Rupture brutale de relation commerciale : 31 mai 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/01020

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Rupture brutale de relation commerciale : 31 mai 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/01020
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 8

ARRÊT DU 31 MAI 2022

(n° 2022/ 121, 17 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/01020 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBJC7

Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Décembre 2019 -Tribunal de Commerce de Paris – RG n° 2017032034

APPELANTES

SA GENERALI VIE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

2 rue Pillet-Will

75009 Paris

SA GENERALI IARD agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

2 rue Pillet-Will

75009 Paris

Représentées par Me Jean-Philippe AUTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0053

INTIMÉE

SARL VIVACITY agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

61 BIS avenue du Général de Gaulle

94160 SAINT MANDE

Représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 08 Février 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Béatrice CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre

M. Christian BYK, Conseiller

M. Julien SENEL, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Mme Champeau Renault dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Laure POUPET

ARRÊT : Contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 19 avril 2022, prorogé au 17 mai 2022 et au 31 mai 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Béatrice CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de Chambre et par Laure POUPET, greffière présente lors de la mise à disposition.

*******

EXPOSÉ DU LITIGE :

La SARL VIVACITY, société de courtage d’assurances spécialisée dans le secteur de l’assurance vie, immatriculée au registre des intermédiaires en assurances, propose depuis 2007 à ses clients, en grande majorité avocats, des contrats d’assurance-vie et épargne retraite commercialisés par la SA GENERALI VIE, et accessoirement des produits IARD commercialisés par la SA GENERALI IARD. Entre autres produits, sont proposés des contrats d’assurance retraite dits «La Retraite MADELIN», permettant aux assurés de percevoir, le moment venu et sous la forme d’une rente mensuelle revalorisée chaque année, des revenus complémentaires à ceux perçus au titre du régime obligatoire de retraite, le tout en profitant du cadre fiscal avantageux offert par la loi MADELIN.

Du fait du statut “Premium” qui lui a été accordé compte tenu des performances réalisées, VIVACITY bénéficiait de taux de commissionnement spécifiques en vertu de protocoles de commissionnement dérogatoires ainsi qu’il suit :

– au cours de l’année suivant l’ouverture du contrat, elle percevait :

* 47% de commission sur chaque prime périodique versée par le souscripteur (au lieu de 22%);

* 3% de commission sur cette même prime périodique ;

– les années suivantes, une commission de 3% sur chaque prime périodique et sur chaque versement exceptionnel ;

– en cours de vie du contrat, en cas d’augmentation du montant de la prime périodique, à nouveau 47% de commission (au lieu de 22%) sur le montant dont la prime périodique avait été augmentée;

– en fin d’année, un rappel de commissions correspondant à un pourcentage du montant annuel de sa production nouvelle (pourcentage des primes périodiques nettes d’annulations, croissant selon la production réalisée par le courtier et fixée, pour VIVACITY, compte tenu de sa production, à 10%).

Elle avait également la possibilité de procéder à la souscription de contrats en ligne pour le compte de ses clients.

Jusqu’en 2008, GENERALI VIE a commercialisé des contrats monosupports «La Retraite 94» permettant aux clients de placer leurs investissements uniquement sur des fonds en euros “dits sécurisés” essentiellement composés d’obligations. Elle a ensuite mis en place les contrats «La Retraite 08» (2008/2013), «La Retraite 13» (2013/2015), et «La Retraite 15» (depuis 2015) “dits multisupports”, permettant aux assurés d’affecter leurs investissements tant sur des fonds en euros que sur des supports en unités de comptes (UC). Le capital investi est alors réparti sur différents supports financiers composés notamment d’actions. Un tel placement, soumis aux aléas des marchés financiers, peut entraîner un rendement important mais présente des risques de sorte que l’assureur n’offre aucune garantie sur le montant du capital.

Au mois de décembre 2016, la SA GENERALI VIE, estimant avoir découvert que la société VIVACITY, se livrait de longue date à des pratiques déloyales ayant pour objet de majorer, de façon fictive, le montant de son droit à commission, a fait diligenter un audit interne.

En janvier puis en février 2017, elle n’a pas versé à la société VIVACITY les commissions normalement dues au titre des mois de décembre 2016 et janvier 2017.

A compter du mois d’avril 2017, la SA GENERALI IARD a également bloqué les commissions dues à VIVACITY au titre de ses propres contrats.

Suite à une demande d’explications de VIVACITY, GENERALI VIE lui a adressé un certain nombre de questions portant sur une dizaine de contrats d’assurance retraite.

Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 14 février 2017, VIVACITY a, par l’intermédiaire de ses conseils, mis GENERALI en demeure :

* d’avoir à lui faire part de sa position quant à la poursuite de ses relations contractuelles avec VIVACITY;

* d’avoir à lui régler la somme de 496 788,49 euros, correspondant au montant des commissions dues au titre des mois de décembre 2016 et janvier 2017, ainsi qu’au montant du rappel de commissions dû au titre de l’exercice 2016.

Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 2 mars 2017, GENERALI VIE a dénoncé un certain nombre de souscriptions qualifiées d’anormales, indiqué à VIVACITY mettre fin à leurs relations à effet immédiat compte tenu de la gravité de la faute commise rendant impossible le maintien des relations contractuelles et l’a mise en demeure d’avoir à lui verser, sous trente jours, le montant des commissions et rappels de commissions indues perçus du seul fait de la mise en ‘uvre des pratiques litigieuses, soit la somme de 2 564 736,62 euros.

Par acte du 13 mars 2017, la société VIVACITY a assigné GENERALI VIE à comparaître à une audience de référé d’heure à heure devant le tribunal de commerce de PARIS sollicitant en substance, qu’il lui soit enjoint d’avoir à lui verser le montant des commissions qui étaient alors bloquées et de poursuivre l’exécution de ses obligations contractuelles jusqu’au terme du contrat.

Par ordonnance en date du 16 mars 2017, le juge des référés a dit n’y avoir lieu à référé en présence d’une contestation sérieuse.

C’est dans ce contexte que par acte en date du 29 mai 2017, la société VIVACITY a assigné au fond les compagnies GENERALI VIE et GENERALI IARD devant le tribunal de commerce de PARIS faisant valoir que GENERALI VIE a manqué à ses obligations en ne lui réglant pas une partie des commissions dues, et que GENERALI VIE et GENERALI IARD se sont rendues coupables d’une rupture brutale de relations commerciales établies en décidant de mettre un terme à leur collaboration, sans motif légitime, et sans observer un quelconque délai de préavis.

Par jugement du 19 décembre 2019 le tribunal de commerce de PARIS, a :

– condamné le SA GENERALI VIE à verser à la SARL VIVACITY la somme de 496 788,49 euros, correspondant aux commissions dues au titre des mois de décembre 2016 et janvier 2017 ainsi qu’au titre du rappel de commissions de l’année 2016, majorée des intérêts légaux courant à compter de la mise en demeure du 14 février 2017, et avec anatocisme ;

– condamné solidairement la SA GENERALI VIE et la SA GENERALI IARD à verser la somme de 440 029 euros à la SARL VIVACITY au titre de la perte de marge brute subie pendant 6 mois pour rupture brutale des relations commerciales établies ;

– condamné les SA GENERALI VIE et GENERALI IARD à rétablir l’accès de la SARL VIVACITY à leur service extranet, en ce compris à tous les bordereaux de commission, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de 15 jours après la signification de la décision, et ce pour une période de 90 jours à l’issue de laquelle il pourra être à nouveau fait droit, et à verser à la SARL VIVACITY l’intégralité des commissions qui lui sont dues à compter du 1er août 2017 et ce jusqu’au terme des contrats apportés ;

– dit les parties mal fondées pour leurs demandes plus amples ou autres, et les en a déboutées ;

– condamné solidairement les SA GENERALI VIE et GENERALI IARD à payer à la SARL VIVACITY la somme de 30 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– ordonné l’exécution provisoire ;

– condamné aux dépens les SA GENERALI VIE et GENERALI IARD, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 100,08 euros dont 16,47 euros de TVA.

Par déclaration électronique du 3 janvier 2020, enregistrée au greffe le 20 janvier, les SA GENERALI VIE et GENERALI IARD ont interjeté appel de la décision.

Aux termes de leurs dernières écritures notifiées par voie électronique le 28 septembre 2020 les appelantes, demandent à la cour, au visa des articles 1134, 1135, 1147 et 1156 (anciens) du code civil, de l’article L.442-6, I, 5° du code de commerce, des articles 32-1, 515 et 700 du code de procédure civile, d’infirmer le jugement et :

A titre principal :

– dire et juger que VIVACITY a exécuté de façon abusive et déloyale le contrat qui la liait à GENERALI VIE et que la faute commise par ses soins présentait un degré de gravité tel que GENERALI VIE et GENERALI IARD ont, à bon droit, mis immédiatement un terme à leurs relations avec VIVACITY à compter du mois de décembre 2016 sans se rendre coupables d’une rupture brutale de relations commerciales établies, ces dernières n’étant pas tenues, dans de telles circonstances, de respecter un quelconque délai de préavis à l’égard de VIVACITY ;

En conséquence,

– débouter VIVACITY de sa demande tendant à la condamnation de GENERALI VIE à lui verser la somme de 496.788,49 euros correspondant au montant des commissions qui lui seraient dues au titre des mois de décembre 2016 et de janvier 2017 ainsi qu’au titre du rappel de commissions de l’année 2017 (en réalité 2016) (soit 509.548,82 euros avec intérêts et anatocisme) ;

– débouter VIVACITY de sa demande tendant à la condamnation de GENERALI VIE et de GENERALI IARD à lui verser une quelconque indemnité de préavis pour rupture brutale de relations commerciales établies ;

– dire et juger que les usages du courtage, en particulier l’usage numéro 3 du courtage, ne sont pas applicables en l’espèce compte tenu des pratiques dolosives de VIVACITY et de l’exécution abusive et déloyale, par cette dernière, du contrat qui la liait à GENERALI VIE, VIVACITY ne pouvant par conséquent prétendre ni au maintien de son droit à commission au titre des contrats en cours, ni à celui de son droit d’accès à l’extranet de la compagnie; En conséquence,

– débouter VIVACITY de sa demande tendant à ce que GENERALI VIE et GENERALI IARD soient condamnées à maintenir le versement, à son profit, des commissions générées par les contrats en cours et à maintenir son droit d’accès à l’extranet de la compagnie ainsi qu’à lui verser des sommes provisionnelles au titre des commissions sur encours et sur primes, que ce soit au titre des contrats « VIE » ou « IARD » ;

– constater que les demandes formulées par VIVACITY tendant à obtenir une indemnité de préavis sur un fondement délictuel est incompatible avec celle parallèlement formulée par ses soins, mais également à titre principal, sur un fondement contractuel, afin d’obtenir le maintien de son droit à commission jusqu’au terme de chaque contrat souscrit par son intermédiaire ;

En conséquence,

– débouter VIVACITY de ses demandes tendant à obtenir la condamnation de GENERALI VIE et de GENERALI IARD à lui verser, d’une part une indemnité de préavis pour rupture brutale de relations commerciales établies et, d’autre part les commissions générées par les contrats en cours non résiliés par les assurés, en ce que ces demandes sont radicalement incompatibles entre elles tant en raison de leur fondement que de leur objet ;

– débouter VIVACITY de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions.

À titre reconventionnel :

– dire et juger que la fraude commise par VIVACITY et l’exécution abusive et déloyale par ses soins du contrat qui la liait à GENERALI VIE a causé à cette dernière un préjudice économique non réparé du seul fait de la résiliation du contrat, consistant en un trop perçu de commissions sur la période comprise du 1er janvier 2012 au 30 novembre 2016 ce, à hauteur de la somme de 1.940.679,56 euros, outre un préjudice moral et d’image d’un montant de 50.000 euros ;

En conséquence,

– condamner VIVACITY à verser à GENERALI VIE la somme de 1.940.679,56 euros en réparation du préjudice économique subi par ses soins ;

– condamner VIVACITY à verser à GENERALI VIE la somme de 50.000 euros en réparation du préjudice moral et d’image subi par ses soins ;

– dire et juger que l’action dont VIVACITY a pris l’initiative est abusive car manifestement dénuée de fondement et emprunte de parfaite mauvaise foi ;

En conséquence,

– condamner VIVACITY à payer à GENERALI VIE la somme de 100.000 euros à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l’article 32-1 du code de procédure civile ;

– ordonner, aux frais de VIVACITY la publication du jugement à intervenir dans cinq journaux spécialisés qu’il appartiendra à GENERALI VIE de sélectionner, le tout dans la limite de 50.000 euros toutes parutions confondues.

A titre subsidiaire :

– constater que les commissions dont VIVACITY demande le paiement incluent pour partie des commissions indues générées par les contrats frauduleusement souscrits par son intermédiaire et ce à hauteur de la somme de 421.662,79 euros, sauf à parfaire, sur la période comprise entre le mois de décembre 2016 et le mois de décembre 2017 ;

En conséquence,

– dire et juger que cette somme de 421.662,79 euros, sauf à parfaire, devra être déduite du montant des commissions dont VIVACITY sollicite le paiement au titre des mois de décembre 2016 et de janvier 2017, du rappel de l’année 2017 ainsi que de celles générées par les contrats toujours en cours depuis le mois de février 2017, s’agissant de GENERALI VIE et de mars 2017, s’agissant du portefeuille GENERALI IARD ;

– constater que la durée de préavis, dont VIVACITY demande l’indemnisation sur le fondement de la rupture brutale de relations commerciales établies, est disproportionnée tandis que ses calculs de sa marge brute le sont tout autant ;

En conséquence,

– dire et juger que l’indemnité de préavis dont VIVACITY est en droit de demander le paiement ne saurait excéder la somme de 55.090,35 euros ;

Dans l’hypothèse où le maintien du droit à commission au profit de VIVACITY serait prononcé sur le fondement des usages du courtage mais où la fraude à laquelle elle s’est livrée serait néanmoins constatée par la cour :

– prononcer la compensation entre (i) les sommes dont GENERALI VIE et GENERALI IARD pourraient être redevables à l’égard de VIVACITY au titre du maintien de son droit à commission pour les mois de décembre 2016 et de janvier 2017 ainsi qu’au titre du rappel de commissions de l’année 2016 et des commissions générées par les contrats en cours depuis février 2017, s’agissant de GENERALI VIE et depuis mars 2017, s’agissant de GENERALI IARD déduction faite de la somme de 421.662,79 euros et (ii) de celles de 1.940.679,55 euros et de 50.000 euros dont VIVACITY est redevable à l’égard de GENRALI VIE en réparation respectivement du préjudice économique, moral et d’image

subi du fait du trop versé de commissions sur la période comprise entre le 1er janvier 2012 et le 30 novembre 2016.

Statuant sur l’appel incident de VIVACITY :

– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté VIVACITY de ses demandes de dommages-intérêts au titre de son prétendu préjudice moral et de désorganisation ainsi que sur le fondement d’une prétendue résistance abusive de GENERALI VIE et GENERALI IARD;

En tout état de cause :

– condamner VIVACITY aux entiers dépens de l’instance ;

– condamner VIVACITY à payer à GENERALI VIE et à GENERALI IARD la somme de 250.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, dont 141.456 euros au titre des frais exposés par GENERALI afin de faire établir les rapports d’expertise du cabinet PWC.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 22 octobre 2021, l’intimée VIVACITY, demande à la cour, au visa des articles 1134 et 1162 (anciens) du code civil, de l’article L.442-6-I,5° du code de commerce, de l’article 700 du code de procédure civile, des usages du courtage, de :

– la recevoir en toutes ses demandes, fins et prétentions, et,

Sur les commissions dues par GENERALI VIE antérieurement à la rupture du protocole:

– confirmer la condamnation de GENERALI VIE à lui verser la somme de 496.788,49 euros, correspondant aux commissions dues au titre des mois de décembre 2016 et janvier 2017 ainsi qu’au titre du rappel de commissions de l’année 2016 ;

– confirmer que la somme de 496.788,49 euros précitée soit assortie des intérêts légaux courant à compter de la mise en demeure adressée par le cabinet BOPS à GENERALI VIE le 14 février 2017, avec capitalisation ;

En conséquence,

– confirmer la condamnation de GENERALI au versement à VIVACITY de la somme de 509.548,82 euros comprenant les intérêts et l’anatocisme ;

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

– confirmer que GENERALI VIE et GENERALI IARD engagent leur responsabilité pour rupture brutale des relations commerciales établies ;

– infirmer le jugement en ce qu’il a condamné solidairement GENERALI VIE et GENERALI IARD à verser à VIVACITY la somme de 440 029 euros au titre de la perte de marge brute subie pendant six mois pour rupture des relations commerciales établies ;

– infirmer le jugement en ce qu’il a estimé que le préjudice moral n’était pas justifié et que les coûts liés à la désorganisation étaient couverts par les sommes allouées au titre de la perte de marge brute ;

En conséquence, statuant à nouveau sur l’évaluation de la perte de marge brute subie par VIVACITY et sur le préjudice moral d’atteinte à l’image et de désorganisation :

– condamner solidairement GENERALI VIE et GENERALI IARD à verser à VIVACITY au titre de la perte de marge brute subie par VIVACITY sur douze mois :

* la somme de 1.101.807 euros, calculée sur la base d’une perte de marge brute équivalente au chiffre d’affaires ; ou

* subsidiairement, la somme de 974.940 euros, calculée sur la base d’une perte de marge sur coûts variables directs ;

– condamner solidairement GENERALI VIE et GENERALI IARD à lui verser la somme de 80.000 euros au titre du préjudice moral d’atteinte à l’image et de désorganisation résultant de la brutalité de la rupture ;

Sur les commissions dues par GENERALI VIE et GENERALI IARD postérieurement à la rupture du protocole, conformément aux usages du courtage :

– confirmer que, eu égard aux usages du courtage, VIVACITY a droit à sa commission tant que les contrats d’assurance composant les portefeuilles «VIE» et « IARD » ne sont pas résiliés ;

En conséquence,

I- condamner GENERALI VIE, pour les contrats « VIE » composant les portefeuilles A3353 et A9543 à rétablir l’accès de VIVACITY au service Extranet, en ce compris l’accès à tous les bordereaux de commissions, sous astreinte de 1.000 euros par jour à compter du 8ème jour de la signification de la décision à intervenir ;

II- condamner GENERALI IARD, pour les contrats composant le portefeuille IARD à rétablir l’accès de VIVACITY au service Extranet, en ce compris l’accès à tous les bordereaux de commissions, sous astreinte de 1.000 euros par jour à compter du 8ème jour de la signification de la décision à intervenir ;

– infirmer le jugement seulement en ce qu’il a limité la période d’indemnisation des commissions dues à VIVACITY à compter du mois d’août 2017 ;

En conséquence, statuant à nouveau sur les commissions afférentes aux primes :

A titre principal,

III- condamner GENERALI VIE à régler à VIVACITY l’intégralité des commissions afférentes aux primes générées par les contrats à compter du mois de février 2017 jusqu’au terme des contrats apportés par VIVACITY, y compris la somme de 374.615,18 euros correspondant aux commissions d’août 2017 à janvier 2020, avec intérêts au taux légal à compter de la date d’exigibilité de chaque commission.

IV- condamner GENERALI VIE à régler à VIVACITY l’intégralité des commissions afférentes aux primes générées par les contrats à compter du mois de février 2017 jusqu’au terme des contrats apportés par VIVACITY, y compris la somme de 317.639,94 euros correspondant aux commissions de février à juillet 2017, avec intérêts au taux légal à compter de la date d’exigibilité de chaque commission.

V- condamner GENERALI IARD, pour les contrats composant le portefeuille IARD à régler à VIVACITY l’intégralité des commissions afférentes aux primes générées par les contrats à compter du mois de mars 2017 jusqu’au terme des contrats apportés par VIVACITY, y compris la somme de 16.353,32 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la date d’exigibilité de chaque commission ;

A titre subsidiaire sur les commissions des contrats VIE,

III- condamner GENERALI VIE à régler à VIVACITY l’intégralité des commissions afférentes aux primes générées par les contrats à compter du mois de février 2017 jusqu’au terme des contrats apportés par VIVACITY, y compris la somme de 356.853,11 euros correspondant aux commissions d’août 2017 à janvier 2020, avec intérêts au taux légal à compter de la date d’exigibilité de chaque commission ;

IV- condamner GENERALI VIE à régler à VIVACITY l’intégralité des commissions afférentes aux primes générées par les contrats à compter du mois de février 2017 jusqu’au terme des contrats apportés par VIVACITY, y compris la somme de 335.402, 01 euros correspondant aux commissions de février à juillet 2017, avec intérêts au taux légal à compter de la date d’exigibilité de chaque commission ;

Statuant à nouveau sur les dommages-intérêts dus par GENERALI VIE et GENERALI IARD pour résistance abusive :

– infirmer le jugement en ce qu’il a estimé que VIVACITY ne démontrait pas le préjudice subi au titre de la résistance abusive de GENERALI VIE et GENERALI IARD ;

En conséquence,

– condamner GENERALI VIE à lui verser la somme de 100.000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive ;

– condamner GENERALI IARD à verser la somme de 5.000 euros à VIVACITY à titre de dommages intérêts pour résistance abusive ;

En tout état de cause :

– juger prescrite la demande de GENERALI VIE au titre de son prétendu préjudice économique portant sur la période comprise entre le 1er janvier et le 17 octobre 2012, d’un montant de 125.615,93 euros, et la rejeter ;

– débouter GENERALI VIE et GENERALI IARD de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions

– réserver la liquidation de l’astreinte ;

– condamner solidairement GENERALI VIE et GENERALI IARD à payer la somme de 80 000 euros à VIVACITY au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU en application de l’article 699 du code de procédure civile.

Pour plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, il convient de se reporter aux conclusions ci-dessus visées conformément à l’article 455 du code de procédure civile

La clôture est intervenue le 8 novembre 2021.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l’exécution du contrat de commissionnement et la gravité de la faute commise invoquée par GENERALI VIE à l’encontre de VIVACITY

Les SA GENERALI sollicitent l’infirmation du jugement faisant essentiellement valoir que:

– la faute commise par VIVACITY présentait un tel degré de gravité que GENERALI VIE a, à bon droit, mis immédiatement un terme à leurs relations à compter du mois de décembre 2016 sans se rendre coupable d’une rupture brutale de relations commerciales établies ;

– GENERALI VIE a en effet identifié des opérations anormales suspectes affectant plusieurs contrats “La retraite MADELIN ” souscrits par certains clients de VIVACITY lui ayant permis de percevoir, de façon indue, des commissions à hauteur de 47% au lieu de 3%, se traduisant par trois types de pratiques :

* la souscription, par un seul et même client déjà titulaire d’un contrat nouvelle génération, à un autre contrat nouvelle génération, cette souscription allant de pair avec la réduction de la prime périodique versée sur le contrat nouvelle génération préexistant et le versement d’une prime périodique d’un montant équivalent sur le nouveau contrat ; cette opération ne présente aucun intérêt pour le client qui disposait déjà d’un contrat de nouvelle génération lui permettant d’effectuer des arbitrages et de faire évoluer sa stratégie d’investissement si nécessaire et ne s’accompagne d’aucune création de richesse pour GENERALI puisque le montant total des primes périodiques versées est identique et n’évolue pas à la hausse ;

* l’augmentation de la prime périodique versée sur un contrat nouvelle génération dont un souscripteur était titulaire, allant de pair avec la diminution, dans des proportions équivalentes, de la prime périodique versée sur un autre contrat nouvelle génération dont le même souscripteur était également titulaire ; cette pratique ne présente aucun intérêt pour le client dans la mesure où chaque contrat permet, à lui seul, de poursuivre, notamment par le biais d’arbitrages, toute stratégie d’investissement et ne s’accompagne d’aucune création de richesse nouvelle pour GENERALI puisque le montant total des primes périodiques versées par l’assuré reste identique et n’évolue pas à la hausse ;

* la diminution, sur une très courte période, de la prime périodique versée sur un même contrat, puis le retour de cette prime périodique à son niveau initial (augmentation fictive du montant facial de la prime périodique) ;

– en conséquence, GENERALI VIE a fait diligenter un audit interne réalisé par la société PwC,

afin de déterminer les raisons de ce comportement et d’identifier tous les clients pouvant être concernés ; l’audit a permis de confirmer l’existence et surtout révéler la portée des pratiques frauduleuses perpétrées par VIVACITY qui ont eu pour effet d’accroître de façon très importante le montant des commissions versées sans que cela ne se traduise par la création d’une quelconque richesse au profit de GENERALI VIE du fait de l’absence d’augmentation significative du montant total des primes versées sur les différents contrats;

– aux termes du contrat, ces pratiques ne sont pas expressément interdites ou autorisées ; cependant, il s’agit d’un détournement de l’esprit du contrat, VIVACITY ayant usé de façon abusive des stipulations contractuelles fixant le taux de son commissionnement afin d’augmenter artificiellement son droit à commission au préjudice de GENERALI VIE ; elle a en outre volontairement dissimulé de nombreuses erreurs commises au moment de renseigner les fiches contenant les différentes informations relatives aux assurés souscripteurs, ce, afin de déjouer les contrôles de GENERALI VIE ; le niveau de doublons constatés apparaît anormalement élevé, ce qui ne permettait pas à GENERALI VIE de disposer d’une image fidèle de la réalité des portefeuilles en termes de nombre d’assurés et de nouvelles affaires ; dans le silence du contrat, il appartient au juge de l’interpréter de façon équitable, afin d’en combler les lacunes en s’interrogeant quant à la commune intention des parties et l’économie de leurs relations par application des articles 1156 et 1188 du code civil ;

– l’étude du tableau comprenant les 14 plus importants courtiers travaillant avec GENERALI révèle, eu égard au montant des primes périodiques versées par ses clients, que VIVACITY a perçu, au cours des années 2014, 2015 et 2016, un montant de commissions anormalement élevé, correspondant à un taux moyen de plus de 30% alors que tous les autres courtiers bénéficiaient, en moyenne, d’un taux de commissionnement compris entre 7% et 10% ;

– le préjudice en découlant pour GENERALI en termes de commissions indûment versées apparaît clairement dans le tableau établi par la société PwC (rapport d’expertise du 9 novembre 2018) ;

La société VIVACITY sollicite la confirmation du jugement faisant essentiellement valoir que :

– elle a correctement exécuté le protocole de commissionnement conclu avec GENERALI et a enrichi l’assureur tout en ayant parfaitement rempli son devoir de conseil envers ses clients ;

– GENERALI ne démontre pas l’existence d’une faute, d’une inexécution, d’une fraude, d’une déloyauté, ou de pratiques dolosives imputables à VIVACITY ;

– les opérations réalisées par son intermédiaire ne sont pas anormales ; au contraire, elles étaient autorisées, nécessaires, justifiées et connues de GENERALI à qui elles ont bénéficié ; elles résultent toutes d’une demande de ses clients, tous avocats et particulièrement avertis, et répondaient à leurs besoins ;

– pendant dix ans, les modalités de rémunération de VIVACITY ont toujours été négociées et acceptées par GENERALI qui procède seule au calcul du montant des commissions, a toujours eu connaissance des opérations réalisées par l’intermédiaire de VIVACITY et les a toujours réglées, en parfaite connaissance de cause ; elle ne peut en conséquence arguer d’une quelconque fraude;

– les commissions sont donc justifiées et GENERALI a délibérément violé les termes du protocole en refusant de verser ce qu’elle devait à VIVACITY asphyxiant et désorganisant durablement son partenaire commercial, d’une taille bien inférieure à la sienne ;

– GENERALI, qui s’est manifestement enrichie pendant toutes ses années de partenariat avec VIVACITY, a monté un scenario de toutes pièces et fait preuve d’une intolérable brutalité à l’égard de VIVACITY.

Sur ce,

En application, de l’article 9 du code de procédure civile : « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. ».

Le créancier qui rompt unilatéralement son contrat en invoquant la faute grave de son débiteur doit apporter la preuve du comportement fautif susceptible de justifier la rupture.

Il appartient en conséquence à GENERALI qui impute à VIVACITY une faute grave, une fraude, une déloyauté contractuelle, ou encore des pratiques dolosives qui ne se présument pas, d’en démontrer l’existence.

Vu l’article 16 du code de procédure civile qui dispose :

« Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement.

Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations. »

La cour relève que GENERALI produit essentiellement aux débats pour soutenir ses allégations un audit interne réalisé par le cabinet PWC lequel lui a remis un premier rapport le10 octobre 2017, puis un second rapport le 9 novembre 2018.

En dépit de l’importance, selon elle, des fautes et/ou fraudes invoquées, GENERALI n’a pas jugé nécessaire de solliciter la désignation d’un expert judiciaire indépendant inscrit sur une liste établie par la cour d’appel, assurant tant son impartialité dans la conduite des opérations d’expertise et dans la rédaction de son rapport, que sa compétence. De plus, la société VIVACITY n’a pas été convoquée et n’a pu présenter ses observations au cabinet PwC qui a rendu son rapport au vu des seules observations présentées par GENERALI.

Le juge ne peut refuser d’examiner un rapport d’expertise non judiciaire réalisé à la demande de l’une des parties par un technicien de son choix, au seul motif qu’il a été établi de manière non contradictoire, dès lors que le rapport a été régulièrement versé aux débats, soumis à la libre discussion des parties et qu’il est corroboré par d’autres éléments de preuve.

A l’inverse, une décision qui se fonde exclusivement sur une expertise amiable établie non contradictoirement, en particulier lorsque les conclusions du rapport d’expertise sont contestées par la partie adverse, viole le principe du contradictoire défini à l’article 16 du code de procédure civile ainsi que le principe du procès équitable de l’article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme. La partie qui communique un tel rapport doit donc fournir d’autres éléments déterminants afin de corroborer les informations qu’il contient.

Le protocole de commissionnement dérogatoire conclu entre les parties le 29 septembre 2016 stipule en son article 1 : ” le présent protocole a pour objet de définir le commissionnement personnalisé attribué au COURTIER , … en ce qui concerne la présentation du contrat ” LA RETRAITE 08,2013,2015″. Il est entendu entre les parties que le présent protocole a pour objet de définir le commissionnement susvisé et n’a aucune vocation à établir des règles de présentation et souscription du contrat d’assurance, étant rappelé que le COURTIER réalise sous sa responsabilité la présentation et les actes d’intermédiation relatifs au contrat LA RETRAITE 08,2013 et 2015, en ce y compris, son obligation d’information et de conseil en fonction des besoins et exigences”. Il est également précisé dans le tableau de commissionnement que les taux applicables sont fonction de l’année du contrat d’assurance.

Les termes dudit protocole sont parfaitement clairs, sans nécessité d’interprétation par la cour sauf à en dénaturer le contenu, en ce que la rémunération de VIVACITY repose sur la présentation et la souscription d’un contrat, le courtier demeurant libre de proposer le nombre de souscriptions nécessaires en fonction des besoins exprimés par ses clients, voire sur les conseils de VIVACITY, ou encore d’arbitrer les versements en fonction de stratégies pouvant évoluer, quand bien même ces arbitrages ne nécessiteraient pas la souscription de plusieurs contrats.

La société VIVACITY explique avec force détails que les opérations réalisées par son intermédiaire ne sont pas anormales; qu’elles étaient autorisées, nécessaires, justifiées et connues de GENERALI à qui elles ont bénéficié et qu’elles résultent toutes d’une demande de ses clients, la plupart avocats et particulièrement avertis, et répondaient à leurs besoins. Elle produit à cet égard aux débats la longue note explicative du 21 février 2018 contenant des éléments de réponse aux questions qui lui avaient été posées par la compagnie d’assurance, exposant la stratégie d’investissement poursuivie par chacun de ses clients, et expliquant que si des anomalies de saisie ont pu exister, elles trouvent leur cause dans des erreurs involontaires d’une secrétaire, au moment de renseigner les fiches de certains assurés.

De son côté, GENERALI qui se référe essentiellement au seul audit réalisé non contradictoirement par la société PwC, n’est pas en mesure de démontrer ses allégations d’exécution abusive et déloyale du contrat la liant à VIVACITY, alors même qu’elle est responsable de la rédaction du protocole, s’interdisant d’intervenir de surcroît dans les relations entre cette dernière et ses clients, tant à la souscription qu’au titre du conseil en fonction de leurs besoins et exigences et alors qu’elle a laissé la situation perdurer depuis 2011 sans envisager une quelconque renégociation. En sa qualité de compagnie d’assurance de grande envergure, et compte tenu de sa position dominante et de la liberté contractuelle dont elle disposait, elle ne justifie nullement de la nécessité de rétablir un quelconque «équilibre» entre les parties.

Il est en tout état de cause suffisamment établi que l’assureur :

* a édité les conditions particulières des contrats , signées par ses soins, et comprenant le détail des garanties ;

* a été tenu strictement informé de chacune des opérations réalisées par l’intermédiaire de VIVACITY à la demande de ses clients,les contrats étant gérés par le service « Gestion Premium» de GENERALI, spécialement dédié aux courtiers Premium ;

* a été informé de toute modification du montant des cotisations qu’il a encaissées lui-même ;

* a disposé de données chiffrées exhaustives sur les opérations réalisées par l’intermédiaire de VIVACITY puisque, durant dix années, il a établi lui-même un bordereau mensuel listant l’intégralité des nouvelles souscriptions réalisées, des cotisations versées par les assurés, et des commissions dues à VIVACITY qu’il calculait lui-même ;

* en réponse aux nombreuses explications présentées par VIVACITY, il se contente de classer les opérations dites “anormales” en trois «catégories», ne développant que quelques exemples sans préciser suffisamment quels contrats seraient affectés par les « anomalies» reprochées ; il n’est pas plus justifié en quoi pour chaque client la souscription d’un contrat retraite dans certaines conditions qui peut résulter d’une multitude de raisons différentes (profil des clients, modification de la composition familiale ou de la situation matérielle, évolution de carrière, souhait d’une clause bénéficiaire différente etc…) serait inopportune, ni qu’elle ne résulterait pas d’une demande du client dont il est établi qu’ils sont tous avocats et donc susceptibles d’être suffisamment éclairés; le 30 septembre 2016, il a lui-même adressé à VIVACITY un courriel l’encourageant dans certaines circonstances à souscrire plusieurs contrats ;

* l’écart de taux de commissionnement entre courtiers Premium bénéficiant tous du même taux dérogatoire a été constaté dès l’année 2011 et aurait pu justifier bien avant janvier 2017, une réaction de l’assureur et une révision du protocole dérogatoire qui pouvait être revu annuellement unilatéralement ou résilié.

L’assureur ne justifie pas plus des man’uvres volontaires alléguées ayant pour but de déjouer son système informatique consistant lors de l’enregistrement des contrats, à omettre délibérément certains éléments dans le but de créer plusieurs identifiants techniques pour un même assuré et de lui cacher ainsi la souscription de plusieurs contrats.

C’est donc en vain que GENERALI VIE prétend avoir découvert fin 2016 que les conditions de souscription des contrats Retraite par les clients de VIVACITY s’opéraient de manière déloyale à son détriment. En définitive, dès lors qu’elle échoue à rapporter la preuve d’une faute, d’une inexécution déloyale, d’une fraude, ou de pratiques dolosives imputables à VIVACITY, le jugement sera confirmé.

Sur la rupture brutale et abusive des relations commerciales établies par les compagnies GENERALI VIE et IARD

Les compagnies GENERALI VIE et GENERALI IARD ont été condamnées solidairement à verser la somme de 440 029 euros à la SARL VIVACITY au titre de la perte de marge brute subie pendant six mois pour rupture brutale des relations commerciales établies.

Elles sollicitent l’infirmation du jugement faisant essentiellement valoir que la faute commise par VIVACITY présentait un tel degré de gravité qu’elles ont à bon droit, mis immédiatement un terme à leurs relations avec VIVACITY à compter du mois de décembre 2016 et sans se rendre coupables d’une rupture brutale de relations commerciales établies et donc sans encourir de pénalités.

VIVACITY sollicite la confirmation du jugement en ce qu’il a considéré que les compagnies GENERALI engagent leur responsabilité pour rupture brutale des relations commerciales établies faisant essentiellement valoir que depuis dix années, les relations commerciales se sont toujours déroulées sans difficulté ; qu’elle a enrichi GENERALI sur la base d’un portefeuille inexistant au début de son activité, et alors que le montant net investi correspondant aux primes versées à GENERALI grâce aux contrats apportés par VIVACITY à la fin de l’année 2016 s’élevait à un montant de plus de 14 millions d’euros, fruit d’un travail acharné de collecte de cotisations mensuelles périodiques auprès de ses clients ; qu’au mois de janvier 2017, GENERALI VIE a subitement cessé de lui verser ses commissions et a brutalement rompu les relations commerciales au mois de mars 2017.

En revanche, elle sollicite l’infirmation du jugement en ce que le préjudice résultant de cette rupture brutale doit être évalué sur une période, non de 6 mois, mais de douze mois au regard de la perte de marge brute et compte tenu de son état de dépendance économique (la distribution des contrats GENERALI VIE et IARD représentant 92 % du chiffre d’affaires net de VIVACITY sur l’exercice 2016).

Sur ce,

La rupture brutale d’une relation commerciale établie est le fait de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Vu l’article L.442-6-I,5° du code de commerce s’appliquant notamment aux relations entre courtiers et assureurs qui sanctionne la rupture brutale des relations commerciales établies lorsqu’elle est effectuée sans préavis ou avec un préavis insuffisant.

Il a été préalablement considéré par le tribunal, comme par la cour, que les compagnies GENERALI ont échoué à rapporter la preuve qui leur incombe de l’existence d’une faute, d’une fraude, d’un comportement déloyal ou d’un dol de la part de VIVACITY censés justifier une rupture unilatérale du contrat ou une exception d’inexécution.

Le tribunal a en conséquence considéré à juste titre que GENERALI VIE et GENERALI IARD ont à tort rompu brutalement les relations commerciales établies qu’elles entretenaient avec leur courtier de façon ininterrompue depuis 2007, soit pendant 10 années, et les a condamnées à l’indemniser de la marge brute dont VIVACITY a été privée.

Il résulte des pièces produites aux débats que :

* GENERALI VIE a dans un premier temps bloqué en janvier 2017, sans fournir d’explication, les commissions revenant à VIVACITY à qui elle avait précédemment accordé un “statut premium” réservé aux courtiers apportant le plus d’affaires et ouvrant droit à une rémunération plus importante, puis a brutalement rompu les relations commerciales alors qu’elle ne disposait pas à la date de la rupture d’éléments pouvant justifier, après dix ans de relations, le fait de bloquer 500000 euros de commissions au risque d’occasionner la déconfiture de son partenaire ;

* VIVACITY pouvait légitimement croire en la continuité de la relation commerciale alors que GENERALI reconnaissait encore ses qualités dans un courrier du 30 septembre 2016;

* à compter du mois d’avril 2017, GENERALI IARD a bloqué à son tour les commissions de VIVACITY, sans explication et alors que les griefs portaient exclusivement sur les contrats retraite.

Ces ruptures, n’ayant pas donné lieu à préavis, ont, en conséquence porté préjudice à VIVACITY qui est en droit d’être indemnisée.

Le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture doit être évalué en considération de la marge brute escomptée durant la période de préavis qui n’a pas été exécutée.

L’identification du temps raisonnable de préavis résulte d’une analyse concrète de la relation commerciale tenant compte de sa durée (10 ans), du volume d’affaires réalisé, du secteur concerné, de l’état de dépendance économique (92 ou 93 % de son chiffre d’affaire) et du temps nécessaire pour retrouver un autre partenaire, en respectant conformément à la loi la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages. Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, la cour considère qu’un préavis de 6 mois aurait dû être respecté.

Le jugement sera ainsi confirmé en ce qu’il a justement considéré que les compagnies GENERALI VIE et IARD ont engagé leur responsabilité à compter du mois de janvier 2017 et en ce que le préjudice indemnisé a été justement évalué, selon les calculs retenus par le tribunal, à la somme de 440 029 euros, cette somme indemnisant tant le manque à gagner sur l’apport de nouveaux contrats que sur la vie des contrats existants pendant 6 mois, soit jusqu’à fin juillet 2017.

Sur le paiement des commissions dues à la société VIVACITY

Le jugement a condamné GENERALI VIE à verser à VIVACITY la somme de 496 788,49 euros, correspondant aux commissions dues en vertu du protocole de commissionnement dérogatoire du 26 septembre 2016 au titre des mois de décembre 2016 et janvier 2017 ainsi qu’au titre du rappel de commissions de l’année 2016, majorée des intérêts légaux courant à compter de la mise en demeure du 14 février 2017, et avec anatocisme.

La société VIVACITY soutient que ses demandes au titre des commissions sont justifiées alors que GENERALI VIE a encaissé les souscriptions correspondantes et sollicite la confirmation du jugement sur ce point tandis que les compagnies GENERALI sollicitent son infirmation.

Vu les dispositions de l’article 1134 du code civil (dans sa rédaction antérieure au 1er octobre 2016) et l’article 1er du protocole de commissionnement dérogatoire signé en GENERALI VIE et VIVACITY ;

Le droit à commission est la contrepartie de l’apport d’une clientèle à la compagnie par le courtier (‘). Le sort du droit à commission est directement dépendant de l’importance de l’avantage que ce courtier va procurer à l’assureur.

Les commissions réclamées résultent de la stricte application du contrat liant les parties et qui a été négocié entre elles. Le montant desdites commissions n’est pas contesté par GENERALI VIE, le calcul et les bordereaux étant établis chaque mois par ses propres services et mis à disposition de VIVACITY sur son site EXTRANET.

Le jugement sera confirmé en ce que GENERALI VIE a été condamnée à verser à VIVACITY la somme de 496 788,49 euris, assortie des intérêts légaux courant à compter de la mise en demeure du 14 février 2017, soit la somme de 509.548,82 euros comprenant les intérêts et l’anatocisme.

Sur la poursuite du versement des commissions postérieurement à la rupture du contrat et la demande de rétablissement de l’accès au réseau EXTRANET

VIVACITY sollicite la confirmation du jugement en ce que GENERALI VIE a été condamnée à poursuivre le versement de ses commissions postérieurement à la rupture du contrat et jusqu’au terme des contrats apportés par VIVACITY, conformément aux usages du courtage ainsi qu’au rétablissement de l’accès au réseau EXTRANET des sociétés GENERALI. Elle souligne que les usages du courtage n°3 sont applicables, compte tenu de la relation entre les parties d’intermédiation en assurance et que l’indemnisation de la perte de marge et celle des commissions au titre des usages du courtage sont des préjudices distincts ajoutant qu’une partie de ces commissions est encore due par GENERALI à VIVACITY à ce jour, en dépit de l’exécution provisoire ordonnée en première instance. Elle sollicite en revanche l’infirmation du jugement en ce qu’il a limité la période d’indemnisation sur les commissions qui lui sont dues seulement à compter du mois d’août 2017. Enfin, elle réclame le rétablissement de l’accès au réseau EXTRANET des sociétés GENERALI, dès lors qu’en l’absence d’accès, elle ne peut plus chiffrer le montant total des commissions dues, celles-ci étant établies par les appelantes.

GENERALI VIE et IARD sollicitent l’infirmation du jugement considérant que les usages du courtage ne s’appliquent pas et que VIVACITY ne peut être indemnisée deux fois pour le même préjudice. Elles soutiennent avoir procédé au rétablissement de l’accès au réseau EXTRANET en exécution du jugement et que désormais ce rétablissement n’est plus nécessaire.

Sur ce,

Les usages du courtage ont vocation à s’appliquer dès lors que l’assureur traite avec un courtier.

Selon l’usage du courtage n° 3, ” le courtier apporteur d’une police a droit à la commission non seulement sur la prime initiale mais encore sur toutes les primes qui sont la conséquence de cette police. Le droit à la commission dure aussi longtemps que l’assurance elle-même, notamment lorsque la police se continue par reconduction tacite ou expresse”. Pour l’application de cet usage, il n’y a aucune distinction à opérer entre l’apport de la clientèle et la gestion faite par le courtier.

En l’absence de dénonciation par l’assuré, le droit à commissionnement perdure jusqu’à l’extinction du contrat. Les premiers juges ont considéré à juste titre que compte tenu du fait que VIVACITY a été indemnisée jusqu’à fin juillet 2017, tant de l’apport de nouveaux contrats que du droit de suite, GENERALI VIE et GENERALI IARD doivent poursuivre le versement des commissions sur les contrats apportés par VIVACITY au-delà du mois de juillet 2017 jusqu’à extinction des contrats. Il appartiendra aux parties de procéder contradictoirement au calcul des sommes dues conformément aux règles du protocole de commissionnement dérogatoire du 26 septembre 2016. Le jugement sera également confirmé en ce qu’il a limité la période d’indemnisation des commissions dues à VIVACITY à compter du mois d’août 2017.

S’agissant de l’accès au réseau EXTRANET, VIVACITY justifie suffisamment de son blocage par GENERALI depuis le mois de décembre 2016 ainsi que de l’absence d’un rétablissement d’accès sérieux et efficace en dépit de la condamnation sous astreinte du tribunal, en sorte que les bordereaux n’étaient plus disponibles et que VIVACITY n’était plus en mesure de réaliser d’acte de gestion pour ses clients.

Il convient en conséquence de condamner GENERALI VIE, pour les contrats « VIE » composant les portefeuilles A3353 et A9543 à rétablir l’accès de VIVACITY au service EXTRANET, en ce compris l’accès à tous les bordereaux de commissions, sous astreinte provisoire de 500 euros par jour à compter du 8ème jour de la signification du présent arrêt et pour une durée de 6 mois.

De même, GENERALI IARD, sera condamnée pour les contrats composant le portefeuille IARD à rétablir l’accès de VIVACITY au service EXTRANET, en ce compris l’accès à tous les bordereaux de commissions, sous astreinte provisoire de 500 euros par jour à compter du 8ème jour de la signification du présent arrêt et pour une durée de 6 mois.

Il n’y a pas lieu pour la cour de se réserver la liquidation de l’astreinte qui restera de la compétence du juge de l’exécution.

Sur le préjudice économique subi par GENERALI VIE

Les compagnies GENERALI sollicitent l’infirmation du jugement faisant valoir que le préjudice économique subi par GENERALI VIE subsiste après la résiliation en raison du versement indû des commissions, sur la période comprise entre le 1er janvier 2012 et le 30 novembre 2016, tous postes confondus, et sollicitent à ce titre une indemnisation à hauteur de 1.940.679,55 euros;

VIVACITY sollicite la confirmation du jugement considérant que les demandes indemnitaires des appelants doivent être rejetées dès lors qu’elle n’a commis aucune faute et que la preuve du caractère certain de ces préjudices n’est pas rapportée.

Compte tenu des motifs de la présente décision, et sans qu’il soit besoin d’entrer dans le détail de leur argumentation, les compagnies GENERALI seront déboutées de leur demande et le jugement confirmé.

Sur les demandes de dommages-intérêts et de publication dans la presse formées par les sociétés GENERALI

Les sociétés GENERALI sollicitent la condamnation de VIVACITY au paiement de la somme de 50.000 euros en réparation de leur préjudice moral et d’image ainsi que la somme de 100 000 euros pour procédure abusive ainsi qu’une publication de la décision dans la presse. La société VIVACITY s’y oppose.

Pour les mêmes motifs, les compagnies GENERALI seront déboutées de ces demandes et le jugement confirmé.

Sur le préjudice moral de VIVACITY

VIVACITY sollicite l’infirmation du jugement faisant essentiellement valoir qu’elle a subi un préjudice moral de désorganisation et d’atteinte à son image du fait de la rupture contractuelle brutale et sollicite la condamnation de GENERALI à lui payer la somme de 80 000 euros.

Les compagnies GENERALI considèrent qu’il s’agit d’une demande nouvelle en cause d’appel et sollicitent en tout état de cause le débouté de la demande de dommages-intérêts au titre de son préjudice moral et de désorganisation qui n’est pas prouvé.

La demande d’indemnisation de ce poste de préjudice (atteinte à l’image et de désorganisation) qui tend aux mêmes fins que les prétentions tendant à la réparation des préjudices matériel et moral formées en première instance, n’est pas nouvelle en cause d’appel. Cependant, la cour considère que le préjudice subi par VIVACITY a été suffisamment réparé par l’allocation de la somme allouée au titre de la rupture brutale et abusive des relations commerciales.

Sur les demandes de dommages-intérêts pour résistance abusive formée par VIVACITY

VIVACITY sollicite l’infirmation du jugement en ce qu’il a estimé qu’elle ne démontrait pas le préjudice subi au titre de la résistance abusive de GENERALI VIE et GENERALI IARD et réclame la condamnation de GENERALI VIE à lui verser la somme de 100.000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et GENERALI IARD à verser la somme de 5.000 euros.

GENERALI VIE et IARD soutiennent qu’elles ont exécuté le jugement et dénient toute résistance abusive.

VIVACITY échoue «à caractériser et à démontrer le principe, la nature et l’étendue du préjudice supplémentaire dont elle réclame réparation. Elle sera déboutée de ces demandes et le jugement sera confirmé.

Sur les autres demandes

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné solidairement les SA GENERALI VIE et GENERALI IARD à payer à la SARL VIVACITY la somme de 30 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens de première instance.

En cause d’appel, les SA GENERALI VIE et GENERALI IARD qui succombent seront condamnées à payer à la SARL VIVACITY la somme de 20 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens d’appel et seront déboutées de leurs propres demandes.

Les compagnies GENERALI seront également déboutées de toutes leurs autres demandes.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant en dernier ressort, par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe,

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la SA GENERALI VIE, pour les contrats « VIE » composant les portefeuilles A3353 et A9543 à rétablir l’accès de la SARL VIVACITY au service EXTRANET, en ce compris l’accès à tous les bordereaux de commissions, sous astreinte provisoire de 500 euros par jour à compter du 8ème jour de la signification du présent arrêt et pour une durée de 6 mois, et dont le renouvellement pourra s’il y a lieu être sollicité auprès du juge de l’exécution ;

Condamne la SA GENERALI IARD, pour les contrats composant le portefeuille IARD à rétablir l’accès de la SARL VIVACITY au service EXTRANET, en ce compris l’accès à tous les bordereaux de commissions, sous astreinte provisoire de 500 euros par jour à compter du 8ème jour de la signification du présent arrêt et pour une durée de 6 mois, et dont le renouvellement pourra s’il y a lieu être sollicité auprès du juge de l’exécution ;.

Dit n’y avoir lieu pour la cour de se réserver la liquidation de l’astreinte qui restera de la compétence du juge de l’exécution.

Dit que la demande de la SARL VIVACITY au titre de son préjudice moral (atteinte à son image et désorganisation) n’est pas nouvelle en cause d’appel mais déboute la SARL VIVACITY de cette demande ;

Condamne la SA GENERALI VIE et la SA GENERALI IARD aux entiers dépens d’appel;

Condamne la SA GENERALI VIE et la SA GENERALI IARD à payer à la SARL VIVACITY la somme de 20 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute les SA GENERALI VIE et la SA GENERALI IARD de toutes leurs demandes.

Déboute la SARL VIVACITY de toutes autres demandes.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

 


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