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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 2
ARRÊT DU 13 JANVIER 2023
(n°9, 9 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : n° RG 22/05879 – n° Portalis 35L7-V-B7G-CFP7C
Jonction avec le dossier 22/06188
Décision déférée à la Cour : ordonnance de référé-rétractation du 08 février 2022 – Tribunal Judiciaire de PARIS – 3ème chambre 3ème section – RG n°21/08692
APPELANTE
S.A.S.U. HENKEL FRANCE, venant aux droits de la société SWANIA, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social situé [Adresse 1]
[Localité 3]
Immatriculée au rcs de Nanterre sous le numéro 552 117 590
Représentée par Me Jean-Claude CHEVILLER, avocat au barreau de PARIS, toque D 945
Assistée de Me Candice DUPIN plaidant pour la SCP AUGUST & DEBOUZY ET ASSOCIES, avocate au barreau de PARIS, toque P 438
INTIMEE
S.A.S.U. SALVECO, prise en la personne de sa présidente domiciliée en cette qualité au siège social situé
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Immatriculée au rcs d’Epinal sous le numéro 399 664 846
Représentée par Me Matthieu BOCCON-GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque C 2477
Assistée de Me Matthieu DHENNE, avocat au barreau de PARIS, toque C 1957
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 26 octobre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Véronique RENARD, Présidente, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport, en présence de Mme Agnès MARCADE, Conseillère
Mmes Véronique RENARD et Agnès MARCADE ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Véronique RENARD, Présidente
Mme Laurence LEHMANN, Conseillère
Mme Agnès MARCADE, Conseillère
Greffière lors des débats : Mme Carole TREJAUT
ARRET :
Contradictoire
Par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile
Signé par Mme Véronique RENARD, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
Vu l’ordonnance rendue le 8 février 2022 par le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris qui a :
– dit recevables les demandes de la société Swania,
– dit n’y avoir lieu à rétractation ni à modification des ordonnances des 2 juin 2021 et 4 juin 2021,
– ordonné la remise à la société Salveco des pièces relatives aux stocks et aux volumes des ventes (pièces Swania memo n°05 et 06),
– rejeté les demandes concernant les annexes 15 à 19 au procès-verbal de saisie-contrefaçon du 17 juin 2021,
– ordonné la remise par maître [W], huissier de justice, ainsi que par maître [O], huissier de justice, au conseil de la société Salveco, des pièces placées sous séquestre lors des opérations de saisie-contrefaçon réalisées, dans les locaux de la société Swania d’une part, et de l’ANSES d’autre part,
– dit toutefois que l’accès à ces pièces, sera limité :
– à l’avocat constitué de chaque partie (et ses collaborateurs ou salariés du cabinet
informés des obligations découlant des dispositions de l’article L153-2 du code de commerce),
– à un conseil en propriété industrielle (et ses collaborateurs ou salariés du cabinet informés des obligations découlant des dispositions de l’article L 153-2 du code de commerce) assistant chaque partie,
– à une personne physique représentant chaque partie, informée des obligations découlant des dispositions des articles L 153-2 du code de commerce et 226-13 du code pénal,
– dit que chaque personne ci-dessus devra, pour accéder aux pièces, signer un document écrit aux
termes duquel il s’engage à ne divulguer aucun des éléments issus des pièces placées sous séquestre et à n’en faire aucun usage autre que dans le cadre de la présente procédure,
– dit que les pièces seront accessibles aux personnes physiques représentant les parties uniquement par consultation au cabinet de leurs conseils et que toute copie ou reproduction des éléments issus d’un séquestre, sous quelque support que ce soit, est interdite,
– dit que conformément aux dispositions de l’article R 153-8 du code de commerce, les éléments actuellement tenus sous séquestre y seront maintenus jusqu’à l’expiration du délai d’appel ou jusqu’à l’arrêt de la cour d’appel à intervenir si un appel est interjeté,
– rappelé que l’obligation de confidentialité perdure à l’issue de la présente procédure,
– laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens,
– dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Vu les appels interjetés le 18 mars 2022 par la société Swania (RG 22/05879) et le 23 mars 2002 par la société Henkel (RG 22/06188) venant aux droits la société Swania, limités au rejet des demandes de la société Swania concernant les annexes 15 à 19 du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 17 juin 2021,
Vu l’ordonnance de jonction du 22 septembre 2022,
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 29 septembre 2022 par la société Henkel France (ci-après la société Henkel), appelante, qui demande à la cour de :
– infirmer l’ordonnance de référé rétractation du 8 février 2022 en ce qu’elle a rejeté les demandes concernant les annexes 15 à 19 au procès-verbal de saisie-contrefaçon du 17 juin 2021,
en statuant à nouveau et considérant que les annexes 16 à 19 du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 17 juin 2022 à l’ANSES relèvent du secret des affaires,
A titre principal,
– ordonner la remise des annexes 16 à 19 du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 17 juin 2022 à l’ANSES, la destruction de toute copie éventuelle détenue par la société Salveco et en dresser un procès-verbal, et ce sous astreinte de 20 000 euros par infraction constatée,
– interdire à la société Salveco d’utiliser les annexes 16 à 19 ou toute information qu’elles contiennent, dans toute procédure en France (y compris la procédure enrôlée sous le numéro RG 21/09076) comme à l’étranger, ainsi que tout document qui ferait état de ces éléments ou opérations, et sous astreinte de 20 000 euros par infraction constatée,
A titre subsidiaire, si la cour d’appel considérait que ces annexes sont nécessaires à la solution du litige,
– ordonner que les copies éventuelles des annexes 16 à 19 détenues par la société Salveco ou la société Henkel France soient détruites et en dresser procès-verbal de destruction afin que son plein effet puisse être donné aux mesures de protection prévues ci-après,
– ordonner un accès aux annexes16 à 19 saisies lors des opérations de saisie-contrefaçon réalisées à l’ANSES limité :
– à l’avocat constitué de chaque partie (et ses collaborateurs ou salariés du cabinet informés des obligations découlant des dispositions de l’article L. 153-2 du code de commerce),
– à un conseil en propriété industrielle (et ses collaborateurs ou salariés du cabinet informés des obligations découlant des dispositions de l’article L.153-2 du code de commerce) assistant chaque partie,
– à une personne physique représentant chaque partie, informée des obligations découlant des dispositions des articles L.153-2 du code de commerce et 226-13 du code pénal,
– ordonner que chaque personne mentionnée ci-dessus devra, pour accéder aux annexes 16 à 19, signer un document écrit aux tenues duquel il s’engage à ne divulguer aucun des éléments issus des annexes 16 à 19 et à n’en faire aucun usage autre que dans le cadre de la présente procédure,
– ordonner que les pièces soient rendues accessibles aux personnes physiques représentants les parties uniquement par consultation au cabinet de leurs conseils et que toute copie ou reproduction des annexes 16 à 19, sous quelque support que ce soit, soit interdite,
– rappeler que l’obligation de confidentialité perdure à l’issue de la présente procédure,
En tout état de cause,
– rendre un arrêt selon le même calendrier que celui qui sera fixé respectivement par la chambre 1 et la chambre 2 pour le délibéré des procédures parallèles enrôlées sous les numéros 22/05880 (Hydrachim) et 22/05991 (Hygiène & Nature),
– juger que la cour d’appel sera juge de l’exécution de la décision à intervenir, en application de l’article L 131-3 du code des procédures civiles d’exécution, pour ce qui concerne la liquidation éventuelle des astreintes,
– condamner la société Salveco SA à payer à la société Henkel France la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles pour l’appel, par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société Salveco S.A., aux entiers dépens de première instance, à parfaire, ainsi qu’aux entiers dépens d’appel, et autoriser maître Jean-Claude Cheviller à recouvrer les dépens dans les conditions prévues à l’article 699 du code de procédure civile,
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 12 octobre 2022 par la société Salveco, intimée, qui demande à la cour de :
– débouter la société Henkel France SAS de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
– confirmer le jugement (sic) entrepris en toutes ses dispositions,
– condamner la société Henkel France SAS à payer pour l’instance d’appel la somme de 30 000 euros à la société Salveco SASU au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société Henkel France SAS aux entiers dépens et autoriser maître Matthieu Boccon-Gibod à recouvrer les dépens dans les conditions prévues à l’article 699 du code de procédure civile,
Vu l’ordonnance de clôture rendue le 13 octobre 2022,
Vu les notes en délibéré adressées à la cour par la société Henkel le 11 janvier 2023 à 17h35 et par la société Salveco le 12 janvier 2023 à 15h38 ;
SUR CE,
Au préalable et en application des dispositions de l’article 445 du code de procédure civile, il y a lieu d’écarter des débats les notes en délibéré des parties parvenues à la cour après la clôture des débats dès lors qu’elles n’ont été ni sollicitées ni autorisées.
Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.
Il sera simplement rappelé que la société Salveco se présente comme une société industrielle spécialisée dans la chimie du végétal et en particulier dans la formulation, à base de ressources renouvelables, de produits d’hygiène et d’entretien.
Elle indique être à l’origine de la formule à base d’acide lactique EFFIBIOZ®, permettant d’obtenir des produits virucides et bactéricides 100% biodégradables, qui est protégée par deux brevets :
– un brevet français FR 2 971 913 (ci-après FR 913) déposé le 25 février 2011 et délivré le 26 juillet 2013 ayant pour titre ‘ Nouveaux Produits Biocides’,
– un brevet européen EP 2 677 867 (ci-après EP 867) intitulé ‘Produits Biocides’, déposé le 21 février 2012 sous priorité de la demande française et délivré le 30 novembre 2016.
La société Swania est un distributeur français de produits d’entretien, qui commercialise notamment les produits connus du public sous les intitulés Maison Verte et You.
La société Hydrachim est présentée comme étant spécialisée dans la formulation et la fabrication de produits d’hygiène et de traitement de l’eau. Elle conçoit et fabrique les produits distribués sous les marques Maison Verte et You.
La société Hygiène et Nature est quant à elle un fabricant français de produits d’hygiène et d’entretien formulés dans une démarche présentée comme éco-responsable et commercialisés sous les marques Assainol, la Droguerie d’Amélie et O2 Essentiel.
L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) est un établissement public à caractère administratif, créé le 1er juillet 2010 et placé sous la tutelle des ministères chargés de la santé, de l’agriculture, de l’environnement, du travail et de la consommation. L’ANSES assure notamment l’évaluation de l’efficacité et des risques des biocides, afin de délivrer les autorisations de mise sur le marché et réalise l’évaluation des produits chimiques dans le cadre de la réglementation REACh.
La société Salveco indique encore qu’elle a conçu et fabriqué, pour le compte de la société Swania, les produits de sa gamme You, cette production étant désormais confiée à la société Hydrachim, de même que la gamme Maison Verte de la société Swania.
Faisant valoir que différents produits présents sur le marché reproduisent les revendications de ses brevets FR 913 et EP 867, la société Salveco a sollicité et obtenu, par quatre ordonnances du délégataire du président du tribunal judiciaire de Paris en dates des 2 et 3 juin 2021, l’autorisation de faire pratiquer des opérations de saisie-contrefaçon aux sièges, et dans certains de leurs établissements, des sociétés Swania, Hydrachim et Hygiène et Nature.
La société Salveco a également été autorisée par une autre ordonnance du 4 juin 2021 à faire pratiquer une saisie-contrefaçon au siège de l’ANSES.
Les opérations ont été réalisées le 8 juin 2021 s’agissant des sociétés Swania, Hydrachim et Hygiène et Nature, et le 17 juin 2021 s’agissant de l’ANSES.
Par acte d’huissier de justice du 29 juin 2021, la société Swania a fait assigner la société Salveco devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris afin d’obtenir la rétractation de l’ordonnance du 2 juin 2021 et devant le juge des référés a également sollicité la rétractation de l’ordonnance rendue le 4 juin 2021.
Le 23 juillet 2021, le groupe Henkel a racheté la société Swania, les deux sociétés ont fusionné et la société Swania a été dissoute pour devenir Henkel France.
C’est dans ces circonstances qu’a été rendue l’ordonnance dont appel en date du 8 février 2022.
Le juge des référés a dit n’y avoir lieu à rétractation ni modification des ordonnances des 2 et 4 juin 2021 mais un club de confidentialité incluant les seules pièces placées sous séquestre provisoire par l’huissier a été instauré, la qualification de secret des affaires et les mesures afférentes ayant été rejetées pour les annexes 15 à 19 au motif qu’il s’agissait de résumés des caractéristiques de produits.
La société Henkel demande à la cour d’infirmer l’ordonnance sur ce point sauf à abandonner toute contestation relative à l’annexe 15, dès lors que, selon elle, les annexes 16 à 19 ne sont pas toutes des résumés des caractéristiques des produits et que lesdits résumés (annexes 18 et 19) contiennent bien des données confidentielles tout comme les autres types de documents (annexes 16 et 17). A titre principal, elle demande à la cour d’ordonner sous astreinte la remise des pièces à l’ANSES ainsi que la destruction de toute copie et l’interdiction de les utiliser dans toute procédure en France comme à l’étranger, ainsi que tout document qui ferait état de ces éléments ou opérations, et à titre subsidiaire de faire application des dispositions de l’article R 153-6 alinéa 2 du code de commerce d’étendre le club de confidentialité instauré par l’ordonnance du 8 février 2022 aux annexes 16 à 19 du procès-verbal de saisie-contrefaçon.
Elle explique que ces annexes 16 à 19 au procès-verbal du 17 juin 2021 auraient dues, d’une part être placées sous séquestre provisoire puisqu’elles contiennent des formulations et non seulement des résumés de caractéristiques des produits en cause, et d’autre part, si elles s’avèrent nécessaires à la solution du litige, bénéficier des mesures de protection au titre du secret des affaires, ajoutant que quand bien même il s’agirait de résumés, ceux-ci contiennent des informations particulièrement sensibles et confidentielles, ce d’autant que les annexes 18 et 19 sont des projets qui ne sont donc pas destinés à être rendus publiques.
Elle indique plus précisément que :
– l’annexe 16 combinée avec l’annexe 17 divulgue des formules exactes des produits ainsi que des informations telles que le nom du fabricant ou des remarques qui n’ont pas vocation à être connues de tous,
– l’annexe 17 comprend une annexe de 50 pages qui est confidentielle comme indiqué en en-tête du document et contient des informations relatives aux formulations de produits, à la nature, la quantité et la teneur des tensioactifs étant divulguées,
– les annexes 18 et 19, qui sont au stade de ‘brouillon’ et n’ont donc pas été publiées, sont des résumés des caractéristiques du produit et présentent notamment une description précise du produit, ses composants d’intérêt, sa classification et les mentions de dangers et conseils de prudence associés ainsi que l’ensemble des usages autorisés, des conditions d’emplois associées à ces usages, des instructions d’utilisation et mesures de gestion des risques et les préconisations particulières faites au demandeur, incluant les données complémentaires requises après autorisation.
Elle ajoute que le contenu des annexes 16 à 19 revêt inévitablement une valeur commerciale et que la divulgation des informations qu’elles contiennent lui causerait un tort irréparable compte tenu des montants engagés dans la recherche et le développement et que du fait des enjeux liés aux autorisations de mise sur le marché et des obligations qui pèsent tant sur les fournisseurs de verser leur formule que sur l’ANSES qui doit en assurer la confidentialité, les documents saisis relèvent du secret des affaires et auraient donc dû être placés sous séquestre provisoire.
La société Salveco réplique en substance que les annexes litigieuses ne contiennent pas d’informations qualifiables de secret des affaires et que même à considérer qu’elles incluent de telles informations, celles-ci doivent être divulguées parce qu’elles sont nécessaires à la solution du litige ; elle conclut en conséquence à la confirmation de l’ordonnance en toutes ses dispositions.
Ceci étant exposé, il convient de rappeler en premier lieu que l’appréciation des modalités d’exécution de la saisie et notamment l’absence de mise sous séquestre des annexes 15 à 19 relève du juge du fond et non pas du juge du référé rétractation et partant de la cour d’appel saisie de la présente procédure.
Selon l’article L 151-1 du code de commerce, ‘Est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants :
1° Elle n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ;
2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ;
3° Elle fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret’.
Aux termes de l’article R 153-5 du code de commerce, ‘Le juge refuse la communication ou la production de la pièce lorsque celle-ci n’est pas nécessaire à la solution du litige’, et selon l’article R 153-6 al. 1er du même code, ‘Le juge ordonne la communication ou la production de la pièce dans sa version intégrale lorsque celle-ci est nécessaire à la solution du litige, alors même qu’elle est susceptible de porter atteinte à un secret des affaires’.
L’article 66.2 du règlement UE n°528/2012 du 22 mai 2012 concernant la mise à disposition sur le marché et l’utilisation des produits biocides énonce quant à lui que : ‘L’Agence et les autorités compétentes refusent l’accès aux informations lorsque la divulgation porterait atteinte à la protection des intérêts commerciaux, de la vie privée ou de la sécurité des personnes concernées.
La divulgation des informations suivantes est, en principe, considérée comme portant atteinte à la protection des intérêts commerciaux, de la vie privée ou de la sécurité des personnes concernées :
a) les données concernant la composition intégrale d’un produit biocide ;
b) la quantité exacte de substance active ou de produit biocide fabriquée ou mise à disposition sur le marché ;
c) les liens entre le fabricant d’une substance active et la personne responsable de la mise sur le marché d’un produit biocide, ou entre la personne responsable de la mise sur le marché d’un produit biocide et les distributeurs de ce produit.’
Enfin selon l’article L 521-7-I du code de l’environnement dispose que ‘La personne ayant transmis à l’autorité administrative des informations pour lesquelles elle revendique le secret des affaires peut indiquer celles de ces informations qu’elle considère comme commercialement sensibles, dont la diffusion pourrait lui porter préjudice, et pour lesquelles elle demande le secret vis-à-vis de toute personne autre que l’autorité administrative.(…)’
Les annexes en cause dans le cadre de la présente procédure portant les numéros 16, 17,18 et 19, sont respectivement :
– une liste des produits Hydrachim contenu dans un fichier Excel dans laquelle la société Swania est mentionnée à sept reprises comme étant ‘fabricant ‘avec la société Hydrachim, des produits You et Maison Verte (annexe 16),
– le rapport d’évaluation d’un produit biocide pour les demandes d’autorisation nationale concernant la famille de produits biocides Lactique TP2-4 – Hydrachim (annexe17),
– un résumé des caractéristiques du produit pour une famille de produits biocides concernant la famille de produits biocides Lactique TP2-4 – Hydrachim (annexe18),
– un résumé des caractéristiques du produit pour une famille de produits biocides concernant la famille de produits biocides Lactique TP2-4 – Hygiène et Nature (annexe19).
Ces documents et les informations qu’ils contiennent concernent les produits objets de l’action en contrefaçon et sont donc nécessaires tant à la preuve qu’à l’étendue des actes de contrefaçon allégués, notamment contre la société Swania aux droits de laquelle vient la société Henkel, et ce même si la société Salveco aura accès aux fiches formules et aux factures d’achat remises lors des opérations de saisies effectuées au siège de la société Swania dans le cadre du cercle de confidentialité mis en place par le juge des référés dans son ordonnance du 8 février 2022.
L’annexe 16 est une liste de produits Hydrachim contenue dans un fichier Excel. Si cette liste mentionne la société Swania à sept reprises comme étant ‘fabricant’ des produits You et Maison Verte avec la société Hydrachim , pour autant la société Swania ne fabriquait pas ces produits. La société Henkel qui indique dans ses écritures que ‘on ne connaît rien de l’origine de ce tableau Excel n’étant ni un extrait d’un logiciel officiel ni un document relatif à une demande d’autorisation de mise sur le marché’ ne peut donc déduire des simples mentions qu’il contient le caractère confidentiel du document.
L’annexe 17, qui comprend 163 pages, contient des informations administratives, des consignes d’utilisation, des mesures de gestion des risques, le type de packaging et des résumés des caractéristiques des produits dit Meta-RCP ou, en anglais Meta-SPC (Summary of Product Characteristics), qui correspondent à une formulation générale pour une famille de produits et se présentent sous la forme d’un tableau avec les informations suivantes ‘Common name’ (liste de formulations cadres), ‘Function’ (liste des fonctions des ingrédients), ‘CAS number’ (liste les numéros de CAS des ingrédients et leurs immatriculations), ‘Content’ (liste des fourchettes minimales et maximales des ingrédients, ‘perfume’ (liste de parfums).
Il s’agit donc bien de résumés des caractéristiques des produits qui constituent des formulations générales avec des intitulés généraux, tel le Meta-SPC 7 que la société Henkel cite en exemple, et qui concernent des listes de composés possibles avec des teneurs variables (parfois 0 %) et non pas des formulations précises.
Malgré la mention ‘Confidential annex’ portée sur la page 113 du document, force est de constater que la société Hydrachim n’a pas entendu se prévaloir des dispositions de l’article L. 521-7-1 du code de l’environnement susvisé. En conséquence la seule mention de confidentialité apposée sur une page de l’annexe 17 ne constitue pas une mesure de protection raisonnable au sens de l’article L 151-1 du code de commerce.
Cette annexe est donc constituée de formulations cadres qui ne correspondent pas à ‘la composition intégrale d’un produit biocide’ laquelle relève seule du secret des affaires au sens de l’article 66 (2) a du Règlement européen n° 528/2012 du 22 mai 2012 concernant la mise à disposition sur le marché et l’utilisation des produits biocides, la référence à l’ECHA (European Chemicals Agency) étant ici inopérante dès lors que la saisie-contrefaçon a été réalisée à l’ANSES et qu’en tout état de cause la publication ou non d’informations sur la plate-forme de cette agence ne constitue pas un critère de confidentialité.
Enfin les annexes 18 (322 pages) et 19 ( 329 pages) sont des résumés des caractéristiques des produits incomplets ou ‘des brouillons’, qui ne comportent pas plus de formulations générales des produits ; les informations révélées quant aux fournisseurs dont se prévaut la société Henkel sont quant à elles des informations déjà contenues dans les factures transmises à l’huissier de justice instrumentaire lors des opérations de saisie-contrefaçon et qui n’ont pas fait l’objet d’une demande de mise sous séquestre en raison du secret des affaires.
Ainsi la société Henkel ne démontre ni que les informations contenues dans les annexes litigieuses au procès-verbal de saisie-contrefaçon du 17 juin 2021 ne sont pas généralement connues ou aisément accessibles pour les personnes familières à ce secteur d’activité, ni qu’elles ont fait l’objet de sa part ou de l’ANSES de mesures de protection raisonnables pour en conserver le caractère secret dès lors que l’ANSES les a communiquées à l’huissier de justice instrumentaire sans en demander la mise sous séquestre et qu’elle ne se prévaut que d’accès sécurisés à son réseau interne et de clauses de confidentialité contenues dans les contrats de travail des salariés de la société Swania qui ne sont pas spécifiques aux données litigieuses.
En définitive, il y a lieu de considérer que les annexes 16 à 19, prises isolément ou en combinaison, ne contiennent aucune information confidentielle qualifiable de secret des affaires, ce qui explique d’ailleurs que l’ANSES n’a pas demandé leur mise sous séquestre.
En conséquence, les demandes tant principales, de remise de ces annexes à l’ANSES, de destruction et d’interdiction, sous astreinte, que subsidiaires tendant à voir détruire les copies et ordonner un accès limité aux annexes 16 à 19 saisies lors des opérations de saisie-contrefaçon réalisées le 17 juin 2021 à l’ANSES seront rejetées et l’ordonnance dont appel confirmée de ce chef.
Elle sera également confirmée s’agissant de ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
La société Henkel qui succombe sera condamnée aux dépens d’appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Enfin la société Salveco a dû engager des frais non compris dans les dépens qu’il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge. Il y a lieu en conséquence de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif du présent arrêt.
PAR CES MOTIFS
Statuant dans les limites de l’appel,
Ecarte des débats les notes en délibéré adressées à la cour par les parties après la clôture des débats.
Confirme l’ordonnance rendue le 8 février 2022 par le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris.
Y ajoutant,
Condamne la société Henkel France SASU à payer à la société Salveco SASU la somme de 7 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Condamne la société Henkel France SASU aux dépens d’appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
La Greffière La Présidente