Séquestre provisoire : 11 mai 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/17876

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Séquestre provisoire : 11 mai 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/17876
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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 2

ARRÊT DU 11 MAI 2023

(n° , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/17876 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGSFZ

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 13 Octobre 2022 -Tribunal de Commerce de PARIS – RG n° 2022018027

APPELANTE

S.A.S. PRIMALIANCE, RCS de PARIS sous le n°851 500 579, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Sandra OHANA de l’AARPI OHANA ZERHAT CABINET D’AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050

Assistée à l’audience par Maîtres François de CAMBIAIRE et Baptiste BURESI, avocats au barreau de PARIS, toque : P0206

INTIMEE

S.A.S. LOUVE GROUP, RCS de Pontoise sous le n°890 741 549, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Audrey SCHWAB de la SELARL SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056

Assistée à l’audience par Maîtres Jean RONDOT et Célestine RENAULT, avocats au barreau de PARIS, toque : D0019

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 804, 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 23 Mars 2023, en audience publique, les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Michèle CHOPIN, Conseillère.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre

Thomas RONDEAU, Conseiller,

Michèle CHOPIN, Conseillère,

Qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

****

EXPOSE DU LITIGE

La société Primaliance est un acteur historique du marché de la distribution des parts sociales de sociétés civiles de placement immobilier (SCPI), tandis que la société Louve Group exerce une activité de conseil en investissements financiers (CIF) via sa filiale, la société Optima Capital, enregistrée à l’Orias, et a commencé la commercialisation de SCPI au cours de l’année 2021.

Par requête du 21 février 2022, la société Louve Group a sollicité du tribunal de commerce de Paris une mesure d’instruction in futurum au visa de l’article 145 du code de procédure civile à l’encontre de la société Primaliance.

Par ordonnance en date du 25 février 2022, il a été fait droit à la demande et la société Stéphane Van Kemmel, huissiers de justice- audienciers de ce tribunal, a été nommée pour exécuter la mesure.

La société Stéphane Van Kemmel, ès-qualités, a effectué sa mission le 8 mars 2022 et en a dressé constat.

Par exploit du 7 avril 2022, délivré selon les modalités prescrites par l’article 659 du code de procédure civile, la société Primaliance a saisi le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins de voir :

A titre liminaire,

– prononcer la caducité de l’ordonnance rendue par le juge des requêtes du tribunal de commerce de Paris le 25 février 2022 sur requête de la société Louve Group, faute pour la société Louve Group de justifier du paiement de la provision à l’huissier commis dans le délai imparti ;

A titre principal,

– rétracter l’ordonnance rendue par le juge des requêtes du tribunal de commerce de Paris le 25 février 2022 sur requête de la société Louve Group ;

En conséquence,

– annuler tous les actes, procès-verbaux, et plus généralement toutes constatations réalisées par l’huissier commis, en exécution de l’ordonnance du 25 février 2022 ;

– ordonner la restitution et la destruction de l’intégralité des éléments saisis par l’huissier au cours de la mesure d’instruction diligentée le 25 février 2022 ;

– interdire à l’huissier commis de faire référence, de quelque manière que ce soit, aux éléments constatés ou saisis dans le cadre de l’exécution de l’ordonnance du 25 février 2022 ;

A titre très subsidiaire,

– modifier l’ordonnance du 25 février 2022 en retranchant les mots-clés suivants : « Rétrocession », « Rétros », « Rétro » et « Cashback » et en restreignant les documents aux seuls mails professionnels de M. [C] [M] ;

– écarter les pièces couvertes par le secret des affaires et ordonner la destruction de toutes leurs copies ;

En conséquence,

– ordonner la destruction des éléments saisis hors-périmètre de l’ordonnance du 25 février 2022 ainsi modifiée ;

– fixer le délai dans lequel la société Primaliance devra s’acquitter de la charge procédurale lui incombant en application de l’article R. 153-3 du code de commerce ;

En tout état de cause,

– condamner la société Louve Group à payer à la société Primaliance la somme de 10.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société Louve Group aux entiers dépens ;

– ordonner l’exécution provisoire de droit de l’ordonnance à intervenir.

Par ordonnance contradictoire du 13 octobre 2022, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a :

– dit recevable la demande de rétractation de la société Primaliance ;

– débouté la société Louve Group de sa demande de levée du séquestre provisoire ;

– débouté la société Primaliance de sa demande de rétractation de l’ordonnance ;

– débouté la société Primaliance de sa demande de modification de l’ordonnance ;

– dit que l’opération de levée de séquestre doit être engagée selon la procédure ci-après même s’il est fait appel de cette décision tout en préservant les intérêts du requis jusqu’à la décision d’appel ;

– dit que la levée de séquestre des pièces obtenues lors des opérations de constat par le commissaire de justice instrumentaire doit se faire conformément aux articles R. 153-3 à R. 153-8 du code de commerce ;

– dit que la procédure de levée de séquestre sera la suivante ;

– demandé à la société Primaliance de faire un tri sur les fichiers des pièces séquestrées en trois catégories :

‘ Catégorie « A » les pièces qui pourront être communiquées sans examen,

‘ Catégorie « B » les pièces qui sont concernées par le secret des affaires et que les défenderesses refusent de communiquer,

‘ Catégorie « C » les pièces que les défenderesses refusent de communiquer mais qui ne sont pas concernées par le secret des affaires,

– dit que ce tri où chaque pièce sera identifiée par numérotation distincte, sera communiqué à la société Stéphane Van Kemmel en sa qualité de séquestre, pour un contrôle de cohérence avec le fichier initial séquestré et élimination des doublons ;

– dit que pour les pièces concernées par le secret des affaires, les Requis conformément aux articles R. 153-3 à R. 153-8 du code de commerce communiqueront au président « un mémoire précisant, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d’un secret des affaires » ;

– fixé le calendrier suivant :

‘ communication à la société Stéphane Van Kemmel, en la personne de l’un de ses associés, et au président, des tris des fichiers demandés avant le 15 novembre 2022,

– renvoyé l’affaire, après contrôle de cohérence par l’huissier et élimination des doublons, à l’audience du 29 novembre 2022 à 14h30 pour la réalisation de la levée de séquestre ;

– dit que la société Stéphane Van Kemmel, ès qualités de séquestre, ne pourra procéder à la libération des éléments sus visés entre les mains de la société Louve Group et/ou la destruction des pièces communicables, qu’après que tous les délais d’appel seront expirés ou décision d’appel éventuellle, que dans cette attente la société Stéphane Van Kemmel, ès-qualités, conservera sous séquestre l’ensemble des pièces ;

– condamné la société Primaliance à payer à la société Louve Group la somme de 5.000 euros, au titre de l’article 700 du code de procédure civile, débouté pour le surplus ;

– rejeté toutes demandes plus amples ou contraires des parties ;

– condamné en outre la société Primaliance aux dépens de l’instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 58,92 euros TTC dont 9,61 euros de TVA ;

– rappelé que la présente décision est de plein droit exécutoire par provision en application de l’article 514 du code de procédure civile.

Par déclaration du 18 octobre 2022, la société Primaliance a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 10 février 2023, la société Primaliance demande à la cour de :

– la déclarer recevable et bien fondée en ses conclusions d’appelante ;

Y faisant droit,

A titre liminaire,

– confirmer l’ordonnance en ce qu’elle a dit recevable la demande de rétractation de la société Primaliance ;

– confirmer l’ordonnance en ce qu’elle a débouté la société Louve Group de sa demande de levée du séquestre provisoire ;

A titre principal,

– infirmer l’ordonnance en ce qu’elle l’a déboutée de sa demande de rétractation ;

Et, statuant à nouveau,

– rétracter l’ordonnance rendue par le juge des requêtes du tribunal de commerce de Paris le 25 février 2022 sur requête de la société Louve Group ;

– annuler tous les actes, procès-verbaux, et plus généralement toutes constatations réalisées par l’huissier commis, en exécution de l’ordonnance du 25 février 2022 ;

– ordonner la restitution et la destruction de l’intégralité des éléments saisis par l’huissier au cours de la mesure d’instruction diligentée le 8 mars 2022 ;

– interdire à l’huissier commis de faire référence, de quelque manière que ce soit, aux éléments constatés ou saisis dans le cadre de l’exécution de l’ordonnance du 25 février 2022 ;

A titre subsidiaire,

– infirmer l’ordonnance en ce qu’elle l’a déboutée de sa demande de modification de l’ordonnance ;

Et, statuant à nouveau,

– modifier l’ordonnance le 25 février 2022 en retranchant les mots-clés suivants : « Rétrocession », « Rétros », « Rétro » et « Cashback » et en restreignant les documents aux seuls mails professionnels de M. [M] ;

– écarter les pièces couvertes par le secret des affaires et ordonner la destruction de toutes leurs copies ;

– ordonner la destruction des éléments saisis hors-périmètre de l’ordonnance du 25 février 2022 ainsi modifiée ;

A titre infiniment subsidiaire, si la cour confirmait l’ordonnance,

– ordonner la remise des pièces saisies à la société Louve Group dans les conditions qui auront été posées par M. le président du tribunal de commerce de Paris dans son ordonnance du 3 mars 2023, sous réserve d’un appel de ladite ordonnance ;

En tout état de cause,

– débouter la société Louve Group de toutes ses demandes, fins et prétentions ;

– condamner la société Louve Group à lui payer la somme de 35.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

La société Primaliance soutient en substance que :

– s’agissant de la recevabilité de sa demande de rétractation, la société Louve Group ne peut pas se prévaloir des dispositions de l’article R 153-1 du code de commerce, alors que le référé rétractation n’est enfermé dans aucun délai de prescription ni de forclusion,

– le délai de rétractation est interrompu par la signification de l’assignation en référé- rétractation,

– la demande de la société Louve Group tendant à voir ordonner la levée du séquestre provisoire est caduque et irrecevable, le tri des pièces ayant été réalisé,

– la dérogation au principe du contradictoire n’est pas caractérisée, dans la mesure où elle a été obtenue au moyen d’une présentation fausse et déloyale des faits par la société Louve Groupe, alors qu’elle-même n’a jamais tenté de supprimer des éléments de preuve, que la société Louve Groupe n’a pas la qualité de CGP-CIF sur le marché de la distribution de parts de SCPI, entretenant une confusion volontaire avec la société Optima Capital, et qu’elle s’est présentée faussement comme victime d’une campagne de dénigrement et de pratiques du boycott,

– il n’existe aucune volonté de dissimulation de la part de la société Primaliance,

– les conditions exigées par l’article 145 du code civil ne sont pas réunies, aucun motif légitime n’étant caractérisé, alors que la société Louve Groupe dispose déjà de tous les éléments de preuve nécessaires au soutien de l’action qu’elle envisage,

– les mesures sollicitées ne sont pas légalement admissibles, s’agissant de mesures générales d’investigation ou de perquisitions civiles, méconnaissant les règles applicables aux huissiers de justice,

– ces mesures portent une atteinte injustifiée et disproportionnée au secret des affaires.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 13 janvier 2023, la société Louve Group demande à la cour de :

A titre principal,

– infirmer l’ordonnance du 13 octobre 2022 rendue par le président du tribunal de commerce de Paris en ce qu’elle a :

‘ dit recevable la demande de rétractation de la société Primaliance,

‘ débouté la société Louve Groupe de sa demande de levée immédiate du séquestre provisoire,

Statuant à nouveau,

– juger irrecevable la demande en rétractation de la société Primaliance ;

– ordonner la levée immédiate du séquestre provisoire en application de l’article R. 153-1 du code de commerce ;

A titre subsidiaire,

– confirmer l’ordonnance du 13 octobre 2022 rendue par le président du tribunal de commerce de Paris en ce qu’elle a :

‘ débouté la société Primaliance de sa demande de rétractation de l’ordonnance,

‘ débouté la société Primaliance de sa demande de modification de l’ordonnance,

Statuant à nouveau,

– rejeter toutes les demandes, fins et conclusions de la société Primaliance ;

En tout état de cause,

– confirmer la décision en ce qu’elle a :

‘ condamné la société Primaliance à lui payer Louve Group la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

‘ condamné la société Primaliance aux dépens de l’instance dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 58,92 euros TTC dont 9,61 euros de TVA ;

Y ajoutant,

– débouter la société Primaliance de l’ensemble de ses demandes ;

– condamner la société Primaliance au paiement de la somme de 50.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société Primaliance aux entiers dépens dont le recouvrement sera poursuivi par la société 2h avocats en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

La société Louve Group soutient en substance que :

– la répartition des opérations entre la société Louve Group et Optima Capital est transparente et conforme aux usages du marché,

– la pratique de la rétrocession des commissions est légale et a été validée par l’Autorité des Marchés Financiers,

– la demande de rétractation de l’ordonnance rendue est irrecevable en application des dispositions de l’article R 153-1 du code de procédure civile, le juge de la rétractation ayant été saisi 13 jours après expiration du délai requis, et, dans ces conditions, la levée immédiate du séquestre provisoire doit être ordonnée,

– la nécessité de déroger au principe du contradictoire a été largement démontrée dans la requête soumise, alors que le caractère dématérialisé des documents saisis permet de justifier qu’il soit dérogé à ce principe,

– la société Primaliance n’a jamais été informée de la volonté de la société Louve Group de saisir la justice, et a fait preuve d’une intention de dissimulation manifeste,

– le motif légitime est caractérisé, dans la mesure où il existe des éléments sérieux permettant de supposer que la société Primaliance aurait pris part et organisé une entente visant à évincer la société Louve Group du marché de distribution de parts sociales de SCPI et faire obstacle au libre jeu du marché,

– elle ne dispose pas de tous les éléments de preuve nécessaires à son action, et a un intérêt à agir certain, ayant subi un préjudice direct et personnel en conséquence des agissements de la société Primaliance,

– les mesures ordonnées sont légalement admissibles, suffisamment limitées et proportionnées, elles ne confèrent pas à l’huissier de justice instrumentaire un pouvoir d’appréciation,

– la saisie des documents ne porte pas une atteinte injustifiée et disproportionnée au secret des affaires,

– la demande subsidiaire de modification du périmètre de la mesure sera rejetée, les mots-clés querellés permettant de prendre connaissance des mesures anti-concurentielles suspectées.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs conclusions susvisées conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

SUR CE,

– sur la recevabilité de la demande de rétractation

L’article R 153-1 du code de commerce dispose que lorsqu’il est saisi sur requête sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ou au cours d’une mesure d’instruction ordonnée sur ce fondement, le juge peut ordonner d’office le placement sous séquestre provisoire des pièces demandées afin d’assurer la protection du secret des affaires.

Si le juge n’est pas saisi d’une demande de modification ou de rétractation de son ordonnance en application de l’article 497 du code de procédure civile dans un délai d’un mois à compter de la signification de la décision, la mesure de séquestre provisoire mentionnée à l’alinéa précédent est levée et les pièces sont transmises au requérant.

Le délai d’un mois visé dans le texte susvisé ne s’applique qu’à la levée de la mesure de séquestre de sorte que son non-respect n’a aucune incidence sur la recevabilité de la demande de rétractation de l’ordonnance sur requête, fondée sur les dispositions de l’article 497 du code de procédure civile qui ne fixent aucun délai pour l’exercer.

Il en résulte que la demande de rétractation formée par la société Primaliance suivant acte du 7 avril 2022 est recevable.

Par conséquent, c’est à juste titre que l’ordonnance rendue a dit la demande de rétractation de la société Primaliance recevable. Elle sera donc confirmée de ce chef.

– sur la demande de levée de séquestre provisoire

Au regard des dispositions sus-visées de l’article R 153-1 du code de commerce, si le juge n’est pas saisi d’une demande de modification ou de rétractation de son ordonnance en application de l’article 497 du code de procédure civile dans un délai d’un mois à compter de la signification de la décision, la mesure de séquestre provisoire est levée et les pièces transmises au requérant.

Toutefois, en l’espèce, le premier juge a été saisi, par l’acte du 7 avril 2022, d’une demande principale en rétractation de l’ordonnance sur requête rendue. L’instance ainsi engagée par la société Primaliance ne pouvait tendre qu’à l’examen de cette action en rétractation, laquelle fait obstacle à la remise automatique des pièces saisies à la société Louve Group.

Par voie de conséquence, cette dernière sera déboutée de sa demande de mainlevée de séquestre et l’ordonnance rendue sera confirmée de ce chef.

– sur la rétractation de l’ordonnance du 25 février 2022

En vertu de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé. L’article 493 du même code prévoit que l’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse.

Par ailleurs, il résulte des articles 497 et 561 du code de procédure civile que la cour d’appel, saisie de l’appel d’une ordonnance de référé statuant sur une demande en rétractation d’une ordonnance sur requête prescrivant des mesures d’instruction destinées à conserver ou à établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, est investie des attributions du juge qui l’a rendue devant lequel le contradictoire est rétabli.

Cette voie de contestation n’est donc que le prolongement de la procédure antérieure : le juge doit apprécier l’existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête, à la lumière des éléments de preuve produits à l’appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui. L’application de ces dispositions suppose de constater la possibilité d’un procès potentiel, non manifestement voué à l’échec, sur la base d’un fondement juridique suffisamment déterminé, sans qu’il revienne au juge des référés de se prononcer sur le fond et dont la solution peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée. Cette mesure ne doit pas porter une atteinte illégitime aux droits et libertés fondamentaux d’autrui. Le juge doit encore rechercher si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe du contradictoire. Les circonstances justifiant cette dérogation doivent être caractérisées dans la requête ou l’ordonnance qui y fait droit.

La société Primaliance se prévaut de plusieurs moyens de rétractation :

– l’absence de motif légitime ;

– l’absence de nécessité de déroger au principe du contradictoire ;

– le caractère non légalement admissible des mesures sollicitées ;

– le défaut d’utilité de la mesure, la requérante disposant de tous éléments pour l’action qu’elle envisage.

– sur le motif légitime

La société Louve Group suspecte la société Primaliance de pratiques anticoncurrentielles, voire d’ententes prohibées par les dispositions des articles L 420-1 et L 420-2 du code de commerce et de dénigrement à son endroit.

Il lui revient donc, au soutien de sa demande de mesure d’instruction in futurum, d’apporter des éléments rendant suffisamment crédibles ces pratiques.

Il convient de rappeler ici que dans le cadre de la commercialisation au cours de l’année 2021 de parts de SCPI, la société Louve Group indique avoir proposé une offre particulièrement attractive par rapport à celles de la société Primaliance en ce qu’elle rétrocède entre 2% et 4% de la commission qu’elle perçoit des SCPI à ses clients lorsqu’elle opère en tant que conseiller non indépendant, cette pratique ayant été approuvée par la chambre nationale des conseils en gestion de patrimoine (CNCGP) et l’association nationale des conseils financiers (ANACOFI).

Les pièces produites à l’appui de la requête soumise au tribunal de commerce sont les suivantes :

– un courriel de M [C] [M], directeur commercial de la société Primaliance en date du 6 mai 2021 à la société Alderan rédigé ainsi :

“Bonjour [H], il me semblait que tu avais résilié cette convention. Ils continuent à nous polluer. Mail d’un de nos clients: Louveinvest m’a proposé une rétrocession de commission de 4% sur Activimmo versé sous 2 mois”,

– le courrier de résiliation de la convention de distribution qui lui a été adressé le 19 mai 2021 par la société Alderan,

– un procès verbal de constat d’huissier de justice du 16 juin 2021 reprenant la publication publique de M [C] [M] rédigé comme suit:

” Bienvenue au souk! Il me semblait que note profession était réglementée et que nous devions donner la priorité au CONSEIL. Je compte sur vous, chers partenaires, et vous, les autorités compétentes, pour stopper ces méthodes nuisibles pour nos clients et pour nous, conseillers en gestion de patrimoine. (…) Louve rembourse plus de 2% de votre investissement sur la plupart des SCPI du marché”, ce post ayant toutefois été manifestement supprimé,

– un procès verbal de constat d’huissier de justice du 6 janvier 2022 reproduisant la publication publique de M. [Z] “taguant” M [M] et la société Primaliance avec le texte suivant :

” Un copain vient de m’envoyer ça! Qui dit mieux’ (…)Il serait temps que les sociétés de gestion, plateforme de distribution pour “professionnels du patrimoine” se réveillent et arrêtent de cautionner “Fouine Invest” dont beaucoup de mes confrères se plaignent de plus en plus (…) Il est anormal que “Fouini” passe par des plateformes sous le nom Optima Capital en toute détente.” , suit une publicité intitulée “Cashback SCPI”,

– une mise en demeure adressée à M [Z] le 11 janvier 2022 par la société Louve Group de procéder au retrait de sa publication,

– les courriers de résiliation de conventions de distribution des sociétés Perial Asset Management (9 avril 2021), Alderan (29 mars 2021), Corum (23 février 2021), Paref Gestion (25 octobre 2021), Epsilon Capital (18 janvier 2022),

– les justificatifs de refus d’accès au compte de Louve Group à la plateforme Alpheys, agrégateur d’offres ainsi que les échanges de courriels avec la société Wenimmo, autre agrégateur d’offres , dans le même sens,

– un courriel de la société Aestiam précisant qu’elle ne souhaitait pas que ses SCPI soient “distribuées par une plateforme qui pratique la rétrocession” tenant à “ne pas susciter le mécontentement de ses CGP”,

– un courriel de la société Nortia résiliant la convention de distribution et précisant que le fonctionnement de Louve group était de nature à créer un “problème de cohérence de distribution”,

– le courrier de résiliation de la société Paref Gestion cité plus haut souligne avoir constaté “de nombreuses pratiques commerciales nous mettant en porte-à-faux avec nos distributeurs historiques”.

Ainsi, en justifiant notamment d’un lien possible entre les résiliations, survenues dans un court laps de temps, des conventions souscrites avec des sociétés indépendantes les unes des autres mais travaillant sur le marché des SCPI et les publications et écrits de M. [M], directeur commercial de la société Primaliance, la société Louve Group disposait bien d’un motif légitime à solliciter une mesure d’instruction, ces éléments rendant crédibles les pratiques anticoncurrentielles reprochées.

– sur la dérogation au principe du contradictoire

La société requérante a largement motivé dans sa requête la nécessité de déroger au principe de la contradiction.

Elle expose de manière précise la nature des faits de concurrence déloyale reprochés, le caractère volatile des données informatiques et des courriels à saisir, ce qui justifie amplement qu’il soit dérogé au principe de la contradiction afin de préserver le droit à la preuve de la société Louve Group.

Les moyens soulevés par la société Primaliance sur ce point (présentation fausse et déloyale des faits par la société Louve Groupe, absence de qualité de CGP-CIF sur le marché de la distribution de parts de SCPI de la société Louve Group), sont inopérants en ce qu’ils ont trait à la recevabilité de l’action et au fond de cette action.

– sur l’utilité de la mesure

La société Primaliance soutient que la mesure d’instruction sollicitée est inutile dès lors que la société Louve Group dispose d’ores et déjà des éléments nécessaires à son action.

Pourtant, la société Louve Group ne peut mesurer l’ampleur des éventuelles manoeuvres et procédés déloyaux qui ont pu être commis sans recourir à une telle mesure, dont l’utilité n’est donc pas contestable et qui présente un intérêt certain.

– sur le caractère légalement admissible de la mesure

Cette mesure apparaît indispensable au droit à la preuve des sociétés requérantes, cela compte tenu de la nature du litige et des fortes suspicions de pratiques anti-concurrentielles et de dénigrement, étant observé que les classements qui seraient opérés par l’huissier de justice et consignés dans son procès-verbal pourront donner lieu à contestation de la part de la société Primaliance et à un arbitrage du premier juge dans le cadre d’une procédure de tri des pièces.

Le moyen tiré du caractère non admissible de la mesure sera donc écarté, étant précisé que, pour critiquer ce caractère légalement admissible, la société Primaliance invoque en réalité des moyens qui ont trait à l’examen de la proportionnalité de la mesure (mots clés, temporalité) ou souligne que la mesure a été exécutée en présence de deux brigadiers de police armés, ce qui relève de l’exécution de la mesure strictement.

– sur la proportionnalité de la mesure ordonnée

Il est soutenu par la société Primaliance que la mesure ordonnée est une mesure générale d’investigation, véritable perquisition civile.

Force est de constater que le juge des requêtes a aux termes de l’ordonnance rendue restreint le périmètre temporel de la mesure en fixant son point de départ au 1er mars 2021 au lieu du 1er janvier 2021.

En ce qui concerne les mots-clés, cette mesure en ce qu’elle permet de saisir des documents au vu de mots- clés tels que “rétrocession”‘, “rétro” ou “rétros” ou encore “cashback” set en strict lien avec ce que la société Primaliance a entendu dénoncer précisément, soit la pratique commerciale de la société Louve Group, tendant à mettre en place un système de rétrocession ou “cashback”, de sorte que retirer ces mots clés viderait la mesure de toute substance, étant précisé qu’il n’est pas établi qu’elle permettrait l’accès à des documents de nature à divulguer des informations sans lien avec les faits en cause et, de surcroît, susceptibles d’être protégées au titre du secret des affaires. Ces mots clés sont donc pertinents.

Par ailleurs, si la mesure prévoit une saisie sur tout support, et tous collaborateurs et secrétaires directs de M [M], elle demeure proportionnée au but poursuivi.

Enfin, s’agissant du secret des affaires, sa protection et ses implications interviennent en réalité au cours de la procédure de tri et ne peuvent être invoquées dans ces conditions pour contrer la proportionnalité de la mesure.

Le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile, dès lors que le motif légitime est établi et que les mesures demandées sont nécessaires à la protection des droits de la société Louve Group qui les a sollicitées.

De la sorte, la mesure prescrite est circonscrite dans le temps et l’objet, tout en étant proportionnée au but poursuivi et à la recherche d’éléments probants ainsi qu’à l’exercice du droit de la preuve.

– Sur la demande subsidiaire de la société Primaliance

La société Primaliance demande à titre subsidiaire que le périmètre de la mesure soit modifié en retranchant les mots-clés suivants : « Rétrocession », « Rétros », « Rétro » et « Cashback » et en restreignant les documents aux seuls mails professionnels de M. [C] [M].

Toutefois, au regard de ce qui précède, le périmètre de la mesure doit de toute évidence inclure les éléments sus-visés.

Il se déduit de l’ensemble que la communication des informations demandées est bien indispensable à l’exercice du droit à la preuve de la société Louve Group, pour agir le cas échéant en concurrence déloyale, et dénigrement, et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence.

Dans ces conditions, il convient au regard des motifs qui précèdent de confirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance entreprise.

– Sur les dépens et les frais irrépétibles

Succombant en ses prétentions, la société Primaliance supportera les dépens de première instance et d’appel, sans pouvoir prétendre à l’allocation d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle sera par suite tenue de verser à la société Louve Group la somme globale de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles qu’elle a dû exposer dans cette procédure pour assurer sa défense.

PAR CES MOTIFS

Confirme en toutes ses dispositions l’ordonnance entreprise ;

Y ajoutant,

Déboute les parties de leurs autres demandes ;

Condamne la société Primaliance aux dépens d’appel dont le recouvrement sera poursuivi en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile et à payer à la société Louve Group la somme 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

 


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