Séquestre provisoire : 25 mai 2023 Cour d’appel de Caen RG n° 22/00363

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Séquestre provisoire : 25 mai 2023 Cour d’appel de Caen RG n° 22/00363
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AFFAIRE :N° RG 22/00363 –

N° Portalis DBVC-V-B7G-G5U5

 

ARRÊT N°

JB.

ORIGINE : DECISION en date du 04 Février 2022 du Tribunal de Commerce de LISIEUX

RG n° 2021.1495

COUR D’APPEL DE CAEN

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

ARRÊT DU 25 MAI 2023

APPELANTE :

S.A.S. SODEL

N° SIRET : 627 150 105

[Adresse 4]

[Localité 3]

prise en la personne de son représentant légal

représentée par Me Mickaël DARTOIS, avocat au barreau de CAEN,

assistée de Me Denis SCHERTENLEIB, avocat au barreau de PARIS

INTIMES :

Monsieur [U] [C]

né le [Date naissance 1] 1967 à [Localité 8]

[Adresse 7]

[Localité 5]

représenté par Me Gaël BALAVOINE, subsitué par Me REICHLING, avocats au barreau de CAEN,

assisté de Me Elise DETRY, avocat au barreau de LYON

S.A.S.U. LABORATOIRES ANIOS

N° SIRET : 823 326 061

[Adresse 2]

[Localité 6]

prise en la personne de son représentant légal

représentée par Me Jérémie PAJEOT, avocat au barreau de CAEN,

assistée de Me Katia BONEVA-DESMICHT, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme EMILY, Président de Chambre,

Mme COURTADE, Conseillère,

M. GOUARIN, Conseiller,

DÉBATS : A l’audience publique du 16 mars 2023

GREFFIER : Mme LE GALL, greffier

ARRÊT prononcé publiquement le 25 mai 2023 à 14h00 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Madame EMILY, président, et Mme LE GALL, greffier

* * *

EXPOSE DES FAITS, DE LA PROCEDURE ET DES PRETENTIONS

La société Laboratoires Anios est spécialisée dans la fabrication et la vente de produits pharmaceutiques et chimiques. Elle appartient au groupe Ecolab depuis 2017 et a notamment pour filiales la société Soluscope et la société de droit italien Nuova Farmec.

La société Sodel est spécialisée dans la formulation, la fabrication et la commercialisation de produits d’entretien et de désinfection pour les professionnels de l’hygiène. Cette société a notamment fusionné avec la société Alkapharm, animée par MM. [W] et [R] [V] anciens dirigeants des Laboratoires Anios, et a été rachetée par le fonds d’investissement HLD en février 2021. La société holding Butterfly 1, dont M. [L] [B] est le président depuis le 8 juillet 2021, est la présidente de la société Sodel.

M. [U] [C] a été employé par les Laboratoires Anios comme technicien supérieur puis chimiste, directeur de laboratoires et vice-président de la division « research & development Europe healthcare » entre le 17 août 1992 et le 24 février 2021. Il a été embauché par la société Butterfly 1 en tant que directeur scientifique et stratégie produits à compter du 8 mars 2021.

Sur requête du 4 mai 2021 des Laboratoires Anios suspectant des actes de concurrence déloyale consistant en le débauchage fautif de MM. [C], [B], Mmes [G] [M] et [A] [E] et la divulgation d’informations couvertes par le secret des affaires concernant la formule du produit Aniosyme Synergy WD plus, les matières premières servant à la fabrication du produit Aniosgel 85NPC, les protocoles de nettoyage et d’assainissement du site de production des Laboratoires Anios situé à [Localité 9], le protocole de test Stress Cracking Test ainsi que la formulation de l’éthanol dénaturé des Laboratoires Anios, et au visa de l’article 145 du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce de Lisieux a, par ordonnance du 7 mai 2021, désigné Me [K], huissier de justice, avec pour mission notamment de se faire communiquer le nom des personnes travaillant au sein ou auprès de la division recherche et développement de la société Sodel durant les 6 derniers mois ainsi que tous supports papier et tous codes permettant d’accéder à l’ensemble des serveurs, ordinateurs, téléphones, tablettes, disques durs externes, clefs USB ou boîtes de messagerie et, plus généralement, toutes unités de stockage afin de rechercher et de copier les fichiers, correspondances et pièces jointes, documents et dossiers en relation avec des faits litigieux concernant le départ simultané de plusieurs salariés et comportant certains mots-clefs déterminés et de conserver sous séquestre les éléments copiés.

Le 3 juin 2021, un procès-verbal de constat d’huissier de justice a été établi en exécution de cette décision.

Suivant acte d’huissier du 30 juin 2021, la société Sodel a fait assigner les Laboratoires Anios devant le tribunal de commerce de Lisieux aux fins, notamment, de voir rétracter cette ordonnance et de se voir restituer les documents saisis.

M. [C] est intervenu volontairement à l’instance.

Par ordonnance du 4 février 2022, le président du tribunal de commerce de Lisieux a :

– déclaré recevable l’intervention volontaire de M. [C],

– débouté en l’état la société Sodel de sa demande de rétractation de l’ordonnance du 7 mai 2021,

– suspendu l’exécution de cette ordonnance dans l’attente de la consultation par les seuls conseils des parties de la version intégrale et déconfidentialisée des pièces 37-1 à 37-17 communiquées par les Laboratoires Anios,

– invité la partie la plus diligente à prendre toute initiative procédurale qu’elle jugera appropriée pour qu’il soit statué sur les conditions de la levée du séquestre provisoire,

– déclaré commune et opposable sa décision à M. [C],

– dit n’y avoir lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile,

– dit que les parties conserveront à leur charge les frais et dépens qu’elles ont exposés pour les besoins de l’instance et liquidé les frais de greffe à la somme de 67,02 euros.

Selon déclaration du 14 février 2022, la société Sodel a interjeté appel de cette décision.

Par dernières conclusions du 26 septembre 2022, l’appelante poursuit l’infirmation de la décision attaquée sauf en ce qu’elle a déclaré M. [C] recevable en son intervention volontaire et a déclaré commune et opposable à celui-ci la décision rendue.

À titre principal, elle demande à la cour, statuant à nouveau, de déclarer irrecevables les pièces 37-1 à 37-17 communiquées par les Laboratoires Anios, à l’exception des pièces 37-6 et 37-13, de rétracter l’ordonnance rendue le 7 mai 2021 sous le n°D/2021/1158 et d’ordonner aux Laboratoires Anios de remettre immédiatement à la société Sodel les éléments saisis.

Subsidiairement, elle demande à la cour de rétracter partiellement l’ordonnance rendue le 7 mai 2021 sous le n°D/2021/1158, de limiter la saisie à des documents datant de l’année 2021, de limiter la saisie faite à la société Sodel aux mots-clefs présents dans l’objet des courriels communiquées aux pièces 37-1 à 37-17 par les Laboratoires Anios, à savoir « wipes strategy round 2 », « HC wipes benchmark », « Cardiff university project update », « Laboratoires Anios-Solvay 2020 Actizone teaser presentation », « Quat synthèse des résultats et décision pour le 19 juin», « Lifeclean update », « wipes strategy session 2 », « wipe discussion notes », « urgent 2021 pipeline update », « portfolio harmonization project review », « hygiene portfolio roadmap », « microbs », « oxyrange », « portefeuille Laboratoires Anios ecolab », « liste des pièces pour créer un CER », « speculoos-PG slides », de mandater un huissier aux frais avancés de la société Sodel pour procéder à ce tri, dont la mission sera de procéder à cette recherche limitée dans les fichiers saisis chez cette dernière et de soumettre ces documents à un cercle de confidentialité incluant les conseils et un représentant de chaque partie.

À titre infiniment subsidiaire, la société Sodel demande à la cour de soumettre les documents saisis à un cercle de confidentialité incluant les conseils et un représentant de chaque partie.

En tout état de cause, elle demande à la cour de rejeter la demande d’injonction faite à son encontre de restituer les documents visés dans l’attestation établie le 17 juin 2022 par M. [P] [I] et de détruire toute copie qui aurait pu en être faite et sollicite la condamnation des Laboratoires Anios au paiement de la somme de 50.000 euros à titre d’indemnité de procédure ainsi qu’aux entiers dépens.

Par dernières conclusions du 19 septembre 2022, les Laboratoires Anios demandent à la cour de déclarer M. [C] irrecevable en son appel.

A titre liminaire, si la cour décidait de consulter la version intégrale des emails transférés par M. [C] de sa messagerie électronique professionnelle vers sa messagerie personnelle entre le 24 et le 25 février 2021, les Laboratoires Anios demandent à la cour de dire et juger que seuls les conseils des parties seront autorisés à prendre connaissance de la version intégrale et déconfidentialisée des pièces 37-1 à 37-17 communiquées par eux.

En tout état de cause, ils demandent à la cour de confirmer la décision attaquée, de débouter la société Sodel et M. [C] de toutes leurs demandes, de déclarer opposable à M. [C] en toutes ses dispositions l’arrêt à intervenir, d’enjoindre à ce dernier et à la société Sodel de restituer les documents visés dans l’attestation établie le 17 juin 2022 par M. [I] et de détruire toute copie qui aurait pu en être faite et de condamner la société Sodel au paiement de la somme de 50.000 euros à titre d’indemnité de procédure ainsi qu’aux entiers dépens.

Par dernières conclusions du 26 septembre 2022, M. [C] demande à la cour d’infirmer la décision attaquée sauf en ce qu’elle a déclaré recevable son intervention volontaire et lui a déclaré commune et opposable cette décision, statuant à nouveau, de lui donner acte de son intervention volontaire accessoire et de la déclarer recevable, de faire droit aux demandes formées par la société Sodel et de débouter les Laboratoires Anios de leur demande d’injonction de restituer les documents visés dans l’attestation établie le 17 juin 2022 par M. [I] et de détruire toute copie qui aurait pu en être faite.

La mise en état a été clôturée le 28 septembre 2022.

Par conclusions du 10 mars 2023, les Laboratoires Anios demande à la cour d’ordonner le rabat de l’ordonnance de clôture et de l’autoriser à verser aux débats les nouvelles pièces n°47-1 à 49, consistant en les pièces judiciaires et extrajudiciaires d’autorisation et d’exécution d’une mesure d’exécution au domicile de M. [D] et en deux attestations établies le 9 mars 2023 par Mme [S] concernant l’affichage et la transmission à la DIRECCTE de la charte des systèmes d’information des Laboratoires Anios.

Par conclusions du 15 mars 2023, la société Sodel demande à la cour de débouter les Laboratoires Anios de leur demande tendant à la révocation de l’ordonnance de clôture et à l’autorisation de communiquer de nouvelles pièces n°47-1 à 49.

Pour plus ample exposé des prétentions et moyens, il est référé aux dernières écritures des parties.

MOTIFS DE LA DECISION

1. Sur la demande de révocation de l’ordonnance de clôture

Selon l’article 803 du code de procédure civile, l’ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue.

En l’espèce, aucun motif grave postérieur à la clôture n’est établi par les Laboratoires Anios de nature à justifier la production de nouvelles pièces relatives, d’une part, à une mesure d’instruction distincte de celle objet de la présente instance, exécutée contre une personne n’étant pas partie au présent litige et dont le rapport d’exploitation n’est pas établi, et consistant, d’autre part, en des attestations émanant d’une employée des Laboratoires Anios concernant un moyen qui était dans le débat antérieurement à la clôture de l’instruction et dont cette intimée n’expliquent pas l’établissement tardif.

Il y a donc lieu de rejeter la demande des Laboratoires Anios tendant à voir révoquer l’ordonnance de clôture et autoriser la communication des pièces nouvelles 47-1 à 49.

2. Sur la recevabilité de l’appel incident de M. [C]

En application des articles 330, 548 et 549 du code de procédure civile, il y a lieu de déclarer recevable l’appel incident interjeté par M. [C], dès lors que celui-ci est intervenu volontairement devant le premier juge pour appuyer les prétentions de la société Sodel en demandant qu’il y soit fait droit et avait ainsi la qualité d’intervenant volontaire accessoire, de sorte qu’il est recevable à relever appel incident de la décision ayant débouté la société Sodel de ses prétentions.

3. Sur l’intervention volontaire de M. [C]

Il n’y a pas lieu de statuer sur la demande de M. [C] tendant à lui donner acte de son intervention volontaire accessoire et de la déclarer recevable, dès lors que son intervention volontaire devant le premier juge a été déclarée recevable par une disposition non critiquée de l’ordonnance entreprise, ce qui lui confère la qualité de partie à hauteur d’appel.

Pour les mêmes motifs, il n’y a pas lieu de statuer sur la demande des Laboratoires Anios tendant à voir déclarer opposable à M. [C] en toutes ses dispositions l’arrêt à intervenir.

4. Sur la recevabilité des pièces n°37-1 à 37-5, 37-7 à 37-12, 37-14 à 37-17 produites par les Laboratoires Anios

L’article L. 153-1 du code de commerce dispose que, lorsque, à l’occasion d’une instance civile ou commerciale ayant pour objet une mesure d’instruction sollicitée avant tout procès au fond ou à l’occasion d’une instance au fond, il est fait état ou est demandée la communication ou la production d’une pièce dont il est allégué par une partie ou un tiers ou dont il a été jugé qu’elle est de nature à porter atteinte à un secret des affaires, le juge peut, d’office ou à la demande d’une partie ou d’un tiers, si la protection de ce secret ne peut être assurée autrement et sans préjudice de l’exercice des droits de la défense :

1° Prendre connaissance seul de cette pièce et, s’il l’estime nécessaire, ordonner une expertise et solliciter l’avis, pour chacune des parties, d’une personne habilitée à l’assister ou la représenter, afin de décider s’il y a lieu d’appliquer des mesures de protection prévues au présent article ;

2° Décider de limiter la communication ou la production de cette pièce à certains de ces éléments, en ordonner la communication ou la production sous une forme de résumé ou en restreindre l’accès, pour chacune des parties, au plus à une personne physique et une personne habilitée à l’assister ou la représenter ;

3° Décider que les débats auront lieu et que la décision sera prononcée en chambre du conseil ;

4° Adapter la motivation de sa décision et les modalités de publicité de celle-ci aux nécessités de la protection du secret des affaires.

Selon l’article R. 153-3, à peine d’irrecevabilité, la partie ou le tiers à la procédure qui invoque la protection du secret des affaires pour une pièce dont la communication ou la production est demandée remet au juge, dans le délai fixé par celui-ci :

1° La version confidentielle intégrale de cette pièce ;

2° Une version non confidentielle ou un résumé ;

3° Un mémoire précisant, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d’un secret des affaires.

Au visa de ce dernier texte, la société Sodel demande à la cour de déclarer irrecevables les pièces n°37-1 à 37-5, 37-7 à 37-12, 37-14 à 37-17 communiquées par les Laboratoires Anios dans une version non intégrale ne permettant pas de lire le contenu des courriels litigieux, au motif que ces dispositions s’appliquent aux pièces spontanément communiquées par une partie, ne sont pas applicables qu’aux mesures de séquestre et qu’il ne peut lui être reproché de ne pas avoir consulté la version intégrale des courriels litigieux comme elle y était invitée par les Laboratoires Anios en exécution de l’ordonnance déférée dans la mesure où une telle consultation était inutile dès lors que le magistrat n’avait pas eu connaissance de ces pièces dans leur version confidentielle.

Les Laboratoires Anios concluent au rejet de la prétention formée par la société Sodel de ce chef et, si la cour décidait de consulter la version intégrale des courriels transférés par M. [C] de sa messagerie électronique professionnelle vers sa messagerie personnelle entre le 24 et le 25 février 2021, cette intimée demande à la cour de dire et juger que seuls les conseils des parties seront autorisés à prendre connaissance de la version intégrale et déconfidentialisée des pièces litigieuses.

Le 21 juin 2021, la société Sodel a vainement sommé les Laboratoires Anios de lui communiquer dans leur version intégrale le rapport d’audit informatique établi par la société PwC Advisory et les courriels mentionnés par ce rapport.

Les Laboratoires Anios ont refusé cette communication intégrale en arguant de la protection du secret des affaires et ont communiqué une version confidentielle de ces courriels, tout en indiquant être disposés à mettre la version intégrale de ces pièces à la disposition du premier juge.

Le premier juge a, notamment, débouté en l’état la société Sodel de sa demande de rétractation de l’ordonnance du 7 mai 2021, suspendu l’exécution de cette ordonnance dans l’attente de la consultation par les seuls conseils des parties de la version intégrale et déconfidentialisée des pièces 37-1 à 37-17 communiquées par les Laboratoires Anios et invité la partie la plus diligente à prendre toute initiative procédurale qu’elle jugera appropriée afin qu’il soit statué sur les conditions de la levée du séquestre provisoire.

Ce faisant, il a usé partiellement de la faculté ouverte par l’article L. 153-1 2° du code de commerce en restreignant l’accès à la version confidentielle de ces pièces aux seuls conseils des parties.

À hauteur d’appel, la société Sodel demande que les pièces litigieuses soient déclarées irrecevables sans solliciter la communication de leur version confidentielle.

L’appelante a refusé l’offre de consultation de la version confidentielle intégrale par son conseil faite par les Laboratoires Anios en exécution de l’ordonnance entreprise.

Contrairement à ce que soutiennent les Laboratoires Anios, les dispositions de l’article R. 153-3 du code de commerce s’appliquent non seulement à la mesure de séquestre mais également aux demandes de communication et de production de pièces.

L’irrecevabilité invoquée par la société Sodel sanctionne, selon l’article R. 153-3 du code de commerce, le non-respect des modalités procédurales prévues par cet article dans le délai fixé par le juge.

Or les pièces litigieuses, dont la communication dans leur version intégrale n’est pas sollicitée par la société Sodel en cause d’appel, n’ont pas, en l’espèce, fait l’objet d’une décision du juge enjoignant les Laboratoires Anios à lui remettre dans un délai déterminé une version confidentielle intégrale de ces pièces, une version non confidentielle ou un résumé et un mémoire précisant les motifs leur conférant le caractère d’un secret des affaires, en sorte que les pièces 37-1 à 37-5, 37-7 à 37-12 et 37-14 à 37-17 ne sauraient être déclarées irrecevables sur le fondement de l’article R. 153-3 du code de commerce.

5. Sur la demande de rétractation de l’ordonnance rendue le 7 mai 2021 par le président du tribunal de commerce de Lisieux

Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

Il résulte de ces dispositions que les mesures prévues par cet article ne peuvent être ordonnées sur requête que lorsque les circonstances exigent qu’elles ne soient pas prises contradictoirement, la cour d’appel saisie d’une ordonnance de référé ayant refusé de rétracter une ordonnance sur requête autorisant une telle mesure étant tenue de rechercher d’office si la mesure sollicitée exigeait une telle dérogation à la règle de de la contradiction.

En l’espèce, il n’est pas discuté que la requête des Laboratoires Anios comme l’ordonnance rendue le 7 mai 2021 par le président du tribunal de commerce de Lisieux énoncent les circonstances justifiant que la mesure réclamée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ne soit pas prise contradictoirement, consistant dans le risque de dépérissement des éléments de preuve recherchés dans le cadre d’une suspicion de concurrence déloyale et dans la nécessité d’un effet de surprise pour assurer l’efficacité de la recherche de tels éléments de preuve.

Il résulte des dispositions précitées que la mesure d’instruction sollicitée doit être demandée avant toute instance au fond et suppose l’existence d’un motif légitime apprécié à la date du dépôt de la requête initiale, à la lumière des éléments de preuve produits à l’appui de cette requête et de ceux produits ultérieurement.

Il appartient au demandeur à la mesure d’instruction de justifier de faits précis, objectifs et vérifiables rendant vraisemblable un litige opposant les parties, litige sur lequel le résultat de la mesure d’instruction sollicitée pourra influer.

Pour être légalement admissible, la mesure d’instruction sollicitée doit être proportionnée au but poursuivi et ne peut constituer une mesure d’investigation générale.

Il convient de rechercher si la mesure d’instruction litigieuse est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et si elle est proportionnée aux intérêts antinomiques en présence.

En l’espèce, la mesure d’instruction litigieuse est sollicitée alors qu’aucun procès au fond n’est engagé.

À l’appui de leur requête déposée le 4 mai 2021 auprès du président du tribunal de commerce de Lisieux, les Laboratoires Anios ont produit une attestation de M. [F] évoquant le coup de téléphone anonyme que celui-ci avait reçu le 5 février 2021 ainsi que la lettre anonyme reçue par la société le 8 février suivant faisant état de propositions faites par la société Alkapharm à certains employés des Laboratoires Anios, notamment MM. [T], [C], [Y] et Mmes [X] et [S], ce avec l’aide de M. [Z] [D], ancien directeur scientifique des Laboratoires Anios, les lettres de démission de M. [C] le 16 février 2021, de M. [B] le 31 mars 2021, de Mme [M] le 9 avril 2021 et de Mme [E] le 19 avril 2021, le résultat des investigations informatiques et numériques (Forensic review) réalisées par la société PwC Advisory le 8 avril 2021 sur l’ordinateur mis à la disposition de M. [C] et sur les boîtes mail de certains salariés révélant, selon la demanderesse à la mesure, la consultation par M. [C], les 30 novembre 2020 et 24 février 2021 date de son départ de la société, de fichiers sensibles relatifs notamment au produit Aniosyme Synergy WD Plus en vue de les copier sur une clef USB externe et le transfert par celui-ci, les 24 et 25 février 2021, de courriels de sa boîte professionnelle vers sa boîte personnelle relatifs à la stratégie commerciale de la société et à ses nouveaux produits ainsi que l’implication de M. [D] dans le départ de M. [C] et d’autres salariés des Laboratoires Anios.

À hauteur d’appel, les Laboratoires Anios versent en outre aux débats une attestation établie le 17 juin 2022 par M. [P] [I], directeur recherche et développement et affaires réglementaires à la société Sodel entre mars 2018 et mai 2022, affirmant, d’une part, que M. [D] est intervenu comme consultant dans le rachat de la société Sodel par le fonds d’investissement HDL en 2020, que des échantillons de deux produits de lavage et de rinçage pour laveurs-désinfecteurs d’instruments médicaux avaient été envoyés par ce dernier pour test à M. [C] alors encore employé par les Laboratoires Anios et que M. [D] a utilisé les documents pour le dossier technique (DTCE) d’un produit similaire des Laboratoires Anios (WD+) pour l’agrément d’un produit de la société Sodel, d’autre part, que M. [C] lui a remis en mars 2021 une liasse de documents provenant des Laboratoires Anios concernant des modes opératoires, des tableaux de données, la liste des composants et matériaux de dispositifs médicaux sur le marché, que celui-ci a fourni à la société Sodel des informations sur les formules des produits Anios, leur a projeté une présentation Power Point d’un produit des Laboratoires Anios et que, le jour de l’exécution de la mesure d’instruction en cause, M. [C] a demandé aux participants à une réunion des services recherche et développement et marketing d’effacer les messages qu’il leur aurait envoyés contenant des données provenant les Laboratoires Anios et lui a demandé de cacher dans le coffre de sa voiture durant les constatations de l’huissier de justice la liasse de documents remise que M. [I] lui a rendue après ces opérations.

Il ne saurait être reproché aux Laboratoires Anios de ne pas apporter dans le cadre du litige portant sur la rétractation de l’ordonnance sur requête ayant autorisé une mesure d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile la démonstration du bien-fondé d’une éventuelle action en concurrence déloyale fondée notamment sur la désorganisation de la société par débauchage fautif ou l’appropriation de savoir-faire couvert par le secret des affaires et de l’existence d’un préjudice, alors que la mesure d’instruction sollicitée a précisément pour objet l’établissement de preuves de ces actes.

Pour les mêmes motifs, est indifférente à ce stade de la procédure la circonstance que les informations contenues dans les courriels transférés par M. [C] soient connues des sociétés intervenant dans ce secteur d’activité et ne peuvent être considérées comme des savoir-faire protégés par le secret des affaires.

Si la réalité de l’audit informatique effectué par la société PwC Advisory le 8 avril 2021 se trouve partiellement établie par le procès-verbal de constat établi le même jour par un huissier de justice ayant assisté à l’intervention de cette société dans les locaux des Laboratoires Anios et aux opérations de copie des disques durs de l’ordinateur portable mis à disposition de M. [C] par son employeur, il n’en est pas de même des conditions dans lesquelles cet audit a été pratiqué dès lors que le rapport de la société intervenue n’est pas produit.

Certes, la réalisation ponctuelle d’un tel audit informatique ne saurait constituer un dispositif permanent et général de surveillance du personnel au sens de l’article L. 1222-4 du code du travail et ne peut être considérée en elle-même comme une preuve obtenue de manière déloyale au regard des articles 9 du code de procédure civile et 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme ou comme portant atteinte au droit des salariés au respect de leur vie privée et au secret de leur correspondance au sens des articles 9 du code civil et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, dès lors que les dossiers et fichiers créés par un salarié grâce à l’outil informatique mis à sa disposition par son employeur pour l’exécution de son travail ainsi que les courriels provenant de sa messagerie professionnelle sont présumés avoir un caractère professionnel, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels, de sorte que l’employeur peut y avoir accès hors sa présence.

Cependant, le défaut de production du rapport d’audit informatique réalisé non seulement à partir de la copie des disques durs de l’ordinateur portable mis à la disposition de M. [C] par les Laboratoires Anios, son employeur, mais également par la consultation des données informatiques et courriels échangés par d’autres employés de cette société ne met pas la cour en mesure de contrôler la légalité et la loyauté de ce moyen de preuve comme la proportionnalité des atteintes éventuellement portées au droit au respect de sa vie personnelle des salariés au regard du droit à la preuve des Laboratoires Anios.

Il s’ensuit que les motifs invoqués par les Laboratoires Anios à l’appui de leur demande de mesure d’instruction et résultant, selon cette partie, du rapport d’audit informatique litigieux, à savoir la consultation par M. [C], les 30 novembre 2020 et 24 février 2021 date de son départ de la société, de fichiers sensibles relatifs notamment au produit Aniosyme Synergy WD Plus en vue de les copier sur une clef USB externe et le transfert par celui-ci, les 24 et 25 février 2021, de courriels de sa boîte professionnelle vers sa boîte personnelle relatifs à la stratégie commerciale de la société et à ses nouveaux produits ainsi que l’implication de M. [D] dans le départ de M. [C] et d’autres salariés des Laboratoires Anios, ne sauraient, faute d’être établis, constituer un motif légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile.

La réception d’un appel téléphonique et d’une lettre anonymes, la concomitance des démissions de MM. [C] et [B] ainsi que de Mmes [E] et [M] suivie de l’embauche de M. [C] par la société Butterfly 1, présidente de la société Sodel, alors que ces employés n’étaient pas soumis à une obligation de non-concurrence et que l’embauche de M. [C] a eu lieu par l’intermédiaire d’un cabinet de recrutement, l’attestation émanant d’un ancien salarié de la société Sodel actuellement en litige prud’homal avec celle-ci, ne peuvent constituer un faisceau suffisant d’indices objectifs rendant vraisemblable un litige opposant les parties lié à des actes de concurrence déloyale par débauchage fautif ou détournement de données stratégiques ou appropriation fautive de savoir-faire que les Laboratoires Anios suspectent et ne sauraient, partant, constituer un motif légitime d’établir ou de conserver la preuve de tels faits.

En outre, la mesure d’instruction autorisée par l’ordonnance rendue le 7 mai 2021 par le président du tribunal de commerce de Lisieux ne constitue pas une mesure légalement admissible dès lors qu’elle n’est pas proportionnée à l’objectif poursuivi et aux intérêts antinomiques en présence en ce qu’elle autorise l’accès à l’ensemble des serveurs (centraux, locaux ou à distance), ordinateurs fixes ou portables, boîtes de messagerie, tablettes, téléphones ou autres terminaux informatiques, périphériques externes et plus généralement toutes unités de stockage et/ou d’archivage susceptibles de contenir tout ou partie des renseignements recherchés, la recherche aux fins de copie des fichiers, dossiers, documents, correspondances et pièces jointes, y compris par récupération de fichiers effacés, contenant un des 35 mots clefs listés, en relation avec les faits litigieux exposés dans la requête, et le recueil de toutes informations en lien avec ces faits.

En effet, cette autorisation porte sur l’ensemble du système d’information de la société Sodel, n’est pas limitée dans le temps et concerne les données de l’ensemble des employés de cette société. Il n’est pas précisé que les informations collectées doivent avoir un lien avec des actes de concurrence déloyale précisément déterminés. Les mots-clés mentionnés, dont celui d’Ecolab, sont en nombre si important qu’ils sont susceptibles de renvoyer à un grand nombre de documents sans rapport avec le litige et couverts par le secret des affaires.

L’ordonnance entreprise sera donc infirmée et, la cour statuant à nouveau, la rétractation de l’ordonnance rendue le 7 mai 2021 par le président du tribunal de commerce de Lisieux sera ordonnée ainsi que la restitution à la société Sodel des éléments saisis à l’occasion de l’exécution de ladite ordonnance.

5. Sur la demande de restitution des documents visés dans l’attestation établie le 17 juin 2022 par M. [I] et de destruction de toute copie qui aurait pu en être faite

Les Laboratoires Anios sollicitent la restitution et la destruction des documents simplement mentionnés dans l’attestation établie le 17 juin 2022 par M. [I].

Toutefois, cette attestation évoque des « modes opératoires, des tableaux de données… », « un large tableau Excel imprimé sur une feuille A3 qui récapitulait tous les différents composants/matériaux des dispositifs médicaux sur le marché », sans autre précision permettant d’identifier ces documents, dont l’existence même est discutée par M. [C].

Cette demande des Laboratoires Anios sera donc rejetée.

6. Sur les demandes accessoires

Les dispositions du jugement entrepris relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance seront infirmées.

Les Laboratoires Anios, qui succombent, seront condamnés aux dépens de première instance et d’appel, déboutés de leur demande d’indemnité de procédure et condamnés à payer à la société Sodel la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Rejette la demande des Laboratoires Anios tendant à voir révoquer l’ordonnance de clôture et autoriser la communication des pièces nouvelles 47-1 à 49 ;

Déclare recevable l’appel incident interjeté par M. [U] [C] ;

Dit n’y avoir lieu de statuer sur l’intervention volontaire de M. [U] [C] en cause d’appel et sur la demande des Laboratoires Anios tendant à voir déclarer opposable à M. [U] [C] en toutes ses dispositions l’arrêt à intervenir ;

Rejette la demande de la société Sodel tendant à voir déclarer irrecevables les pièces n°37-1 à 37-5, 37-7 à 37-12 et 37-14 à 37-17 communiquées par les Laboratoires Anios ;

Infirme l’ordonnance entreprise en ses dispositions soumises à la cour ;

Statuant à nouveau du chef des dispositions infirmées et y ajoutant,

Ordonne la rétractation de l’ordonnance rendue le 7 mai 2021 par le président du tribunal de commerce de Lisieux ;

Ordonne la restitution à la société Sodel des éléments saisis à l’occasion l’exécution de ladite ordonnance ;

Rejette toutes autres demandes ;

Condamne la société Laboratoires Anios aux dépens de première instance et d’appel et à payer à la société Sodel la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la société Laboratoires Anios de sa demande d’indemnité de procédure.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

N. LE GALL F. EMILY

 


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