Séquestre provisoire : 16 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/13350

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Séquestre provisoire : 16 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/13350
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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 2

ARRET DU 16 FEVRIER 2023

(n° , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/13350 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGFZI

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 06 Juillet 2022 -Président du TC de PARIS 04 – RG n° 2022001298

APPELANTE

S.A.S.U. SOCOTEC MONITORING FRANCE anciennement dénommée CEMENTYS, RCS de [Localité 9] sous le n°507 759 611, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assistée à l’audience par Me Eve RENAUD-CHOURAQUI, substituant Me Gérard HAAS, avocat au barreau de PARIS, toque : K059

INTIMEE

S.A.S. SIXENSE MONITORING, R.C.S. de Nanterre sous le numéro 388 672 339, prise en la personne de son Président, domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 8]

[Adresse 8]

[Localité 3]

Représentée et assistée par Me Grégoire DESROUSSEAUX de la SCP AUGUST & DEBOUZY et associés, avocat au barreau de PARIS, toque : P0438

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 Janvier 2023, en audience publique, les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Michèle CHOPIN, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre

Thomas RONDEAU, Conseiller,

Michèle CHOPIN, Conseillère,

Qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSE DU LITIGE

La société Cementys, désormais dénommée Socotec Monitoring France, rattachée au groupe Socotec, est spécialisée dans l’ingénierie et les études techniques, notamment dans la surveillance des infrastructures de transport.

La société Sixense Monitoring, filiale du groupe Vinci, propose des activités de surveillance des infrastructures et d’auscultation des tunnels et métros.

Les deux sociétés sont en concurrence l’une de l’autre, en particulier dans les marchés du “[Localité 7] [Localité 9] express”.

Par requête du 15 octobre 2021, la société Sixense Monitoring a sollicité du tribunal de commerce de Paris une mesure d’instruction au visa de l’article 145 du code de procédure civile.

Par ordonnance du 3 novembre 2021, il a été fait droit à cette demande et la société [N] [S] et [W] [X], huissiers de justice, nommée à cet effet, a effectué sa mission et en a dressé constat.

Par exploit du 7 janvier 2022, la société Socotec Monitoring France a fait assigner la société Sixense Monitoring devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins de voir :

A titre principal,

– dire et juger l’absence de motivation du caractère non contradictoire de la requête du 15 octobre 2021 et de l’ordonnance du 3 novembre 2021 ;

– dire et juger que la société Sixense Monitoring ne démontre pas la preuve des faits prétendument litigieux ;

– dire et juger l’absence de motif légitime fondant la requête du 15 octobre 2021 ;

– dire et juger que les mesures d’instruction prononcées par l’ordonnance du 3 novembre 2021 constituent une violation du secret des affaires de la société Socotec Monitoring France ;

– dire et juger que les mesures d’instruction prononcées par l’ordonnance du 3 novembre 2021 ne sont pas délimitées et constituent une mesure d’instruction trop générale ;

En conséquence,

– rétracter l’ordonnance rendue le 3 novembre 2021 ;

En conséquence, toutes les mesures d’instruction prises en exécution de cette ordonnance étant nulles et non avenues,

– prononcer la nullité du procès-verbal de saisie à intervenir dressé par l’étude d’huissier de justice agissant en vertu de ladite ordonnance le 3 novembre 2021 ;

– ordonner, aux frais de la société Sixense Monitoring, la suppression de l’ensemble des éléments saisis et/ou constatés par l’étude d’huissier de justice sous astreinte de 15.000 euros par jour de retard à l’expiration d’un délai de trois jours suivant la signification de l’ordonnance à intervenir, sous contrôle de l’huissier instrumentaire qui a exécuté la mesure d’instruction et de l’expert informatique qu’il s’est commis, ce dont il sera dressé procès-verbal par ledit huissier de justice qui en adressera sur le champ l’original à la société Socotec Monitoring France ;

En tout état de cause,

– se réserver la liquidation de l’astreinte ;

– condamner la société Sixense Monitoring à payer à la société Socotec Monitoring France la somme de 10.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société Sixense Monitoring aux entiers dépens de l’instance.

Par ordonnance du 6 juillet 2022, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a :

– dit que l’ordonnance du 3 novembre 2021 est conforme aux dispositions des articles 145 et 493 du code de procédure civile ;

– débouté la société Socotec Monitoring France de sa demande de rétractation de l’ordonnance du 03 novembre 2021 ;

– dit que la procédure de levée de séquestre sollicitée, à titre reconventionnel par la société Sixense Monitoring doit être engagée selon la procédure ci-après, même s’il est fait appel de la décision, tout en préservant les intérêts de la société Socotec Monitoring France jusqu’à la décision d’appel éventuelle ;

– dit que les pièces retenues comme devant être communiquées lors de la levée de séquestre seront maintenues sous séquestre jusqu’à la décision définitive ;

– dit que la levée de séquestre des pièces obtenues lors des opérations de constat par l’huissier instrumentaire doit se faire conformément aux dispositions des articles R. 153-3 et R. 153-8 du code de commerce ;

– dit que la procédure de levée de séquestre sera la suivante :

‘ dit qu’il sera demandé au conseil de la société Socotec Monitoring France assistée du conseil de la société Sixense Monitoring de faire un tri sur les fichiers des pièces saisies et séquestrées selon trois catégories :

‘ Catégorie « A » : pièces pouvant être communiquées sans examen,

‘ Catégorie « B » : pièces concernées par le secret des affaires et que la société Cementys refuse de communiquer,

‘ Catégorie « C » : pièces que la société Socotec Monitoring France refuse de communiquer mais qui ne sont pas concernées par le secret des affaires,

‘ dit que le tri susvisé, où chaque pièce sera numérotée, sera communiqué à la scp [N] [S] et [W] [X], huissier de justice instrumentaire, pour un contrôle de cohérence avec le fichier initial séquestré,

‘ dit que pour les pièces concernées par le secret des affaires, conformément aux articles R. 143-3 et R. 153-8 du code de commerce, la société Socotec Monitoring France lui communiquera « un mémoire précisant, pour chaque pièce ou partie de pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère secret des affaires »,

– fixé en conséquence le calendrier suivant :

‘ communication à la scp [N] [S] et [W] [X], huissiers de justice, et à lui-même du tri des fichiers demandé avant le vendredi 9 septembre 2022,

‘ renvoi de l’affaire, après contrôle de cohérence par l’huissier instrumentaire, à notre audience du mardi 18 octobre 2022 à 14h30 pour examen de la procédure de fin de levée de séquestre,

– dit n’y avoir lieu à l’article 700 du code de procédure civile ;

– réservé les autres demandes ;

– dit que la scp [N] [S] et [W] [X], huissiers de justice, ès qualités de séquestre, ne pourra procéder à la libération des éléments sus visés entre les mains de la société Sixense Monitoring et/ou la destruction des pièces communicables, qu’après que tous les délais d’appel soient expirés, que dans cette attente la scp [N] [S] et [W] [X], ès qualités, conservera sous séquestre l’ensemble des pièces ;

– condamné en outre la société Sixense Monitoring aux dépens de l’instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 41,93 euros TTC dont 6,78 euros de TVA ;

– rappelé que la présente décision est de plein droit exécutoire par provision en application de l’article 514 du code de procédure civile.

Par déclaration du 12 juillet 2022, la société Socotec Monitoring France a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 2 décembre 2022, la société Socotec Monitoring France demande à la cour de :

– la déclarer recevable en son appel et bien fondée en toutes ses demandes, fins, moyens et prétentions ;

Y faisant droit,

– infirmer l’ordonnance du juge des référés rendue le 6 juillet 2022, seulement en ce qu’il a :

‘ dit que son ordonnance du 3 novembre 2021 est conforme aux dispositions des articles 145 et 493 du code de procédure civile,

‘ débouté la société Socotec Monitoring France de sa demande de rétractation de l’ordonnance du 3 novembre 2021,

‘ dit que la procédure de levée de séquestre sollicitée, à titre reconventionnel par la société Sixense Monitoring doit être engagée selon la procédure ci-après, même s’il est fait appel de notre décision, tout en préservant les intérêts de la société Socotec Monitoring France jusqu’à la décision d’appel éventuelle,

‘ dit que les pièces retenues comme devant être communiquées lors de la levée de séquestre seront maintenues sous séquestre jusqu’à la décision définitive,

‘ dit que la levée de séquestre des pièces obtenues lors des opérations de constat par l’huissier instrumentaire doit se faire conformément aux dispositions des articles R. 153-3 et R. 153-8 du code de commerce,

‘ dit que la procédure de levée de séquestre sera la suivante :

‘ il sera demandé au conseil de la société Socotec Monitoring France assistée du conseil de la société Sixense Monitoring de faire un tri sur les fichiers des pièces saisies et séquestrées selon trois catégories :

‘ Catégorie « A » : pièces pouvant être communiquées sans examen,

‘ Catégorie « B » : pièces concernées par le secret des affaires et que la société Cementys refuse de communiquer,

‘ Catégorie « C » : pièces que la société Socotec Monitoring France refuse de communiquer mais qui ne sont pas concernées par le secret des affaires,

‘ dit que le tri susvisé, où chaque pièce sera numérotée, sera communiqué à la scp. [N] [S] et [W] [X], huissiers de justice, pour un contrôle de cohérence avec le fichier initial séquestré,

‘ dit que pour les pièces concernées par le secret des affaires, conformément aux articles R. 143-3 et R. 153-8 du code de commerce, la société Socotec Monitoring France lui communiquera « un mémoire précisant, pour chaque pièce ou partie de pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère secret des affaires »,

‘ fixé en conséquence le calendrier suivant :

‘ communication à la scp [N] [S] et [W] [X] et à lui-même du tri des fichiers demandé avant le vendredi 9 septembre 2022,

‘ renvoi de l’affaire, après contrôle de cohérence par l’huissier instrumentaire, à notre audience du mardi 18 octobre 2022 à 14h30 pour examen de la procédure de fin de levée de séquestre,

‘ dit n’y avoir lieu à l’article 700 du code de procédure civile,

‘ réservé les autres demandes,

Et statuant à nouveau,

– rétracter l’ordonnance rendue le 3 novembre 2021 ;

En conséquence, toutes les mesures d’instruction prises en exécution de cette ordonnance étant nulles et non avenues,

– prononcer la nullité du procès-verbal de saisie à intervenir dressé par l’étude d’huissier de justice scp [N] [S] et [W] [X], huissiers de justice, agissant en vertu de ladite ordonnance le 03 novembre 2021 ;

– ordonner, aux frais de la société Sixense Monitoring, la suppression de l’ensemble des éléments saisis et/ou constatés par l’étude d’huissier de justice scp [N] [S] et [W] [X], huissiers de justice, du 3 novembre 2021 sous astreinte de 15.000 euros par jour de retard à l’expiration d’un délai de trois jours suivant la signification de l’arrêt à intervenir, sous contrôle de l’huissier instrumentaire qui a exécuté la mesure d’instruction et de l’expert informatique qu’il s’est commis, ce dont il sera dressé procès-verbal par ledit huissier qui en adressera sur le champ l’original à la société Socotec Monitoring France, anciennement dénommée Cementys ;

– débouter la société Sixense Monitoring de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

En tout état de cause,

– se réserver la liquidation de l’astreinte ;

– condamner la société Sixense Monitoring à lui payer la somme de 30.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société Sixense Monitoring aux entiers dépens de première instance et d’appel ;

– dire que, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile, la société Lexavoué [Localité 9] Versailles agissant par Me [L] [T] pourra recouvrer directement les frais dont il a fait l’avance sans en avoir reçu provision.

La société Socotec Monitoring France soutient en substance que :

– la justification de la dérogation au principe du contradictoire n’est pas établie,

– le premier juge a à tort retenu que s’agissant des plans, photos et éventuels autres documents la renonciation au contradictoire était nécessaire afin de garantir la permanence et le caractère appréhendable des fichiers, alors qu’il n’est pas établi que la société Socotec Monitoring France soit à l’origine de la reprise, que la société Sixense Monitoring admet elle-même avoir transmis les éléments litigieux à la société [Localité 7] [Localité 9] dans le cadre de précédents marchés,

– il existe une contradiction certaine à affirmer que les documents techniques ne justifient pas le non-contradictoire mais que les plans et schémas contenus en leur sein le sont,

– le risque de dépérissement des preuves n’a pas été apprécié in concreto,

– le premier juge est en outre parti du postulat que la société Sixense Monitoring France détenait une bibliothèque contenant des schémas et images, et a conféré aux éléments produits une valeur probante supérieure à la réalité,

– la société Sixense Monitoring n’a pas communiqué le contenu de sa bibliothèque afin de justifier de mesures ayant pour objet d’identifier ou appréhender des éléments techniques lui appartenant chez Socotec Monitoring France,

– la société Sixense Monitoring a prétendu disposer d’un motif légitime sur la base de trois éléments qui sont communs et banals,

– le juge des référés a dénaturé l’élément de preuve produit par la société Sixense Monitoring, dès lors que ce document appartient à la société [Localité 7] [Localité 9] et que la procédure d’exécution est un document post-attribution de marché,

– l’ordonnance procède en outre à un inversement de la charge de la preuve, alors qu’il appartient au demandeur à une mesure d’instruction in futurum de justifier d’un commencement de preuve des faits pouvant donner lieu à un procès en germe, de sorte qu’il appartient à la société Sixense Monitoring de prouver que la société Socotec Monitoring France a bien reproduit ces éléments au sein de ses réponses à l’appel d’offres, ce qu’elle ne fait pas,

– en réalité la société Sixense Monitoring ne dispose d’aucune technologie spécifique,

– l’ordonnance rendue est muette sur le fait qu’une action en justice fondée sur la reprise de ces éléments ne serait pas manifestement vouée à l’échec,

– l’action en concurrence déloyale et violation du secret des affaires ne pourrait être dirigée contre elle, alors que l’impact de réutilisation des éléments techniques est limité sur un document de 42 pages, le caractère différencié des éléments n’est pas démontré,

– il n’est pas démontré en quoi consisterait l’action en concurrence déloyale,

– un procès en germe sur une potentielle atteinte au secret des affaires suppose a minima de démontrer la valeur commerciale de deux schémas et de la photographie litigieuse, ce que la société Sixense Monitoring ne fait pas,

– l’atteinte au secret des affaires serait disproportionnée, les mesures procédant d’une investigation générale,

– les mesures ainsi ordonnées ne sont pas délimitées et permettent d’obtenir communication d’éléments allant au-delà du litige, couverts par le secret professionnel et sans aucune preuve d’agissements déloyaux,

– les mesures ont abouti à une copie massive de fichiers, soit 7.000 documents, sans que soit respecté le secret des échanges, le secret des archives et le secret lié à la défense nationale.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 12 décembre 2022, la société Sixense monitoring demande à la cour, de :

– débouter la société Socotec Monitoring France de l’ensemble de ses demandes ;

– confirmer l’ordonnance du 6 juillet 2022 en toutes ses dispositions ;

Subsidiairement, si la cour devait estimer que les mesures de tri préalable contestées par la société Cementys violent l’article R. 153-8 du code de commerce,

– confirmer l’ordonnance du 6 juillet 2022 sauf en ce qui concerne les termes suivants du dispositif : « avant le vendredi 09 septembre 2022 » et « renvoi de l’affaire, après contrôle de cohérence par l’huissier instrumentaire, à notre audience du mardi 18 octobre 2022 à 14h30 pour examen de la procédure de fin de levée de séquestre»,

En tout état de cause,

– condamner la société Socotec Monitoring France à lui payer la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société Socotec Monitoring France aux entiers dépens, dont distraction au profit de la société August & Debouzy et Associés avocats conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

La société Sixense Monitoring soutient en substance que :

– les mesures ordonnées sont nécessaires,

– eu égard aux faits de l’espèce, la renonciation au principe du contradictoire est justifiée et nécessaire, dans la mesure où, avant d’engager une action en concurrence déloyale, elle a besoin de déterminer l’étendue de la reproduction de documents lui appartenant,

– elle détient la preuve que certains éléments techniques ont été repris pour la réponse à l’appel d’offres du chantier T3A, de sorte qu’il est légitime de rechercher la source et l’étendue de ces faits de manière non contradictoire,

– le risque de dépérissement des preuves est caractérisé, et a été apprécié in concreto, la nature des pièces recherchées justifiant que soit instauré un effet de surprise,

– la distinction entre documents techniques et documents issus de la bibliothèque de la société Sixense Monitoring n’est pas inopérante, la photographie et les schémas, propriété de Sixense Monitoring inclus dans les documents Socotec Monitoring France étant une preuve suffisante pour justifier la recherche de plans, photos et autres documents,

– l’objectif du tri ordonné n’est pas de comparer les documents de la société Sixense Monitoring avec ceux de la société Socotec Monitoring France, mais d’analyser les documents saisis et de déterminer dans quelle catégorie les placer,

– le motif légitime qui fonde la requête est établi, la société Socotec s’étant procurée sans son consentement des documents lui appartenant, ce qui est d’ores et déjà constitutif d’une faute, alors qu’au surplus, elle a commis une seconde faute en détenant et en divulguant des documents techniques appartenant à la société Sixense Monitoring obtenus de façon illicite,

– s’agissant du secret des affaires, et des pièces “confidentiel défense”, la violation des secrets qui s’y attachent n’est pas caractérisée, alors qu’il est prévu une mise sous séquestre provisoire des documents saisis,

– les mesures sont délimitées dans le temps et l’espace,

– la demande de nullité du procès verbal est irrecevable, sa validité ne relevant pas des attributions du juge de la rétractation,

– la demande de suppression des documents saisis relève de l’exécution de la mesure.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs conclusions susvisées conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

SUR CE,

Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.

Par ailleurs, il résulte des articles 497 et 561 du code de procédure civile que la cour d’appel, saisie de l’appel d’une ordonnance de référé statuant sur une demande en rétractation d’une ordonnance sur requête prescrivant des mesures d’instruction destinées à conserver ou à établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, est investie des attributions du juge qui l’a rendue devant lequel le contradictoire est rétabli.

Cette voie de contestation n’est donc que le prolongement de la procédure antérieure : le juge doit apprécier l’existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête, à la lumière des éléments de preuve produits à l’appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui. L’application de ces dispositions suppose de constater la possibilité d’un procès potentiel, non manifestement voué à l’échec, sur la base d’un fondement juridique suffisamment déterminé, sans qu’il revienne au juge des référés de se prononcer sur le fond et dont la solution peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée. Cette mesure ne doit pas porter une atteinte illégitime aux droits et libertés fondamentaux d’autrui. Le juge doit encore rechercher si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe du contradictoire. Les circonstances justifiant cette dérogation doivent être caractérisées dans la requête ou l’ordonnance qui y fait droit.

Sur le motif légitime

L’application de l’article 145 du code de procédure civile suppose que soit constatée l’existence d’un procès en germe possible et non manifestement voué à l’échec au regard des moyens soulevés, sans qu’il revienne au juge statuant en référé ou sur requête de se prononcer sur le fond.

En l’espèce, la société Sixense Monitoring soutient à l’appui de sa demande de mesure d’instruction qu’elle soupçonne la société Socotec Monitoring France de se livrer à des actes de concurrence déloyale à son encontre, manifestés par la reproduction de documents techniques lui appartenant au sein de la procédure pour auscultation du chantier ligne 15 Sud T3A du [Localité 7] [Localité 9].

Il résulte des pièces produites à l’appui de la requête soumise au tribunal de commerce que :

– la société Socotec Monitoring France a récemment diversifié ses activités de départ dans l’instrumentation des infrastructures, l’expertise, le diagnostic et les essais non destructifs pour ajouter une gamme de services d’auscultation et deux nouveaux secteurs, les tunnels et travaux souterrains outre les voies ferrées,

– il n’est pas contesté que s’agissant du secteur de l’auscultation, devenu activité principale de la société Socotec Monitoring France, et également activité historique de la société Sixense Monitoring, les parties se trouvent en concurrence,

– elles ont ainsi soumissionné pour la première fois ensembles en 2016 sur le projet de Ligne 15 Sud T2C, puis de nombreuses fois ensuite, cinq appels d’offres ayant été perdus par la société Sixense Monitoring, face à la société Socotec Monitoring France,

– le groupement d’entreprises Horizon a acquis en juin 2017 le lot T3A du [Localité 7] [Localité 9] Express, les deux sociétés ayant soumissionné.

La société Sixense Monitoring produit une attestation de M [U] [K], directeur général France et directeur technique Groupe de la société Sixense Monitoring indiquant :

” Du fait de mes fonctions je valide toutes les plus grosses offres émises par notre entreprise (…)Mon entreprise a remis une offre au groupement d’entreprises Horizon pour toutes les prestations de monitoring (auscultation). Plusieurs offres ont été remises entre l’été 2016 et l’été 2017 comme il est d’usage dans notre domaine. Plusieurs révisions d’offres lorsque les entreprises générales préparent leurs propres offres puis une ou des révisions finales lorsque l’entreprise principale a gagné le marché et s’apprête à commencer les travaux. Nous n’avons pas remporté le marché, la société Cementys ayant été choisie par Horizon. (…) la procédure de chantier pour l’auscultation ligne 15 Sud Lot T3A du [Localité 7] [Localité 9] m’a été communiquée par email du 12 mai 2021 par M [R].J’ai pris connaissance de ce document et j’ai constaté qu’il intégrait des éléments techniques dont j’estime qu’ils proviennent de Sixense Monitoring et en particulier: la photo reproduite p.12 reprise p.27 reproduisant les prismes installés sur les rails, le schéma reproduit p.13 représentant les plans du support en téflon, venant mordre la semelle du rail, le schéma reproduit page 24 représentant les points d’auscultation installés régulièrement au niveau de la zone d’influence des travaux”.

M. [K] atteste encore que les originaux des documents issus de l’offre technique sont transmis au client, en l’occurrence le groupement Horizon et repris ensuite dans un document de procédure générale à entête de ce dernier puis revus par les équipes du soumissionnaire, de sorte qu’il peut affirmer que les documents techniques ont bien été transmis par la société Socotec Monitoring France dans sa réponse à appel d’offre et qu’ils apparaissent ensuite dans un document de procédure à entête du groupement Horizon et de la société du [Localité 7] [Localité 9].

M. [D] [P], ingénieur instrumentalisation atteste être l’auteur du schéma n°1 2B et reproduit dans son attestation le schéma d’origine, enregistré sur le réseau Sixense le 14 février 2017 et adapté par la suite.

Mme [M] [O], responsable des opérations et directrice générale adjointe de la société Sixense Monitoring atteste en substance que :

– la photo n°1 a été prise par M [H], et communiquée par la société Sixense Monitoring le 25 mars 2013 dans le cadre du rapport d’installation d’un chantier à [Localité 5] puis reprise à plusieurs reprises dans la procédure du sous-lot auscultations préalables du lot T3C,

– le schéma n°1 a bien été réalisé par M [D] [P], et communiqué en décembre 2016 puis janvier 2017 dans la procédure ligne 15 Sud T2C,

– le schéma n°2 est un schéma type repris dans de nombreuses notes techniques.

Ainsi, la découverte de cette reproduction d’éléments qu’elle avait élaborés dans le dossier de soumissionnement de la société Socotec Monitoring France constituait bien un faisceau d’indices suffisants pour légitimer les suspicions de la partie requérante qui pouvait ainsi craindre des actes constitutifs de concurrence déloyale. Si en effet, l’ensemble de ces documents et éléments ont pu se trouver sous un document général à entête de la société Horizon et de la société [Localité 7] [Localité 9], ils ont nécessairement été reproduits avec une référence au soumissionnaire, en l’occurrence la société Sixense Monitoring, alors même que la société Socotec Monitoring ne conteste pas in fine l’origine de ces éléments, se contentant d’affirmer que le document litigieux appartient à la société Horizon.

Si ces éléments ne peuvent à eux seuls suffire à caractériser une concurrence déloyale, ils constituent néanmoins des indices suffisamment sérieux permettant de démontrer, de ce chef, l’existence d’un motif légitime pour justifier la mesure d’instruction sollicitée.

Au regard des éléments qui précèdent, la société Sixense Monitoring est légitime à vouloir déterminer l’ampleur de la concurrence déloyale suspectée, susceptible de résulter de la reproduction d’éléments qui lui appartiennent et qui seraient issus de son savoir-faire.

A ce stade de la procédure, agissant sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, la société Sixense Monitoring n’a pas à rapporter la preuve d’une protection qui serait attachée aux éléments concernés et du préjudice résultant de leur reproduction, l’existence de celle-ci ne faisant pas débat.

Ainsi, la société Sixense Monitoring justifie d’un motif légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile, lui permettant de solliciter une mesure d’instruction afin d’améliorer sa situation probatoire pour un futur procès qu’elle pourrait engager à l’encontre de la société Socotec Monitoring, lequel n’apparaît pas manifestement voué à l’échec.

L’ordonnance sera confirmée sur ce point.

Sur la dérogation au principe du contradictoire

Le juge, saisi sur requête, doit rechercher si la mesure sollicitée exige une dérogation au principe de la contradiction. L’éviction de ce principe directeur du procès nécessite que la requérante justifie de manière concrète les motifs pour lesquels, dans le cas d’espèce, il est impossible de procéder autrement que par surprise.

Aux termes de la requête, la société Sixense a justifié la dérogation au principe de la contradiction par le risque de dépérissement des preuves, pour l’essentiel des fichiers informatiques ou des documents papier volatiles. L’ordonnance qui y fait droit, tenant compte des éléments développés par la requérante, retient que les circonstances exigent pour la préservation des preuves dont il est sollicité la mise à disposition que les mesures ne soient pas prises contradictoirement.

S’agissant des documents techniques transmis par la société Socotec Monitoring France à ses clients sous forme de “mémoire technique”, “note technique”, “offre technique”, “étude technique” c’est à juste titre que le premier juge a indiqué qu’ils ne pouvaient à eux seuls justifier une dérogation au principe du contradictoire, étant précisé qu’ils peuvent être appréhendés chez leurs destinataires et ne sont pas susceptibles de dépérissement.

En revanche au cas présent, il existait un risque évident de déperdition des preuves inhérent à la nature même de pièces ou données informatiques par essence furtives qui pouvaient aisément être supprimées ou altérées alors qu’elles étaient nécessaires pour établir l’existence des agissements déloyaux suspectés de la part de la société appelante et l’étendue du préjudice subi.

Ainsi, au regard des agissements de l’appelante suspectée par la société intimée de se livrer à des actes de concurrence déloyale, il apparaissait justifié, dans un souci d’efficacité de la mesure d’instruction, de procéder de manière non contradictoire.

La nécessité de déroger au principe du contradictoire est ainsi suffisamment caractérisée.

L’ordonnance rendue sera confirmée sur ce point.

Sur le caractère proportionné de la mesure d’instruction

Les mesures d’investigation doivent être légalement admissibles, les mesures d’investigation générales étant prohibées, de sorte qu’elles doivent être circonscrites dans le temps et l’objet.

Or, l’ordonnance rendue exclut les documents techniques transmis par la société Socotec Monitoring France à ses clients sous forme de “mémoire technique”, “note technique”, “offre technique”, “étude technique”et comporte des mots-clés pertinents ( Ligne 15 Sud T2C, Ligne 15 Sud T3C, Eole Puits, [U] [K], [D] [P], [M] [O], Soldata, ancienne dénomination de Sixense, [Localité 9], [Localité 4], [Localité 10], [Adresse 6] correspondant aux chantiers réalisés), dont la combinaison apparaît nécessaire à l’établissement des faits. Elle prévoit une saisie des éléments correspondants à compter du 30 septembre 2015 au 14 octobre 2021, en ce qui concerne les dossiers d’appels d’offres perdus par elle, étant précisé qu’elle a pu connaître au sens de l’article 2224 du code civil la reprise de ses éléments techniques par la société Socotec Monitoring France le 12 mai 2021, date de la réception de l’email du responsable auscultation du groupement Horizon partageant la procédure Ligne 15 Sud. En revanche, la même délimitation de temps devra être appliquée aux éléments internes de la société Sixense Monitoring , dont elle a appris le 12 mai 2021 qu’ils se trouvaient entre les mains de la société Socotec Monitoring France, la mesure ne pouvant être étendue les concernant sans délitation de temps. L’ordonnance rendue sera rétractée partiellement sur ce point.

De la sorte, les mesures prescrites sont ainsi circonscrites dans le temps et l’objet, tout en étant proportionnées au but poursuivi et à la recherche d’éléments probants ainsi qu’à l’exercice du droit de la preuve.

Il convient encore de rappeler qu’une mesure de séquestre des éléments recueillis a été prévue afin de préserver, le cas échéant, le secret des affaires, étant précisé que l’atteinte au secret des affaires ne constitue pas un obstacle à l’application de l’article 145 du code de procédure civile et, donc, à la saisie de documents pouvant s’avérer utiles pour préserver le droit à la preuve de la société Sixense Monitoring.

Au surplus, la société ne précise pas en quoi, selon elle, celles-ci devraient être protégées au titre du secret des affaires au sens de l’article L.151-1 du code de commerce, dès lors qu’il s’agit de documents relatifs aux conditions de soumission à des appels d’offres mais aussi de documents, informations commerciales et techniques utilisées en interne et de documents relatifs aux relations commerciales engagées avec ses clients.

En outre, il apparaît bien que le respect de la vie privée qui n’est pas un obstacle en soi est respecté dans la mesure où les correspondances personnelles sont exclues et que l’atteinte au secret des affaires invoquée est limitée aux recherches de preuves en lien avec le litige.

Enfin, s’agissant des documents “confidentiels défense”, bien que la société Socotec Monitoring ne précise pas plus en quoi, selon elle, ceux-ci devraient être protégées, dès lors qu’elle cite à titre d’exemple ses échanges avec la société Eiffage, ce qui n’apparaît pas pertinent, et que pour mémoire les documents recherchés sont relatifs aux conditions de soumission à des appels d’offres mais aussi à des informations commerciales et techniques utilisées en interne, il appartiendra à la société Socotec Monitoring France de classer ces pièces revendiquées comme étant “confidentiel défense” dans les catégories B ou C déterminées par le premier juge.

Dans ces conditions, la mesure ordonnée, utile et proportionnée à la solution du litige, ne porte pas une atteinte illégitime aux droits de la société Socotec Monitoring France

Au regard des motifs qui précèdent, la société Socotec Monitoring France sera déboutée de sa demande de rétractation de l’ordonnance rendue sur requête le 7 janvier 2022.

L’ordonnance entreprise sera donc confirmée en ce qu’elle a rejeté la demande de rétractation de l’ordonnance du 7 janvier 2022 et infirmée, excepté en ce qu’elle a prévu une saisie non limitée dans le temps des éléments de la société Sixense Monitoring susceptibles de se trouver au sein de la société Socotec Monitoring France, ce dans les termes du dispositif.

Au regard des motifs qui précèdent, la société Socotec Monitoring France sera déboutée de sa demande de rétractation de l’ordonnance rendue sur requête le 7 janvier 2022.

L’ordonnance entreprise sera donc confirmée en ce qu’elle a rejeté la demande de rétractation de l’ordonnance du 7 janvier 2022 et infirmée, excepté en ce qu’elle a prévu une saisie non limitée dans le temps des éléments de la société Sixense Monitoring susceptibles de se trouver au sein de la société Socotec Monitoring France, ce dans les termes du dispositif.

Sur les dépens et frais irrépétibles

La partie défenderesse à une mesure ordonnée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ne peut être considérée comme une partie perdante au sens de l’article 696 du code de procédure civile. En effet, les mesures d’instruction sollicitées avant tout procès le sont au seul bénéfice de celui qui les sollicite, en vue d’un éventuel procès au fond, et sont donc en principe à la charge de ce dernier.

En revanche, il est possible de laisser à chacune des parties la charge de ses propres dépens et, dès lors, de faire application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de l’une d’elles.

Au regard de l’issue du litige en appel, chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens et la société Socotec Monitoring France sera condamnée à payer à la société Sixense Monitoring, contrainte d’exposer des frais irrépétibles tant en première instance qu’en appel, pour assurer sa défense, la somme de 5.000 euros, sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme en toutes ses dispositions la décision entreprise excepté en ce qu’elle a prévu une saisie non limitée dans le temps des éléments de la société Sixense Monitoring susceptibles de se trouver au sein de la société Socotec Monitoring France,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que les mesures seront limitées dans le temps aux documents propriété de la société Sixense Monitoring et aux fichiers et emails échangés, crées, modifiés ou supprimés entre le 30 septembre 2015 et le 14 octobre 2021,

Laisse à chacune des parties la charge des dépens de première instance et d’appel par elle exposés,

Condamne la société Socotec Monitoring France à payer à la société Sixense Monitoring la somme de 5.000 euros, sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

 


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