Séquestre provisoire : 22 mars 2023 Cour d’appel de Nîmes RG n° 22/03192

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Séquestre provisoire : 22 mars 2023 Cour d’appel de Nîmes RG n° 22/03192
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 22/03192 – N° Portalis DBVH-V-B7G-ISQF

AV

PRESIDENT DU TC DE NIMES

15 septembre 2022

RG:2022R00048

S.A.S. LASO FRANCE

C/

S.A.S.U. CAPELLE

S.A.S. AUGIZEAU TRANSPORTS EXCEPTIONNELS

Grosse délivrée

le 22 MARS 2023

à Me Jean-marie CHABAUD Me Marjorie ESTRADE

COUR D’APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

4ème chambre commerciale

ARRÊT DU 22 MARS 2023

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du Président du TC de NIMES en date du 15 Septembre 2022, N°2022R00048

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre,

Madame Claire OUGIER, Conseillère,

Madame Agnès VAREILLES, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Isabelle DELOR, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision

DÉBATS :

A l’audience publique du 02 Mars 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 22 Mars 2023.

Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.

APPELANTE :

S.A.S. LASO FRANCE, (Nom commercial : LASO), Société par actions

simplifiée à associé unique, au capital de 300 000 euros, immatriculée au RCS

LYON sous le numéro 889789830, agissant poursuite et diligence de ses représentants légaux en exercice domiciliés audit siège,

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 3]

Représentée par Me Marjorie ESTRADE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES

INTIMÉES :

S.A.S.U. CAPELLE, société par actions simplifiée, au capital de € 1.000.000, RCS NIMES 308 148 691, représentée par ses représentants légaux domiciliés es qualité audit siège,

LE MAS DAVID- CITE TECHNOLOGIQUE

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Jean-marie CHABAUD de la SELARL SARLIN-CHABAUD-MARCHAL & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de NIMES

Représentée par Me Stéphanie LE GUILLOUS de la SARL STEPHANIE LE GUILLOUS AVOCAT, Plaidant, avocat au barreau de LYON substituée par Me Caroline SECHI Plaidant, avocat au barreau de LYON

S.A.S. AUGIZEAU TRANSPORTS EXCEPTIONNELS, société par actions simplifiées unipersonnelle, au capital de 944 000 euros, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de NIMES sous le numéro 853 098 754, représentée par ses représentants légaux domiciliés es qualités audit siège sis,

LE MAS DAVID – CITE TECHNOLOGIQUE

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Jean-marie CHABAUD de la SELARL SARLIN-CHABAUD-MARCHAL & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de NIMES

Représentée par Me Stéphanie LE GUILLOUS de la SARL STEPHANIE LE GUILLOUS AVOCAT, Plaidant, avocat au barreau de LYON substituée par Me Caroline SECHI Plaidant, avocat au barreau de LYON

Affaire fixée en application des dispositions de l’article 905 du code de procédure civile avec ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 23 Février 2023

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre, le 22 Mars 2023,par mise à disposition au greffe de la Cour

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Vu l’appel interjeté le 30 septembre 2022 par la S.A.S Laso France à l’encontre de l’ordonnance rendue le 15 septembre 2022 par le président du tribunal de commerce de Nîmes, dans l’instance n° 2022R00048,

Vu l’avis du 11 octobre 2022 de fixation de l’affaire à bref délai à l’audience du 2 mars 2023,

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 22 février 2023 par l’appelante et le bordereau de pièces qui y est annexé,

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 22 février 2023 par la SAS Capelle et la SASU Augizeau Transports Exceptionnels, intimées, et le bordereau de pièces qui y est annexé,

Vu l’ordonnance du 11 octobre 2022 de clôture de la procédure à effet différé au 23 février 2023,

Vu les notes en délibéré transmises les 14 mars 2023 par les parties, à la demande de la cour,

Les sociétés Augizeau et Cats ont été créées le 1er août 2019 par la SA Capelle Investissements, holding de tête du groupe Capelle, en vue de la reprise de l’activité de transport exceptionnel routier des sociétés Altead Augizeau et Altead Transports, dont la liquidation judiciaire a été prononcée par jugement du 26 juillet 2019 du tribunal de commerce de Paris.

La société Cats a été dissoute par transmission universelle du patrimoine à l’associée unique, la société Augizeau, le 28 septembre 2021.

La société Laso qui exerce depuis le mois de septembre 2020 une activité similaire à [Localité 3], a ouvert le 8 juin 2021 un établissement à [Localité 5] (34), se situant à 20 kilomètres de celui des sociétés Cats et Augizeau, à [Localité 4] (34).

Par courrier du 9 décembre 2021, la société Capelle a reproché à la société Laso d’exercer des pratiques anti-concurrentielles telles qu’un débauchage massif des employés et un démarchage de clientèle et l’a mise en demeure de cesser tous agissements déloyaux à son égard.

Par courrier du 21 janvier 2022, la société Laso a contesté le caractère déloyal de ses actes.

Par requête du 5 avril 2022, les sociétés SAS Capelle et SASU Augizeau Transports Exceptionnels ont sollicité le président du tribunal de commerce de Nîmes aux fins de désignation d’un huissier de justice pour voir constater et saisir tout acte caractérisant la matérialité de ces pratiques anti-concurrentielles.

Par ordonnance du 6 avril 2022, le président du tribunal de commerce de Nîmes a fait droit aux demandes des sociétés Capelle et Augizeau au motif qu’il était démontré l’existence de circonstances exigeant une mesure urgente non-contradictoire. Cette ordonnance a été signifiée le 28 avril 2022 à la société Laso.

La mesure d’instruction a été exécutée le 28 avril 2022.

Par exploit du 24 mai 2022, la société Laso France a fait assigner les sociétés Capelle et Augizeau devant le tribunal de commerce de Nîmes aux fins de voir rétracter l’ordonnance du 6 avril 2022.

Par ordonnance du 15 septembre 2022, le président du tribunal de commerce de Nîmes a :

Au visa des dispositions de l’article 43-2 du code de procédure civile,

-Rejeté l’exception d’incompétence 

-S’est déclaré compétent 

Au visa des dispositions des articles 145, 147 et 495 alinéa 2 du code de procédure civile,

-Confirmé que la requête du 24 mars 2022 et l’ordonnance subséquente du 30 mars 2022 exposent des circonstances justifiant la dérogation au principe du contradictoire ;

-Confirmé la légitimité des motifs de l’ordonnance du 30 mars 2022 ;

-Confirmé le caractère proportionné et légitime des mesures d’instruction de l’ordonnance du 30 mars 2022 ;

-Confirmé que la procédure de référé-rétractation n’a pour seul objet de soumettre à débat contradictoire les mesures sollicitées ;

-Dit et jugé que ce débat contradictoire a eu lieu au cours de la présente procédure ;

-Dit et jugé que les société Augizeau et Capelle sont parfaitement recevables à conserver et à produire tous les documents recueillis devant toutes juridictions qu’elles estiment compétentes pour faire valoir leurs droits 

-Ordonné à ce que l’huissier de justice opère un tri dans les éléments recueillis sur la base des ordonnances du 30 mars 2022 et ne communique aux sociétés Agizeau et Capelle que les éléments relatifs aux termes précisés dans l’ordonnance du 30 mars 2022 

-Condamné la société Laso au versement de la somme de 3 000 euros à chacune des sociétés Augizeau et Capelle en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile 

-Rejeté toutes autres demandes, fins et conclusions contraires 

-Condamné la société Laso aux dépens prévus à l’article 695 du code de procédure civile et les a liquidés conformément à l’article 701 du code de procédure civile.

Le 30 septembre 2022, la SAS Laso France a interjeté appel de cette décision aux fins de la voir réformer en ce qu’elle a :

-Confirmé le caractère proportionné et légitime des mesures d’instruction de l’ordonnance du 30 mars 2022 

-Confirmé que la procédure de référé-rétractation n’a pour seul objet de soumettre à débat contradictoire les mesures sollicitées ;

-Dit et jugé que ce débat contradictoire a eu lieu au cours de la présente procédure ;

-Dit et jugé que les sociétés Augizeau et Capelle sont parfaitement recevables à conserver et à produire tous les documents recueillis devant toutes juridictions qu’elles estiment compétentes pour faire valoir leurs droits 

-Condamné la société Laso au versement de la somme de 3 000 euros à chacune des sociétés Augizeau et Capelle en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique, l’appelante demande à la cour, au visa de l’ensemble des articles du code de procédure civile cités dans ses écritures, du code de commerce, du code civil, de :

-Réformer l’ordonnance du 15 septembre 2022 en ce que le président du tribunal de commerce a confirmé l’ordonnance du 6 avril 2022 et condamné la société Laso France à verser à chacune des sociétés Capelle et Augizeau TE, la somme de 3 000 euros 

Et statuant à nouveau,

Sur l’exception de nullité, l’illégalité des mesures ordonnées et la nullité de l’exécution des mesures,

– Relever d’office la nullité des mesures ordonnées par l’ordonnance du 6 avril 2022 et la nullité de l’exécution des mesures;

-Juger illicites comme non légalement admissibles les mesures ordonnées par ordonnance sur requête du 6 avril 2022 ;

-Juger nulle et de nul effet, l’exécution des mesures d’instruction fondée sur l’ordonnance sur requête du 6 avril 2022 ;

-Ordonner à l’huissier instrumentaire de restituer tous les actes, documents et informations illicitement collectés, dans un délai de 24 heures à compter de la date de l’ordonnance à intervenir, sous peine d’une astreinte liquidée à titre définitif à la somme de 1 000 euros par jour de retard, à la charge in solidum des sociétés Capelle et Augizeau TE ;

-Juger que tous les frais, honoraires, droits et taxes, y afférent demeureront à la charge in solidum des sociétés Capelle et Augizeau TE ;

Sur la nullité de l’exécution des mesures (illicites) relatives à l’établissement Laso France de [Localité 5],

-Déclarer nulles et de nul effet, toutes les opérations réalisées par l’huissier de justice concernant l’établissement secondaire Laso France de [Localité 5] ;

-Juger que tous les frais, honoraires, droits et taxes, y afférent demeureront à la charge in solidum des sociétés Capelle et Augizeau TE ;

Sur l’irrecevabilité de l’action de la société Capelle,

-Juger que la société Capelle est dépourvue de tout intérêt à agir ;

-Constater la fin de non-recevoir tirer du défaut d’intérêt à agir de la société Capelle 

-Déclarer irrecevable la société Capelle dans son action comme dépourvue de tout intérêt à agir 

Sur la rétractation de l’ordonnance,

-Rétracter intégralement l’ordonnance du 6 avril 2022 rendue sur le fondement de la requête des sociétés Capelle et Augizeau déposée au greffe du Tribunal de commerce de Nîmes le 5 avril 2022 ;

-Par voie de conséquence, déclarer nulle et de nul effet, l’exécution des mesures d’instruction fondée sur l’ordonnance sur requête du 6 avril 2022

-Ordonner à l’huissier instrumentaire de restituer tous les actes, documents et informations illicitement collectées, dans un délai de 24 heures à compter de la date de l’ordonnance à intervenir, sous peine d’une astreinte liquidée à titre définitif à la somme de 1 000 euros par jour de retard, à la charge in solidum des sociétés Capelle et Augizeau TE ;

-Juger que tous les frais, honoraires, droits et taxes, y afférent demeureront à la charge in solidum des sociétés Capelle et Augizeau TE ;

-Débouter les sociétés Capelle et Augizeau TE de toutes leurs demandes fins et conclusions contraires

-Condamner respectivement les sociétés Capelle et Augizeau TE à payer chacune à la société Laso France la somme 12 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile 

-Condamner in solidum les sociétés Capelle et Augizeau TE aux entiers dépens, dont les frais des mesures exécutées le 26 avril 2022.

Au soutien de ses prétentions, l’appelante fait tout d’abord valoir que les mesures ordonnées ne sont pas légalement admissibles, ce dont il procède qu’elles sont nulles et que leur exécution est nulle et de nul effet. En effet, les mesures décidées par l’ordonnance du 6 avril 2022 sont illicites car prises en dehors du cadre d’une expertise judiciaire qui n’a pas été ordonnée ; tout au plus, l’huissier pouvait procéder à des constatations et en dresser procès-verbal et non pas se faire remettre quelque document ou fichier que ce soit, ni en prendre copie, ni les conserver. La mesure ordonnée a pour point de départ, le 18 septembre 2020, date de l’immatriculation de la société Laso auprès du tribunal de commerce de Lyon alors que l’établissement de Sète n’a ouvert que le 8 juin 2021.

L’appelante indique que l’huissier de justice a été autorisé à se rendre sur le site de [Localité 5] qui a été détruit par un incendie. Faute de pouvoir pénétrer dans les locaux de la société Laso, l’huissier a exécuté les mesures à distance, depuis le siège social à [Localité 3], par voie informatique, alors que l’ordonnance énonçait qu’elles devaient être exécutées sur site ; elles sont donc nulles et de nul effet.

L’appelante prétend que la société Capelle est irrecevable en son action, faute de faire la démonstration d’un intérêt personnel, direct, né et actuel à agir, l’ensemble des pièces versées au débat concernant uniquement la société Augizeau TE. En indiquant que cette société d’exploitation gérant une flotte de camions et de chauffeurs routiers, y compris dans le même périmètre que sa société soeur, pouvait craindre une contagion et une désorganisation de sa propre flotte et de son activité, le juge des référés du tribunal de commerce n’a caractérisé qu’un intérêt à agir des plus hypothétiques, non personnel, non né et actuel de la société Capelle.

L’appelante fait également grief au juge des référés du tribunal de commerce de ne pas avoir fait doit à sa demande de rétractation de l’ordonnance du 6 avril 2022, en prenant en compte les seules allégations des requérantes, sans avoir procédé à une recherche et sans avoir motivé sa décision quant à la nécessité de déroger au principe du contradictoire.

L’appelante soutient que les pièces produites ne permettent de rapporter la preuve de l’existence d’un fait dommageable ou d’un préjudice subi. Il doit exister des indices tangibles et objectifs de faits de concurrence déloyale pour que des mesures d’instruction portant atteinte à la sécurité juridique, la propriété des données personnelles et le secret des affaires soient ordonnées, ce que ne rapportent pas les sociétés intimées. Leurs anciens salariés n’étaient pas liés par une clause de non-concurrence et avaient le droit de travailler ailleurs. Ils étaient mécontents, en raison de la dégradation de leurs conditions de travail au sein du groupe Capelle, et les démissions ont commencé en 2019, dès l’acquisition par le groupe de la société Altead, soit avant l’arrivée de la société Laso sur le marché français. Un autre concurrent au sein duquel des salariés du groupe Capelle ont postulé, a été victime d’agissements similaires des sociétés intimées, à cette époque. Le débauchage n’est considéré comme fautif que s’il entraîne une désorganisation de la société, ce dont les sociétés intimées ne justifient pas. Il n’est pas démontré d’acte de débauchage. La société laso a uniquement posté une offre d’emploi sur un réseau social à laquelle de nombreuses personnes ont répondu, dont des salariés ou des anciens salariés de la société Augizeau. Il n’y a pas eu de départ en bloc ou de débauchage massif, seuls onze salariés des sociétés intimées représentant moins de 1% de l’effectif du groupe de 1 800 salariés ont rejoint la société Laso. Les départs se sont étalés sur une année entière.

L’action judiciaire de ces sociétés ne peut avoir pour objet de suppléer leur carence dans l’administration de la preuve. Leur objectif est d’intimider leurs concurrents et piller leurs données, ce qui porte atteinte au principe constitutionnel de la liberté du commerce et de l’industrie. Le groupe Capelle rachète ses concurrents en difficulté, licencie les anciens salariés et tente d’intimider la concurrence pour freiner son développement et le départ de ses salariés vers d’autres entreprises. Le secteur du transport routier est très concurrentiel ; il connaît une pénurie de main d’oeuvre, depuis de nombreuses années. Le groupe Laso travaille, depuis longtemps, pour les plus grands fabricants d’éoliennes en Europe ; la perte d’affaires dont se plaint la société Augizeau n’est pas liée à l’intervention d’un ancien de ses salariés ou à sa connaissance des prix, mais à l’arrivée d’un nouvel acteur maîtrisant ce savoir-faire à l’international. Dans un domaine aussi technique, un client opère un bilan qualité/prix et choisit comme il l’entend celui en lequel il place sa confiance.

Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique, les intimées demandent à la cour, au visa des articles 145, 874, 493, 495, 122, 31 du code de procédure civile et de l’article R. 153-1 du code de commerce, de :

-Confirmer l’ordonnance rendue le 15 septembre 2022 par le tribunal de commerce de Nîmes en toutes ses dispositions ;

Et par conséquent,

-Confirmer que la requête du 5 avril 2022 et l’ordonnance subséquente du 6 avril 2022 exposent des circonstances justifiant la dérogation au principe du contradictoire ;

-Confirmer la légitimité des motifs de l’ordonnance du 6 avril 2022 ;

-Confirmer le caractère proportionné et légitime des mesures d’instruction de l’ordonnance du 6 avril 2022 ;

-Déclarer irrecevable l’action engagée par la société Laso aux fins de rétractation de l’ordonnance rendue le 6 avril 2022 ;

-Autoriser les sociétés Capelle et Augizeau à poursuivre la réalisation de toutes actions en justice ;

Sur les demandes de nullité,

-Rejeter la demande de nullité des mesures ordonnées par l’ordonnance du 6 avril 2022 et la demande de nullité de l’exécution des mesures ;

-Rejeter la demande de nullité de la mesure d’instruction au moyen qu’elle a pour point de départ le 18 septembre 2020 ;

-Déclarer licites et légalement admissibles les mesures ordonnées par l’ordonnance du 6 avril 2022 ;

-Rejeter la demande de nullité des opérations réalisées par l’huissier de justice concernant l’établissement de [Localité 5] ;

-Rejeter la demande de restitution à la société Laso des documents actes et informations collectés par l’huissier instrumentaire ;

Sur la demande d’irrecevabilité de l’action de Capelle,

-Juger que la société Capelle justifie d’un intérêt à agir ;

-Juger que la société Capelle est recevable en son action ;

-Rejeter la demande d’irrecevabilité de l’action de la société Capelle formulée par la société Laso ;

A titre subsidiaire, s’il est fait droit à la demande de nullité des mesures en raison de la date des actes saisis,

-Prononcer la nullité à l’égard des actes saisis datés entre le 18 septembre 2020 et le 8 juin 2021 et rejeter la demande de nullité à l’égard des actes saisis datés à compter du 08 juin 2021 ;

Si par impossible, la société Capelle était déclarée comme dépourvue d’intérêt à agir,

-Juger l’action engagée par la société Augizeau comme recevable et faire droit à l’ensemble de ses demandes ;

En tout état de cause,

-Débouter la société Laso de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions contraires 

-Condamner la société Laso à payer aux sociétés Capelle et Augizeau la somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile 

-Condamner la société Laso aux dépens de première instance et d’appel.

En réplique, les intimées font valoir que s’agissant d’une action in futurum, il n’est pas nécessaire de démontrer un intérêt né et actuel, d’autant plus lorsque la menace d’un trouble est caractérisée. La société Capelle est spécialisée dans le transport routier et notamment le transport exceptionnel de marchandises, au même titre que les sociétés Augizeau et Laso, et s’inquiète des conséquences des man’uvres réalisées par la société Laso pour débaucher le personnel compétent et capter la clientèle de manière déloyale chez ses concurrents. La société Capelle est en charge du processus de recrutement au sein du groupe.

A la suite du débauchage, les sociétés Capelle et Augizeau ont dû procéder à une réorganisation de leurs effectifs, en procédant à des mutations en interne. La société Capelle et plus généralement, le groupe Capelle, subissent un préjudice d’image et de réputation vis à vis des clients mais également des salariés. L’intérêt à agir de la société Capelle est justifié. A titre subsidiaire, l’action engagée par la société Augizeau ne peut pas être affectée par la nullité de l’acte de saisine de la société Capelle.

S’agissant de l’absence de nullité de la mesure d’instruction, les intimées soutiennent que l’huissier de justice est compétent pour se rendre sur les lieux, procéder à la saisie de différents documents et établir un constat ; les mesures prescrites sont légalement admissibles car limitées à la démonstration du débauchage et de la concurrence déloyale et à des investigations ponctuelles limitées géographiquement, temporairement et par des mots clés en lien avec la concurrence déloyale ; l’huissier n’a pas été investi d’un pouvoir général d’investigation ; il n’y a donc aucune atteinte au principe de la sécurité juridique, à la propriété des données personnelles ou au secret des affaires.

S’agissant de la date des documents saisis, les intimées indiquent que la société Laso a préparé en amont son installation à [Localité 5] en débutant les débauchages bien avant l’ouverture de l’établissement secondaire du 8 juin 2021, afin d’avoir les dirigeants et le personnel nécessaires pour son ouverture. La saisie des documents à compter du 18 septembre 2020 est donc bien fondée.

L’ordonnance du 6 avril 2022 n’exigeait pas que les mesures soient effectuées en présentiel sur le site de la société Laso ; elles pouvaient l’être à distance par voie informatique.

S’agissant de l’exigence du non-respect du contradictoire, la motivation peut résulter de la requête elle-même ou de l’ordonnance rendue sur requête. La dérogation au principe du contradictoire était justifiée au regard du risque de dépérissement des preuves essentiellement constituées de courriels et de documents informatiques, volatiles et susceptibles d’être détruits, même à distance par un administrateur ; de plus, la société Laso pouvait se concerter avec les salariés débauchées, dans le cadre de leurs éventuelles auditions ; une intervention simultanée au siège social et à l’établissement secondaire était nécessaire pour maintenir l’effet de surprise ; dans son courrier du 21 janvier 2022, la société Laso a fait preuve d’une parfaite mauvaise foi et a manifesté une volonté d’obstruction en ne répondant pas aux interrogations posées par la société Capelle.

S’agissant des faits de concurrence déloyale et du préjudice, le juge qui connaît d’une demande en rétractation doit apprécier l’existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête initiale, à la lumière des éléments de preuve produits, à l’appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui. La société Laso a procédé à un débauchage massif des employés des sociétés Cats et Augizeau. Le point de départ a été la démission du responsable de l’agence Cats, à effet au 17 avril 2021, qui a été immédiatement embauché par Laso. Dix autres salariés ont ensuite démissionné pour rejoindre Laso. Il importe peu que les départs se soient faits sur une période très étendue dans le temps, leur concomitance n’étant pas une condition nécessaire à la caractérisation du débauchage ; l’établissement de [Localité 4] ne comporte pas 1 800 salariés mais seulement 18 ; près de la moitié des salariés (huit) ont été débauchés ; la société Laso a débauché des salariés à responsabilité, opérationnels et à des postes stratégiques depuis de nombreuses années ; 15% des employés de la cellule éolienne ont été débauchés par la société Laso, entraînant une perte de marché importante dans ce secteur ; la société Laso ne possède que vingt-quatre licences communautaires lui permettant d’exercer l’activité éolienne. Au moment du débauchage, elle ne détenait que dix licences. 60% des conducteurs étaient donc issus de la société Augizeau, au moment du démarrage de l’activité de la société Laso dans la mesure où elle avait débauché six conducteurs. Elle a organisé le départ d’une grande partie de l’effectif de la société Augizeau dans le but de profiter des compétences et des qualifications des employés et de détourner sa clientèle et son chiffre d’affaires, afin de se développer rapidement ; les équipes des sociétés Cats et Aguizeau se sont retrouvées désorganisées, sans possibilité d’anticiper les départs en raison de délais de préavis très courts, d’autant plus qu’il s’avère compliqué de recruter des conducteurs et du personnel d’encadrement sur le marché du transport. Les sociétés Capelle et Augizeau ont dû organiser un recrutement en urgence et des postes de conducteurs ont été inoccupés pendant plusieurs mois, créant un préjudice financier à leur égard ; certains postes n’ont toujours pas été pourvus, faute de candidats. Les débauchages ont été ciblés sur le marché éolien, très spécifique et technique, qui nécessite la formation des salariés en amont. En débauchant des salariés formés par ses concurrentes, la société Laso a pu se développer rapidement, tout en économisant sur les frais de formation.

Du fait du débauchage massif et notamment celui du chargé d’affaire et responsable de cellule, les sociétés intimées ont perdu des parts de marché importantes. Elles sont perçues comme moins attractives par les clients ; de plus, les propos dénigrants tenus leur égard par la société Laso créent une perte de confiance chez leurs salariés. L’absence de clause de non-concurrence est sans incidence sur la reconnaissance de la concurrence déloyale et n’empêche pas que soient ordonnées des mesure d’instruction in futurum du fait de la suspicion légitime de faits de non-concurrence.

Pour un plus ample exposé, il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.

Par message électronique du 7 mars 2023, la cour a invité les parties à s’expliquer sur le moyen de droit qu’elle entendait soulever d’office, à savoir le fait que le contentieux de l’exécution de la mesure d’instruction ordonnée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, qui n’affecte pas la décision ayant ordonné cette mesure, ne relève pas des pouvoirs du juge de la rétractation.

Dans une note en délibéré adressée le 14 mars 2023 par voie électronique, les parties ont indiqué s’en rapporter à l’appréciation de la cour sur l’étendue des pouvoirs du juge de la rétractation.

MOTIFS

1) Sur la recevabilité à agir de la société Capelle

Aux termes de l’article 31 du code de procédure civile, l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

L’article 32 édicte qu’est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir.

L’intérêt à agir n’est pas subordonné à la démonstration préalable du bien fondé de l’action.

L’appelante soutient que la société Capelle est défaillante dans la démonstration d’un intérêt personnel, direct, né et actuel.

Pour ordonner une mesure d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, le juge des référés doit caractériser l’existence d’un litige potentiel susceptible d’opposer les parties (Civ. 2e, 16 novembre 2017, n°16-24.368). Il s’en suit que le demandeur doit seulement faire la démonstration d’un intérêt éventuel et futur à agir au fond.

Les intimées versent au débat la convention de prestation et d’animation de groupe signée le 6 juin 2014 prévoyant que la société mère Capelle Investissement participe activement à la conduite de la politique du groupe constitué entre elle et ses filiales en apportant notamment aux filiales son conseil et son assistance en matière de recrutement du personnel d’encadrement et de gestion du personnel.

La société filiale Capelle invoque avoir du revoir ses effectifs en procéder à des mutations en interne.

Il est effectivement vraisemblable que la société Capelle ait pu subir un trouble dans son organisation et son fonctionnement et donc un préjudice du fait du départ de plusieurs salariés des sociétés Cats et Augizeau, faisant partie du même groupe qu’elle. Ainsi, la société Capelle fait valoir un intérêt personnel et direct à réunir des éléments de fait pouvant servir de base à une future action en justice à l’encontre de la société Laso ; le litige potentiel opposant les parties est donc plausible et crédible.

Par conséquence, c’est à bon droit que le premier juge a écarté la fin de non-recevoir soulevée par la société Laso et déclaré recevable la société Capelle en son action.

2) Sur la validité des mesures exécutées en vertu de l’ordonnance du 6 avril 2022

Aux termes de l’article 232 du code de procédure civile, le juge peut commettre toute personne de son choix pour l’éclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise sur une question de fait qui requiert les lumières d’un technicien.

L’article 249 du même code prévoit que le juge peut charger la personne qu’il commet de procéder à des constatations.

Le constatant ne doit porter aucun avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter.

L’article 263 précise que l’expertise n’a lieu d’être ordonnée que dans le cas où des constatations ou une consultation ne pourraient suffire à éclairer le juge.

En l’occurrence, il n’était pas nécessaire d’ordonner une mesure d’expertise dès lors que l’avis d’un homme de l’art sur les éléments de fait recueillis au cours de sa mission n’était pas utile à la solution du litige et que seule la recherche de documents probatoires était suffisante, sans qu’il n’y ait lieu de procéder à leur analyse technique.

La mesure de constatation pouvait être légalement confiée par le juge des référés à toute personne de son choix et donc à des huissiers de justice.

La mesure de constatation impliquait que, pour accomplir utilement leur mission, les huissiers instrumentaires se fassent remettre des documents et fichiers, y compris le registre du personnel, et le juge des référés ne les a autorisés à emporter momentanément les dits documents à leur étude aux fins de copie qu’en cas d’absence d’un photocopieur sur place ou de l’impossibilité d’utiliser un appareil existant.

Par ailleurs, l’article R.153-1 du code de commerce prévoit la possibilité pour le juge, notamment lorsqu’il est saisi sur requête sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, d’ordonner d’office le placement sous séquestre provisoire des pièces demandées afin d’assurer la protection du secret des affaires.

C’est à juste titre que le juge des référés a relevé que la clause séquestre de soixante jours enserrée dans l’ordonnance permettait au requis de pouvoir s’exprimer au travers d’une procédure d’urgence et contradictoire de référés et de demander la rétractation de celle-ci ou faire écarter certains éléments qui relèveraient du secret des affaires.

Les mesures d’instruction ordonnées ne sont donc pas illicites comme non légalement admissibles, en dehors du cadre d’une expertise judiciaire.

Le responsable de l’agence de la société Cats a présenté dès le 18 janvier 2021 une lettre de démission qui a pris effet le 17avril 2021. Il n’est pas contesté qu’il a été embauché par la société Laso pour diriger sa nouvelle agence à [Localité 5].

La création de l’établissement secondaire de la société Laso à [Localité 5] a nécessairement été anticipée et planifiée plusieurs mois à l’avance.

Il était donc utile à la manifestation de la vérité que la mesure de constatation porte sur des documents établis depuis l’immatriculation de la société Laso auprès du tribunal de commerce de Lyon le 18 septembre 2020 et non seulement à compter de l’ouverture effective de l’établissement de Sète du 8 juin 2021.

La cour est saisie d’un appel portant sur la décision du juge des référés de refus de rétractation de l’ordonnance du 6 avril 2022.

Le juge saisi d’une demande de rétractation n’a pas le pouvoir de statuer sur les litiges portant sur les modalités d’exécution de la mesure d’instruction.

Le moyen tiré de l’exécution à distance depuis le siège social de la société Laso à [Localité 3] et, par voie informatique, des mesures concernant l’établissement de [Localité 5] doit, par conséquent, être rejeté.

3) Sur la demande de rétractation de l’ordonnance du 6 avril 2022

Aux termes de l’article 496 alinéa 2 du code de procédure civile, s’il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l’ordonnance.

Selon ces dispositions tel qu’interprétées par la Cour de cassation (Civ., 1re, 13 juillet 2005, n°05-10.519, publié), le référé afin de rétractation ne constitue pas une voie de recours. L’instance en rétractation a pour seul objet de soumettre à l’examen d’un débat contradictoire les mesures initialement ordonnées à l’initiative d’une partie en l’absence de son adversaire. L’objet de l’instance est donc de statuer sur les mérites de la requête. Le juge saisi d’une demande de rétractation d’une décision ayant ordonné une mesure, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, doit s’assurer de l’existence d’un motif légitime à ordonner la mesure probatoire et des circonstances justifiant de ne pas y procéder contradictoirement.

Il appartient au requérant de justifier de la recevabilité et du bien-fondé de sa requête et non au demandeur à la rétractation de démontrer que ces conditions ne sont pas réunies (Civ., 2è, 21 octobre 1987, n°86-14.978, publié).

Le juge de la rétractation doit apprécier la nécessité de recourir à une procédure non contradictoire au jour où le juge des requêtes a statué.

En revanche, si les circonstances nouvelles apparues à la faveur de l’exécution de la mesure ordonnée ne sauraient justifier à posteriori la mesure prise, il résulte du principe dégagé, de manière constante, par la Cour de cassation que le juge de la rétractation doit apprécier l’existence d’un motif légitime au jour du dépôt de la requête initiale, à la lumière des éléments de preuve produits à l’appui de la requête initiale et de ceux produits ultérieurement devant lui (notamment Civ., 2è, 17 mars 2016, n°15-13.343).

Le non respect du principe du contradictoire

L’appelante reproche au président du tribunal de commerce de ne pas avoir vérifié l’exigence du non respect du contradictoire, avant de rendre son ordonnance sur requête du 6 avril 2022, et de ne pas avoir suffisamment motivé sa décision.

L’article 493 du code de procédure civile dispose que l’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.

L’article 495 du même code précise que l’ordonnance sur requête est motivée. Il résulte de l’interprétation de ces dispositions par la Cour de cassation (Civ. 1re, 24 octobre 1978) que l’ordonnance qui vise la requête en adopte les motifs et satisfait à l’article 495.

En l’occurrence, la requête exposait le risque évident de dépérissement des preuves, et le caractère intrinsèquement fragile de ces dernières, essentiellement constituées de courriels et de documents informatiques, par nature volatiles et susceptibles de faire l’objet de destruction, même à distance par un administrateur. Elle indiquait que la société Laso pouvait également se concerter avec les salariés débauchés, dans le cadre de leurs éventuelles auditions et qu’une intervention synchronisée et simultanée au siège social et à l’établissement secondaire était nécessaire pour éviter les fuites entre les deux sites et la disparation d’éléments probants.

L’ordonnance qui a visé la requête et en a adopté les motifs a satisfait aux exigences de la loi.

S’agissant d’une ordonnance rendue à la requête unilatérale d’une partie, les allégations de l’autre ne peuvent pas, par définition, être prises en compte. En l’occurrence, les motifs exposés par les sociétés se prétendant victimes de concurrence déloyale étaient étayés par les pièces qui étaient déposées, à l’appui de la requête. Par conséquent, le juge des référés a été en mesure de procéder à la vérification du caractère fondé des motifs qu’il a adoptés.

Les dispositions de l’article 495 du code de procédure civile ont ainsi bien été respectées.

De même, le juge des référés a, de manière pertinente et suffisamment circonstanciée, retenu que le recours à une procédure non contradictoire était seul susceptible de garantir un nécessaire effet de surprise afin d’établir ou de conserver avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution du litige et qu’il ne fallait pas oublier le dépérissement des preuves par le caractère volatile des documents.

La société Laso admet, dans ses écritures, que n’ayant rien à se reprocher, elle n’aurait jamais communiqué d’informations aussi confidentielles que celles recherchées par les intimées.

La contestation par la société Laso, dans son courrier du 21 janvier 2022, des faits de concurrence déloyale alléguées et son refus de reconnaître une quelconque responsabilité dans la fragilisation du groupe Capelle, confirment la nécessité de déroger au principe du contradictoire afin d’éviter la destruction des preuves et d’assurer l’efficacité de la mesure d’instruction.

Ainsi, les circonstances précises, propres au cas d’espèce, exigeant qu’une mesure urgente ne soit pas prise contradictoirement, sont bien caractérisées.

L’appelante ne saurait faire reproche aux intimées d’avoir reconnu qu’elles avaient besoin des mesures d’instruction pour obtenir les preuves de leurs allégations alors que c’est précisément la finalité de telles mesures que de leur permettre d’établir la réalité et l’étendue des faits de concurrence déloyale qu’elles invoquent.

Le motif légitime

Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

Il résulte de l’interprétation de l’article 145 du code de procédure civile par la Cour de cassation (2e Civ, 19 janvier 2023, n° 21-21.265) que, pour apprécier l’existence d’un motif légitime, pour une partie, de conserver ou établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, il n’appartient pas à la juridiction des référés de trancher le débat de fond sur les conditions de mise en oeuvre de l’action que cette partie pourrait ultérieurement engager.

Le juge des référés n’a donc pas à porter une appréciation sur le fond du litige et ses chances de succès ; il lui incombe seulement de vérifier que l’action au fond n’est pas manifestement vouée à l’échec.

La mesure d’instruction doit aider à la préparation du procès ; le demandeur doit démontrer le caractère nécessaire de cette mesure d’instruction au procès envisagé de sorte qu’elle doit être utile et nécessaire à l’amélioration de la situation probatoire des parties.

Le juge doit vérifier que l’action éventuelle au fond n’est pas vouée à l’échec, ce qui le conduit à apprécier la potentialité d’un procès.

Il ne saurait être imposé aux sociétés appelantes de rapporter la preuve des faits de concurrence déloyale qu’elles allèguent mais seulement d’indices de potentialité d’un litige.

Les sociétés intimées versent au débat les lettres de démission de onze salariés des sociétés Augizeau et Cats et des captures d’écran des comptes Linkedin de nombre d’entre eux qui laissent penser qu’ils pourraient avoir été débauchés par la société appelante.

Dans son courrier daté du 21 janvier 2022, la société Laso a d’ailleurs reconnu avoir embauché certains salariés anciennement employés par la société Capelle.

La condition de la violation d’une clause de non concurrence enserrée dans le contrat de travail n’est pas exigée pour caractériser un manquement aux usages professionnels, c’est à dire aux bonnes pratiques qu’un professionnel loyal et honnête appliquerait. Les faits fautifs peuvent résulter d’embauches de salariés libres de tout engagement de non concurrence, à l’aide de manoeuvres déloyales, entraînant une désorganisation de l’entreprise. Il appartiendra à la seule juridiction qui sera, le cas échéant, saisie au fond d’apprécier si les faits de concurrence déloyale sont suffisamment établis, au regard notamment des éléments de preuve recueillis dans le cadre de l’exécution de la mesure d’instruction sollicitée.

La concurrence déloyale est également susceptible d’être caractérisée alors même que les départs de personnel ne sont pas concomitants à l’ouverture de l’établissement de la société concurrente, étant observé que si les départs invoqués de onze salariés se sont étalés d’avril 2021 à avril 2022, soit sur une période d’une année, les démissions du 14 avril 2021 du responsable de l’agence Cats à [Localité 4] et du 31 août 2021 du chargé d’affaires, responsable de la cellule éolien de la société Augizeau, sont proches dans le temps de l’ouverture de l’établissement secondaire de la société Laso du 8 juin 2021.

Il résulte des contrats de travail produits que les salariés potentiellement recrutés au sein des sociétés Augizeau et Cats par la société Laso avaient pour la plupart une ancienneté importante et étaient donc dotés d’une formation et d’une expérience indéniable dont cette dernière a pu tirer profit ; outre le responsable d’agence, trois autres chargés d’affaires avaient le statut de cadres dont le responsable de la cellule éolien ; ils occupaient donc des postes à responsabilité au sein des sociétés Augizeau et Cats, avaient nécessairement une bonne connaissance des méthodes commerciales de l’entreprise et de ses tarifs ; de plus, ils étaient directement en relation avec la clientèle, ainsi qu’il en résulte du message électronique du responsable de la cellule éolien du 13 novembre 2019.

Le directeur d’agence de la société Augizeau atteste que six des salariés démissionnaires étaient rattachés à la cellule éolienne de cette entreprise, ce qui implique qu’ils avaient reçu une formation spécifique dans ce domaine.

Il n’est pas démontré que la responsable des ressources humaines ait eu une intention malicieuse en cochant dans le formulaire d’attestation la case ‘non’ en réponse à la question portant sur le lien de parenté, d’alliance, de subordination, de collaboration ou de communauté d’intérêts avec les parties. En effet, elle n’a pas caché sa fonction de responsable des ressources en la mentionnant dans la rubrique ‘profession’. De plus, elle a rédigé une nouvelle attestation mentionnant clairement son lien de subordination avec les sociétés intimées et elle y a joint une copie de sa carte nationale d’identité, conformément aux dispositions des articles 200 à 203 du code de procédure civile.

Ce témoignage selon lequel à la date du 16 février 2022, l’effectif rattaché à l’établissement de [Localité 4], appartenant à la société Augizeau Transports Exceptionnels, était de dix-huit salariés, corroboré par les lettres de démission communiquées, rend plausible le fait qu’au moins cinq salariés travaillant sur le site de [Localité 4] aient été recrutés par la société Laso, à une époque proche de l’ouverture de son établissement secondaire.

Le fait que la société Capelle ait soupçonné en 2019 une autre société concurrente d’agissements illicites ne permet pas d’exclure qu’elle en ait été victime en 2021 de la part de la société Laso.

Les parties s’accordent pour reconnaître que le secteur du transport routier de marchandises connaît une pénurie de main d’oeuvre, depuis de nombreuses années, et que le marché est fortement concurrentiel.

Dans ce contexte de difficulté à recruter, il est plausible que les sociétés intimées aient pu être désorganisées par le départ d’un nombre non négligeable de personnes employées sur le site de [Localité 4] qu’elles n’ont pu remplacer immédiatement pour certains, ainsi qu’il en ressort des nouveaux contrats de travail communiqués. De plus, l’attestation régularisée par la nouvelle responsable du pôle éolien rend crédible la baisse de chiffre d’affaires invoquée par les sociétés intimées, après le départ au 31 août 2021 de l’ancien responsable de ce même pôle qui a rejoint la société Laso. Cette diminution d’activité est susceptible de s’expliquer par des tarifs supérieurs à ceux pratiqués par leurs concurrents ; or, le développement de l’activité de la société Laso et notamment l’ajustement de ses tarifs pour être plus attractive, pourrait avoir été facilité par sa connaissance précise des pratiques commerciales des intimées, à travers l’embauche de ses anciens chargés d’affaires.

Au vu de ces éléments, les indices d’agissements déloyaux à l’origine d’un préjudice, fournis par les sociétés intimées, sont suffisamment sérieux pour caractériser la potentialité d’une action au fond en indemnisation, non manifestement vouée à l’échec.

Le caractère légalement admissible de la mesure

La Cour de cassation a rappelé (Civ., 2è, 24 mars 2022, n°20-21.925) que constituent des mesures légalement admissibles des mesures d’instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l’objectif poursuivi; qu’il incombe, dès lors, au juge de vérifier si la mesure ordonnée était nécessaire à l’exercice du droit de la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence.

En application de l’article 145 du code de procédure civile, n’est pas une mesure d’instruction légalement admissible la mesure générale d’investigation qui s’entend, selon la cour de cassation, comme une perquisition civile.

Sont ainsi sanctionnées des mesures qui portent sur l’ensemble d’une activité de la société, ou une mesure tendant à la collecte de toute information quelle que soit l’ancienneté, l’origine, le support’dans le cadre de données informatiques.

Le juge a le devoir de fixer les limites de la mesure sollicitée et vérifier si celle-ci est suffisamment circonscrite (locaux, faits, documents recherchés) pour accueillir la demande. Le juge doit faire application du principe de proportionnalité et apprécier les intérêts antinomiques en présence.

Ni le secret des affaires, ni la protection des données personnelles faisant l’objet d’un règlement européen n’est pas un obstacle absolu aux mesures d’instruction si le juge constate que les mesures ordonnées procèdent d’un motif légitime, si les mesures demandées sont nécessaires à la protection des droits de la partie demanderesse qui les a sollicitées et si elles ne portent pas une atteinte disproportionnée aux droits de l’autre partie.

En l’occurrence, le périmètre de la saisie est limité aux trois locaux de la société concurrente ; la mesure est également circonscrite dans le temps puisque la recherche porte sur une période strictement définie à compter du 18 septembre 2020. De plus, les mesures contestées ne sont pas générales car il est procédé par l’utilisation de mots-clés qui sont en lien avec les faits litigieux, à savoir, les noms et prénoms des salariés susceptibles d’avoir été débauchés par la société concurrente, ainsi que les mots ‘éolien’, ‘Cats’ et ‘Augizeau’.

Enfin, il a été demandé aux huissiers de justice instrumentaires d’exclure les éléments non pertinents, les éléments relevant de la vie privée de toute personne physique sans relation avec l’objet du litige ou qui s’attachent aux relations entre un avocat et son client.

Les mesures d’investigation confiées aux huissiers de justice sont donc circonscrites dans le temps et dans leur objet, étant cantonnées en effet aux faits litigieux dénoncés dans la requête et restreintes par l’usage de mots clés. L’atteinte au secret des affaires et à la protection des données personnelles est limitée et nécessaire à la recherche de preuve en lien avec le litige ; elle n’est pas disproportionnée au but poursuivi.

Ainsi, les conditions posées par l’article 145 du code de procédure civile ont bien été respectées.

Par conséquence, c’est à bon droit que le premier juge a débouté la société Laso de sa demande en rétractation de l’ordonnance sur requête du 6 avril 2022.

L’ordonnance de référé critiquée du 15 septembre 2022 sera confirmée en toutes ses dispositions soumises à la cour.

4) Sur les frais du procès

L’appelante qui succombe sera condamnée aux dépens de l’instance d’appel.

L’équité commande de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en faveur des intimées et de leur allouer ensemble une indemnité de 3 000 euros, à ce titre.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Confirme l’ordonnance en ses dispositions soumises à la cour

Y ajoutant,

Condamne la SASU Laso aux entiers dépens d’appel,

Condamne la SASU Laso à payer à la SASU Augizeau Transports Exceptionnels et à la SAS Capelle, prises ensemble, une indemnité de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

Arrêt signé par la présidente et par la greffiere.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,

 


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