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N° RG 22/03926 – N° Portalis DBVM-V-B7G-LSGE
C4
Minute N°
Copie exécutoire
délivrée le :
la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC
la SELARL FTN
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT DU JEUDI 15 JUIN 2023
Appel d’une ordonnance (N° RG 2022R28)
rendue par le Tribunal de Commerce de VIENNE
en date du 08 septembre 2022
suivant déclaration d’appel du 31 octobre 2022
APPELANTE :
S.A.S. BUSCH FRANCE au capital de 48.000 euros, immatriculée au Registre du commerce et des sociétés d’EVRY sous le numéro 314 830 043, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 7]
représentée par Me Dejan MIHAJLOVIC de la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant et plaidant par Me LE GUYADER, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE :
S.A.S. 40-30 au capital de 500.000 euros, immatriculée au RCS de GRENOBLE sous le n° 340.043.926, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée et plaidant par Me Florence NERI de la SELARL FTN, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Madame Marie-Pierre FIGUET, Présidente,
Mme Marie-Pascale BLANCHARD, Conseillère,
M. Lionel BRUNO, Conseiller,
Assistés lors des débats de Alice RICHET, Greffière
DÉBATS :
A l’audience publique du 22 mars 2023, M. BRUNO conseiller, a été entendu en son rapport,
Les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries,
Puis l’affaire a été mise en délibéré pour que l’arrêt soit rendu ce jour,
Faits et procédure :
1. La société 40-30, spécialisée dans la maintenance industrielle, a engagé [X] [E] le 15 mars 2016. En sa qualité de technicien de maintenance affecté au sein de l’activité vide, [X] [E] avait pour fonction d’assurer des prestations de maintenance de pompes à vide et de réaliser des tests non destructifs de dispositifs sous vide, en atelier et sur sites clients. A ce titre, il avait la responsabilité des contrats de maintenance des parcs de pompes à vide sur sites clients et notamment au CEA de [Localité 6], l’un des principaux clients de la société 40-30. Le 6 décembre 2021, [X] [E] a démissionné de ses fonctions, son contrat de travail prenant fin à l’issue de son préavis, le 3 février 2022.
2. Le 13 décembre 2021, la société 40-30 a accusé réception de la démission de [X] [E] en prenant soin de lui rappeler qu’aux termes de l’avenant à son contrat de travail signé le 5 avril 2016, il était tenu par une clause de non-concurrence d’une durée de 12 mois renouvelable une fois sur la zone géographique suivante : Ile de France, Rhône-Alpes et PACA. A compter du mois de mars 2022, la société 40-30 a commencé à verser mensuellement à [X] [E] l’indemnité compensatrice à la clause de non concurrence stipulée dans l’avenant à son contrat de travail.
3. La société Busch France a notamment pour objet la fabrication et la réparation de pompes à vide et accessoires et les deux sociétés sont ainsi concurrentes s’agissant de la maintenance appliquée au vide et postulent aux mêmes appels d’offres. Il en a été ainsi le cas concernant l’appel d’offres du CEA référencé A00-B21-01108 du 24/09/2021 relatif à des prestations de maintenance des pompes.
4. [X] [E] a été vu par des salariés de la société 40-30 sur le site du CEA, revêtu d’un polo à l’effigie de la société Busch France, réalisant des opérations de maintenance pour le compte de cette dernière. La société 40-30 en a déduit qu’il avait été engagé par la société Busch France dont le siège social est situé à [Localité 7], au sein de son établissement de [Localité 4] et a mandaté un huissier de justice, lequel a pu constater l’utilisation par monsieur [E] d’un véhicule de société appartenant à la société Busch France, par constat des 18 février et 1er mars 2022.
5. Convaincue que la société Busch France a détourné des données lui appartenant et lui ayant permis de remporter le marché précité et qu’elle a également débauché d’autres salariés, la société 40-30 a, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, saisi sur requête le président du tribunal de commerce de Vienne lequel l’a autorisée à mandater la Selarl Chezeaubernard Isère, huissier de justice, afin que celle-ci se rende dans les locaux de la société Busch France pour y recueillir les informations nécessaires. L’huissier a procédé aux opérations de constat le 20 avril 2022, accompagné de [Z] [J], expert.
6. Par assignation du 19 mai 2022, la société Busch France a assigné la société 40-30 en référé rétractation devant le président du tribunal de commerce de Vienne.
7. Par ordonnance du 8 septembre 2022, le juge des référés du tribunal de commerce de Vienne a’:
– jugé recevable mais mal fondée la demande de rétractation formée par la société Busch France à l’encontre de l’ordonnance rendue le 29 mars 2022 sous le numéro 2022OP00269′;
– en conséquence, débouté la société Busch France de sa demande de rétractation de l’ordonnance rendue le 29 mars 2022′;
– confirmer son ordonnance rendue le 29 mars 2022 sous le numéro 2022OP00269′;
– interdit à l’huissier de se départir, au profit de la société 40-30, de documents qui seraient autres que le registre du personnel de la société Busch France, les contrats de travail, les bulletins de paie de messieurs [O], [E] et de madame [M], les mails ou les courriers émis ou reçus par messieurs [O], [E] et madame [M] antérieurement à la conclusion de leurs contrats de travail respectifs’;
– condamné la société Busch France à payer à la société 40-30 une indemnité de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile’;
– condamné la société Busch France aux dépens prévus à l’article 695 du code de procédure civile.
8. La société Busch France a interjeté appel de cette décision le 31 octobre 2022, en ce qu’elle a’:
– jugé recevable mais mal fondée la demande de rétractation formée par la société Busch France à l’encontre de l’ordonnance rendue le 29 mars 2022 sous le numéro 20220P00269′;
– en conséquence, débouté la société Busch France de sa demande de rétractation de l’ordonnance rendue le 29 mars 2022 sous le numéro 2022OP00269′;
– confirmé l’ordonnance rendue le 29 mars 2022 sous le numéro 2022OP00269′;
– condamné la société Busch France à payer à la société 40-30 une indemnité de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile’;
– condamné la société Busch France aux dépens prévus à l’article 695 du code de procédure civile
L’instruction de cette procédure a été clôturée le 9 mars 2023.
Prétentions et moyens de la société Busch France :
9. Selon ses conclusions remises le 8 mars 2023, elle demande à la cour de’:
– de juger recevable son appel;
– de juger que la société 40-30 ne disposait pas d’un motif légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile ;
– de juger que ni la requête de la société 40-30 en date du 22 mars 2022, ni l’ordonnance sur requête du président du tribunal de commerce de Vienne rendue le 29 mars 2022 sous le numéro 2022OP00269, n’ont caractérisé les circonstances justifiant de déroger au principe du contradictoire;
– de juger que les mesures d’instruction ordonnées n’étaient pas circonscrites et se sont révélées être particulièrement disproportionnées au regard des intérêts en jeu’;
– en conséquence, de réformer l’ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce en date du 8 septembre 2022 sous le numéro 2022R00028 en ce qu’elle a jugé recevable mais mal fondée la demande de rétractation formée par la société Busch France à l’encontre de l’ordonnance rendue le 29 mars 2022 ; en ce qu’elle a débouté la concluante de sa demande de rétractation de l’ordonnance rendue le 29 mars 2022′; en ce qu’elle a confirmé l’ordonnance rendue le 29 mars 2022 ; en ce qu’elle a condamné la société Busch France à payer à la société 40-30 une indemnité de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile; en ce qu’elle a condamné la société Busch France aux dépens prévus à l’article 605 du code de procédure civile’;
– statuant à nouveau, de rétracter l’ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce le 29 mars 2022 sous le numéro 20220P00269 en toutes ses dispositions ;
– de condamner la société 40’30 à payer à la société Busch France la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens d’appel et de première instance.
Elle expose’:
10. – concernant l’absence de la caractérisation des circonstances justifiant de déroger au principe du contradictoire, que si un débat contradictoire est lié en raison de la présente procédure de rétractation, cela ne dispensait pas l’intimée de justifier, devant le juge de la requête, des circonstances permettant d’agir selon cette voie’; qu’ainsi, ni la requête, ni l’ordonnance à rétracter ne font état de ces circonstances, puisque l’intimée a fait état d’une affirmation générale concernant le risque de dépérissement des preuves, sans motiver spécialement sa demande’; que l’ordonnance sur requête ne contient pas de motif spécial’;
11. – que si le juge de la rétractation a retenu qu’à l’exception du registre du personnel, des bulletins de paies et des contrats de travail, les autres directives de l’ordonnance rendue sur requête visant le recueil d’information nécessitaient un effet de surprise afin d’éviter que la concluante puisse donner à ses salariés des directives limitant leur liberté de parole et détruise certains échanges antérieurs à l’embauche des anciens salariés de l’intimée, le président du tribunal n’a cependant pas analysé l’existence des circonstances devant figurer dans la requête justifiant qu’il soit dérogé au principe du contradictoire’; qu’il n’a pas répondu aux arguments de la concluante’; qu’il a reconnu que certains éléments auraient pu être produits dans le cadre d’une procédure contradictoire’;
12. – que si le juge de la rétractation a indiqué que l’effet de surprise était nécessaire afin de préserver les déclarations des salariés, cet effet de surprise n’a pas été caractérisé par l’intimée dans sa requête, de sorte que le juge ne pouvait y suppléer’; que l’huissier n’a procédé à aucune audition de salariés’;
13. – qu’en tout état de cause, il n’existe aucun risque de dépérissement des preuves, en raison de la nature des documents à saisir, s’agissant d’éléments essentiels pour la concluante puisqu’il s’agit de documents devant être conservés par l’employeur pendant cinq ans, au titre des dispositions du code du travail’;
14. – que l’intimée ne justifie pas d’un motif légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile, le débauchage de salariés n’étant qu’une hypothèse, l’embauche d’un salarié n’étant pas un acte condamnable en lui-même, sous réserve de l’existence de man’uvres déloyales de débauchage’; qu’en l’espèce, seuls trois salariés de l’intimée ont rejoint la concluante sur une période de six ans’;
15. – que concernant madame [M], celle-ci a indiqué, dans sa lettre de démission remontant à l’année 2017, rejoindre la concluante, sans observation de l’intimée, laquelle a levé la clause de non-concurrence’; que cette salariée a attesté avoir quitté l’entreprise en raison de l’absence de perspectives d’évolution de sa carrière, outre les conséquences d’une procédure de sauvegarde et d’un changement de direction’; que c’est cette salariée qui a entamé des échanges avec la concluante’;
16. – que concernant monsieur [O], ce salarié n’était pas lié par une clause de non-concurrence’; qu’il a librement présenté sa démission’le 12 mai 2021; qu’il atteste que la cause de son départ est la dégradation de l’ambiance au sein de l’intimée, alors qu’il a adressé spontanément sa candidature à la concluante’par l’intermédiaire de madame [M]’; que si l’intimée soutient que monsieur [O] aurait tenté de débaucher d’autres salariés, elle n’en justifie pas, l’attestation de monsieur [K] étant laconique et non circonstanciée’;
17. – que concernant monsieur [E], si l’intimée soutient qu’il a été débauché par monsieur [O], elle ne justifie pas avoir mis en demeure ce salarié de respecter sa clause de non-concurrence, pas plus qu’elle n’a informé la concluante de l’existence de cette clause’; que monsieur [E] a démissionné de sa propre initiative le 7 février 2022, alors qu’il a contacté la concluante en juillet 2021′; qu’il a justifié cette démission par une absence
d’évolution de son emploi et sa surcharge de travail, outre la dégradation de la situation de l’entreprise’; que la clause de non-concurrence est en outre affectée de vices puisqu’elle ne définit pas quelles sont les activités interdites, alors que l’emploi de ce salarié en qualité de technicien de maintenance ne relève pas d’une technicité particulière justifiant l’existence d’une telle clause;
18. – que les difficultés de l’intimée résultent d’un contexte social dégradé, puisqu’elle a subi le départ de 22 salariés entre mai 2021 et juillet 2022′;
19. – que la concluante n’a pas détourné des informations confidentielles de l’intimée qui lui aurait permis d’obtenir le marché du CEA, l’intimée n’imputant que des hypothèses sans en rapporter la preuve’; que le CEA a retenu l’offre de la concluante concernant le 1er lot du marché au motif qu’elle était techniquement et économiquement la plus avantageuse’; qu’il n’a, par contre, pas retenu les offres de la concluante pour les lots n°2 à 4, les lots 2 et 4 étant attribués à l’intimée, et le lot n°3 à une entreprise tierce ; que le fait qu’un salarié continue à entretenir des relations avec un ancien salarié de l’entreprise ne permet pas de retenir une collusion’; que lors de l’attribution des marchés du CEA en 2021, monsieur [E] était toujours employé par l’intimée’; qu’il est normal qu’il ait été vu sur le site du CEA afin de réaliser des opérations pour le compte de la concluante postérieurement à son embauche’intervenue le 7 février 2022′; que dans le cadre d’un marché postérieur, la concluante n’a pas été retenue, alors que le marché a été obtenu par l’intimée,’ce qui indique que la concluante ne connaît pas ses tarifs’;
20. – que l’appréciation du motif légitime ne peut jamais être examinée sur des éléments issus de l’exécution des mesures d’instruction sollicitées’;
21. – que les mesures ordonnées sont disproportionnées, puisqu’elles concernent non seulement les locaux situés à [Localité 4], mais également tout autre lieu où la concluante exerce son activité ou conserve des documents, afin de recueillir toutes informations auprès de toutes personnes, et la remise de tous documents sur tous supports’; qu’il s’agit ainsi de mesures illimitées’; que l’huissier a ainsi appréhendé 150 fichers et 30 Mo de données’; que liberté a été donnée à l’huissier de rejeter tout document ou information relevant manifestement de la vie privée et sans lien avec sa mission, ce qui est imprécis et laisse à l’huissier le soin de déterminer les limites de sa mission’; que ces mesures ont concerné monsieur [O] et madame [M] alors qu’ils n’étaient pas liés par une clause de non-concurrence, que l’intimée n’a pas entendu agir contre eux en concurrence déloyale et ne fait état d’aucun élément permettant de leur imputer des man’uvres constitutives d’une telle concurrence’; que la copie informatique remise par l’huissier à la concluante, concernant les documents saisis, indique que nombre d’entre eux sont sans lien avec les accusations de l’intimée’;
22. – que les imprécisions de l’ordonnance rendue sur requête ont eu pour effet une atteinte grave au secret des affaires, puisque cela a permis l’accès à des échanges avec la clientèle, à des fiches de non-conformité, des devis chiffrés, des schémas de matériels, de documents liés aux offres du CEA.
Prétentions et moyens de la société 40-30′:
23. Selon ses conclusions remises le 3 janvier 2023, elle demande à la cour de’:
– de confirmer l’ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Vienne le 8 septembre 2022 dans toutes ses dispositions’;
– à titre reconventionnel, de condamner la société Busch France à payer à la société 40-30 la somme de 4.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, et ceux compris les frais de constats engagés par la société 40-30.
Elle oppose’:
24. – concernant les conditions du recours à la procédure d’ordonnance sur requête, que si cette procédure est initialement non contradictoire, le défendeur dispose du droit d’instaurer un débat contradictoire, ce qu’a mis en ‘uvre l’appelante’;
25. – que dans le cadre de son pouvoir souverain d’appréciation, le président du tribunal a considéré que les circonstances justifiaient le recours à la procédure sur requête’;
26. – que le but de la requête n’était pas seulement d’obtenir la saisie de documents que l’appelante doit conserver impérativement, mais également de recueillir des informations orales des salariés présents lors du passage de l’huissier, sur les circonstances dans lesquelles les trois salariés ont été recrutés’; que sans effet de surprise, l’appelante aurait pu donner des directives à ses salariés pour limiter leur liberté de parole, détruire tous les échanges qu’elle a pu avoir avec les trois salariés concernés en amont de leur embauche’; que le recours à la procédure sur requête était ainsi légitime’;
27. – concernant l’existence d’un motif légitime, sur la situation de monsieur [E], que la concluante a appris que monsieur [O], une fois en poste au sein de l’appelante, a tenté de débaucher des salariés de la concluante, ce que confirme monsieur [K]’; que tout porte ainsi à croire que monsieur [O] a oeuvré pour le débauchage de monsieur [E], lequel a tenu monsieur [O] au courant de ses discussions avec l’appelante’concernant son éventuelle embauche, alors que monsieur [O] était antérieurement son supérieur hiérarchique au sein de la concluante ; que les éléments saisis par l’huissier de justice démontrent que monsieur [E] a, en janvier 2022, ainsi avant son embauche par l’appelante, transmis à celle-ci des plans d’équipements installés au sein du CEA’; que dès le mois de juillet 2021, monsieur [E] a été en liaison avec l’appelante’; qu’il a été vu sur le site du CEA en train d’exécuter des prestations objets de l’appel d’offre’; qu’il était lié par une clause de non-concurrence avec la concluante, ce que l’intimée n’ignorait pas puisqu’elle produit l’avenant au contrat de travail la stipulant’; que la validité de cette clause est étrangère au présent débat, alors qu’elle est licite en raison des relations du salarié avec la clientèle ; que la seule existence de cette clause justifie la mesure d’instruction, afin de vérifier son exécution’;
28. – concernant monsieur [O], que tout porte à croire que, après avoir démissionné le 12 mai 2021, il a divulgué des informations confidentielles à son nouvel employeur, notamment des barèmes de prix, ce qui a permis à l’appelante de remporter l’appel d’offres du CEA en novembre 2021; qu’il ne dément pas avoir été débauché’;
29. – que si l’appelante produit des attestations d’anciens salariés de la concluante, concernant les raisons de ces démissions, ces témoignages sont inexacts’; que ces départs résultent d’une période de quasi plein emploi, de sorte que les salariés dotés de compétences spécifiques sont rares et font l’objet de propositions de la part de la concurrence’;
30. – que les mesures ordonnées sont admissibles et proportionnées, étant circonscrites dans leur objet, alors qu’il ne s’agit que d’obtenir des documents en rapport avec l’embauche de trois salariés’; que le commissaire de justice n’avait ainsi pas de pouvoir d’appréciation’;
31. – qu’il n’a pas été porté atteinte au secret des affaires de l’appelante, puisque les documents ne concernant que les conditions de l’embauche des trois salariés en cause, ils n’étaient pas encore au service de l’appelante, et ne disposaient ainsi d’aucune donnée la concernant.
*****
32. Il convient en application de l’article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
MOTIFS DE LA DÉCISION:
33. Selon la requête reçue par le tribunal de commerce le 22 mars 2022, la société 40-30 a indiqué que monsieur [E] a été engagé par elle en qualité d’opérateur de maintenance, qu’il a été ensuite employé en qualité de technicien de maintenance, avec notamment pour fonction d’assurer des prestations de maintenance de pompes à vide outre des tests, en atelier et chez les clients’; qu’il était ainsi responsable des contrats de maintenance avec notamment le CEA’; qu’il a démissionné de ses fonctions le 6 décembre 2021, alors que l’existence de la clause de non-concurrence prévue dans son contrat de travail lui a été rappelée’; qu’il a été récemment vu par des salariés de la requérante sur le site du CEA, réalisant des opérations de maintenance pour la société Busch France’; que la requérante en a déduit qu’il avait été engagé par cette dernière, de sorte qu’elle a commis un huissier lequel a constaté les 18 février et 1er mars 2022 le stationnement d’un véhicule de la société Busch France au domicile du salarié, alors que cette société est une concurrente directe de la requérante et a obtenu un marché avec le CEA’; que la requérante est ainsi convaincue que cette société a détourné, par l’intermédiaire de monsieur [E], des informations confidentielles notamment sur ses barèmes de prix, lui ayant permis d’emporter le marché du CEA, ce qui constitue une concurrence déloyale.
34. La requérante a précisé qu’elle croit savoir qu’au moins deux autres salariés ont été embauchés par la société Busch France, à savoir monsieur [O] et madame [M], alors que le débauchage de salariés par un concurrent constitue un acte de concurrence déloyale’; que la requérante envisage ainsi d’engager une action contre la société Busch France pour concurrence déloyale et une action contre monsieur [E] pour violation de la clause de non-concurrence.
35. La requérante a indiqué qu’il est ainsi impératif d’obtenir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution de ces litiges, non contradictoirement afin que l’huissier de justice puisse intervenir sans information des personnes concernées et afin d’éviter de probables déperditions ou destructions de preuves.
36. L’ordonnance rendue sur requête’le 29 mars 2022’se réfère aux motifs de la requête de l’intimée. Elle ne contient pas de motifs particuliers sur la nécessité de statuer non contradictoirement, mais indique seulement, de façon générale, que la disparition possible d’éléments de preuve constitue, pour la requérante, un motif légitime de conserver la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige susceptible de relever de la compétence au fond du tribunal de commerce de Vienne. Elle indique seulement que l’intimée justifie qu’un litige existe entre elle-même et la société Busch France, ayant sa cause dans des faits qui pourraient caractériser une concurrence déloyale.
37. Le dispositif de cette ordonnance est le suivant’:
– commettons tout huissier de justice territorialement compétent, au choix du requérant, et lui donnons missions de :
– se rendre dans les locaux de la société Busch France, située à [Adresse 5], ou tout autre lieu au sein duquel la société Busch France exerce son activité ou conserve les documents afférents à son activité, accompagné de toute personne de son choix, notamment d’un expert en informatique, d’un serrurier et au besoin, de la force publique,
– recueillir toute information auprès de toutes personnes, se faire remettre et rechercher tous documents sur tous supports, tels que notamment registre du personnel, bulletins de paie, contrats de travail, de nature à démontrer le débauchage par la société Busch France de son personnel et notamment de monsieur [X] [E], de madame [U] [M] et de monsieur [R] [O],
– s’agissant des documents qui ne sont pas sur un support informatique, disons que I’huissier de justice pourra utiliser les moyens de reproduction présents dans les locaux pour effectuer les copies qu’iI jugera utile à l’accomplissement de la mission,
– disons que l’huissier de justice écartera tout document ou information relevant manifestement de la vie privée et sans lien avec la mission, en cas de document partiellement en lien avec la vie privée,
– disons que l’huissier de justice fera disparaître par tout moyen sur la copie les passages en lien avec la vie privée et sans rapport avec la mission,
– disons que l’huissier de justice fera une copie en double exemplaire sur le support de son choix des documents entrant dans le champ de sa mission et qu’il conservera en séquestre l’un des exemplaires,
– disons que l’huissier de justice dressera un procès-verbal de ses opérations ainsi que de toutes déclarations que feront toutes personnes présentes sur les lieux, et qu’il y annexera le second exemplaire de la copie des documents entrant dans le champ de la mission, et qu’il remettra le tout à la société 40-30, sous réserve des éventuels documents séquestrés conformément à la mission,
– plus généralement, disons que l’huissier de justice effectuera toutes les diligences et toutes constatations utiles à la défense de la requérante,
– disons que la présente ordonnance pourra être exécutée par provision et sur minute,
– disons que l’ensemble des éléments recueillis par l’huissier instrumentaire seront placés sous séquestre en l’etude de l’huissier commis,
– disons que faute pour la partie auprès de laquelle les pièces ont été obtenues de nous saisir aux fins de modification ou de rétractation de cette ordonnance en application de l’article 497 du code de procédure civile dans un délai d’un mois à compter de la signification de la présente ordonnance, la mesure de séquestre provisoire sera levée et les pièces transmises à la requérante et/ou son conseil,
– disons que l’huissier devra, à peine de caducité de la présente ordonnance, procéder à sa mission dans un délai d’un mois à compter de sa saisine.
38. Selon l’ordonnance déférée ayant rejeté la demande de rétractation, sur les circonstances justifiant le recours à une procédure non contradictoire, cette décision a indiqué que si l’ordonnance rendue sur requête spécifie certains documents que la société Busch France aurait pu produire dans le cadre d’une procédure contradictoire, notamment le registre du personnel, les bulletins de paie, les contrats de travail car elle ne pouvait pas les faire disparaître, d’autres directives de l’ordonnance, notamment recueillir toutes les informations auprès de toutes personnes, nécessitaient un effet de surprise, sans lequel la société Busch France aurait pu donner des directives à ses salariés pour limiter leur liberté de parole et détruire certains échanges antérieurs à l’embauche des anciens salarié de la société 40-30. Il a été indiqué qu’ainsi, les circonstances justifiaient le recours à la procédure non contradictoire.
39. Sur l’existence d’un motif légitime, l’ordonnance déférée a énoncé que les salariés qui ont quittés la société 40-30 pour rejoindre la société Busch France, l’ont fait d’une manière échelonnée et qu’il est plausible que le débauchage des derniers salariés a été fait grâce aux relations que ceux-ci conservaient avec les premiers ayant rejoint la société Busch France. Il est noté qu’il y a de fortes probabilités que des informations recueillies chez la société 40-30 ont été rapportées de façon opportune par les salariés embauchés par la société Busch France, alors que la qualification de monsieur [E] était assortie d’une clause de non-concurrence que la société Busch France ne pouvait ignorer, compte tenu de la certification Cofrend de celui-ci, et qu’elle est passée outre. Le juge de la rétractation en a retiré que la société 40-30 justifiait d’un motif légitime s’attachant à la conservation et à l’établissement de preuves des faits de concurrence déloyale reprochés à la société Busch France.
40. Sur la proportion et la légalité des mesures d’investigations ordonnées par le président du tribunal de commerce, l’ordonnance déférée a relevé que la mesure sollicitée par requête résulte du climat manifestement polémique dans lequel s’inscrit la relation entre les parties; que les termes de l’ordonnance du 29 mars 2022 sont suffisamment clairs et précis pour ne pas laisser de place à une quelconque interprétation et que les « notamment ” incriminés par la société Busch France n’ont que pour but de donner des références précises sans pour autant limiter la saisie à ces seuls éléments.
41. Sur la protection du secret des affaires invoqué par la société Busch France et l’aménagement de la mesure, il a été indique que la mission de l’huissier était circonscrite aux éléments de nature à établir le débauchage des personnels et donc aux échanges intervenus antérieurement aux embauches desdits salariés’; que néanmoins, le juge interdira comme le suggère la société 40-30, à l’huissier de se départir, au profit de la société 40-30, de documents qui seraient autres que le registre du personnel de la société Busch France, les contrats de travail, les bulletins de paie de messieurs [O], [E] et madame [M], les mails ou les courriers émis ou reçus par messieurs [O], [E] et madame [M] antérieurement à la conclusion de leurs contrats de travail respectifs.
42. La cour constate qu’aux termes de l’article 493 du code de procédure civile, l’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse. L’article 494 prévoit que la requête doit être motivée. L’article 495 dispose que l’ordonnance sur requête est également motivée.
43. En l’espèce, l’ordonnance rendue sur requête’le 29 mars 2022’visant la requête de l’intimée s’en approprie les motifs. Elle est ainsi motivée au sens de l’article 495 du code de procédure civile.
44. S’agissant de la motivation de la requête en ce qu’il doit être dérogé au principe du contradictoire, la cour relève que la société 40-30 n’a justifié d’aucun motif pertinent permettant qu’il soit procédé non contradictoirement dans la recherche de preuves concernant des actes de concurrence déloyale imputés à la société Busch France, ou à la violation par monsieur [E] de la clause de non-concurrence figurant dans son contrat de travail.
45. Concernant ce dernier, la cour constate que le seul fait qu’il ait contracté un emploi auprès d’un concurrent peut caractériser une telle violation, de sorte que le contrat de travail conclu auprès de l’appelante pouvait être appréhendé dans le cadre d’une procédure contradictoire, ce type de contrat devant être conservé par l’employeur, outre la possibilité de saisir le registre du personnel, document devant également être conservé.
46. Concernant des actes de concurrence déloyale imputés à la société Busch France, la requête de la société 40-30 indique seulement que le recours à la procédure non contradictoire sur requête est justifiée par la nécessité d’intervenir sans information préalable des personnes concernées et d’éviter de probables déperditions ou destructions de preuves qu’entraînerait une telle information. Cependant, elle ne précise aucunement ces risques de déperditions ou de destruction de preuves, alors que l’objet de la mesure d’investigation est notamment la recherche de contrats de travail, de fiches de paies, du registre du personnel, documents devant être obligatoirement conservés dans le cadre des obligations imposées à tout employeur. Ainsi que soutenu par la société Busch France, il a été fait état d’une affirmation d’ordre général concernant le risque de dépérissement des preuves, non étayée par des éléments précis et pertinents.
47. Il en résulte que la société 40-30 n’a pas justifié précisément dans sa requête de motifs précis justifiant qu’il soit procédé non contradictoirement, de sorte que l’ordonnance déféré ne peut qu’être infirmée en ce qu’elle a rejeté la demande de rétractation formée par l’appelante.
48. En outre, concernant l’existence d’un motif légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile, la cour constate qu’aucun élément produit à l’appui de la requête ne vient confirmer l’existence d’actes de concurrence déloyale. Concernant les marchés conclus avec le CEA, il n’est pas contesté que l’appelante n’a obtenu que le lot n°1, au motif que son offre était la plus intéressante économiquement et techniquement, alors que l’intimée s’est vue attribuer deux autres lots. La réponse du CEA adressée à la société 40-30 précise que son offre de base est ainsi arrivée en troisième position, alors que sa variante est arrivée en seconde position. Un dernier lot a été attribué à une entreprise tierce. Aucun élément n’indique que l’appelante ait détourné des informations confidentielles lui ayant permis d’obtenir un lot sur quatre au préjudice de l’intimée.
49. Concernant le débauchage de salariés, la société 40-30 ne justifie pas plus d’un départ important de ses salariés imputable à l’appelante, puisque madame [M] a démissionné en 2017 afin de réorienter sa carrière, outre un contexte social qualifié de difficile et l’absence d’évolution, monsieur [O] en mai 2021 au motif d’une dégradation de ses conditions de travail et d’une absence d’évolution, et monsieur [E] en décembre 2021 pour des raisons similaires. Des mails confirment l’absence de débauchage de ces salariés par la société Busch France. Si un huissier a constaté l’utilisation d’un véhicule de l’appelante par monsieur [E], c’est postérieurement à la date de l’expiration de son préavis. Des attestations confirment la perte d’une part importante de ses salariés par la société 40-30 en deux ans. L’attestation de monsieur [K] concernant une tentative de débauchage n’est pas circonstanciée et ne peut permettre de retenir ce fait au regard des autres éléments produits par les parties.
50. S’agissant enfin de la mission confiée à l’huissier de justice, la cour relève que la mission confiée à l’huissier instrumentaire a été disproportionnée, puisqu’il lui a été confiée celle de recueillir toutes informations auprès de toutes personnes, de se faire remettre tous documents sur tous supports, de nature à démontrer le débauchage par la société Busch France du personnel de la société 40-30, et notamment de messieurs [E] et [O] et de madame [M]. Il s’ensuit que l’huissier de justice s’est vu ainsi autorisé à consulter tous documents ou fichiers se trouvant dans les locaux de l’appelante, ainsi que dans tous lieux où elle exploite son activité ou conserve des documents afférents à cette activité, sans aucune restriction, même si ensuite la mission lui a été également confiée d’écarter les documents ou informations relevant manifestement de la vie privée et sans lien avec sa mission.
51. En conséquence, l’ordonnance déférée ne peut qu’être infirmée en ce qu’elle a’:
– jugé recevable mais mal fondée la demande de rétractation formée par la société Busch France à l’encontre de l’ordonnance rendue le 29 mars 2022 sous le numéro 2022OP00269′;
– en conséquence, débouté la société Busch France de sa demande de rétractation de l’ordonnance rendue le 29 mars 2022′;
– confirmer l’ordonnance rendue le 29 mars 2022 sous le numéro 2022OP00269′;
– condamné la société Busch France à payer à la société 40-30 une indemnité de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile’;
– condamné la société Busch France aux dépens prévus à l’article 695 du code de procédure civile.
52. Statuant à nouveau, la cour rétractera l’ordonnance rendue le 29 mars 2022 ayant prescrit la mesure d’instruction.
53. Succombant devant cet appel, la société 40-30 sera condamnée à payer à la société Busch France la somme de 2.000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de l’instance.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,
VU les articles 145, 493 et suivants du code de procédure civile;
INFIRME l’ordonnance déférée en ce qu’elle a’:
– jugé recevable mais mal fondée la demande de rétractation formée par la société Busch France à l’encontre de l’ordonnance rendue le 29 mars 2022 sous le numéro 2022OP00269′;
– en conséquence, débouté la société Busch France de sa demande de rétractation de l’ordonnance rendue le 29 mars 2022′;
– confirmé l’ordonnance rendue le 29 mars 2022 sous le numéro 2022OP00269′;
– condamné la société Busch France à payer à la société 40-30 une indemnité de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile’;
– condamné la société Busch France aux dépens prévus à l’article 695 du code de procédure civile’;
statuant à nouveau’;
RÉTRACTE l’ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Vienne le 29 mars 2022 sous le numéro 2022OP00269′;
y ajoutant
CONDAMNE la société 40-30 à payer à la société Busch France la somme de 2.000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile’;
CONDAMNE la société 40-30 aux dépens exposés tant en première instance qu’en cause d’appel ;
SIGNÉ par Mme FIGUET, Présidente et par Mme RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente