Séquestre provisoire : 14 septembre 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 22/08138

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Séquestre provisoire : 14 septembre 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 22/08138
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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-2

ARRÊT

DU 14 SEPTEMBRE 2023

N° 2023/ 545

Rôle N° RG 22/08138 – N° Portalis DBVB-V-B7G-BJQUW

Etablissement Public GRAND PORT MARITIME DE [Localité 4]

C/

S.A. SPIE BATIGNOLLES GENIE CIVIL (SBGC)

S.A.S. SPIE BATIGNOLLES TECHNOLOGIES

S.A.S. SPIE BATIGNOLLES NORD

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Julie ROMAN

Me Romain CHERFILS

Décision déférée à la Cour :

Ordonnance de référé rendue par le Président du Tribunal Judiciaire de Marseille en date du 24 mai 2022 enregistrée au répertoire général sous le n° 22/02527.

APPELANT

Etablissement Public LE GRAND PORT MARITIME DE [Localité 4]

Pris en la personne de son représentant légal en exercice

dont le siège social est situé [Adresse 1]

représenté par Me Julie ROMAN, avocat au barreau de [Localité 4]

et assisté de Me Didier Guy SEBAN substitué par Me Alexandre VANDEPOORTER de la SELAS SEBAN ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, plaidant

INTIMEES

S.A. SPIE BATIGNOLLES GENIE CIVIL (SBGC)

prise en la personne de son représentant légal en exercice

dont le siège social est situé [Adresse 2]

S.A.S. SPIE BATIGNOLLES TECHNOLOGIES

prise en la personne de son représentant légal en exercice

dont le siège social est situé [Adresse 2]

S.A.S. SPIE BATIGNOLLES NORD

prise en la personne de son représentant légal en exercice

dont le siège social est situé [Adresse 3]

représentées par Me Romain CHERFILS de la SELARL BOULAN-CHERFILS-IMPERATORE, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

et assistées de Me Thierry DAL FARRA de la SCP UGGC AVOCATS, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Sébastien SEGARD et Me Tancrède LE COUTOUR, avocats au barreau de PARIS, plaidants

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 13 juin 2023 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Mme NETO, Conseillère, a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

M. Gilles PACAUD, Président

Mme Angélique NETO, Conseillère rapporteur

Madame Myriam GINOUX, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Julie DESHAYE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 14 septembre 2023.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 14 septembre 2023,

Signé par M. Gilles PACAUD, Président et Mme Julie DESHAYE, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

Établissement public de l’État, le Grand Port Maritime de [Localité 4] (le GPMM), offre notamment des services de réparation navale, industrielle pour les navires de commerce et de grande plaisance pour les yachts ou autres bâtiments de croisière.

Il accueille des entreprises exerçant une activité de réparation navale, avec 9 formes de radoub, dont la plus grande forme de réparation navale de Méditerranée, la « Forme 10 » construite en 1975 pour le marché des pétroliers géants.

Une forme de radoub est un bassin qui permet l’accueil de navires et leur mise à sec pour leur entretien, leur carénage, leur construction, voire parfois leur démantèlement. Il mobilise un grand nombre d’équipements essentiels à son fonctionnement (cale sèche, grues, système de pompage’), dont un bateau-porte, équipement qui obstrue la forme côté mer et en assure l’étanchéité lorsqu’un navire est en cale sèche pour subir des travaux de réparation.

La Forme 10 a cessé d’être exploitée en 2002, à raison de sa vétusté, notamment celle du bateau-porte.

Voulant remettre en activité la Forme 10, le GPMM a lancé une procédure de publicité et de mise en concurrence pour attribuer, à un opérateur de la réparation navale, une convention d’occupation et d’exploitation.

Après l’échec d’une première procédure de mise en concurrence, le GPMM a relancé une procédure à laquelle seul un groupement d’opérateurs s’est porté candidat constitué notamment de la société Chantier Naval de [Localité 4] (CNM).

Concernant le bateau-porte, le cahier des charges de la consultation envisageait deux options. Au titre de l’option 1, c’est le titulaire de la convention qui devait remplacer lui-même, sous sa maitrise d’ouvrage, le bateau-porte. Au titre de l’option 2, c’est le GPMM lui-même qui devait procéder aux travaux nécessaires au remplacement de cet équipement.

Le GPMM a conclu le 27 juin 2012 une convention d’occupation et d’exploitation de la Forme 10 avec la société CNM en retenant l’option 2.

La convention a été conclue pour une durée de 25 ans, avec l’engagement du GPMM de livrer le nouveau bateau-porte au plus tard en septembre 2015.

C’est dans ce contexte que, le 13 juin 2012, le GPMM a lancé, sous sa maîtrise d’ouvrage, un marché public de travaux sous la forme d’une procédure de dialogue-compétitif pour la conception, la construction, l’installation, la mise en service et la qualification d’une bouchure mobile de type bateau-porte destinée à la Forme 10.

Un groupement d’entreprises constitué de la société SPIE Batignolles TPCI, l’entreprise de travaux maritimes Jean Negri, la société Setec TPI, la société Hydratec et la société INEO, dont le mandataire était la société SPIE Batignolles, a obtenu ce marché de conception- réalisation pour un prix forfaitaire de 13 349 200 euros hors taxes, conclu suivant acte d’engagement en date du 1er août 2013, notifié le 5 août suivant.

La date de réception du bateau-porte était fixée contractuellement au 15 juin 2015, permettant ensuite l’exploitation de la Forme 10 par la société CNM au 30 septembre 2015.

Le 1er août 2018, le GPMM a refusé la réception de l’ouvrage, avant de mettre en demeure, le 2 août suivant, la société SPIE Batignolles Génie Civil, anciennement dénommée SPIE Batignolles TPCI, à peine de résiliation du marché pour faute, de procéder, sous deux mois, à la mise en conformité de l’ouvrage sur la base des constats des non-conformités annexés au procès-verbal des opérations préalables à sa réception du 19 juillet 2018.

Par courrier du 4 octobre 2018, le GPMM a procédé à la résiliation pour faute du marché public de travaux pour la conception, la construction et la mise en service du nouveau bateau-porte en béton précontraint.

Par trois requêtes enregistrées les 28 novembre 2018, le 20 février 2019 et le 29 mars 2019, la société SPIE Batignolles Génie Civil saisissait le tribunal administratif de Marseille pour contester la légalité de la décision de résiliation du marché, fixer le solde du décompte général du marché à la somme de 16 759 251 euros toutes taxes comprises et condamner le GPMM à lui verser ladite somme, augmentée des intérêts moratoires.

Par un jugement du 28 juin 2022, le tribunal administratif de Marseille a condamné la société SPIE Batignolles Génie Civil à verser au GPMM la somme de 13 965 119,15 euros hors taxes correspondant au solde du décompte de résiliation du marché.

Engagé vis-à-vis de la société CNM, le GPMM a lancé des travaux de réhabilitation de l’ancien bateau-porte, afin de permettre à la société CNM de satisfaire quelques chantiers de réparation, outre le fait que le GPMM et la société CNM ont signé plusieurs avenants pour adapter la convention d’exploitation de la Forme 10 au retard pris dans la construction du nouveau bateau-porte.

Ils ont signé un avenant n°1 le 5 août 2016, pour reporter la date de mise à disposition du bateau-porte au 21 septembre 2016 et apporter quelques adaptations à la convention, dont un dispositif transitoire de calcul de la redevance domaniale.

D’autres avenants à la convention d’exploitation de la Forme 10 ont ensuite été conclus, et ce essentiellement pour modifier la date de mise à disposition du bateau-porte.

Renonçant à construire lui-même le bateau-porte, le GPMM a fait le choix de revenir à l’option 1 du cahier des charges de la consultation, en laissant la société CNM réaliser et financer le bateau-porte, avec notamment une structure métallique.

A cet effet, les parties ont signé, le 15 février 2019, un avenant n° 5.

Le 4 août 2021, la société CNM a sollicité la SA SPIE Batignolles Génie Civil, en tant que sous-traitant, pour la réalisation du nouveau bateau-porte de la Forme 10.

Reprochant au GPMM l’absence de mesures de publicité et de mise en concurrence préalables concernant la réalisation du bateau-porte de la Forme 10, plusieurs procédures ont été initiées par les SA SPIE Batignolles Génie Civil, SASU SPIE Batignolles Technologies et la SAS SPIE Batignolles Nord en tant que concurrents évincés.

Tout d’abord, par requête du 19 juillet 2021, ces sociétés ont saisi le tribunal administratif de Marseille pour obtenir la communication de documents administratifs attachés à l’avenant n°5. Ce recours est pendant devant ce tribunal.

Ensuite, par requête en date du 15 septembre 2021, elles ont saisi le même tribunal en contestation de la validité de l’avenant n° 5 dans le cadre d’un recours dit « recours Tarn et Garonne ». Ce recours est toujours pendant devant ce tribunal.

En outre, par requête en date du 13 octobre 2021, elles ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Marseille en référé contractuel sur le fondement de l’article L. 551-13 du code de justice administrative assorti d’une demande de suspension immédiate de l’exécution de l’avenant n° 5. Le juge a pris acte de leur désistement par ordonnance du 16 novembre 2021.

Enfin, par requête en date du 13 avril 2022, elles ont sollicité du président du tribunal judiciaire de Marseille l’autorisation de procéder à des mesures d’instruction in futurum dans les locaux et bureaux du GPMM et de la société CNM sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile.

Par une ordonnance du 21 avril 2022, le juge des requêtes a fait droit à cette demande et a désigné la SCP Rebuffat-Girardot-Uren ainsi que la SCP Galy-Golbery-Escudier, huissiers de justice, afin de procéder aux mesures de constat autorisées, assistés de la société Ibou.fr, expert informatique.

Le GPMM a, par d’huissier du 13 mai 2022, assigné en référé d’heure à heure, les sociétés SPIE Batignolles Génie Civil, SPIE Batignolles Technologies et SPIE Batignolles Nord devant le tribunal judiciaire de Marseille afin d’obtenir la rétractation de l’ordonnance sur requête rendue le 21 avril 2022.

Par ordonnance en date du 24 mai 2022, ce magistrat a :

– déclaré le GPMM mal fondé en sa demande de rétractation ;

– confirmé en son intégralité l’ordonnance sur requête rendue le 22 avril 2022 ;

– condamné le GMPP à payer aux défenderesses une indemnité globale de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné le GMPP aux dépens.

Il a estimé que le fait pour l’avenant n° 5, en date du 15 février 2019, à la convention d’occupation du domaine public maritime du 27 juin 2012 d’avoir été conclu entre le GPMM et la société CNM, sans que les règles relatives aux marchés publics n’aient été appliquées, pouvait révéler l’attribution déguisée d’un marché, constitutive d’un délit de favoritisme pouvant conduire à un procès pénal et à un procès civil. Il a donc considéré que les défenderesses justifiaient d’un motif légitime à entendre ordonner les mesures sollicitées avant tout procès relatif à l’existence ou non d’un délit de favoritisme au pénal et au civil, faisant observer que le juge de la rétractation n’était pas celui de la qualification de l’avenant litigieux. Il a souligné que les éléments d’information portés à la connaissance du juge des requêtes, dans la requête initiale, excluait toute déloyauté de la part des sociétés défenderesses. Il a indiqué également que le fait pour le contrat de marché conclu avec la société SPIE Batignolles Génie Civil d’avoir été résilié à ses torts, par une décision non définitive, ne permettait pas au GPMM de se prévaloir, dès à présent, du bénéfice de l’article L 2141-7 du code de la commande publique pour s’affranchir de toute accusation de favoritisme et contester les mesures d’instruction sollicitées. Il a relevé par ailleurs que l’efficacité des mesures sollicitées appelait nécessairement une procédure non contradictoire. Il a estimé enfin que les mesures ordonnées n’étaient pas des mesures de saisies mais des copies, de sorte qu’il n’y avait aucune atteinte à la propriété publique, qu’elles portaient sur deux périodes déterminées bien circonscrites dans le temps, antérieures à la guerre en Ukraine, que les mots-clés visés se rapportaient aux conditions de passation de l’avenant n° 5 ainsi qu’à la présomption de délit de favoritisme, qu’il ne s’agissait pas de mesures générales d’investigation qui seraient disproportionnées et qu’il était indiqué dans l’ordonnance que les huissiers commis devaient conserver les éléments recueillis sous séquestre sans pouvoir en donner connaissance aux requérants, une procédure ultérieure de communication après vérification étant prévue.

Suivant déclaration transmise au greffe le 7 juin 2022, le GPMM a interjeté appel de cette décision en toutes ses dispositions dûment reprises.

Aux termes de ses écritures transmises le 27 mai 2023, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des prétentions et moyens, il demande à la cour d’infirmer l’ordonnance entreprise et statuant à nouevau de :

– rétracter l’ordonnance sur requête rendue le 21 avril 2022 ;

– rejeter les mesures d’instruction sollicitées par les intimées ;

– prononcer la nullité du procès-verbal de constat d’huissier venant en exécution de la mesure in futurum ordonnéé par l’ordonnance sur requête rendue le 21 avril 2022 ;

– rejeter toute autre demande ;

– condamner les intimées à lui verser la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

– les condamner à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Il soutient que les conditions de l’article 145 du code de procédure civile ne sont pas remplies.

En premier lieu, il fait état de l’existence de plusieurs procès en cours engagés par les sociétés SPIE Batignolles en lien avec la conclusion de l’avenant n° 5 dénoncée, et ce, alors même que les mesures sollicitées doivent l’être avant tout procès. Il expose que les intimées ont introduit, avant de solliciter les mesures d’instruction, un recours dit ‘Tarn et Garonne’ en contestation de la validité de l’avenant n° 5 devant le tribunal administratif de Marseille au motif qu’il s’agit d’un contrat qui porte sur un marché de travaux qui aurait dû faire l’objet de mesures de publicité et de mise en concurrence préalables et qu’elles ont, dès lors, en tant que concurrents de la société CNM étaient évincées. Il expose que les concurrents évincés d’une procédure de la commande publique peuvent choisir entre deux voies d’action, soit saisir la juridiction administrative en contestation de la validité du contrat, soit saisir la juridiction répressive sur la base de documents obtenus sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, qui diffèrent sur la forme et les modalités mais qui ont, au final, le même objet, à savoir contester la validité de la conclusion d’un contrat. Il considère que l’article 145 du code de procédure civile ne peut plus être mobilisé lorsqu’un recours en contestation de la validité du contrat a déjà été introduit devant le juge administratif.

En réplique aux moyens de défense, il indique que, s’il ne s’agit pas d’un procès pénal portant sur le délit de favoritisme, l’objet du litige est identique dès lors qu’il s’agit de déterminer, dans les deux cas, si l’avenant n° 5 est ou non un marché de travaux qui devait ou non être passé au terme de mesures de publicité et de mise en concurrence. Il relève également que, si l’instance pénale suppose d’apporter la preuve que des personnes physiques ont sciemment violé les règles de passation du marché de travaux concerné, l’intention délictueuse, lorsqu’il s’agit d’un établissement public, est établie par la seule circonstance que les règles de passation des marchés publics ont été méconnues. De plus, les intimées n’excluent pas d’agir au pénal et au civil contre le GPMM lui-même, personne morale susceptible, comme tel, de commettre l’infraction de favoritisme.

Il estime donc que les mesures litigieuses ont été ordonnées alors même qu’un procès, portant sur les mêmes enjeux et dont la solution pourrait dépendre des données copiées, était déjà en cours.

En second lieu, il se prévaut de l’absence de motif légitime.

Tout d’abord, il indique que l’avenant n° 5 n’est, à l’évidence, pas un marché de travaux, dès lors qu’il n’a pas pour objet de mettre à la charge de la société CNM la construction d’un équipement qui repond à ses besoins, soit à des exigences qu’il fixe, moyennant un caractère onéreux. Il insiste sur le fait que s’il a voulu, initialement, construire son bateau-porte en le finançant et en faisant construire suivant ses propres prescriptions, il a été contraint de renoncer à ce projet en raison des fautes commises par la société SPIE Batignolles et de revenir à l’autre option qui était prévue, à savoir laisser la société CNM libre de financer et de faire construire elle-même son propre bateau-porte. Il souligne que ce dernier a été construit par des entreprises mandatées par la société CNM. Il affirme donc que l’avenant n° 5 n’a que pour objet de modifier l’état de la Forme 10 exploitée par la société CNM pour les besoins de son exploitation, à savoir que, là où il était prévu que la Forme 10 serait mise à la disposition de la société CNM avec un bateau-porte neuf livré pour 2015, il a été finalement prévu une mise à disposition de la Forme 10 sans bateau-porte neuf, de sorte qu’il appartient au titulaire de la convention d’en acquérir un par ses propres moyens et de le financer lui-même. Il expose que, pour tenir compte du changement apporté dans l’équilibre économique initial de la convention d’exploitation de la Forme 10, l’avenant n° 5 a modifié la durée de la convention. Il insiste sur le fait que toutes les conventions de mise à disposition du domaine public à l’occasion desquelles les occupants réalisent des travaux d’amélioration sur la dépendance mise à disposition ne sont pas des marchés de travaux, sauf à considérer, dans le cas présent, que c’est la convention d’exploitation de la Forme 10 qui est en elle-même un contrat de la commande publique, et plus précisément une concession, sachant que, même dans ce cas, l’avenant n° 5 ne serait pas un marché de travaux public mais bien un avenant à une concession de service, avenant qui est régulier tant qu’il respecte le régime attaché à la modification des concessions. Il souligne que l’avenant n° 5 ne répond pas aux trois critères qui caractérise un marché public au regard des articles L 1111-1 et L 1111-2 du code de la commande publique, dès lors que cet avenant n’a pas pour objet principal la réalisation de travaux, qu’il ne répond pas à ses besoins précis et qu’il ne présente aucun caractère onéreux.

Concernant le premier critère, il relève que l’avenant a pour objet principal de modifier une convention d’occupation du domaine public pour neutraliser les conséquences attachées à la circonstance qu’il n’a pas, comme il s’y était engagé, livré un bateau-porte nécessaire à l’occupation et l’exploitation de la Forme 10. Il précise que la convention s’inscrit dans le cadre de l’article 5312-2 3° du code des transports qui énonce que les grands ports maritimes ont pour mission notamment la gestion et la valorisation du domaine dont il est propriétaire ou qui lui est affecté, qu’elle permet l’exercice d’une activité privée souhaitée par l’occupant en exploitant en son nom les installations et équipements, objets de la convention (article 12) qu’elle permet à l’occupant de réaliser des travaux dans le cadre d’un programme d’investissement (article 2), et qu’elle prévoit que les installations et ouvrages édifiés par l’occupant seront démolis au terme du contrat (article 17). Il relève que l’avenant n° 5 n’a pour effet, notamment, que de complèter le programme d’investissement à la charge de l’opérateur en y ajoutant la construction du bateau-porte (articles 1 et 2), de préciser le périmètre des prestations qu’elle a réalisées, en y incluant l’utilisation du bateau-porte conformément au règlement d’exploitation des installations (article 3) et modifie les dispositions de redevance d’occupation due (article 6).

Concernant le deuxième critère, il soutient que les travaux ne répondent pas à ses besoins, en ce qu’il aurait préféré une solution en béton précontraint plutôt que la solution métallique retenue par la société CNM. De plus, il souligne que la construction du bateau-porte ne s’inscrit pas dans le cadre de la mission de construction et entretien de l’infrastructure portuaire, ni dans le cadre d’une mission de service public du grand port, dès lors que la convention a pour objet de permettre à un occupant d’exploiter le domaine public en bénéficiant d’un équipement opérationnel adapté à ses besoins dans une logique de valorisation du domaine public. En outre, il indique que le fait pour lui de pouvoir demander à ce que le bateau-porte lui revienne en pleine propriété à titre gratuit à l’issue du contrat, plutôt qu’il ne soit détruit, résulte de l’article L 2122-9 du code général de la propriété des personnes publiques. De même, le fait qu’il s’agit d’un ouvrage qui s’incorpore au domaine public n’implique pas que le bateau-porte réponde aux besoins du grand port, dès lors que la convention d’occupation du domaine public qui a été conclu avec la société CNM l’a été pour lui permettre d’exploiter une activité de réparation navale, ce qui supposait, pour elle, de dispose d’un bateau-porte neuf. En outre, il indique que, si l’avenant stipule que la conception du bateau sera réalisée en respectant les préconisations fonctionnelles liées à sa future exploitation et à sa maintenabilité qui avait été établie par le GPMM lors de ses consultations précédentes, c’est uniquement parce que le bateau-porte s’incorpore au domaine public, ce qui suppose pour l’occupant de respecter un ensemble de prescriptions au titre de la conservation du domaine.

Concernant le troisième critère, il soutient qu’il ne va pas payer ou rémunérer la société CNM en contrepartie de la construction du bateau-porte. Il indique que, si l’avenant modifie la durée de la convention d’occupation de la Forme 10, ce n’est pas destiné à couvrir la charge d’investissement assurée par la société CNM pour la réalisation du bateau-porte mais de neutraliser la circonstance qu’elle n’a pas pu disposer de cet ouvrage à la date qui était contractuellement prévue faute pour lui de l’avoir livré dans le délai prévu au plus tard en septembre 2015. Il relève que si le terme de la convention est passé de 2040 à 2046, la durée d’exploitation de 25 ans à compter du 1er avril 2021, date à laquelle l’ouvrage doit être terminé, n’a pas été modifiée. Il indique que si cette durée peut être prolongée, c’est uniquement pour tenir compte du risque attaché à la date effective d’achèvement du bateau-porte et à son coût prècis. Il relève avoir été contraint, en raison de ce retard, de supprimer la redevance due par la société CNM à raison de la dépendance contenant le bateau-porte neuf, de sorte qu’il ne s’agit pas d’un rabais sur la redevance pour permettre le financement du bateau-porte. Il expose que ce dernier sera financé par les revenus générés par la société CNM à la suite de l’exploitation de son activité de réparation navale sur la durée de la convention.

Ensuite, il considère que les mesures sollicitées ne sont pas utiles dès lors que les intimées disposent de toutes les informations requises pour établir les trois composantes du délit de favoritisme, à savoir l’existence d’un marché de travaux, l’absence de mesure de publicité et de mise en concurrence préalables à la passation du marché et l’intention de violer les règles de mise en concurrence du marché. Il souligne avoir produit l’avenant n° 5 qui a été conclu directement avec la société CNM sans mise en concurrence et relève qu’il est acquis que l’élément intentionnel du délit de favoritisme réside dans le simple fait d’avoir méconnu la règle et non dans l’intention de vouloir favoriser un tiers. Par ailleurs, il expose que les sociétés SPIE Batignolles ne sont pas recevables à exercer la moindre action pénale ou civile pour favoritisme, dès lors qu’elles n’auraient pas pu être candidates au prétendu marché de travaux comme étant été sanctionnées, préalablement, par la résiliation pour faute du précédent marché, et ce, en application de l’article L 2141-7 du code de la commande publique. Enfin, il estime que c’est parce que les éléments dont les intimées disposent ne leur permettent pas d’établir le délit de favoritisme qu’elles sollicitent la mise en oeuvre d’une mesure d’instruction.

En troisième lieu, il insiste sur le caractère manifestement disproportionnée des mesures ordonnées dès lors que l’ordonnance permet une saisie de copies de données d’un opérateur d’importance vitale dont les installations bénéficient d’une protection spécifique, en ce qu’il est soumis au secret de la défense nationale, qu’il détient des données classifiées ‘secret’ et qu’il constitue une zone d’accès restreint soumis à des mesures de sûreté particulières. Il souligne que le fait que les données soient placées sous séquestre au sein d’une étude d’huissier ne lui permet pas de s’assurer qu’elles sont suffisamment protégées. En outre, il relève que les mots clés retenus sont nombreux et ont permis la saisie de plus de 70 Gigaoctet de données sur les postes de ses cadres, outre le fait qu’ils sont susceptibles de révéler sa stratégie de gestion domaniale, financière et commerciale. Il estime que ces mots clés ne sont pas nécessaires et utiles à l’établissement des infractions dénoncées. Enfin, il relève que les données dont la saisie a été autorisée sont trop larges et relèvent de mesures générales d’investigation en violation des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile. Il ne voit pas en quoi la deuxième période du 20 avril au 25 octobre 2021, au cours de laquelle la société soeur de la société CNM a indiqué qu’elle allait construire le nouveau bateau-porte, permettrait de déceler des preuves portant sur le prétendu délit de favoritisme qui daterait de février 2019. Il considère donc que les mesures sollicitées sur cette période ne visent qu’à permettre aux intimées d’obtenir des informations portant sur les procédures qu’elles ont déjà introduites devant le tribunal administratif et non la révélation d’un délit de favoritisme.

En quatrième lieu, et enfin, il justifie sa demande de dommages et intérêts par le fait que l’action engagée par les intimées a manifestement excédé les limites des droits auxquels elles pouvaient prétendre et qu’elles n’ont pas pu se méprendre sur les conséquences d’une mesure ordonnée sans respect du principe du contradictoire et destinée à le déstabiliser par son caractère disproportionné.

Aux termes de ses écritures transmises le 9 juin 2023, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des prétentions et moyens, les sociétés SPIE Batignolles Génie Civil, SPIE Batignolles Technologies et SPIE Batignolles Nord sollicitent de la cour qu’elle :

– révoque l’ordonnance de clôture pour accueillir ses dernières écritures et, à défaut, déclare irrecevables et écarte des débats les conclusions transmises par l’appelant le 27 mai 2023 ainsi que la pièce n° 15 supplémentaire qui y est annexée ;

– confirme l’ordonnance entreprise ;

– juge irrecevable ou mal fondée la demande de dommages intérêts pour procédure abusive et débouter le GPMM de cette demande ;

– en tout état de cause, déboute le GPMM de l’intégralité de ses demandes ;

– le condamne à leur verser la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ,

– le condamne aux dépens de l’appel, avec distraction au profit de Me Cherfils, membre de la SARL Laxavoué Aix-en-Provence, avocats associés aux offres de droit.

A titre liminaire, elles exposent que les procédures administratives qu’elles ont initiées, préalablement à la saisine du juge des requêtes, leur ont permis d’avoir communication de l’avenant n° 5 signé le 15 février 2019 entre Mme [V] [P], en qualité de présidente du directoire du GPMM, et M. [E] [W], en qualité de président de la société CNM. Elles déclarent que, sous couvert d’être un simple avenant à la convention d’occupation domaniale par laquelle la société CNM occupe et exploite la Forme 10, l’avenant n° 5 constitue en réalité un marché public de travaux comme répondant à un besoin d’achèvement de la construction de la Forme 10 du domaine public portuaire, dès lors que le bateau porte ferme la Forme 10 et permet à cette dernière de fonctionner. Elles soutiennent donc que l’avenant n° 5 a pour objet de confier à la société CNM la construction d’un ouvrage de génie-civil répondant directement aux besoins du GPMM, dès lors que le bateau-porte s’intègrera immédiatement au domaine public portuaire et que le coût de la conception et de la construction du nouveau bateau-porte est estimé à environ 13 millions d’euros, raison pour laquelle le GPMM a étendu dans le temps la durée de la convention d’occupation de la Forme 10 afin de permettre à la société CNM de tirer davantage de bénéfices de l’exploitation de cette forme, en contrepartie de la construction du bateau-porte, et ce, sans l’organisation de la moindre procédure de publicité et de mise en concurrence, les privant ainsi, en tant qu’opérateurs économiques concurrents de la société CNM, de la possibilité de présenter leur candidature. Elles exposent que, l’avenant ayant été conclu par des agents publics du GPMM en violation de la procédure applicable en matière de marchés publics, cela caractérise une infraction de favoritisme. Elles se prévalent de la possibilité pour elles d’engager une action pénale des chefs de délit de favoritisme, complicité et recel de délit de favoritisme à l’encontre des personnes chargées d’une mission se service public qui, au sein du GPMM ont participé à la préparation et à la conclusion de l’avenant n° 5, du GPMM lui-même en tant que personne morale et des entités et personnes privées qui ont tiré profit de l’avenant, en l’occurrence les dirigeants de la société CNM. Elles se prévalent également de la possibilité pour elles d’exercer une action civile devant le tribunal judiciaire de Marseille aux fins d’obtenir la réparation des dommages causés par les infractions susvisées, sur le fondement notamment de l’article 1241 du code civil.

En premier lieu, elles insistent sur le fait que les mesures d’instruction sollicitées au visa de l’article 145 du code de procédure civile ne portent sur aucun procès en cours. Elles relèvent que les procédures engagées devant les juridictions administratives n’ont pas le même objet que ceux auxquels pourraient donner lieu les mesures sollicitées et ne concernent pas les mêmes personnes que celles suspectées d’avoir commis des infractions pénales.

Elles exposent qu’il en est ainsi, tout d’abord, de l’action initiée tendant à la résiliation du contrat de marché public conclu le 1er août 2013 avec la société SPIE Batignolles TPCI afin de construire un nouveau bateau-porte, aujourd’hui expiré, à l’issue d’une procédure de mise en concurrence, au cours de laquelle six offres concurrentes ont été examinées, action qu’elles n’ont pas manqué de rappeler dans leur requête en soulignant que cette première procédure de mise en concurrence aurait dû conduire le GPMM à recourir à une autre procédure similaire pour la construction du nouveau bateau-porte. Elles relèvent que ce litige financier ne concerne pas les mêmes personnes dès lors qu’il n’oppose que des personnes morales alors que les actions pénale et civile qu’elles envisagent d’exercer concernent des personnes physiques. Elles exposent que ce litige n’a pas le même objet, le litige financier portant sur un marché public qui est expiré tandis que les mesures sollicitées portent sur la passation d’un autre contrat.

Elles indiquent qu’il en est de même, ensuite, du litige pendant devant le tribunal administratif de Marseille relatif aux modalités de passation de l’avenant n° 5, qu’elles n’ont pas manqué de rappeler dans leur requête. Elles exposent que ce litige tendant à l’annulation de l’avenant n°5 est distinct des actions pénale et civile susceptibles d’être engagées à la suite des mesures d’instruction sollicitées. Elles relèvent que ces litiges ne concernent pas les mêmes personnes, dès lors que, dans un cas, seule la validité du contrat est en jeu, sans qu’aucune condamnation financière n’a été sollicitée, et que, dans l’autre cas, ce sont des agents publics du GPMM et le représentant de la société CNM, personnes physiques, qui sont visés pour avoir commis un délit de favoritisme qui est susceptible de caractériser une faute personnelle, détachable des fonctions des agents publics en cause. Elles exposent que si les actions pénale et civile pourront être également engagées contre le GPMM lui-même, il s’agit de rechercher sa responsabilité pénale, ce qui n’a rien à voir avec l’action en annulation de l’avenant n° 5 exercée devant le tribunal administratif, et ce, d’autant que les mesures sollicitées sont principalement dirigées contre des personnes physiques qui ne sont pas parties au litige relatif à l’annulation du contrat. Elles indiquent également que ces actions n’ont pas le même objet, dès lors que, dans un cas, il s’agit d’obtenir l’annulation ou la résiliation du contrat administratif et que, dans l’autre cas, il s’agit d’établir l’existence d’une infraction de favoritisme et de permettre aux parties civiles, victimes des auteurs, d’obtenir une indemnisation. Elles insistent sur le fait que si, elles n’ont pas besoin des mesures sollicitées pour conduire l’action initiée devant le tribunal administratif jusqu’à son terme, faisant observer avoir été informées de la possibilité d’une clôture sans préavis de l’instruction à compter du 1er juillet 2023, soit avant même qu’elles ne soient en possession des pièces issues de la mainlevée, il en va différemment des actions pénale et civile qu’elles envisagent d’exercer à l’encontre du GPMM et de ses agents publics. Elles relèvent que, si seul le tribunal administratif a compétence pour annuler le contrat, seul le juge pénal a compétence pour retenir la responsabilité pénale des agents publics en raison de fautes délictueuses commises détachables de leurs fonctions. Elles insistent sur l’autonomie de la qualification pénale de favoritisme par rapport au manquement aux règles de passation des marchés publics, de sorte que les deux procédures, administrative et pénale, reposent sur des appréciations juridictionnelles opposées dès lors que leur objet et leurs effets sont différents.

En second lieu, elles exposent que les mesures sollicitées sont fondées sur des motifs légitimes.

Tout d’abord, elles indiquent qu’il n’appartient pas au juge, saisi sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, d’apprécier au fond la légalité de l’avenant n° 5 mais seulement de relever le fait que la caractérisation du délit de favoritisme par les agents publics du GPMM est plausible. Tel est le cas en l’absence de publicité et de mise en concurrence préalable à la passation de l’avenant n° 5, lequel a pour objet la construction, à titre onéreux, par l’effet de recettes résultant pour le CNM de la prolongation de sa convention d’occupation du domaine public portuaire, d’un ouvrage destiné à s’intégrer définitivement au domaine public.

Ensuite, elles considèrent que la caractérisation d’un délit de favoritisme est plausible, lequel est théoriquement applicable aux représentants du GPMM et de la société CNM, dès lors que l’avenant n° 5 est un contrat de la commande publique dont la conclusion aurait dû être précédée d’une procédure de mise en concurrence et de mesures de publicité adéquates, ne serait-ce parce que la construction du bateau-porte répondait aux besoins du GPMM, que sa construction par la société CNM était accompagnée d’une contrepartie octroyée par le GPMM sous la forme d’une prolongation de la convention d’occupation de la Forme 10, que, même l’avenant n° 5, n’a pas été passé conformément aux règles encadrant la modification des contrats de concession qui garantissent l’effectivité de la mise en concurrence initiale de ces contrats (article R 3135-7 du code de la commande publique), que la volonté du GPMM et de la société CNM de revenir à l’option n° 1 ne permet pas d’établir la régularité de la procédure, sachant qu’il s’agissait d’options alternatives et que le projet faisait obstacle à la possibilité d’un changement d’option en cours de réalisation du projet et que le GPMM a exercé une influence déterminante sur les caractéristiques et la réalisation du nouveau bateau-porte par la société CNM dont l’objet est strictement identique à celui ayant fait l’objet d’un marché public en 2013 signé à l’issue d’une procédure de mise en concurrence.

Elles indiquent que les deux conditions requises pour considérer qu’un ouvrage répond au besoin de la collective publique sont remplies dès lors, d’une part, que le bateau-porte a été édifié dans l’intérêt économique directe du GPMM qui, à la fin du contrat, va le récupérer et, d’autre part, que le GPMM exerce une influence déterminante sur le conception de l’ouvrage, faisant observer que la seule circonstance que le bateau-porte soit en acier ne permet pas au GPMM de s’extraire du champ de la commande publique étant donné que la construction de cet ouvrage répond spécifiquement à ses besoins et qu’il a exactement la même finalité et la même fonction que l’ouvrage construit en béton. Elles font observer sur ce point que l’avenant lui-même impose à la société CNM de respecter les préconisations relatives à la conception de l’ouvrage définies par le GPMM lors de ses consultations, de respecter un calendrier d’exécution, de faire valider la conception par un bureau de contrôle et de faire valider toute modification souhaitée.

Elles insistent sur le fait que la qualification de contrat de la commande publique est objective et certaine, et ce quelle que soit la dénomination et la forme du contrat concerné, ce qui suppose d’examiner son contenu et la portée des obligations qu’il créé pour son attributaire, de sorte que même un avenant d’une convention d’occupation domaniale peut constituer un marché public illégalement conclu. Elles relèvent que le contexte dans lequel cet avenant a été conclu selon les dires du GPMM lui-même démontre que ce dernier a été conclu afin de trouver une solution discrète, immédiate et rapide au problème de la remise en concurrence du marché de construction du bateau-porte.

Elles indiquent que la circonstance selon laquelle l’avenant a été conclu pour permettre au GPMM de satisfaire un engagement contractuel à l’égard de la société CNM est indifférente. De même, elles relèvent que l’argument selon lequel le GPMM aurait été contraint de revenir à l’option n° 1 de l’appel à projet est infondé dès lors que, s’agissant d’options alternatives, il ne pouvait juridiquement revenir sur l’option n° 1 après avoir choisi l’option n° 2. D’un point de vue matériel, elles indiquent, qu’à la date de la signature de l’avenant, le GPMM n’était pas contraint d’agir dans la précipitation en confiant la réalisation du bateau-porte à la société CNM, étant donné que la Forme 10 disposait de l’ancien porte-bateau en état de fonctionnement et qui était entretenu par le GPMM, de sorte qu’il disposait du temps nécessaire pour organiser une nouvelle procédure de mise en concurrence.

Ce faisant, elles indiquent que le GPMM ne peut sérieusement expliquer le décalage du terme de la convention par le fait de couvrir l’absence d’exploitation de la Forme 10 sans la porte-bateau, et ce, d’autant que l’article 5 de l’avenant stipule expressément qu les délais de la covention seront adaptés automatiquement afin de garantir les équilibres financiers liés à la construction du porte-bateau.

En outre, elles insistent sur l’utilité des mesures demandées en ce qu’elles tendent à l’établissement de preuves de la commission d’un délit de favoritisme par les agents publics du GPMM et de recel de ce délit par les dirigeants de la société CNM. Elles indiquent que, si elles disposent d’indices leur permettant de suspecter la commission de telles infractions, ces éléments demeurent insuffisants pour les établir avec certitude, ainsi que les conditions dans lesquelles elles ont été commises ainsi que l’identité précise de leurs auteurs. Elles précisent ne pas être encore en mesure d’établir le rôle exact joué par les personnes en question dans la préparation et la conclusion de l’avenant n° 5, ainsi que le but recherché par ces personnes, et en particulier si elles ont entendu volontairement contourner les règles de mises en concurrence. De même, elles exposent qu’il s’agit de mesures ayant pour effet de conserver les éléments de preuve, qui reposent essentiellement sur des échanges par courrier ou courriels, indispensables à la caractérisation de l’infraction en raison d’un risque élevé de dissimulation et de destruction compte tenu de faits susceptibles d’entrainer la mise en cause de la responsabilité pénale et ciivle des agents et dirigeants en cause.

Enfin, elle soulignent que l’article L 2141-7 du code de la commande publique n’est pas suceptible de caractériser l’absence de motif légitime des mesures sollicitées, dès lors que l’exclusion de la procédure de passation d’un marché des personnes qui ont été sanctionnées par une résiliation n’est qu’une possibilité, que cela ne dispensait pas le GPMM de respecter la procédure de mise en concurrence, qu’il est admis qu’il n’est pas possible de se fonder uniquement sur les seuls manquements allégués d’une enteprise dans l’exécution de précédents marchés pour exclure sa candidature sans rechercher si d’autres éléments du dossier de la société permettent à celle-ci de justifier de garanties permettant d’assurer la solidité de sa candidature et que l’éventuelle mesure d’exclusion des marchés publics n’aurait pu viser que la société SPIE Batignolles Génie civil.

En troisième lieu, sur les mesures sollicitées, elles indiquent tout d’abord que la copie des informations visées par l’ordonnance ne conduit à aucune saisie prohibée par la jurisprudence et l’article L 2311-1 du code général de la propriété des personnes publiques. Elles relèvent que la qualité de personne publique ne fait pas obstacle au prononcé d’une mesure d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, de même que le principe d’insaisissabilité des biens des personnes publiques, dès lors que les mesures ne conduisent qu’à obtenir la copie de documents, afin de conserver des preuves dans l’optique d’un procès futur, sans aucune saisie ou soustraction de biens du patrimoine public afin de les aliéner pour éteindre une créance ultérieure. Elles insistent sur le fait que les mesures sollicitées ne constituent aucune voie d’exécution forcée soumise au code des procédures civiles d’exécution mais une mesure d’instruction exécutée sous le seul contrôle du juge qui l’a ordonnée. Elles précisent que les mesures qui ont été exécutées ont consisté, d’une part, au rapatriement, sur un ordinateur du GPMM, du contenu des boîtes e-mails des agents visés par l’ordonnance, qui sont hébergées sur un serveur appartenant à la société Microsoft pour y être simplement scannées, à savoir copiées, à partir des mots clés de l’ordonnance et, d’autre part, au scan, donc à la copie, à partir des mêmes mots clés et sur un ordinnateur du GPMM, des données stockées sur ses serveurs internes, de sorte le GPMM n’est pas dessaisi des données copiées.

Ensuite, elles indiquent que l’ordonnance ne conduit à aucune mesure disproportionnée attentatoire à un secret protegé. Elles soutiennent que le secret des affaires ne constitue pas, par lui-même, un obstacle à l’application de l’article 145 du code de procédure civil, dès lors que la mesure sollicitée repose sur un motif légitime et qu’elle est nécessaire à la protection de leurs droits. De plus, elles soulignent qu’il appartiendra au juge saisi de la demande de levée de séquestre de se prononcer sur les documents saisis au regard du respect des secrets protégés allégués, et non au juge saisi de la demande de rétractation de son ordonnance de le faire. En tout état de cause, elles exposent qu’aucun secret protégé, de la défense nationale ou autre, n’est menacé par l’ordonnance du 21 avril 2022 ou les opérations ayant assuré son exécution, dès lors que l’ordonnance précise aux huissiers qu’ils doivent placer sous séquestre l’ensemble des éléments recueillis sans qu’ils puissent en donner connaissance aux requérantes, que les informations susceptibles d’être recueillies ne portent pas sur des données sensibles, militaires ou liées à la guerre en Ukraine, au regard des personnes concernées, des mots clés employés et de la période visée, et que les données en question sont stockées sur un serveur américain.

Enfin, elles exposent que la mesure sollicitée est régulière dès lors que les mots-clés permettant sa mise en oeuvre sont suffisamment circonscrits dans le temps et leur objet, et que l’atteinte portée au secret des affaires est limitée aux nécessités de la recherche de preuves en lien avec le litige et n’est pas disproportionné au regard du but poursuivi. Elles insistent sur le caractère précis et nécessaire des mots clés au regard de l’infraction potentiellement commise, lesquels portent sur l’objet de l’avenant n° 5, l’attributaire de cet avenant, les modalités de passation de cet avenant, les recours potentiellement évoqués par les agents publics dans leurs échanges et l’infraction pénale de favoritisme. Par ailleurs, elles soutiennent que les mesures ordonnées ne constituent en rien des mesures générales d’investigation en raison des mots clés utilisés, des périodes visées par l’ordonnance, à savoir du 1er juin 2018 au 28 février 2019 et du 20 avril au 25 octobre 2021 et que le volume des données qui seront copiées en application des mots-clés après leur rapatriement n’est pas encore certain. Enfin, elles indiquent qu’il appartiendra au juge du séquestre de déterminer les informations qui pourront leur être transmises compte tenu de la protection du secret industriel et commercial ou du secret des affaires.

En quatrième lieu, et enfin, elles considèrent que la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formulée à hauteur d’appel par l’appelante est irrecevable comme étant nouvelle au regard de l’article 564 du code de procédure civile et qu’elle est, en tout état de cause, mal fondée.

La clôture de l’instruction de l’affaire a été prononcée le 30 mai 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande de révocation de l’ordonnance de clôture

Aux termes de l’article 16 du code de procédure civile, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décison, le moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement.

Il résulte de l’article 802 du code de procédure civile, qu’après l’ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d’irrecevabilité prononcée d’office : sont cependant recevables les demandes en intervention volontaire, les conclusions relatives aux loyers, arrérages, intérêts et accessoires échus, aux débours faits jusqu’à l’ouverture des débats, si leur décompte ne peut faire l’objet d’aucune contestation sérieuse, ainsi que les demandes en révocation de l’ordonnance de clôture.

Doivent également être considérée comme comme tardives les conclusions déposées le jour de la clôture de la procédure dont la date a été communiquée à l’avance.

L’article 803 du code de procédure civile dispose que l’ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue. Elle peut être révoquée, d’office ou à la demande des parties, soit par ordonnance motivée du juge de la mise en état, soit, après l’ouverture des débats sur décision du tribunal.

En l’espèce, alors que les parties avaient échangé des écritures au cours de l’été 2022, le GPMM a transmis de nouvelles écritures, ainsi qu’une nouvelle pièce n° 15, le 27 mai 2023, soit le samedi du week-end de la Pentecôte, précédent l’ordonnance de clôture du mardi 30 mai 2023, ce qui a conduit les intimées à y répliquer le 9 juin 2023, soit postérieurement à la clôture avec demande de révocation.

Il reste qu’il y a lieu, de l’accord des parties recueilli à l’audience, de rabattre l’ordonnance de clôture et de dire que l’affaire est en état d’être jugée.

Sur la demande de rétractation de l’ordonnance sur requête du 21 avril 2022

Aux termes de l’article de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution du litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. La demande doit reposer sur des faits précis, objectifs et vérifiables qui permettent de projeter le litige futur, qui peut n’être qu’éventuel, comme plausible et crédible. Il appartient donc aux requérants de rapporter la preuve d’éléments suffisants à rendre crédibles leurs allégations et démontrer que le résultat de la mesure à ordonner présente un intérêt probatoire.

Aux termes de l’article 493 du code de procédure civile, l’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie. Les articles 494 et 495 du même code précisent qu’elle doit être motivée, qu’elle est exécutoire au vu de la minute et qu’une copie en est laissée, avec celle de la requête, à la personne à laquelle elle est opposée.

L’article 496 alinéa 2 du même code dispose que s’il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l’ordonnance. L’article 497 précise que ce dernier a la faculté de modifier ou rétracter son ordonnance, même si le juge du fond est saisi de l’affaire.

Sur le fondement des textes précités, le juge saisi d’une demande de rétractation d’une ordonnance sur requête ayant ordonné une mesure d’instruction doit s’assurer de l’existence d’un motif légitime au jour du dépôt de la requête initiale à ordonner la mesure probatoire ainsi que des circonstances justifiant de ne pas y procéder contradictoirement et de la nature légalement admissible de la mesure sollicitée. L’ordonnance sur requête, rendue non contradictoirement, doit être motivée de façon précise, le cas échéant par l’adoption des motifs de la requête, s’agissant des circonstances qui exigent que la mesure d’instruction ne soit pas prise contradictoirement. Il en va de la régularité de la saisine du juge, laquelle constitue une condition préalable à l’examen de la recevabilité et du bien fondé de la mesure probatoire sollicitée.

Enfin, si le juge de la rétractation doit apprécier l’existence du motif légitime de la mesure sollicitée au jour du dépôt de la requête initiale ainsi qu’à la lumière des éléments de preuve produits ultérieurement devant lui, il est néanmoins tenu, s’agissant de la nécessité de recourir à une procédure non contradictoire, d’apprécier les seuls éléments figurant dans la requête ou l’ordonnance, sans qu’il puisse en suppléer la carence en recherchant les circonstances justifiant qu’il soit dérogé au principe de la contradiction dans les pièces produites ou les déduire du contexte de l’affaire.

En l’espèce, et à titre liminaire, il convient de relever que les mesures sollicitées par les intimées et ordonnées par l’ordonnance sur requête en date du 21 avril 2022 portent sur des documents, données et informations, sur support papier ou informatique, se trouvant tant dans les bureaux et locaux du GPMM que dans ceux de la société CNM.

Bien qu’une seule ordonnance sur requête ait été rendue, il existe deux parties adverses distinctes.

Or, il apparaît que seul le GPMM a saisi le juge des référés d’une demande de rétractation de l’ordonnance susvisée.

L’instance en rétractation d’une ordonnance sur requête ayant ordonné une mesure d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, ayant pour seul objet de soumettre à l’examen d’un débat contradictoire les mesures initialement ordonnées à l’initiative d’une partie en l’absence de ses adversaires, la saisine du juge de la rétractation se trouve, non seulement limité à cet objet, mais également au seul adversaire ayant saisi le juge des référés d’une demande de rétractation.

Ainsi, dès lors que la cour n’est saisie que des prétentions et moyens du GPMM, à l’instar du juge des référés ayant rendu l’ordonnance entreprise, sa décision, qui ne peut concerner que les parties au litige, n’aura aucun effet sur les mesures qui ont été ordonnées à l’encontre de la société CNM.

Sur la nécessité de déroger au principe du contradictoire

Dans le cas présent, l’ordonnance vise la requête et les pièces qui y sont jointes, ce qui vaut adoption implicite des motifs figurant dans la requête.

Aux termes de leur requête, les intimées considèrent que l’avenant n° 5 à la convention d’occupation du domaine public maritime, signé le 15 février 2019 entre le GPMM et la société CNM, est intervenu en méconnaissance des règles applicables en matière de passation de marchés publics, et en particulier des règles de publicité et de mise en concurrrence.

Soupçonnant la commission d’un délit de favoritisme par les agents publics du GPMM et le GPMM lui-même, elles indiquent envisager d’exercer à leur encontre, en tant que concurrents évincés, des actions devant les juridictions judiciaires, et en l’occurrence des actions pénale et civile, en plus des actions d’ores et déjà exercées devant la juridiction administrative à l’encontre du GPMM.

Afin d’établir la réalité, par les agents publics du GPMM, de fautes personnelles détachables de leurs fonctions lors de la conclusion de l’avenant n° 5 susceptibles d’engager leur responsabilité pénale et civile, les intimées demandent à ce qu’un huissier de justice se rendent dans les locaux et bureaux du GPMM afin de prendre copie de documents et informations, sur tout support papier ou informatique, et en particulier des messages électroniques émanant ou reçus par les agents publics du GPMM occupant des postes d’encadrement, ayant entouré la conclusion de l’avenant n° 5.

C’est ainsi qu’ils exposent en pages 48 à 51 de leur requête les circonstances exigeant que cette mesure d’instruction ne soit pas prise contradictoirement.

La nature des informations recherchées et le fait qu’elles puissent se trouver sur des supports informatiques constituent effectivement des circonstances justifiant qu’il soit dérogé au principe du contradictoire par un effet de surprise en raison de la facilité et la rapidité avec laquelle peut être organisée la disparition des documents sollicités.

Ce risque de dissimulation est d’autant plus important que les intimées entendent rechercher la responsabilité pénale et civile de plusieurs agents publics du GPMM pour délit de favoritisme, et notamment de la directrice générale, de celle en charge des affaires juridiques, du directeur de l’aménagement, de celui de la maîtrise d’oeuvre interne et de celui des opérations en charge de l’interface avec la société CNM comme occupant de la Forme 10, soit de plusieurs personnes qui pourraient vouloir s’entendre pour faire disparaître les éléments sollicités, comme elles ont pu s’entendre pour commettre les éventuels faits délictueux dénoncés par les intimées en tant que canditats potentiellement évincés ayant des soupçons sur la régularité de la procédure qui a été suivie.

Enfin, les intimées insistent sur la résistance du GPMM à leur communiquer les documents attachés à l’avenant n° 5, ce que révèlent les procédures initiées à son encontre devant le tribunal administratif, et en particulier celle tendant à obtenir la communication de documents administratifs, faisant observer n’avoir eu communication dudit avenant que dans le cadre du référé contractuel initié devant la juridiction administrative de Marseille.

Dès lors que la requête et l’ordonnance rendue sur cette requête, qui en adopte expressément les motifs en indiquant vu la requête qui précède et les pièces versées à son appui, énoncent les circonstances justifiant que la mesure réclamée sur le fondement de l’article 145 ne soit pas prise contradictoirement, à savoir le risque de destruction d’éléments de preuve permettant d’établir la commission d’un délit de favoritisme par des agents du GPMM, il y a lieu de confirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle n’a pas rétracté l’ordonnance sur requête en date du 21 avril 2022 de ce chef.

Sur l’existence de procès en cours

Il est admis que, dès lors qu’un procès est déjà engagé, les mesures d’instruction légalement admissibles, destinées à conserver ou à établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, ne peuvent plus être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.

Au cas d’espèce, alors même que les intimées justifient la mesure d’instruction sollicitée à l’encontre du GPMM afin d’établir la preuve de faits dont pourraient dépendre les actions pénale et civile qu’ils envisagent d’exercer, en tant que concurrents évincés, à l’encontre d’agents publics du GPMM et du GPMM lui-même devant les juridictions judiciaires pour délit de favoritisme, le GPMM affirme que des procès portant sur le même litige ont déjà été engagés.

Il est acquis que plusieurs procédures opposant les parties ont été initiées devant les juridictions administratives.

D’une part, la société SPIE Batignolles TPCI, devenue la société SPIE Batignolles Génie Civil, a contesté, devant le tribunal administratif, la légalité de la décision prise par le GPMM de résilier pour faute le contrat de marché public attribué le 5 août 2013 portant sur la conception, la construction, l’installation, la mise en service et la qualification d’une bouchure mobile de type bateau-porte destinée à la forme 10 du GPMM.

Or, dès lors que ce litige porte sur la responsabilité contractuelle de l’une des trois sociétés initimées lors de l’exécution d’un contrat d’un marché public, distinct de celui dont se prévalent les trois intimées résultant de l’avenant n° 5 litigieux en tant que tiers à ce contrat, le GPMM ne peut valablement se prévaloir d’une identité de parties, d’objet et de cause, pour s’opposer à la mesure d’instruction sollicitée.

D’autre part, les intimées, à savoir les sociétés SPIE Batignolles Génie Civil, SPIE Batignolles Technologies et SPIE Batignolles Nord, en tant que concurrents évincés du marché public résultant de l’avenant n° 5 litigieux, ont exercé plusieurs voies de recours devant le juge administratif à l’encontre du GPMM. Il en est ainsi, d’une part, du recours de plein contentieux dit recours Tarn-et-Garonne exercé devant le tribunal administratif de Marseille, le 15 septembre 2021, par lequel elles sollicitent l’annulation de l’avenant n° 5 et, d’autre part, de la mise en oeuvre du référé contractuel en application de l’article L 551-13 du code de justice administrative assorti d’une demande de suspension immédiate de l’exécution du contrat, en date du 13 octobre 2021, avant de se désister de cette procédure, et ce, après avoir sollicité, du même juge, le 19 juillet 2021, la communication de documents administratifs attachés à l’avenant n° 5.

Il est acquis que seules les juridictions administratives peuvent annuler, dans le cadre d’une procédure initiée par les concurrents évincés à l’encontre de l’administration, un contrat conclu en méconnaissance de la procédure applicable en matière de passation de marchés publics et/ou condamner l’admnistration à les indemniser du préjudice découlant de l’éventuel atteinte à leurs droits lésés.

A l’inverse, le délit de favoritisme réprimé par l’article 432-14 du code pénal, qui suppose la présence d’un marché public ou d’un contrat de concession, ne peut être poursuivi à l’encontre de certaines personnes physiques, en particulier celles exerçant des fonctions de représentant ou d’agent d’établissements publics, et morales, en l’occurrence les établissements publics, de même que le complice ou receleur (qui correspond souvent à l’attributeur du marché) que devant les juridictions pénales de l’ordre judiciaire, tandis que l’action civile exercée devant le juge pénal ou civil est ouverte à différentes personnes, et notamment le concurrent injustement évincé.

Il en résulte que le recours de plein contentieux exercé par les intimées, en tant que concurrents potentiellement évincés, à l’encontre GPMM, établissement public, devant les juridictions administratives tendant à obtenir l’annulation de l’avenant n° 5 signé entre le GPMM et la société CNM, n’implique pas les mêmes parties que les actions pénale et civile envisagées devant les juridictions judiciaires, lesquelles, si elles peuvent être exercées à l’encontre du GPMM lui-même et de la société CNM, peuvent être également exercées à l’encontre des agents publics du GPMM et des représentants de la société CNM ayant participé à la conclusion du marché litigieux.

De plus, ces actions reposent sur des objets différents en ce que l’action exercée devant les juridictions administratives vise à l’annulation de l’avenant n° 5 conclu entre un établissement public et une société privée tandis que les actions pénale et civile envisagées par les intimées tendent à engager la responsabilité pénale du GPMM et de ses agents publics ainsi que leur responsabilité civile pour des fautes personnelles détachables commises dans l’exercice de leurs fonctions.

Dans ces conditions, les recours exercés par les intimées, en tant que concurrents potentiellement évincés, devant la juridiction administrative ne sont pas de nature à priver le juge des référés des pouvoirs que lui confère l’article 145 du code de procédure civile.

Il y a donc lieu de confirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle n’a pas rétracté l’ordonnance sur requête en date du 21 avril 2022 au motif de l’existence de procès en cours portant sur le même litige.

Sur le motif légitime

Le motif légitime étant constitué par l’existence d’un litige potentiel entre les parties, il appartient aux intimées de produire des éléments rendant crédible les actions qu’elles envisagent d’exercer et, le cas échéant, d’établir que la mesure d’instruction sollicitée est de nature à leur permettre de réunir les éléments de fait pouvant servir de base aux procès visés.

En premier lieu, il résulte de l’article 432-14 du code pénal qu’est puni de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 200 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction, le fait par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif public ou exerçant les fonctions de représentant, administrateur ou agent de l’État, des collectivités territoriales, des établissements publics, des sociétés d’économie mixte d’intérêt national chargées d’une mission de service public et des sociétés d’économie mixte locales ou par toute personne agissant pour le compte de l’une de celles susmentionnées de procurer ou de tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics et les contrats de concession.

Par ailleurs, la citation directe permet à la victime d’une infraction de convoquer directement l’auteur présumé des faits devant le tribunal correctionnel ou le tribunal de police lorsqu’il existe des preuves suffisantes et que le tribunal peut juger l’affaire sans délai. L’auteur des faits peut être condamné aux peines pénales susvisées et devoir indemniser la victime partie civile qui réclame des dommages et intérêts.

En outre, il résulte des articles 3 et 4 du code de procédure pénale que, si l’action civile peut être exercée en même temps que l’action publique devant la même juridiction pour tous les chefs de dommages, aussi bien matériels que corporels ou moraux, qui découleront des faits objets de la poursuite, elle peut également être exercée devant une juridiction civile, séparément d’une action publique, sachant que le juge civil ne pourra pas statuer sur l’action civile qui tend à la réparation du dommage causé par l’infraction tant que le juge pénal ne se sera pas prononcé sur l’action publique relative à cette infraction, à l’inverse des autres actions exercées à des fins civiles pour lesquelles l’existence d’une instance pénale n’oblige pas le juge à surseoir à statuer.

Enfin, l’article 1240 du code civil énonce que tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

En l’espèce, si l’avenant n° 5 dont se prévalent les intimées est qualifié par les parties signataires d’avenant à la convention d’occupation et d’exploitation de la Forme 10 conclue le 27 juin 2012 entre le GPMM et la société CNM, alors même que le délit de favoritisme suppose la passation d’un marché public ou d’un contrat de concession en méconnaissance des règles prévues en la matière, il n’appartient pas au juge des référés, saisi d’une demande de rétractation d’une ordonnance sur requête ayant ordonné la mesure d’instruction sollicitée par les intimées sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, de qualifier l’avenant n° 5 litigieux de marché public ou de concession, dès lors que cela suppose d’en examiner le contenu et la portée des droits et obligations des parties et, partant, d’interpréter les clauses contractuelles qui y sont insérées.

Il reste que le GPMM ne peut valablement soutenir que le fait même pour le contrat litigieux d’être un avenant à une convention d’occupation et d’exploitation qui ne remplit pas les trois critères requis en matière de marché public au regard des articles L 1111-1 et L 1111-2 du code de la commande publique exclut tout délit de favoritisme.

En effet, le simple fait pour le GPMM d’avoir, aux termes de l’avenant n° 5, décider de confier à la société CNM, titulaire de la convention d’occupation et d’exploitation de la Forme 10 conclue le 27 juin 2012, la construction du bateau-porte, alors même qu’elle avait initialement fait le choix d’y procéder elle-même en passant par les règles applicables en matière de marché public de travaux, dans un contexte où le bateau-porte que devait construire le titulaire du marché initial n’a jamais été livré, contrairement aux engagements pris par le GPMM à l’égard de la société CNM, interroge sur la nature de l’avenant n° 5, sachant que le juge n’est jamais lié par la qualification donnée par les parties à un contrat.

Dans ces conditions, les intimées versent aux débats des éléments rendant crédible la potentialité d’actions pénale et civile pour délit de favoritisme, et ce, sans qu’il appartienne au juge de la rétractation, saisi d’une demande de mesure d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, de répondre à l’ensemble des moyens des parties portant sur la qualification de l’avenant n° 5.

Considérant que l’avenant n° 5 n’a été conclu que pour attribuer la construction du bateau-porte préférentiellement à la société CNM en violation des règles gouvernant les marchés publics et en méconnaissance de la liberté d’accès à la commande publique, de l’égalité de traitement des candidats et de la transparence des procédures, les sociétés intimées entendent réunir des éléments afin d’établir, devant le juge répressif, la commission du délit de favoritisme tant par le GPMM lui-même en tant qu’établissement public que par tous ses agents publics ayant participé à l’élaboration et la conclusion de l’avenant n° 5.

Or, en raison du principe de la responsabilité pénale du fait personnel prohibant toute responsabilité collective, le délit de favoritisme suppose d’identifier les auteurs en cas de décision collective, et en particulier les initiateurs et porteurs de la décision d’attribuer un marché à un attributaire en violation des règles de l’égalité et de transparence, et, le cas échéant, de rechercher le rôle personnel de chacun dans le processus d’attribution du marché.

Dès lors que la mesure d’instruction sollicitée vise à déterminer les éventuels auteurs de l’infraction de délit de favoritisme ayant conduit à la conclusion del’avenant n° 5, lequel pourra être qualifié, par la juridiction représsive éventuellement saisie, de marché public ou de contrat de concession, les intimées justifient d’une motif légitime à réunir des éléments de preuve en vue du procès pénal non manifestement vouée à l’échec qu’elles entendent exercer par la voie de la citation directe.

En plus de l’action pénale qu’elles envisagent d’initier directement, elles se prévalent également de la possibilité pour elles d’intenter une action civile en réparation du préjudice subi devant le juge pénal ou civil.

Il est admis que les concurrents évincés ont le droit de solliciter la réparation du préjudice causé par les auteurs d’un favoritisme devant le juge pénal ou civil. Ainsi, si jamais l’avenant n° 5 était qualifié de marché public ou de contrat de concession, les intimées, qui auraient pu se porter candidates pour se le voir attribuer en raison de leur domaine d’activité, peuvent, à l’évidence, être considérées comme des concurrentes lésées par les manquements allégués aux obligations de publicité et de mise en concurrence.

L’action civile qu’entendent exercer les intimées, qui n’ont jamais pu se porter candidates pour se voir attribuer l’éventuel marché résultant de l’avenant n° 5, n’est donc manifestement pas vouée à l’échec en raison de leur qualité et intérêt à agir en demande.

De plus, si les tribunaux de l’ordre judiciaire sont incompétents pour statuer sur la responsabilité civile d’une administration en raison de faits commis par ses agents, il en va différemment en cas de fautes personnelles commises par ces derniers détachables de leurs fonctions.

Il en résulte que l’action civile qu’entendent exercer les intimées à l’encontre des agents du GPMM n’est pas manifestement vouée à l’échec en raison de la compétence exclusive des juridictions de l’ordre judiciaire pour se prononcer sur la responsabilité civile d’agents d’une administration ayant commis des fautes détachables de leurs fonctions.

Dès lors que la mesure d’instruction sollicitée par les intimées, lesquelles peuvent être potentiellement qualifiées de concurrentes évincées, vise à établir la commission par des agents publics du GPMM d’éventuelles fautes personnelles détachables de leurs fonctions lors de la conclusion de l’avenant n° 5, elles justifient d’un motif légitime à réunir des éléments de preuve en vue du procès civil non manifestement vouée à l’échec qu’elles envisagent d’exercer devant le juge pénal ou civil.

L’ordonnance entreprise sera donc confirmée en ce qu’elle a considéré que les intimées justifiaient d’un motif légitime à voir réunir des éléments de preuve en vue des procès pénal et civil non manifestement voués à l’échec qu’elles envisagent d’exercer.

Sur l’utilité des mesures sollicitées

Il est admis que l’existence d’un motif légitime de demandes des mesures prévues à l’article 145 du code de procédure civile n’oblige pas le juge à ordonner la mesure sollicitée s’il l’estime inutile.

Au cas présent, concernant le délit de favoritisme qu’entendent rechercher les intimées, ce dernier, pour être caractérisé, suppose d’établir un élément matériel complexe et un élément intentionnel.

S’agissant de l’élément matériel tenant aux auteurs de l’infraction, l’absence de responsabilité pénale collective suppose d’identifier les auteurs et le rôle personnel de chacun dans le processus d’attribution du marché, ce qui peut incontestablement résulter des échanges qui ont pu avoir lieu, par courriers et courriels, entre les agents publics du GPMM avant et au moment de la signature de l’avenant litigieux.

Ainsi, dès lors que les éléments de preuve que doivent réunir les intimées devant les juridictions administratives et judiciaires sont différents, le GPMM ne peut valablement soutenir que les mesures sollicitées par les intimées ne visent qu’à leur permettre d’obtenir des éléments qu’ils entendent soumettre à la juridiction administrative afin d’obtenir l’annulation de l’avenant n°5.

S’agissant de l’élément matériel tenant aux contrats concernés, le juge pénal a compétence pour qualifier le contrat de marché public ou de contrat de concession, sachant qu’il est admis que le juge répressif, qui doit s’attacher au contenu du contrat et non à son intitulé, n’est pas tenu par les qualifications contractuelles émanant des juridictions administratives.

En effet, dès lors que la compétence des juridictions administratives pour apprécier la validité d’un contrat administratif ne fait pas obstacle à ce que les tribunaux judiciaires chargés d’instruire ou de se prononcer sur les crimes et délits caractérisent les divers éléments constitutifs de l’infraction dont ils sont saisis, le juge pénal est compétent pour apprécier la régularité d’un contrat administratif afin de déterminer si le délit de favoritisme est constitué ou non.

Dans ces conditions, même à supposer que la juridiction administrative ne fasse pas droit à l’action en annulation de l’avenant n° 5 initiée par les intimées en considérant qu’il ne s’agit pas d’un maché public ou d’un contrat de concession, le juge répressif pourrait en décider autrement.

Il en est de même s’agissant de l’élément matériel tenant à la violation des règles de liberté d’accès et d’égalité entre les candidats.

En effet, s’il arrive que des illégalités constatées par le tribunal administratif servent de fondement au juge pénal pour caractériser la violation du code des marchés publics, cette violation ne suffit pas à caractériser un acte contraire aux dispositions législatives ou règlementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public.

Il s’ensuit qu’il n’est pas impossible que le juge pénal considère l’infraction constituée alors que le juge adminsitratif n’a pas annulé le contrat et, réciproquement, qu’un manquement relevé par le juge administratif soit insuffisant à caractériser un délit de favoritisme.

Enfin, l’élément matériel tenant à l’octroi d’un avantage injustifié apparaît constitué, selon les juridictions répressives, par la réunion des deux éléments susvisés, de même qu’il est admis que l’élément intentionnel du délit de favoritisme est caractérisé par l’accomplissement en connaissance de cause d’un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public.

Il s’induit de ces considérations, qu’indépendamment de la décision qui sera rendue par la juridiction administrative dans le cadre du recours Tarn-et-Garonne exercé par les intimées, la juridiction répressive, qui sera éventuellement saisie, pourra qualifier différemment l’avenant litigieux n°5 afin d’engager ou non la responsabilité pénale des personnes physiques et morales dont l’identité et le rôle pourront être déterminés par la mesure d’instruction sollicitée.

Concernant la responsabilité civile qu’entendent rechercher les intimées afin d’être indemniser du préjudice causé par les éventuels auteurs du favoritisme, la société GPMM se prévaut des dispositions de l’article L 2141-7 du code de la commande publique qui énoncent que l’acheteur peut exclure de la procédure de passation d’un marché des personnes qui, au cours des trois années précédentes, ont dû verser des dommages et intérêts, ont été sanctionnés par une résiliation ou ont fait l’objet d’une sanction comparable du fait d’un manquement grave ou persistant à leurs obligations contractuelles lors de l’exécution d’un contrat de la commande publique antérieur.

Si l’une des trois sociétés intimées, à savoir la société SPIE Batignolles Génie Civil, anciennement SPIE Batignolles TPCI, a été sanctionnée par la résiliation, à ses torts, du marché public en date du 5 août 2013 portant sur la construction du bateau-porte, objet de l’avenant n°5 litigieux, par jugement du tribunal administratif de Marseille le 28 juin 2022, il n’en demeure pas moins que l’action civile est ouverte à tout requérant qui aurait eu intérêt à conclure le contrat, alors même qu’il n’aurait pas présenté sa candidature, qu’il n’aurait pas été admis à présenter une offre ou qu’il aurait présenté une offre inappropriée, irrégulière ou inacceptable.

Dès lors, la possibilité pour le GPMM d’exclure la société SPIE Batignolles Génie Civil de la procédure de passation de l’éventuel nouveau marché portant sur la construction du bateau-porte réalisée par la société CNM, ne le dispensait pas de respecter la procédure applicable dans le cas où l’avenant n° 5 serait qualifié de marché public ou de contrat de concession, et ce, d’autant que l’exclusion prévue par le texte susvisé n’est qu’une possibilité, de sorte que les intimées, qui appartiennent au même groupe, n’étaient pas, à l’évidence, dépourvues de toute chance sérieuse d’obtenir le marché.

De plus, à la lecture des mémoires versés aux débats, il apparaît que les intimées ne sollicitent aucune indemnisation dans le cadre de leur recours Tarn-et-Garonne exercé devant le tribunal administratif.

Il s’ensuit que, là encore, indépendamment de la décision qui sera rendue par la juridiction administrative dans le cadre du recours Tarn-et-Garonne exercé par les intimées, la juridiction civile, qui sera éventuellement saisie, pourra considérer que les actes délictueux éventuellement commis par les agents du GPMM sont à l’origine d’un manque à gagner pour les intimées, en considérant qu’elles disposaient d’une chance sérieuse d’obtenir le marché, leur ouvrant droit à une indemnisation.

L’ordonnance entreprise sera donc confirmée en ce qu’elle a considéré que la mesure sollicitée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile en vue de l’exercice d’un procès pénal et civil n’était donc pas dépouvue de toute utilité.

Sur la proportionnalité des mesures d’instruction autorisées

Au sens de l’article 145, les mesures légalement admissibles sont celles prévues par les articles 232 à 284-1 du code de procédure civile et elles ne doivent pas porter une atteinte disproportionnée aux intérêts légitimes du défendeur. Il ne doit pas s’agir de mesures générales d’investigation.

Il est rappelé que les résultats des investigations des mesures ordonnées ne peuvent être pris en considération pour apprécier la régularité de leur autorisation, laquelle doit l’être au moment de son prononcé.

Le secret des affaires consacré par les dispositions de l’article L 151-1 et suivants du code de commerce ne constitue pas en lui-même un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile dès lors que les mesures ordonnées procèdent d’un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées.

Il convient néanmoins que l’atteinte portée à ce principe soit proportionnée au but poursuivi. Le juge doit donc rechercher si la mesure d’instruction demandée ne s’analyse pas comme une mesure générale d’investigation excédant les prévisions de l’article 145 susvisé et veiller à ce qu’elle soit circonscrite dans le temps et son objet. Elle doit également être strictement proportionnée à l’objectif poursuivi ainsi qu’aux intérêts antinomiques en présence.

Enfin, l’instance en rétractation ayant pour seul objet de soumettre à l’examen d’un débat contradictoire les mesures initialement ordonnées à l’initiative d’une partie en l’absence de son adversaire, la saisine du juge de la rétractation se trouve limitée à cet objet.

S’il ne peut ordonner ni une mesure nouvelle, de même nature, mais fondée sur une cause distincte, ni une mesure nouvelle de nature différente, il peut modifier la mission en la complétant ou l’amendant afin qu’elle soit limitée dans son étendue et dans le temps, conformément à l’article 149 du même code.

La recherche doit en effet être limitée aux fichiers, documents et correspondances en rapport avec les faits litigieux et comportant des mots-clés précisément énumérés en conséquence.

En outre, il peut également modifier les modalités de la mesure. Si l’article L 153-1 du code de commerce définit les mesures pouvant être prises par le juge pour protéger un secret des affaires à l’occasion de toute instance civile ou commerciale, en particulier pour limiter l’accès aux pièces ainsi que la publicité des débats et de la décision lorsque cela est nécessaire et proportionné et que l’article R 153-1 du même code énonce que le juge, saisi sur requête sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, peut ordonner d’office le placement sous séquestre provisoire des pièces demandées afin d’assurer la protection du secret des affaires, il ne s’agit que d’une simple faculté pour le juge des requêtes, celui des référés saisi en rétractation et la cour.

En l’espèce, aux termes de l’ordonnance sur requête, l’huissier de justice, assisté d’un expert en informatique, a été autorisé à se rendre dans les bureaux et locaux du GPMM, et en particulier dans les bureaux et archives physiques et informatiques correspondant aux périodes pendant lesquelles Mme [V] [P] était présidente du directoire du GPMM, Mme [H] [U] directrice de la stratégie, du pilotage et des affaires juridiques, M. [T] [G] directeur de l’aménagement, M. [Y] [D] responsable de la maîtrise d’oeuvre et M. [F] [A] en charge des opérations, afin de se faire remettre et/ou rechercher, et prendre copie, sur tout support papier ou informatique, en ce compris au sein des ordinateurs, et notamment les boîtes de messagerie électronique, utilisés par les personnes précitées, de tout document, donnée et informations produit ou reçu par lesdites personnes entre le 1er juin 2018 et le 28 février 2019 et le 20 avril et le 25 octobre 2021, et comportant, en majuscules et/ou en minuscules, avec ou sans accent, avec ou sans séparation entre les lettres, différents mots clés combinés entre eux.

La mesure d’instruction vise donc à récupérer, sur tout support ou informatique, la copie de courriers et courriels qui ont été adressés par cinq cadres du GPMM occupant des postes clés lors de deux périodes, l’une allant du 1er juin 2018 au 28 février 2019 correspondant à une période précédent la conclusion de l’avenant n° 5 et l’autre allant du 20 avril au 25 octobre 2021 correspondant à une période où le bateau-porte allait être construit, comportant une liste de mots clés combinés entre eux.

Tout d’abord, comme le soulignent à juste titre les intimées, la copie sollicitée de documents, données ou informations, sur support papier ou informatique, ne conduit à aucune saisie des biens du GPMM prohibée par l’article L 2311-1 du code général de la propriété des personnes publiques. En effet, il s’agit de la copie d’éléments de fait pouvant servir de base aux procès envisagés par les intimées.

Ensuite, dès lors qu’il résulte de ce qui précède que les intimées entendent exercer des actions pénale et civile à l’encontre de personnes physiques, soit des agents publics du GPMM pour des actes délictueux qui auraient été commis dans le cadre de leurs fonctions mais détachables de celles-ci, le fait pour elles de cantonner la mesure d’instruction à cinq cadres qui occupaient des postes clés au sein du GPMM est conforme et proportionné au but poursuivi.

En revanche, la mesure doit être limitée géographiquement aux locaux dans lesquels se trouvaient les bureaux des cinq personnes susvisées au cours de la période allant du 1er juin 2018 au 28 février 2019 pour les raisons qui seront expliquées ci-dessous et aux locaux dans lesquels se trouvent les archives physiques et informatiques correspondant à cette même période.

En outre, le GPMM ayant refusé, le 1er août 2018, la réception du bateau-porte construit par la société SPIE Batignolles TPCI, avant de procéder, le 4 octobre 2018, à la résiliation pour faute du marché public, et de conclure le 28 février 2019 l’avenant n° 5, la copie des documents, données et informations sollicités au cours de la période allant du 1er juin 2018 au 28 février 2019 est proportionnée au but poursuivi, à savoir rechercher si des agents publics du GPMM se sont entendus pour passer outre les règles de passation d’un marché public pour la construction du bateau-porte et, le cas échéant, déterminer l’identité et le rôle des agents publics concernés.

En revanche, les intimées n’expliquent pas en quoi les messages envoyés ou reçus par les agents du GPMM au cours de la période pendant laquelle la société CNM apparaît avoir recherché des sous-traitants pour construire le bateau-porte permettraient de révéler la commission d’un délit de favoritisme ayant conduit à la conclusion de l’avenant n°5 le 28 février 2019, soit plus de deux années avant. Il s’ensuit que cette période doit être exclue de la mesure ordonnée afin de la circonscrire dans le temps conformément au but poursuivi.

Enfin, il convient de circonscrire la mission de l’huissier aux faits de délit de favoritisme dénoncés par les intimées, ce qui suppose de limiter les recherches à des mots clés strictement liés aux procès envisagés devant les juridictions judiciaires sans les étendre aux procédures administratives actuellement en cours.

Ainsi, la remise et/ou les recherches porteront sur les mots clés de :

– ‘bateau-porte’ ou ‘bateau porte’ ou ‘BP’ combinés avec ‘forme 10 ‘, ‘Chantier naval de [Localité 4]’ ou ‘CNM’ ;

– ‘avenant’ ou ‘avenant 5’ ou ‘avenant n° 5’ ou ‘convention d’occupation du domaine’ ou ‘convention d’utilisation’ ou ‘CODP’ ou ‘commande publique’ ou ‘marché public’ ou ‘concession’ combinés avec ‘Chantier naval de [Localité 4]’ ou ‘CNM’ ou ‘occupant’ ou ‘exploitant.

En effet, la construction du bateau-porte résultant de l’avenant n° 5 n’ayant donné lieu à aucune mesure de publicité et de mise en concurrence préalables applicables aux marchés publics, les intimées pourront, pour justifier de leurs éventuelles actions pénale par une citation directe et civile, se prévaloir de leur qualité de concurrents évincés par le simple fait du non-respect des règles susvisées dans le cas où l’avenant n° 5 serait qualifié, par le juge répressif, de marché public ou de contrat de concession, étant rappelé que ce dernier n’est aucunement lié par la qualification qui peut être retenue par les juridictions administratives. Ces considérations conduisent à ne pas étendre la combinaison des mots clés aux noms des sociétés intimées, pas plus qu’aux noms des recours qu’elles ont exercés devant les juridictions administratives, ni aux noms des sociétés ayant été choisies pour construire le bateau-porte compte tenu de la seule période qui a été retenue allant du 1er juin 2018 au 28 février 2019.

De plus, les parties étant d’accord pour dire que l’élément intentionnel du délit de favoritisme découlant de l’accomplissement en connaissance de cause d’un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public, il n’ y a pas lieu d’étendre les recherches aux mots clés de ‘favoristisme’, ‘432-14 ‘, ‘avantage injustifié’ seuls ou combinés avec le mot clé de ‘risque’ et ‘pénal’.

En conséquence, avec les limitations ordonnées, la mission des huissiers commis apparaît proportionnée à l’objectif poursuivi dès lors qu’elle se trouve ainsi suffisamment circonscrite dans son objet, dans le temps et géographiquement.

Il reste qu’en l’état des limitations ordonnées, la cour considère que les éléments qui doivent être recueillis ne sont pas de nature à porter atteinte à un secret des affaires, de sorte que leur placement sous séquestre provisoire ne se justifie pas.

En effet, le séquestre, n’étant ni obligatoire, ni systématique, le fait de solliciter, aux termes de la requête, la mise sous séquestre provisoire, n’est qu’une possibilité pour le juge saisi de la requête, celui saisi de la rétractation et la cour, à qui il appartient de n’ordonner que des mesures justifiées et proportionnées, en considération des intérêts et droits contradictoires en présence.

En l’occurrence, en limitant strictement la recherche à la copie de courriels et courriers ayant précédé la conclusion de l’avenant litigieux émanant de cinq cadres nommément désignés et à des mots clés précisément énumérés et strictement liés aux procès envisagés devant les juridictions judiciaires portant sur la commission d’un éventuel délit de favoritisme, les éléments que devront remettre les huissiers de justice, après avoir procédé à un tri des éléments recueillis conformément à leur mission résultant du présent arrêt, n’apparaissent pas relever des secrets des affaires du GPMM.

De plus, le juge de la requête est allé au-delà des conditions prévues par les articles R 153-3 à R 153-10 du code de commerce afin de préserver le secret des affaires en ordonnant, non seulement aux huissiers commis de conserver l’ensemble des éléments recueillis sous séquestre, sans qu’ils puissent en donner connaissance aux requérantes, mais également en disant que les parties viendront devant le Président du Tribunal de céans, en référé, afin d’examen, en présence des huissiers, des éléments saisis et qu’il soit statué sur la communication des pièces sous séquestre. En effet, l’article R 153-4 du même code pévoit que le juge statue, sans audience, sur la communication de la pièce et ses modalités.

Dans ces conditions, c’est à tort que le juge des requêtes a assorti son ordonnance de modalités de protection des éventuels secrets des affaires du GPMM, et en particulier en ordonnant la mise sous séquestre provisoire des éléments recueillis. Il y a donc lieu d’ordonner la remise aux sociétés intimées des éléments qui devront être triés conformément à la mission donnée aux huissiers commis, telle qu’elle a été circonscrite par le présent arrêt.

L’ordonnance entreprise sera donc infirmée en ce qu’elle n’a pas rétracté partiellement l’ordonnance sur requête du 21 avril 2022.

Il y a lieu d’ordonner la rétractation partielle de cette ordonnance en ce qu’elle n’a pas limité dans son étendue, dans le temps et géographiquement la mesure d’instruction qui a été ordonnée et en ce qu’elle a ordonné la mise sous séquestre des éléments recueillis suivant les modalités fixées par le juge de la requête.

Sur la recevabilité de la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par le GPMM

L’article 564 du code de procédure civile énonce, qu’à peinte d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.

En l’espèce, alors même que le GPMM fonde sa demande de dommages et intérêts en raison d’un abus du droit d’agir en justice qu’auraient commis les intimées, en ce qu’elles ont sollicité une mesure d’instruction par voie de requête, il convient de relever que cette demande n’a jamais été formée devant le juge de la rétractation.

S’agissant d’une nouvelle prétention formée à hauteur d’appel, c’est à juste titre que les intimées demandent à ce qu’elle soit déclarée irrecevable.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Dès lors que la mesure d’instruction sollicitée a été strictement limitée à l’objectif poursuivi, de sorte que le recours en rétractation exercé par le GPMM était en partie fondé, il y a lieu d’infirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a mis les dépens à sa charge et l’a condamnée au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Il y a donc lieu de laisser à chaque partie la charge de ses dépens de première instance et d’appel et de dire n’y avoir lieu, de ce fait, à leur distraction au profit de Me Cherfils, membre de la SARL Laxavoué Aix-en-Provence, avocats associés aux offres de droit, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

Dans ces conditions, l’équité ne commande pas de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en faveur de l’une ou del’autre des parties, de sorte qu’elles seront déboutées de leur demande formée de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Révoque l’ordonnance de clôture prononcée le 30 mai 2023 et dit que l’affaire est en état d’être jugée ;

Déclare irrecevable la demande de dommages et intérêts formée à hauteur d’appel par le Grand Port Maritime de [Localité 4] pour procédure abusive ;

Infirme l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a condamné le Grand Port Maritime de [Localité 4] aux dépens et au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

L’infirme en ce qu’elle n’a pas rétracté partiellement l’ordonnance sur requête du 21 avril 2022 concernant, d’une part, la limitation de la mesure d’instruction qui a été ordonnée dans son étendue, dans le temps et géographiquement et, d’autre part, la mise sous séquestre des éléments recueillis suivant les modalités fixées par le juge de la requête ;

La confirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau et y ajoutant ;

Limite la mesure d’instruction ordonnée dans le temps à la période allant du 1er juin 2018 au 15 février 2019 ;

Limite géographiquement la mesure d’instruction aux locaux dans lesquels se trouvaient les bureaux des cinq personnes visées dans l’ordonnance sur requête au cours de la période allant du 1er juin 2018 au 28 février 2019 et aux locaux dans lesquels se trouvent les archives physiques et informatiques correspondant à cette même période ;

Limite la mesure d’instruction aux mots clés suivants :

– ‘bateau-porte’ ou ‘bateau porte’ ou ‘BP’ combinés avec ‘forme 10 ‘, ‘Chantier naval de [Localité 4]’ ou ‘CNM’ ;

– ‘avenant’ ou ‘avenant 5’ ou ‘avenant n° 5’ ou ‘convention d’occupation du domaine’ ou ‘convention d’utilisation’ ou ‘CODP’ ou ‘commande publique’ ou ‘marché public’ ou ‘concession’ combinés avec ‘Chantier naval de [Localité 4]’ ou ‘CNM’ ou ‘occupant’ ou ‘exploitant ;

Dit n’y avoir lieu d’ordonner aux huissiers de justice commis de conserver l’ensemble des éléments recueillis sous séquestre, sans qu’ils ne puissent en donner connaissance aux requérantes, et de dire que les parties viendront devant le Président du Tribunal de céans, en référé, afin d’examen, en présence des huissiers, des éléments saisis et qu’il soit statué sur la communication des pièces sous séquestre ;

Ordonne en conséquence la remise aux SA SPIE Batignolles Génie Civil, SASU SPIE Batignolles Technologies et la SAS SPIE Batignolles Nord des éléments qui devront être recueillis conformément à la mission donnée aux huissiers commis, telle qu’elle a été circonscrite dans le présent arrêt ;

Déboute le Grand Port Maritime de [Localité 4] de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en appel non compris dans les dépens ;

Déboute les SA SPIE Batignolles Génie Civil, SASU SPIE Batignolles Technologies et la SAS SPIE Batignolles Nord de leur demande formulée sur le même fondement ;

Laisse à chaque partie la charge de ses dépens de première instance et d’appel et dit n’y avoir lieu, de ce fait, à leur distraction au profit de Me Cherfils, membre de la SARL Laxavoué Aix-en-Provence, avocats associés aux offres de droit, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

La greffière Le président

 


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