Séquestre provisoire : 25 mai 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 22/04985

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Séquestre provisoire : 25 mai 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 22/04985
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République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 1

ARRÊT DU 25/05/2023

****

N° de MINUTE :

N° RG 22/04985 – N° Portalis DBVT-V-B7G-URVD

Ordonnance rendue le 11 octobre 2022 par le juge des référés du tribunal de commerce d’Arras

Ordonnance référé premier président de la cour d’appel de Douai rendue le 16 janvier 2023

APPELANTES

SARL Unipersonnelle HTEL Nord prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 6]

SAS Kyntus prise en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège social [Adresse 4]

représentées par Me Eric Laforce, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

assistées de Me Laurent Marrie, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant

INTIMÉES

SA Sade – Compagnie Générale de Travaux d’Hydraulique agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

ayant son siège social [Adresse 5]

Société Ensio SAS anciennement dénommée Sade Télécom agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

ayant son siège social [Adresse 7]

représentées par Me Loïc Le Roy, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

assistée de Me Jérôme Barbet, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant

DÉBATS à l’audience publique du 08 février 2023 tenue par Pauline Mimiague magistrat chargé d’instruire le dossier qui, après rapport oral de l’affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Valérie Roelofs

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Dominique Gilles, président de chambre

Pauline Mimiague, conseiller

Clotilde Vanhove, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 25 mai 2023 après prorogation du délibéré initialement prévu au 04 mai 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Dominique Gilles, président et Valérie Roelofs, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 01 février 2023

****

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 28 mai 2015, la société ‘Sade – Compagnie générale de travaux d’hydraulique’ (Sade-CGTH), qui possédait une branche d’activité dédiée à l’installation et à la maintenance de réseaux de télécommunication, a conclu avec la société Orange un contrat portant sur la réalisation par la société Sade-CGTH de travaux de déploiement et de maintien en service d’un réseau cuivre et fibre optique, contrat qui a été renouvelé.

Le 16 mars 2016 la société Sade-CGTH a conclu avec la société ‘Htel Nord’, appartenant au groupe ‘Kyntus’ ayant pour société mère la société Kyntus, un contrat de sous-traitance portant sur une partie des prestations confiées par la société Orange à la société Sade-CGTH. Cet accord a été renouvelé le 15 juin 2020 avec pour terme déterminé le 30 mars 2022.

Le contrat principal avec la société Orange et le contrat de sous-traitance ont été transmis à la société ‘Sade Telecom’ par la société Sade-CGTH dans le cadre d’un traité d’apport partiel d’actifs soumis au régime des scissions en date du 26 juin 2020 et prenant effet au 1er septembre 2020. En fin d’année 2020 la société Sade CGTH a cédé sa filiale Sade Telecom au fonds d’investissement ‘Montefiore Investment’.

Ces différentes sociétés interviennent de manière concurrente dans le secteur des télécommunications, la société Kyntus et la société Sade Telecom ayant ainsi participé à l’appel d’offres pluriannuel de la société Orange ‘RC Centric’ qui se déroulait entre le 25 janvier et le 31 octobre 2021.

Reprochant à la société Htel Nord de la sous-traitance occulte de second rang, en violation de ses obligations contractuelles et légales, la société Sade Telecom lui a, par lettre du 21 juillet 2021, notifié la résiliation du contrat de sous-traitance ; par un courrier du 23 juillet 2021 la société Htel Nord a contesté cette résiliation et par un courrier du 28 juillet a mis en demeure la société Sade Telecom de reprendre l’exécution du contrat.

Invoquant une résiliation abusive du contrat de sous-traitance ‘dans un contexte de concurrence déloyale’ leur ayant causé un préjudice, les sociétés Htel Nord et Kyntus ont saisi par requête le président du tribunal de commerce d’Arras aux fins d’obtenir une mesure d’instruction in futurum en vue d’établir les abus et actes de concurrence déloyale imputés aux sociétés Sade-CGTH et Sade Telecom, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile.

Par ordonnance du 13 décembre 2021 le président du tribunal de commerce a fait droit à la demande et commis deux huissiers de justice afin de se rendre au siège de la société Sade Telecom à Clamart et aux établissements secondaires des sociétés Sade Telecom et Sade CGTH à Rouvroy afin de :

rechercher et se faire remettre pour en prendre copie : tout document et fichier, fichier supprimé ou fragment de fichiers, correspondance, notamment électronique (en ce inclus les fichiers supprimés), physique ou électronique, à caractère technique, commercial, administratif ou financier et établi, créé, émis ou reçu depuis le 16 novembre 2020,

et contenant l’un ou plusieurs mots-clés suivants (quelque soit leur casse, leur genre ou leur nombre) : ‘HTEL’, ‘KYNTUS’, ‘SOUS-TRAITANT’,’AVENUEDELABORDEE’, ‘DUNKERQUE’,’YOUSFI’, ‘DJAMEL’, ‘SAIDI’, ‘OUALID’, ‘PLUS FIBRE’, ‘MY FIBRE PLUS’, ‘EXPERTISE RESEAU FIBRE OPTIQUE’, ‘GROUPEMENT’, ‘TRAVAIL DISSIMULE’, ‘RESILIATION’, ‘MOSTAFA’, ‘HERVE’, ‘GONGO’, ‘HERRAS’, ‘[Localité 9]’, ‘RUE DE CANNES’,

et ayant pour destinataire ou expéditeur Mme ou MM. [J] [P], [Z] [W], [A] [T], [B] [I], [M] [G], [E] [F], [N] [L], [N] [H], [X] [O], mentionnant pour chacun deux adresses électroniques ([Courriel 3] et [Courriel 2]), et MM. [Y] [S], [V] [D], [U] [K], mentionnant pour chacun une adresse électronique ([Courriel 1]), ou ayant pour expéditeur ou destinataire un employé ou un mandataire social de la société Sade Telecom ou de la société Sade-CGTH dont l’adresse courriel serait la suivante : prénom.nom [Courriel 3] ou [Courriel 2].

L’ordonnance a été signifiée aux sociétés Sade-CGTH et Sade Telecom le 8 mars 2022 et les requérantes ont fait procéder à l’exécution des mesures ordonnées.

Par acte du 7 avril 2022 les sociétés Sade-CGTH et Sade Telecom ont assigné en référé rétractation les sociétés Htel Nord et Kyntus devant le tribunal de commerce d’Arras.

Par ordonnance de référé du 11 octobre 2022 le tribunal de commerce a :

– dit et jugé que les sociétés Sade-CGTH et Sade Telecom sont recevables et bien fondées en leur demande de rétractation de l’ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce d’Arras le 31 décembre 2021,

– dit et jugé que les sociétés Kyntus et Htel Nord ne justifient d’aucun motif légitime de voir ordonner une mesure d’instruction in futurum destinée à établir la matérialité et l’étendue des prétendus faits de concurrence déloyale ou ‘abus’ imputés aux sociétés Sade-CGTH et Sade Telecom,

– dit et jugé que la mesure ordonnée est disproportionnée et comme telle non légalement admissible,

– dit et jugé que les sociétés Kyntus et Htel Nord ne justifient d’aucune circonstance propre au cas d’espèce autorisant qu’il soit dérogé au principe de la contradiction,

– déclaré les sociétés Kyntus et Htel Nord irrecevables ou à défaut, mal fondées à soutenir que la demande de rétractation des sociétés Sade-CGTH et Sade Telecom serait irrecevable, pour défaut de respect (selon SAS Kyntus et SARL Htel Nord) du délai d’un mois fixé par l’article R. 153-1 du code de commerce,

– déclaré les sociétés Kyntus et Htel Nord irrecevables à opposer le délai fixé par l’article R. 153-1 du code de commerce aux sociétés Sade-CGTH et Sade Telecom, pour avoir cherché à retarder le recours en rétractation des concluantes, à défaut ;

– dit et jugé que le juge est réputé saisi à la date de la délivrance de l’assignation, et que l’assignation a en l’espèce était délivrée dans le délai d’un mois de l’article R. 153-1 du code de commerce, de sorte que le moyen d’irrecevabilité est infondé ; à défaut,

– déclaré le délai fixé par l’article R. 153-1 du code de commerce inopposable aux sociétés Sade-CGTH et Sade Telecom faute d’avoir été rappelé dans l’acte de signification de l’ordonnance,

– dit et jugé qu’il n’a jamais commencé à courir ; à titre infiniment subsidiaire,

– dit et jugé que le dépassement du délai prévu par l’article R. 153-1 du code de commerce ne rend pas pour autant la demande de rétractation irrecevable,

En conséquence ;

– rétracte l’ordonnance rendue le 13 décembre 2021 par le président du tribunal de commerce d’Arras,

– annulé par conséquent l’ensemble des opérations subséquentes réalisées par la SCP Venezia et associés et par la SCP Houppe Balat Vajlac, huissiers de justice,

– ordonné la destruction de l’ensemble des éléments saisis, placés sous séquestre provisoire par les huissiers instrumentaires, à savoir la SCP Venezia et associés et la société Houppe Balat Vajlac,

– débouté les sociétés Kyntus et Htel Nord de leurs demandes, fins et prétentions,

– condamné les sociétés Kyntus et Htel Nord au paiement des entiers frais et dépens en ce compris les frais de greffe taxés et liquidés à la somme de 74,63 euros.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 25 octobre 2022 les sociétés Kyntus et Htel Nord ont relevé appel tendant à l’annulation de l’ordonnance ou à sa réformation en toutes ses dispositions.

Suivant ordonnance du 16 janvier 2023 le premier président de cette cour a ordonné l’arrêt de l’exécution provisoire la décision.

Aux termes de leurs dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 31 janvier 2023 les sociétés Kyntus et Htel Nord demandent à la cour d’infirmer l’ordonnance 11 octobre 2022 en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :

– déclarer les sociétés Sade-CGTH et Sade Telecom irrecevables en leurs demandes comme étant forcloses et en tout cas les en débouter,

– ordonner la mainlevée du séquestre des éléments saisis le 8 mars 2022 et leur remise aux sociétés Kyntus et Htel Nord,

– débouter les sociétés Sade-CGTH et Sade Telecom de leurs plus amples demandes,

– les condamner à leur verser la somme de 30 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Aux termes de leurs dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 1er février 2023 les sociétés Sade-CGTH et Sade Telecom, dénommée depuis janvier 2023 la société ‘Ensio SAS’, demandent à la cour de :

A titre principal :

– confirmer l’ordonnance en toutes ses dispositions, et, en conséquence,

– déclarer recevable et bien fondée l’action en rétractation de l’ordonnance sur requête du 13 décembre 2021 ; déclarer les sociétés intimées irrecevables ou à défaut mal fondées à soutenir que la demande de rétractation serait irrecevable pour défaut de respect du délai fixé par l’article R. 153-1 du code de commerce,

– les déclarer irrecevables à leur opposer ce délai pour avoir cherché à retarder le recours en rétractation des concluantes ;

à défaut, dire et juger que le juge est réputé saisi dès la date de délivrance de l’assignation, et que l’assignation a été délivrée dans le délai de l’article R. 153-1 du code de commerce de sorte que le moyen d’irrecevabilité est infondé ; à défaut, déclarer le délai inopposable faute d’avoir été rappelé dans l’acte de signification de l’ordonnance ; à titre infiniment subsidiaire ; dire et juger que le dépassement du délai ne rend pas pour autant la demande de rétractation irrecevable,

– dire et juger que les sociétés Kyntus et Htel Nord ne justifient d’aucun motif légitime de voir ordonner une mesure d’instruction in futurum destinée à établir la matérialité et l’étendue des prétendus faits de concurrence déloyale ou ‘abus’ ; dire et juger que la mesure ordonnée est disproportionnée et comme telle non légalement admissible ; dire et juger que les sociétés intimées ne justifient d’aucune circonstance propre au cas d’espèce autorisant qu’il soit dérogé au principe de la contradiction,

– rétracter l’ordonnance rendue le 13 décembre 2021,

– annuler l’ensemble des opérations subséquentes réalisées par la SCP Venezia et associés et par la SCP Houppe Balat Vajlac, huissiers de justice,

– ordonner la destruction de l’ensemble des éléments saisis, placés sous séquestre provisoire par les huissiers instrumentaires, à savoir la SCP Venezia et associés et par la SCP Houppe Balat Vajlac,

A titre subsidiaire,

– déclarer les sociétés Kyntus et Htel Nord irrecevables ou à défaut mal fondées à soutenir que la demande de mise en ‘uvre de la procédure de protection du secret des affaires prévue par les articles L. 153-1 et R. 153-1 à R. 153-10 du code de commerce serait irrecevable,

– interdire la communication des documents et fichiers informatiques saisis par la SCP Venezia et associés et par la SCP Houppe Balat Vajlac aux sociétés Kyntus et Htel Nord,

– ordonner la mise en ‘uvre de la procédure de protection du secret des affaires prévues aux articles L. 153-1 et R. 153-1 à R. 153-10 du code de commerce dans le but de déterminer quels documents, et sous quelle forme, pourront, éventuellement être communiqués aux sociétés Kyntus et Htel Nord et les conditions dans lesquelles cette communication devra intervenir et les personnes qui pourront prendre connaissance de ces éléments ; fixer le délai, qui ne saurait être inférieur à trois mois, dans lequel elles devront déposer leur mémoire relatif au secret des affaires, après tri des pièces saisies et ce, pour les pièces suivantes :

– l’ensemble des courriels saisis au siège de Sade Telecom tels que listés en pièce n° 40 des concluantes,

– l’ensemble des documents, autres que les courriels, saisis au siège de Sade Telecom tels que listés en pièce n° 41 des concluantes,

– les courriels saisis au site de [Localité 8] de Sade Telecom et listés en pièces n° 42 des concluantes,

En tout état de cause :

– débouter les sociétés Kyntus et Htel Nord de leur demande d’infirmation de l’ordonnance de rétractation rendue le 11 octobre 2022 et de levée de séquestre des pièces saisies,

– débouter les sociétés Kyntus et Htel Nord de l’ensemble de leurs demandes,

– condamner in solidum les sociétés Kyntus et Htel Nord à leur payer la somme de 30 000 euros chacune sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens d’appel.

La clôture de l’instruction est intervenue le 1er février 2023 avant l’audience de plaidoiries tenue le même jour. Le délibéré fixé initialement au 4 mai 2023 a été prorogé au 25 mai compte tenu de la charge de travail de la juridiction.

MOTIFS

A titre liminaire, il convient de relever que les appelantes font valoir que l’ordonnance est affectée de vices tels que le défaut d’impartialité du premier juge, le défaut de motivation du jugement et du respect du principe du contradictoire ou l’excès de pouvoir du juge des référés, qui tendent à remettre en cause la régularité de la décision mais sans en demander l’annulation. Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur ces moyens, étant rappelé que par l’effet dévolutif de l’appel, la cour est saisie de l’entier litige.

Sur la recevabilité de la demande de rétractation de l’ordonnance sur requête

Les appelantes concluent à l’irrecevabilité de la demande de rétractation faisant valoir qu’il résulte de l’application combinée des articles R. 153-1 du code de commerce et 857 al 1er du code de procédure civile que seule la remise au greffe d’une copie originale de l’assignation est susceptible d’interrompre le délai d’un mois prévu à l’article R. 153-1 pour saisir valablement le juge de la rétractation.

L’article 497 du code de procédure civile dispose que le juge a la faculté de modifier ou de rétracter son ordonnance, même si le juge du fond est saisi de l’affaire.

L’article R. 153-1 du code de commerce, dispose, en ses alinéas 1 et 2 que :

‘Lorsqu’il est saisi sur requête sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ou au cours d’une mesure d’instruction ordonnée sur ce fondement, le juge peut ordonner d’office le placement sous séquestre provisoire des pièces demandées afin d’assurer la protection du secret des affaires.

Si le juge n’est pas saisi d’une demande de modification ou de rétractation de son ordonnance en application de l’article 497 du code de procédure civile dans un délai d’un mois à compter de la signification de la décision, la mesure de séquestre provisoire mentionnée à l’alinéa précédent est levée et les pièces sont transmises au requérant’.

L’article 497 du code de procédure civile ne prévoit aucun délai pour agir en rétractation ou modification d’une ordonnance sur requête et l’article R. 153-1 du code de commerce, qui prévoit qu’une mesure de séquestre provisoire ordonnée par le juge est levée automatiquement s’il n’est pas saisi de la demande de rétractation dans le délai d’un mois à compter de la signification de l’ordonnance, ne fixe pas un délai pour agir en rétractation sous peine d’irrecevabilité.

Dès lors, à supposer même que la saisine du tribunal soit intervenue après l’expiration d’un délai d’un mois de sa signification, le moyen d’irrecevabilité est inopérant. En conséquence, et par substitution de motifs, l’ordonnance sera confirmée en ce qu’elle a jugé recevables les sociétés Sade-CGTH et Sade Telecom en leurs demandes de rétractation de l’ordonnance sur requête.

Sur la rétractation de l’ordonnance sur requête

En application de l’article 875 du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut ordonner sur requête, dans les limites de la compétence de ce tribunal, toutes mesures urgentes lorsque les circonstances exigent qu’elles ne soient pas prises contradictoirement.

L’article 145 du même code dispose que s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

Les deux sociétés requérantes exposent que la mesure d’instruction a pour objet d’établir des faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige les opposants aux sociétés Sade-CGTH et Sade Telecom en vue d’obtenir ‘réparation des préjudices résultant de la résiliation abusive du contrat de sous-traitance de la société Htel Nord dans un contexte de concurrence déloyage destiné à nuire plus largement à sa société mère, la société Kyntus’. Dans leur requête initiale elles précisaient que l’objectif de la mesure était de rassembler les éléments de preuve permettant de corroborer, d’une part, l’abus commis par la société Sade Telecom dans la résiliation du contrat de sous-traitance et, d’autre part, les faits de concurrence déloyale commis par la société Sade Telecom.

Tout d’abord, il convient de relever, comme l’admettent les intimées, que le juge ne pouvait motiver la rétractation de l’ordonnance au regard des exigences de l’article 146 du code de procédure civile, qui ne trouvent pas à s’appliquer dans le cadre d’une demande fondée sur les dispositions de l’article 145, puisque les mesures demandées ont justement pour objet de permettre au requérant de conserver ou d’établir des éléments de preuves dont il ne dispose pas.

Il n’en reste pas moins que le requérant doit justifier d’un motif légitime à demander une mesure d’instruction, ce qui suppose d’établir la vraisemblance de faits susceptibles de faire l’objet d’un litige futur, en justifiant d’éléments objectifs et vérifiables laissant apparaître la perspective d’un litige éventuel, sans pour autant établir le bien fondé de l’action envisagée, et sur lequel pourrait influer le résultat de la mesure ordonnée.

L’action en concurrence déloyale, fondée sur la responsabilité délictuelle, a vocation à être mise en oeuvre pour sanctionner un comportement qui ne constitue pas la violation d’une obligation contractuelle.

La résiliation du contrat, même à la supposer injustifiée du fait de l’absence de faute contractuelle de la société Htel Nord ou du fait d’une régularisation intervenue après une mise en demeure, n’est pas de nature, en soi, à rendre vraisemblable l’existence d’actes de concurrence déloyale. Une rupture injustifiée du contrat ne suffit pas à caractériser une atteinte à la loyauté de la concurrence, peu important que les sociétés en cause soient effectivement par ailleurs en situation de concurrence dans un même secteur. La question du caractère abusif de la rupture du contrat n’est pertinente que si elle intervient dans un contexte de concurrence déloyale.

S’agissant des faits de concurrence déloyale reprochés aux sociétés Sade-CGTH et Sade Telecom, les appelants invoquent :

– une tentative de ‘débauchage’ de ses salariés par l’intermédiaire d’une société ‘5 Com’ avec laquelle les deux sociétés ont un lien commercial, s’agissant d’un sous-traitant de la société Sade Telecom,

– la vraisemblance de manoeuvres déloyales de la société Sade Telecom qui se déduisent de :

– la concomitance entre la cession de l’activité de télécommunication de Sade-CGTH à un fonds d’investissement, la dégradation des relations entre les parties et les interrogations de la société Sade Telecom relatives à l’intervention de techniciens non salariés, qui intervenait pourtant déjà depuis plusieurs années, émises de manière inédite le 25 mai 2021, cinq jours avant l’issue de la première phase de l’appel d’offres de la société Orange,

– la concomitance entre la notification de la résiliation et la tentative de débauchage de ses salariés par la société 5 com,

– l’affaiblissement considérable de la société Htel Nord du fait de la résiliation du contrat de sous-traitance qui constituait la ‘source quasi unique’ de son chiffre d’affaires, pour des prétendus faits de sous-traitance illégale ou de travail dissimulé, qui a conduit la société Orange à écarter la société Kyntus de l’attribution de lots dans la seule zone de l’appel d’offres concernant la sa société Htel Nord.

La cour constate en premier lieu que c’est à juste titre que le premier juge a considéré que le reproche de débauchage ne pouvait en l’espèce caractériser un acte de concurrence déloyal, même seulement vraisemblable, de la part des sociétés Sade-CGTH et Sade Telecom, puisqu’il serait imputable à un de leur sous-traitant, avec lequel il n’apparaît pas qu’elle serait autrement liée, et qui n’est pas concernée par la mesure.

Il n’est par ailleurs pas fait le reproche d’autres comportements pouvant caractériser une concurrence déloyale ; les appelantes se bornent à déduire d’hypothétiques comportements déloyaux, sans en préciser les contours, du contexte dans lequel est survenu la dégradation de leurs relations avec les sociétés Sade-CGTH et Sade Telecom mais elles n’invoquent aucun faits précis, objectifs et vérifiables sur lesquels pourraient reposer une action en concurrence déloyale. Les éléments de contexte invoqués par les sociétés Kyntus et Htel Nord ne sont pas suffisants pour établir la vraisemblance d’actes de concurrence déloyale.

En outre dans la mesure où l’action envisagée ne repose sur aucun fait précis, même seulement hypothétique, il ne peut être établi que la mesure d’instruction sollicitée serait susceptible ou non d’avoir une incidence sur la solution d’un litige futur dans le cadre d’une action en concurrence déloyale et en conséquence serait pertinente et proportionnée au regard des intérêts des parties en présence.

Ainsi, il n’est pas démontré l’existence d’un litige vraisemblable, même seulement éventuel ou futur, rendant légitime la mesure d’instruction demandée et sur lequel celle-ci pourrait influer.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a rétracté l’ordonnance et les mesures subséquentes à la rétractation d’anéantissement de la mesure d’instruction exécutée et de débouter les sociétés Kyntus et Htel Nord de leurs demandes.

Sur les demandes accessoires

Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile, il convient de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens, de mettre les dépens d’appel à la charge des appelantes et d’allouer aux intimés la somme de 15 000 euros à titre d’indemnité de procédure.

Les autres chefs du dispositif, qui ne sont que la reprise littérale de certaines mentions du dispositif des conclusions des sociétés Sade-CGTH et Sade Telecom et n’ont pas de caractère décisoire, seront infirmés.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme l’ordonnance de référé entreprise en ce qu’elle a :

– dit et jugé que les sociétés Sade-CGTH et Sade Telecom sont recevables et bien fondées en leur demande de rétractation de l’ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce d’Arras le 31 décembre 2021,

– rétracté l’ordonnance rendue le 13 décembre 2021 par le président du tribunal de commerce d’Arras,

– annulé par conséquent l’ensemble des opérations subséquentes réalisées par la SCP Venezia et associés et par la SCP Houppe Balat Vajlac, huissiers de justice,

– ordonné la destruction de l’ensemble des éléments saisis, placés sous séquestre provisoire par les huissiers instrumentaires, à savoir la SCP Venezia et associés et la société Houppe Balat Vajlac,

– débouté les sociétés Kyntus et Htel Nord de leurs demandes, fins et prétentions,

– condamné les sociétés Kyntus et Htel Nord au paiement des entiers frais et dépens en ce compris les frais de greffe taxés et liquidés à la somme de 74,63 euros ;

Le réforme pour le surplus ;

Y ajoutant,

Condamne in solidum les sociétés Kyntus et Htel Nord à payer aux sociétés Sade-CGTH et Sade Telecom, aujourd’hui dénommée Ensio SAS, ensemble, la somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum les sociétés Kyntus et Htel Nord aux dépens d’appel.

Le greffier

Valérie Roelofs

Le président

Dominique Gilles

 


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