 1 à 12, caractérisée en ce que le carburant est utilisé en suspension dans l’air, à une concentration d’environ 200 mg de carburant par litre d’air. »

L’invention faisant l’objet du brevet EP 657 consiste, conformément aux revendications précitées, dans l’utilisation, en tant que carburant, seul ou en mélange, au sein d’un dispositif de combustion telle une chaudière ou un four, de produits naturels communément dénommés éléments de biomasse ou biomasse, caractérisés notamment par leur origine biologique. Avant leur utilisation, ces constituants sont transformés en poudre présentant des dimensions particulières, faisant l’objet des revendications 1 et 2. Les revendications dépendantes précisent, d’une part, les dimensions des particules de poudre de la biomasse destinée à être utilisée comme carburant et, d’autre part, la nature des constituants de la biomasse. Ces caractéristiques dimensionnelles présentent une importance dans la mesure où elles permettent d’assurer le transfert de la poudre et son écoulement dans les fours ou chaudières dans lesquels ce combustible est utilisé. La partie descriptive du brevet ajoute que l’invention a pour but de fournir un carburant qui est une alternative aux carburants issus de l’industrie pétrolière, gazière, nucléaire ou solaire, dont le transport et le stockage ne posent aucune difficulté, dont l’utilisation ne produit aucun rejet toxique et qui est facilement disponible et renouvelable.

La société TOTALENERGIES RAFFINAGE FRANCE (ci après TERF) est une filiale de la compagnie TOTALENERGIES, anciennement TOTAL, qui est spécialisée dans le raffinage et la pétrochimie sur le territoire français et participe à des projets de recherche et développement. Elle expose participer à ce titre au projet de recherche et développement BioTfuel, pour lequel le consortium BioTfuel a été mis en place, composé de plusieurs partenaires, AXENS, CEA, IFP Énergies Nouvelles, AVRIL, THYSSENKRUPP INDUSTRIAL SOLUTIONS et TOTALENERGIES et a fait l’objet de subventions publiques.

La société BIONEXT a été créée en 2009 et est responsable de la coordination des partenaires sur le projet BioTfuel, qui vise à développer un procédé innovant de gazéification de biomasse en biogazole et biokérosène, la gazéification permettant d’élargir le spectre de biomasse utilisable pour la production de biocarburants en utilisant la lignocellulose, le site exploité par la société TERF étant l’un des sites pilotes.

Après avoir constaté, au printemps 2021, que selon le communiqué de l’IFP Energies Nouvelles en date du 13 avril 2021, avait été initiée sur le site de TOTAL RAFFINAGE de Dunkerque une première production de biocarburants avancés à partir de biomasse, et avoir étudié les caractéristiques de l’installation destinée à produire ces biocarburants, M. [E] [J] a sollicité le 11 juin 2021 du président de la 3ème chambre du tribunal judiciaire de Paris l’autorisation de faire procéder à une saisie-contrefaçon sur le fondement de la partie française du brevet EP 657, visant la société TERF, qui exploite une unité de gazéification, purification et de synthèse susceptible d’utiliser, selon lui, dans un four de gazéification pour un procédé de fabrication de biocarburants, des constituant tels que ceux faisant l’objet des revendications du brevet EP 657.

Par ordonnance du même jour, la requête a été refusée au motif que les pièces 6 à 8 n’apportaient pas suffisamment d’indices permettant de soupçonner l’existence d’une atteinte justifiant les mesures sollicitées.

C’est dans ce contexte, qu’après avoir complété sa requête par la description des éléments factuels en sa possession, M. [J] a présenté une nouvelle requête aux fins de saisie-contrefaçon en date du 15 juin 2021.

Par ordonnance du 16 juin 2021, le président de la 3ème chambre du tribunal judiciaire de Paris a refusé de faire droit à la demande statuant notamment en ces termes: « il n’est pas justifié d’une mise en ‘uvre des revendications du brevet qui porte sur un carburant».

M. [J] a interjeté appel de cette ordonnance le 30 juin 2021.

Par arrêt du 11 janvier 2022 dont il est demandé la modification, la cour d’appel de Paris, statuant en chambre du conseil, a rendu la décision suivante:

– Infirme l’ordonnance rendue sur requête le 16 juin 2021,

– Autorise M. [E] [J] à faire procéder par tout huissier territorialement compétent de son choix, à l’encontre de la société TOTAL RAFFINAGE FRANCE dont le siège est [Adresse 8], et qui exploite notamment une unité de production des biocarburants à partir de biomasse située sur le territoire de la commune de [Adresse 10], à la description, sur ce site, des caractéristiques susceptibles de constituer la contrefaçon des revendications du brevet européen n° EP 1 292 657 du procédé BioTFuel utilisé pour la fabrication des biocarburants à partir de biomasse,

– Autorise l’huissier instrumentaire à rechercher, à viser ne varietur, à prendre photocopies et photographies et/ou à opérer les enregistrements et copies notamment par tout moyen électronique, informatique approprié de tous les documents, enregistrements et supports d’enregistrements quelle qu’en soit la nature, détenus par la société TOTAL RAFFINAGE FRANCE relatifs à la matérialité, la consistance et l’utilisation des composants de la biomasse, dans le procédé de gazéification BioTFuel en vue de produire des biocarburants à partir du gaz de synthèse du gazéifieur ou toute autre substance produite par la chaudière utilisant la biomasse seule ou en mélange ;

– Dit que l’huissier instrumentaire pourra rechercher notamment les caractéristiques biologiques, chimiques et physiques des composants de la biomasse utilisée dans le procédé BioTFuel, en identifiant la ou les sources végétales et animales, d’origines terrestres et aquatiques des composants de la biomasse précitée, et si ces composants sont utilisés seuls ou en mélange, en identifiant aussi les mélanges ;

– Autorise l’huissier instrumentaire à rechercher, à viser ne varietur, à prendre photocopies et photographies et/ou à opérer les enregistrements et copies notamment par tout moyen électronique, informatique approprié de tous les documents, enregistrements et supports d’enregistrements, quelle qu’en soit la nature, détenus par la société TOTAL RAFFINAGE FRANCE et relatifs notamment aux caractéristiques biologiques, chimiques et physiques des composants de la biomasse destinée à être transformée en poudre, ainsi qu’aux poudres obtenues à la sortie du broyeur, avant et/ou après le tamisage, avant son introduction dans l’unité de gazéification et/ou de la chaudière, ainsi que des déchets et résidus provenant de la gazéification;

– Dit que l’huissier instrumentaire pourra rechercher et prendre copie notamment des registres d’entrée et de sortie des matières premières utilisées, ainsi que les registres des poudres obtenues à la sortie du broyeur et/ou stockées dans des silos de stockage et introduites dans le four et/ou la chaudière de gazéification, seules ou en mélange notamment avec un carburant à identifier aussi, ainsi que les fiches de mesure de la granulométrie, ou courbes de répartition granulométrique, en particulier montrant la granulométrie moyenne et médiane ainsi que la méthode de mesure de la granulométrie ;

– Dit que l’huissier instrumentaire pourra plus particulièrement rechercher les caractéristiques identifiant le type ou modèle, tant du broyeur utilisé, en identifiant la présence éventuelle d’un brûleur, ainsi que de tamis pour les particules de poudre de biomasse broyée, ou de tout autre moyen ou dispositif, de sélection et de contrôle de la granulométrie des poudres de biomasse broyée et du gazéifieur et de la chaudière dans lesquels la biomasse en poudre est introduite seule ou en mélange ;

– Autorise l’huissier instrumentaire à requérir des personnes présentes sur les lieux de la saisie leur aide et assistance pour effectuer les opérations précitées, notamment dans l’utilisation des ordinateurs, photocopieurs, imprimantes, la navigation sur internet ou intranet ou tout réseau informatique interne, et notamment requérir tout code d’accès et/ou mot de passe nécessaires pour l’utilisation de ces appareils et l’accès aux réseaux et fichiers, et ce aux fins exclusives de découvrir et collecter les preuves de la matérialité, de la nature et de la consistance de la contrefaçon alléguée;

– Autorise l’huissier instrumentaire à effectuer toutes les prises de vue et enregistrements de films vidéo et autres qu’il jugera nécessaire pour établir et décrire les caractéristiques de l’utilisation des composants, provenant de la biomasse, arguée de contrefaçon ;

– Autorise l’huissier instrumentaire à enregistrer toute parole, déclaration prononcée en sa présence, notamment par les salariés et/ou représentants de la société TOTAL RAFFINAGE FRANCE et/ou d’autres personnes présentes dans ses établissements, et portant plus particulièrement sur la matérialité de la contrefaçon alléguée ;

– Autorise l’huissier instrumentaire à se faire assister dans toutes les opérations qu’il entreprendra pour l’exécution de sa mission en qualité d’expert technique, d’un ou plusieurs conseils en propriété industrielle, et notamment de M. [M] [N], conseil en propriété industrielle, [Adresse 1], dont il pourra enregistrer les explications, ainsi que par tout commissaire de police ou agent de la force publique compétent, par tout serrurier, informaticien et par tout photographe de son choix ;

– Autorise l’huissier instrumentaire éventuellement à emporter les éléments originaux permettant d’établir la matérialité de la contrefaçon alléguée, mais qui ne pourraient pas être copiés sur place, afin d’en prendre copie à son étude et les restituer ensuite à la société TOTAL RAFFINAGE FRANCE, sans délai et en tout cas au plus tard dans les 48 heures de la saisie ;

– Dit que les photographies, films et enregistrements informatiques pris lors des opérations de saisie-contrefaçon pourront être signifiés à la société TOTAL RAFFINAGE FRANCE ultérieurement dans un délai maximum de 3 jours à compter de la réalisation des opérations;

– Dit que l’huissier instrumentaire accomplira les diligences nécessaires pour réaliser les opérations de saisie-contrefaçon et exécuter l’ordonnance l’autorisant ;

– Dit qu’il devra être procédé aux opérations de saisie-contrefaçon dans les deux mois de la date de cet arrêt ;

– Dit qu’il nous en sera référé en cas de difficulté, conformément aux dispositions de l’article 496, alinéa 2 du code de procédure civile, mais seulement après saisie effectuée et visas et scellés apposés;

– Laisse les dépens à la charge de M. [E] [J].

Les opérations de saisie contrefaçon, menées par Maître [O] [S], huissier de justice au sein de la société AUXILIACT, ont eu lieu le 18 février 2022, le procès-verbal de saisie étant signifié à la société TERF le 21 février 2022.

En parallèle des opérations de saisie sur le site de la société TERF, un procès-verbal de recherches infructueuses a été dressé s’agissant des opérations devant être menées au siège social de la société BIONEXT le 18 février 2022.

M. [E] [J] a fait assigner les sociétés TERF et BIONEXT devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon des revendications de la partie française du brevet EP 657, selon actes d’huissier de justice du 17 mars 2022

La société TOTALENERGIES RAFFINAGE FRANCE et la société BIONEXT ont fait assigner en référé M. [E] [J] et l’étude AUXILIACT, huissiers de justice devant la cour d’appel de Paris par actes des 16 et 18 mars 2022 aux fins de modification de l’arrêt ainsi rendu, invoquant la protection du secret des affaires.

Vu les dernières conclusions notifiées par le RPVA par les sociétés TOTALENERGIES RAFFINAGE FRANCE ET BIONEXT le 14 juin 2022 qui demandent à la cour de:

Sur la modification de l’arrêt rendu sur appel d’une ordonnance de saisie-contrefaçon

– Modifier l’arrêt rendu sur appel d’une ordonnance de saisie-contrefaçon le 11 janvier 2022 par la Cour d’appel de Paris en suite du rejet de la requête aux fins de saisie-contrefaçon présentée par Monsieur [E] [J] au Tribunal judiciaire de Paris et de l’appel de cette décision sous le numéro de RG n°21/00626, en ajoutant :

Ordonnons à l’Huissier instrumentaire de placer sous séquestre l’ensemble des éléments saisis, photographies prises en application du présent Arrêt-ordonnance et le procès-verbal dressé tant qu’une décision de justice définitive sur le fond ne sera pas intervenue ou jusqu’à accord amiable des parties ;

– Ordonner à l’étude AUXILIACT la mise sous séquestre des documents appréhendés par Maître [O] [S] lors des opérations de saisie-contrefaçon diligentées le 18 février 2022, dans les deux jours suivant la décision à intervenir, sous astreinte de cinquante mille euros (50.000€) par jour de retard à la charge de l’étude AUXILIACT;

– Ordonner à l’étude AUXILIACT la mise sous séquestre du procès-verbal comprenant des photographies prises au cours des opérations de saisie-contrefaçon diligentées le 18 février 2022, dans les deux jours suivant la décision à intervenir, sous astreinte de cinquante mille euros (50 000€) par jour de retard à la charge de l’étude AUXILIACT;

– Interdire l’utilisation de tout document et élément issu de la saisie-contrefaçon sur quelque forme que ce soit, et le procès-verbal de saisie-contrefaçon en France ainsi qu’à l’étranger, dans une autre procédure que celle à venir relative à la contrefaçon alléguée du brevet EP 1 292 657, et sous astreinte d’un million euros (1 000 000€) par infraction constatée ;

Sur la protection du secret des affaires,

– Désigner un expert, avec pour mission de :

+ Recueillir les explications des conseils des parties de leur choix respectif ;

+ Se faire communiquer, à première demande, les éléments saisis dans l’établissement secondaire de la société TOTALENERGIES RAFFINAGE FRANCE à [Localité 9], Dépôt Pétrolier de la Côte d’Opale Zone industrielle Mardyck le 18 février 2022, à savoir les pièces 1 à 31 ainsi que le procès-verbal ;

+ Rechercher parmi les éléments susvisés ceux qui présentent des informations utiles et strictement nécessaires à la preuve de la matérialité et de l’étendue de la contrefaçon des revendications du brevet EP 1 292 657 dans le niveau de détail desdites revendications;

+ Dresser une liste de ces éléments et informations et les annexer à son rapport ;

– Dire que l’expert devra, le cas échéant, occulter les parties desdits documents et éléments présentant un caractère confidentiel, notamment toutes informations dont la précision excède le niveau de détail requis pour la recherche susvisée au regard de la rédaction des revendications opposées, et annexer à son rapport tout document ainsi occulté ;

– Dire que l’expert pourra faire deux copies, papier ou numérique, de l’intégralité des documents et éléments saisis, qui lui sont remis et qu’il conservera pendant toute la durée de la procédure actuellement pendante entre les parties ;

– Dire que l’expert procédera à sa mission dans un délai de trois mois à compter de sa saisine ;

– Dire que le rapport rédigé par l’expert à l’issue de sa mission sera confidentiel et ne pourra être divulgué qu’aux avocats et aux conseils en propriété industrielle des parties, ainsi qu’au magistrat en charge de ce dossier ;

– Dire que les frais de l’expertise devront être supportés par Monsieur [E] [J]; – – Fixer le montant toutes taxes comprises de la provision à valoir sur la rémunération de l’expert que Monsieur [E] [J] consignera au greffe de la Cour de céans dans le délai qu’il plaira à la Cour de fixer ;

A titre subsidiaire, sur la protection du secret des affaires,

– Ordonner la mise en place d’un club de confidentialité.

– Dire que l’accès aux documents appréhendés par l’Huissier lors des opérations de saisie-contrefaçon diligentées le 18 février 2022 et le procès-verbal sera limité aux conseils de chaque partie.

– Dire que les conseils occulteront les parties desdits documents et éléments présentant un caractère confidentiel, notamment toutes informations dont la précision excède le niveau de détail requis pour la recherche susvisée au regard de la rédaction des revendications opposées, et préparerons des versions caviardées de ces documents ;

Sur la protection du secret des affaires dans tous les cas,

– Dire que les éléments confidentiels seront détruits ou restitués à l’issue de la procédure, sauf pour les avocats et les conseils en propriété industrielle à en conserver une copie pour archivage en application de leurs obligations professionnelles ;

– Dire que les parties prépareront deux versions de leurs écritures :

– une version complète (la « version intégrale ») ;

– une version dans laquelle toutes les références aux éléments confidentiels auront été masqués (la « version expurgée »).

– Dire que les conseils des parties ne partageront la version intégrale des écritures ainsi que les pièces confidentielles uniquement avec :

– les magistrats, le greffe, ou tout membre de la Cour d’appel qui en demanderait la communication dans le cadre des procédures pendantes ;

– les conseils de l’autre partie et en aucun cas avec Monsieur [E] [J].

– Dire que la version intégrale des écritures sera signifiée par RPVA de la manière habituelle, et les parties s’échangeront en outre de manière concomitante, par correspondance officielle, la version expurgée ;

– Dire que les pièces produites à la procédure qui sont constituées d’éléments confidentiels seront identifiées explicitement comme « Confidentiel », tant sur la pièce elle-même que dans le bordereau de communication, seront échangées entre les conseils des parties selon la procédure habituelle, et seront incluses de manière également habituelle dans les dossiers remis aux magistrats ;

– Dire que les pièces produites à la procédure qui font référence à des éléments confidentiels pourront faire l’objet de l’un des deux traitements suivants :

– Elles pourront être traitées intégralement comme des pièces confidentielles ou

– Elles pourront faire l’objet d’une version intégrale et d’une version expurgée, tous les éléments confidentiels étant masqués dans cette dernière et seront alors identifiées comme « Confidentiel » sur la pièce et dans le bordereau et les passages faisant référence aux éléments confidentiels seront identifiés comme tels dans la version intégrale ;

– Dire que la version intégrale sera traitée de la même manière que les pièces confidentielles, tandis que la version expurgée sera traitée de la même manière qu’une pièce normale ;

– Dire que si une pièce communiquée par les conseils de Monsieur [E] [J] en tant que pièce confidentielle, les sociétés TOTALENERGIES RAFFINAGE FRANCE et BIONEXT pourront en préparer une version expurgée selon les modalités du présent alinéa, de manière à ce que ladite pièce puisse faire l’objet du traitement qui y est décrit.

– Dire qu’il sera fait application des dispositions des paragraphes 3° et 4° de l’article L.153-1 du code de commerce et que les débats auront lieu et que la décision sera prononcée en chambre du conseil et que sera exclue de la motivation de la décision toute information protégée par le secret des affaires;

Sur la demande de communication de pièces de M. [E] [J] :

– Débouter Monsieur [E] [J] de sa demande de communication de pièces ;

– A titre subsidiaire, dire que les pièces versées au titre de la demande communication de pièces de Monsieur [E] [J] feront l’objet des mesures de protection du secret des affaires mentionnées ci-dessus ;

En tout état de cause,

– Débouter Monsieur [E] [J] de l’ensemble de ses demandes ;

– Condamner Monsieur [E] [J] à payer à la société TOTALENERGIES RAFFINAGE FRANCE la somme de 30 000 euros et à la société BIONEXT la somme de 25 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamner Monsieur [E] [J] aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Cheviller conformément à l’article 699 du code de procédure civile ;

– Ordonner qu’en cas de difficulté, il lui en sera immédiatement référé, par la partie la plus diligente et dire que la cour sera chargée de l’exécution y compris pour la liquidation de l’astreinte.

– Dire que l’arrêt à intervenir sera exécutoire sur minute ;

Vu les dernières conclusions signifiées par le RPVA le 14 juin 2022 par lesquelles M. [J] demande à la cour de :

– Déclarer mal fondées les sociétés TotalEnergies Raffinage France et Bionext, en leur demande de rétractation et ou modification des arrêts du 11 janvier 2022 ayant autorisé les opérations de saisie-contrefaçon à leur préjudice ; Par conséquent, les en débouter.

– Enjoindre aux sociétés TotalEnergies Raffinage France et Bionext, de communiquer sous astreinte de 10 000 € par jour de retard, à compter de la signification de la décision à intervenir, les registres d’entrée et de sortie des matières premières destinées à être utilisées dans le procédé BioTFuel, ainsi que de communiquer les bons de livraison de celles-ci, ainsi que les registres des poudres obtenues à la sortie du broyeur, la granulométrie des poudres ainsi que les courbes de distribution granulométrique de ces poudres,

– Condamner in solidum les sociétés TotalEnergies Raffinage France et Bionext, à payer à M. [E] [J] une indemnité de 55 000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– Condamner in solidum les sociétés TotalEnergies Raffinage France et Bionext, en tous les dépens dont distraction profite de la SCP AFG, Maître Arnaud Guyonnet, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

L’étude d’huissier de justice AUXILIACT régulièrement assignée n’a pas constitué avocat.

Vu l’avis du ministère public rendu le 10 juin 2022, qui, afin de clarifier les conditions de conservation des pièces saisies, ne voit pas de cause d’opposition à ce qu’elles soient placées sous séquestre et, si la cour l’estime nécessaire, à ce qu’il soit procédé au tri des informations pertinentes sous l’égide d’un expert.

MOTIFS DE L’ARRET

En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens du requérant, à ses conclusions écrites transmises, telles que susvisées.

Sur la demande de rejet des pièces 26 à 28 communiquées par M. [E] [J]

En vertu de l’article 135 du code de procédure civile, le juge peut écarter du débat les pièces qui n’ont pas été communiquées en temps utile.

Sur ce, la cour constate que M. [E] [J], qui est à l’origine du dépôt de la requête le 15 juin 2021 aux fins de saisie contrefaçon, a fait signifier le 15 juin 2022 à 12h01 trois nouvelles pièces « relatives à l’arrière plan technologique du domaine considéré», soit le jour même de l’audience de plaidoirie débutant à 14h00.

Cette communication tardive de pièces, qui devaient pourtant déjà être connues de l’intéressé dès le dépôt de sa requête au vu de leurs date et nature, a fait obstacle à l’instauration d’un débat contradictoire à leur sujet.

En conséquence, ces pièces 26 à 28 doivent être écartées des débats.

Sur la demande de modification de l’arrêt autorisant les opérations de saisie contrefaçon

Les sociétés TERF et BIONEXT soutiennent être bien fondées à opposer à M. [E] [J] les dispositions propres au secret des affaires s’agissant de l’ensemble des documents saisis ainsi que des photographies prises par l’huissier de justice portant notamment sur le système de conduite permettant de piloter l’unité BioTfuel, sur l’accès au Sharepoint qui rassemble l’ensemble des informations sur le projet, outre des mails saisis sans faire usage des mots clés visés dans l’ordonnance. Elles plaident que ces informations relèvent du secret des affaires en ce qu’elles ne sont pas généralement connues ou aisément accessibles, s’agissant d’informations confidentielles protégées et revêtant une valeur commerciale, l’ensemble des parties au projet BioTfuel étant tenu à une obligation de confidentialité, et étant dûment protégées comme telles. Elles demandent en conséquence que le procès-verbal et les pièces saisies à l’occasion de la saisie contrefaçon soient placées sous séquestre et fassent l’objet d’une mesure de tri réalisée par un expert et, à titre subsidiaire, d’un club de confidentialité.

M. [E] [J] conteste les demandes formulées mettant en avant que:

– les pièces appréhendées par l’huissier de justice ne contiennent pas d’informations susceptibles d’être considérées comme relevant du secret des affaires, les caractéristiques générales de ce procédé et les infrastructures ayant fait l’objet de présentations publiques et les caractéristiques de la biomasse destinées au procédé BioTfuel ayant fait l’objet de brevets ou de communications;

– les appelantes ne justifient pas de la réalité de la protection effective des secrets d’affaires qu’elles ont mise en oeuvre

– les éléments saisis portant notamment sur la constitution de la bio-masse, ses propriétés granulométriques ou sa combustion sont nécessaires à la démonstration de la contrefaçon commise à son encontre.

Sur ce, la cour rappelle qu’en vertu de l’article 496 alinéa 2 du code de procédure civile, «S’il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l’ordonnance», l’article 497 du même code précisant que «Le juge a la faculté de modifier ou de rétracter son ordonnance, même si le juge du fond est saisi de l’affaire.»

En outre, en vertu de l’article R.615-2 du code de la propriété intellectuelle, dernier alinéa: « Afin d’assurer la protection du secret des affaires, le président peut ordonner d’office le placement sous séquestre provisoire des pièces saisies, dans les conditions prévues à l’article R. 153-1 du code de commerce.»

Par ailleurs, selon l’article R.153-1 du code du commerce: «Lorsqu’il est saisi sur requête sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ou au cours d’une mesure d’instruction ordonnée sur ce fondement, le juge peut ordonner d’office le placement sous séquestre provisoire des pièces demandées afin d’assurer la protection du secret des affaires. Si le juge n’est pas saisi d’une demande de modification ou de rétractation de son ordonnance en application de l’article 497 du code de procédure civile dans un délai d’un mois à compter de la signification de la décision, la mesure de séquestre provisoire mentionnée à l’alinéa précédent est levée et les pièces sont transmises au requérant.»

Le secret des affaires est défini à l’article L.151-1 code du commerce, selon lequel « Est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants :

1° Elle n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ;

2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ;

3° Elle fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret.»

Il est constant que dans le cadre des opérations de saisie contrefaçon, l’huissier de justice a pu accéder à l’ensemble des équipements présents sur le site exploité par la société TERF, qui ont pu être photographiés, a noté les déclarations des salariés et a saisi différentes pièces:

– pièce n° 1 : le résumé de réception de charges BioTFuel,

– pièces n° 2 et 3 : bordereaux d’expédition de biomasse,

– pièces n° 4, 5, 6, 7, 8 et 9 : documents qui font état des mélanges de matières effectués dans le cadre de la gazéification,

– pièces n° 10, 11 et 12 : mode d’emploi du broyeur utilisé pour la micronisation de la biomasse,

– pièce n° 13 : essais de broyage,

– pièce n° 14 : courbes de granulométrie,

– pièces n° 15 et 16 : résultats d’échantillonnage effectués en laboratoire par un tiers,

– pièces n° 17 et 18 : bilans des émissions atmosphériques,

– pièces n° 19, 20, 21 et 22 : bilans des émissions torche,

– pièce n° 23 : consignes de conduite du gazéificateur,

– pièce n° 24 : manuel de gazéification,

– pièces n° 25 et 26 : bilans de gazéification,

– pièces n° 27 et 28 : articles de revues scientifiques,

– pièce n° 29 : manuel d’exploitation du système BioTFuel,

– pièce n° 30 : courriels adressés entre le 18 février 2017 et le 19 juin 2021 concernant la consistance de l’utilisation des composants de la biomasse dans le procédé de gazéification BioTFuel,

– pièce n° 31 : 38 courriels relatifs à la matérialité de la consistance et aux utilisations des composants de la biomasse dans le procédé de gazéification BioTFuel.

À l’issue des opérations de saisie contrefaçon, la société saisie a fait référence au secret des affaires et a demandé le placement sous séquestre de ces pièces. Cependant, le procès-verbal de saisie contrefaçon établi le 18 février 2022 et signifié le 21 février à la société TERF ne relate aucun placement sous scellé ou sous séquestre des pièces en cause.

La cour considère qu’à l’exception des pièces 27 et 28, les documents saisis ne sont pas généralement connus ou aisément accessibles en ce qu’ils portent sur un projet de recherche et développement et plus particulièrement sur un procédé innovant de gazéification de biomasse en bio gazole et bio kérosène. En effet, l’huissier de justice a eu accès notamment au «share point» soit le site internet privé concernant le projet BioTfuel, dont l’accès est restreint et fait l’objet d’autorisations spécifiques et nominatives, et également à des échanges de courriels entre les personnes impliquées dans le projet, outre des résultats de tests internes et des descriptifs détaillés du procédé et du fonctionnement des installations.

S’il est acquis que les sociétés TERF et BIONEXT ont été amenées à communiquer sur leur projet dans la presse, il ne peut être soutenu de bonne foi par M. [E] [J] que les détails et caractéristiques du procédé invoqué étaient déjà divulgués avant la réalisation des opérations de saisie contrefaçon, sauf à remettre en cause le bien fondé de la requête en saisie contrefaçon qui constitue, en tout état de cause, une mesure exorbitante de droit commun. En outre, si M. [E] [J] invoque l’existence de brevets antérieurs, il ne démontre nullement en quoi ces brevets divulgueraient les caractéristiques du procédé exploité sur le site en cause, et n’explique pas davantage alors les raisons pour lesquelles il a quand même sollicité l’organisation d’une mesure d’instruction non contradictoire alors qu’il disposait de ces éléments de preuve. La cour retient en conséquence que la communication opérée par les sociétés TERF et BIONEXT n’a porté que sur des informations publiques et d’ordre général à propos du projet BioTfuel et ne correspond nullement au degré de détails et de précisions contenu dans les pièces saisies.

Au regard du domaine d’activité concerné et des enjeux énergétiques actuels, il est démontré à suffisance que ces informations revêtent une valeur commerciale du fait de leur caractère secret pour chacune des parties et de l’enjeu commercial du projet, le budget du projet BioTfuel s’élevant à 178,1 millions d’euros dont 33,2 millions d’euros de financement public.

Enfin, il résulte tant des statuts de la société BIONEXT, de l’accord de confidentialité liant les sociétés TERF et BIONEXT, du règlement intérieur applicable à l’établissement concerné par la mesure de saisie contrefaçon, restreignant l’accès au site, soumis à autorisation ou interdisant les photos, des mesures imposées aux salariés de la société TERF notamment dans leur contrat de travail stipulant en particulier une obligation de discrétion, de confidentialité et de non divulgation, que les sociétés saisies ont mis en place des mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret.

Par conséquent, la cour retient qu’à l’exception des pièces 27 et 28, l’ensemble des autres documents saisis par l’huissier de justice le 18 février 2022 sur le site exploité par la société TERF reprenant des informations qui ne sont pas généralement connues ou aisément accessibles, revêtant une valeur commerciale du fait de leur caractère secret, ayant fait l’objet de la part des sociétés saisies de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret, doit dès lors bénéficier de la protection au titre du secret des affaires.

Il convient en conséquence de faire droit à la mesure de séquestre sollicitée par les sociétés TERF et BIONEXT concernant l’ensemble de ces pièces à l’exception des pièces 27 et 28, sans qu’il soit nécessaire de l’assortir d’une astreinte.

Par ailleurs, l’huissier de justice a effectivement fait figurer, dans son procès-verbal, des photographies des installations extérieures qui ne présentent cependant aucune particularité stratégique ainsi que certaines copies d’écran de mauvaise qualité, qui ne permettent pas une exploitation dommageable, et a repris des explications apportées par certains salariés mais de portée particulièrement générale, de sorte que l’atteinte au secret d’affaire alléguée n’est pas démontrée, la demande de placement sous scellé de ce procès-verbal étant en conséquence rejetée.

Puis, tout en ne s’opposant pas à la communication des pièces ainsi saisies, les sociétés TERF et BIONEXT demandent que celle-ci soit encadrée par des mesures de protection. Au vu de la nature et du nombre de pièces saisies, la cour considère que la mesure de tri réalisée par un expert n’est pas pertinente et que la mise en place d’un cercle de confidentialité, comme détaillé au dispositif est à même, tout à la fois, de concilier le droit au respect du secret des affaires revendiqué par les sociétés TERF et BIONEXT et le droit de M. [E] [J] d’apporter la preuve de la contrefaçon alléguée de ses droits de propriété industrielle sur son brevet organisé par l’article L.615-5 du code de la propriété intellectuelle.

Sur la demande reconventionnelle de communication de pièces présentée par M. [E] [J]:

En vertu de l’article R615-4 du code de la propriété intellectuelle, «Le président du tribunal peut ordonner, au vu du procès-verbal de saisie, toute mesure de nature à compléter la preuve des actes de contrefaçon allégués. A la demande de la partie saisie agissant sans délai et justifiant d’un intérêt légitime, il peut également prendre toute mesure pour préserver la confidentialité de certains éléments.»

M. [J] sollicite la production forcée de certaines pièces, soit les registres d’entrée et de sortie des matières premières destinées à être utilisées dans le procédé BioTFuel, ainsi que les bons de livraison de celles-ci, les registres des poudres obtenues à la sortie du broyeur, la granulométrie des poudres ainsi que les courbes de distribution granulométrique de ces poudres, qui n’ont, selon lui, pas été communiquées à l’occasion des opérations de saisie contrefaçon.

Les appelantes s’y opposent constatant que ces éléments ont pu être récoltés à l’occasion des opérations de saisie et qu’en cas d’insuffisance avérée, il lui appartiendra de saisir le juge du fond de cette demande

Sur ce, la cour considère, au regard des constatations et saisies déjà opérées par l’huissier de justice, que la demande de communication de pièces complémentaires formulée par M. [E] [J] dans le cadre de la présente instance qui a pour objet la modification de la décision autorisant les opérations de saisie contrefaçon n’est pas justifiée, certaines des informations en cause figurant déjà dans la liste des pièces saisies et toute communication supplémentaire étant, en tout état de cause, prématurée.

En conséquence, cette demande sera rejetée.

Sur les autres demandes

Le sens de la présente décision commande de dire que chaque partie conservera la charge des dépens engagés dans la présente instance en modification de l’arrêt autorisant les opérations de saisie contrefaçon.

Enfin, l’équité et la situation des parties commandent de ne pas faire droit aux demandes formulées au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Par arrêt réputé contradictoire,

– Ecarte des débats les pièces 26 à 28 communiquées tardivement par M. [E] [J],

– Modifie l’arrêt rendu le 11 janvier 2022 par la cour d’appel de Paris (chambre 5-1) sous le n° de RG 21/626 faisant droit à une requête aux fins de saisie-contrefaçon présentée par M. [E] [J] en ajoutant au dispositif:

Ordonnons à l’Huissier instrumentaire de placer sous séquestre l’ensemble des éléments saisis tant qu’une décision de justice définitive sur le fond ne sera pas intervenue ou jusqu’à accord amiable des parties ;

– Ordonne, en conséquence, à l’étude AUXILIACT la mise sous séquestre des documents appréhendés par Maître [O] [S] lors des opérations de saisie-contrefaçon diligentées le 18 février 2022 à l’exception des pièces 27 et 28 visées au procès-verbal,

– Déboute les sociétés TOTALENERGIES RAFFINAGE FRANCE et BIONEXT de leur demande de placement sous séquestre du procès-verbal de saisie contrefaçon;

– Déboute les sociétés TOTALENERGIES RAFFINAGE FRANCE et BIONEXT de leur demande de désignation d’un expert,

– Ordonne la mise en place d’un club de confidentialité s’agissant des documents placés sous séquestre,

– Dit que l’accès aux documents appréhendés par l’huissier de justice lors des opérations de saisie-contrefaçon diligentées le 18 février 2022 sera limité à l’avocat et au conseiller en propriété intellectuelle de chaque partie,

– Dit que les conseils occulteront les parties desdits documents et éléments présentant un caractère confidentiel, notamment toutes informations autres que celles utiles et strictement nécessaires à la preuve de la matérialité de la contrefaçon des revendications du brevet EP 1 292 657 et prépareront, le cas échéant, une version caviardée de ces documents,

– Dit que les éléments confidentiels seront détruits ou restitués à l’issue de la procédure, sauf pour les avocats et les conseils en propriété industrielle à en conserver une copie pour archivage en application de leurs obligations professionnelles ;

– Dit que les parties prépareront deux versions de leurs écritures :

– une version complète (la « version intégrale ») communiquée à la cour et au conseil de l’autre partie,

– une version dans laquelle toutes les références aux éléments confidentiels auront été masqués (la « version expurgée »);

– Dit que les pièces produites à la procédure qui sont constituées d’éléments confidentiels seront identifiées explicitement comme « Confidentiel », tant sur la pièce elle-même que dans le bordereau de communication, seront échangées entre les conseils des parties selon la procédure habituelle, et seront incluses de manière également habituelle dans les dossiers remis aux magistrats ;

– Rappelle qu’il appartiendra aux parties de solliciter du juge du fond qu’il soit fait application des dispositions des paragraphes 3° et 4° de l’article L.153-1 du code de commerce,

– Déboute les sociétés TOTALENERGIES RAFFINAGE FRANCE et BIONEXT de leurs autres demandes,

– Déboute M. [E] [J] de sa demande de communication de pièces,

– Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens engagés dans la présente instance,

– Déboute les parties de leurs demandes formulées au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x