Rupture brutale de relation commerciale : 30 juin 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/19817

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Rupture brutale de relation commerciale : 30 juin 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/19817
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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 11

ARRET DU 30 JUIN 2023

(n° , 9 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/19817 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEVHS

Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Septembre 2021 -Tribunal de Commerce de PARIS – RG n° 2019060031

APPELANTE

UQODE

prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 1]

[Localité 3]

immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 533 246 377

représentée par Me Michel GUIZARD de la SELARL GUIZARD ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0020

INTIMEE

SKILL EXPERT

prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 2]

[Localité 4]

immatriculée au registre du commerce et des sociétés de CRETEIL sous le numéro 538 283 284

représentée par Me Carole BESNARD BOELLE de la SELARL 3B2C, avocat au barreau de PARIS, toque : B0678

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 Avril 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant Mme Marie-Sophie L’ELEU DE LA SIMONE, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Denis ARDISSON, Président de chambre

Mme Marion PRIMEVERT, Conseillère,

Mme Marie-Sophie L’ELEU DE LA SIMONE, Conseillère,

Qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : M.Damien GOVINDARETTY

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par M.Denis ARDISSON, Président de chambre et par M.Maxime MARTINEZ, Greffier présent lors de la mise à disposition.

La société Skill Expert a pour activité le conseil en systèmes et logiciels informatiques.

La société Uqode est spécialisée dans les prestations informatiques relatives notamment à l’architecture réseau et la sécurité.

Par contrat du 13 mars 2017, la société Skill Expert a confié à la société Uqode une mission de sous-traitance portant sur une « prestation d’expertise et d’architecture réseau et sécurité » auprès de la société [N] [A] [Z], pour un montant de 630 euros HT par jour d’intervention. Il a été remis à la société Uqode un ordinateur portable de marque Dell.

Le contrat a été conclu pour une durée déterminée du 20 mars au 31 décembre 2017 et renouvelé du 1er janvier au 31 mars 2018 puis du 1er avril au 31 décembre 2018, par avenants successifs des 5 décembre 2017, 3 janvier 2018 et 14 mai 2018.

Par courriel du 28 septembre 2018, la société Uqode, en la personne de Mme [D] [S], a sollicité directement auprès de la société [N] [A] [Z] une fin de mission anticipée au 5 octobre 2018 en invoquant l’aboutissement de celle-ci. Tant la société [N] [A] que la société Skill Expert lui ont alors rappelé la nécessité de respecter un préavis d’un mois, prévu contractuellement. La société Uqode, en la personne de Mme [S], a cependant été absente les 3, 4 et 5 octobre 2018 alors que le télétravail n’était pas autorisé chez [N] [A].

Mme [S] s’est ensuite présentée le 8 octobre 2018 chez [N] [A] accompagnée d’un huissier de justice, le client ne souhaitant plus travailler avec Uqode en raison de ses absences et lui interdisant l’accès à ses locaux. Le client lui a en outre reproché d’avoir retenu l’ordinateur portable malgré la rupture du contrat.

De nombreux échanges épistolaires ont alors eu lieu entre la société Uqode et la société Skill Expert, d’abord directement puis par l’intermédiaire de leurs conseils respectifs.

Aucun accord n’a cependant pu intervenir entre les parties.

Suivant exploit du 9 juillet 2019, la société Uqode a fait assigner la société Skill Expert devant le tribunal de commerce de Paris estimant avoir subi des préjudices du fait de la rupture brutale d’une relation commerciale établie.

Par jugement du 27 septembre 2021, le tribunal de commerce de Paris a :

débouté la société Uqode de sa demande de condamnation de la société Skill Expert à lui régler 12.852 euros au titre de la rupture de son contrat,,

débouté la société Uqode de sa demande de condamnation de la société Skill Expert à lui régler la somme de 14.040 euros au titre du préjudice lié à la perte d’un nouveau contrat,

condamné la société Uqode à verser à la société Skill Expert 1.400 euros au titre de son manque à gagner en raison de la non réalisation par la société Uqode de son préavis,

condamné la société Uqode à verser à la société Skill Expert 140 euros au titre de son remplacement en urgence par un collaborateur en poste chez un autre client,

débouté la société Skill Expert de sa demande au titre du manque à gagner dû au remplacement à tarif négocié,

débouté la société Skill Expert de sa demande de dommages et intérêts pour atteinte à son image,

condamné la société Uqode à payer à la société Skill Expert la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

ordonné l’exécution provisoire du présent jugement,

condamné la société Uqode aux dépens.

La société Uqode a formé appel du jugement par déclaration du 16 novembre 2021 enregistrée le 18 novembre 2021.

Suivant ses dernières conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 23 juin 2022, la société Uqode demande à la cour, au visa des articles 1217 du code civil et L. 442-6 I, 5° du code de commerce :

– d’infirmer le jugement rendu le 27 septembre 2021 par le tribunal de commerce de Paris en ce qu’il a :

débouté la SAS Uqode de sa demande de condamnation de la SARL Skill Expert à lui régler 12.852 euros au titre de la rupture de son contrat,

débouté la SAS Uqode de sa demande.de condamnation de la SARL Skill Expert à lui régler la somme de 14.040 euros au titre du préjudice lié à la perte d’un nouveau contrat,

condamné la SAS Uqode à verser à la SARL Skill Expert 1.400 euros au titre de son manque à gagner en raison de la non-réalisation par la SAS Uqode de son préavis,

condamné la SAS Uqode à verser à la SARL Skill Expert 140 euros au titre de son remplacement en urgence par un collaborateur en poste chez un autre client,

condamné la SAS Uqode à payer à la SARL Skill Expert la somme de 2.000 euros au titre de l’article700 du code de procédure civile,

condamné la SAS Uqode aux entiers dépens.

– de confirmer le jugement rendu le 27 septembre 2021 par le tribunal de commerce de Paris en ce qu’il a :

* débouté la SARL Skill Expert de sa demande au titre du manque à gagner dû au remplacement à tarif négocié,

* débouté la SARL Skill Expert de sa demande de dommages et intérêts pour atteinte à son image

En conséquence,

de condamner la société Skill Expert à régler la somme de 12.852 euros TTC à la société Uqode au titre du préjudice lié à la brutalité de la rupture du contrat et au défaut d’exécution du préavis,

de condamner la société Skill Expert à régler la somme de 42.720 euros TTC à la société Uqode au titre du préjudice lié à la perte d’un nouveau contrat.

de condamner la société Skill Expert au paiement de la somme de 8.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

de condamner la société Skill Expert aux entiers dépens qui comprendront le coût de l’assignation, celui du procès-verbal de constat ainsi que les états et frais d’exécution ;

de débouter la société Skill Expert de ses éventuelles demandes.

Suivant ses dernières conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 21 juillet 2022, la société Skill Expert demande à la cour :

de dire et juger recevable et bien fondée la société Skill Expert en son appel incident, ses explications et chefs de demandes,

de dire et juger la société Uqode mal fondée en son appel du jugement et de l’en débouter,

de dire et juger que le contrat conclu entre la société Uqode et Skill Expert a été rompu à l’initiative seule de la société Uqode,

de dire et juger que la rupture anticipée du préavis est justifiée par les manquements graves de la société Uqode,

de dire et juger que la société Uqode ne justifie d’aucun préjudice à l’appui de ses demandes indemnitaires,

Y statuant,

de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté la SAS Uqode de sa demande de condamnation de la SARL Skill Expert à lui régler 12.852 euros au titre de la rupture de son contrat,

de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté la SAS Uqode de sa demande de condamnation de la SARL Skill Expert à lui régler la somme de 14.040 euros au titre du préjudice lié à la perte du nouveau contrat,

de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la SAS Uqode à payer à la SARL Skill Expert la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a limité l’indemnisation du préjudice de la société Skill Expert à la somme de 1.400 euros au titre de son manque à gagner en raison de non réalisation par la SAS Uqode de son préavis,

d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a limité l’indemnisation du préjudice de la société Skill Expert à la somme de 140 euros au titre de son remplacement en urgence par un collaborateur en poste chez un autre client,

d’infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 27 septembre 2021 en ce qu’il a débouté la société Skill Expert de sa demande au titre du manque à gagner dû au remplacement à tarif négocié et de sa demande à titre de dommages et intérêts pour atteinte à son image.

Statuant à nouveau,

de condamner la société Uqode au paiement des sommes suivantes, en réparation des préjudices liés à la rupture anticipée du préavis, subis par la société Skill Expert :

Manque à gagner dû à la non-réalisation du préavis : 14.000 euros HT.

Manque à gagner dû au remplacement en urgence par un collaborateur en poste chez un autre client : 1.166 euros HT

Manque à gagner dû au remplacement à tarif négocié compte tenu de la situation (650 au lieu de 700 jusque fin d’année) : 1.750 euros HT

de condamner la société Uqode au paiement de la somme de 40.000 euros à titre de dommages et intérêts pour atteinte à l’image de la société Skill Expert,

de condamner la société Uqode au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

de condamner la société Uqode aux entiers dépens d’instance,

*

La clôture a été prononcée suivant ordonnance en date du 2 février 2023.

SUR CE, LA COUR,

Sur les demandes de la société Uqode

À titre liminaire il sera relevé que tout en visant à la fois l’article 1217 du code civil et l’article L. 442-6 I 5° du code de commerce, la société Uqode ne développe plus en appel de moyen relatif à une rupture brutale de la relation commerciale établie, se limitant à évoquer une rupture abusive du contrat de sous-traitance sur le fondement de l’article 1217 précité. L’appelante reprend ici la requalification opérée par le tribunal de commerce.

La société Uqode soutient que face au refus de son cocontractant d’accéder à sa demande de rupture anticipée de la relation contractuelle moyennant un délai de préavis réduit à une semaine, elle a décidé de poursuivre sa mission durant un mois. Elle fait valoir que la société Skill Expert a cependant abusivement mis un terme à la relation contractuelle sans respect du préavis et ce alors qu’elle n’était tenue que d’une obligation de moyens et que son absence ne pouvait être interprétée comme un abandon de poste, aucune obligation de présence quotidienne ne lui étant imposée en vertu du contrat.

La société Skill Expert soutient que c’est la société [N] [A] [Z] qui n’a plus souhaité que Mme [S] se présente dans ses locaux en raison de son absence depuis le 3 octobre 2018. Elle fait valoir qu’elle a tenté d’apaiser la situation et ce depuis le 28 septembre 2018, date à laquelle la société Uqode a rompu le contrat.

Aux termes de l’article 1217 du code civil, dans sa version en vigueur à la date de la conclusion du contrat :

« La partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut :

– refuser d’exécuter ou suspendre l’exécution de sa propre obligation ;

– poursuivre l’exécution forcée en nature de l’obligation ;

– solliciter une réduction du prix ;

– provoquer la résolution du contrat ;

– demander réparation des conséquences de l’inexécution.

Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s’y ajouter. »

Le contrat de sous-traitance conclu entre les sociétés Skill Expert et Uqode le 13 mars 2017 ensuite renouvelé prévoit en ces termes les obligations du sous-traitant et leur lieu d’exécution ainsi que les modalités de résiliation :

« ARTICLE 4 ‘ OBLIGATIONS DU SOUS-TRAITANT

« En raison de l’investissement sur les connaissances et de l’importance de la prestation du sous-traitant sur la bonne fin du projet du Client Final, le sous-traitant fera les meilleurs efforts pour assurer, pendant la durée de sa prestation, la permanence de son affectation désignée en annexe 1. sauf circonstance indépendante de la volonté du sous-traitant et rendant impossible l’exécution de la mission (telle que, de manière non limitative : démission, maladie, accident, grève, catastrophe, etc…). »

ARTICLE 5 SITE D’EXECUTION

Les travaux seront exécutés dans les locaux de la société [N] [A] [Z] et nécessiteront, en cas de besoin des déplacements ponctuels. »

Les dispositions relatives à la résiliation sont les suivantes :

ARTICLE 10 ‘ RESILIATION – PROLONGATION

« Le présent contrat pourra être résilié par l’une ou l’autre des parties sous réserve d’un préavis de 1 mois, notifié à l’autre partie par courrier.

Si pour des raisons propres au client Final, celui-ci devait résilier le contrat selon des modalités de préavis autres, ce délai sera ramené à 15 jours.

(‘)

Aucun préavis n’aura à être respecté en cas de force majeure ou de manquement grave dans l’exécution des obligations réciproques prévues au présent contrat. »

Or, par courriel du vendredi 28 septembre 2018 à 18h01 et alors que son contrat était prolongé jusqu’au 31 décembre 2018, Mme [D] [S] écrit à M. [V] [K] de [N] [A], avec en copie Mme [U] [L] directrice commerciale de Skill Expert :

« Bonjour [V],

Comme discuté hier en fin de journée, j’ai pris la décision de mettre fin à ma prestation de service chez [N] [A]. N’ayant pas réussi à trouver le bon créneau pour échanger avec toi sur la date de fin de ma mission, je t’envoie ce mail afin de te proposer une date de fin au vendredi 5 octobre 2018. Je souhaiterais également faire du télétravail le lundi 01 octobre 2018 et le mardi 02 octobre 2018.

Actuellement, je ne travaille sur aucun nouveau sujet d’étude, les sujets sur lesquels j’ai travaillé sont tous finalisés et documentés. Les documents sont disponibles sur la plateforme de partage accessible à tous les acteurs intéressés chez [N] [A]. Mon départ n’aura à ma connaissance aucune incidence sur l’organisation de l’équipe chez [N] [A].

Je te remercie par avance pour ta compréhension et te prie de me répondre rapidement à ce courriel. La société Skill Expert qui a le rôle d’intermédiaire (en copie de ce courriel) est en attente de ton retour également. Ayant d’autres engagements ailleurs avec ma structure, je considérerai l’absence de réponse de ta part à ce courriel comme étant un accord implicite. »

Suivant courriel du même jour à 18h07, M. [K] répond en ces termes :

« Tout d’abord le contrat qui me lie est avec Skill Expert est non pas avec toi directement.

Il y a un préavis d’un mois à respecter.

Au-delà des projets, nous avons l’expertise et le l4 à faire tourner.

C’est un peu cavalier de me demander de partir avec un préavis d’une semaine avec en plus 2 jours de télétravail qui ne sont pas autorisés chez LV sauf raison impérative.

De plus, cela veut également dire aucun transfert de compétences.

Donc j’attends de Skill expert une proposition pour gérer la transition et c’est ce qui déterminera ta fête de départ. ».

Le même jour à 18h47, Mme [U] [L] écrit à M. [K] avec en copie Mme [S] :

« [V], [D],

Il y a effectivement un mois de préavis à respecter contractuellement.

Et c’est ce qui fera foi en l’absence d’arrangement amiable avec [N] [A].

Nous allons mettre en ‘uvre tous nos efforts pour pallier au mieux à cette situation, mais compte-tenu du délai de prévenance extrêmement court nous n’avons à ce jour pas de visibilité sur un arrangement qui permettrait de réduire ce préavis.

Dans l’attente d’une solution qui sera acceptée par [N] [A], la date de fin de mission d'[D] sera considérée le 26 octobre 2018, et le télétravail ne sera pas autorisé sauf indication contraire de [N] [A]. »

Le 30 septembre 2018 Mme [L] indique par courriel à Mme [S] chercher quelqu’un pour la remplacer auprès de [N] [A] afin de réduire son préavis mais n’avoir à ce jour aucune visibilité sur cette possibilité. Par texto du 2 octobre 2018, Mme [L] écrit n’avoir toujours rien de nouveau. Le 3 octobre 2018, Mme [C] [B] de [N] [A] écrit à Mme [L] s’inquiéter de l’absence de Mme [S] ce jour à 10h57 et indique que la journée ne sera pas payée. A 19h23 M. [K] écrit « [D] est en abandon de poste et est partie avec le pc [A]. Il faut urgemment faire le point avec elle avant que je lance l’artillerie lourde. » Mme [L] s’enquiert auprès de Mme [S] le 4 octobre 2018 de ses absences les 4 et 5 octobre 2018 alors qu’elle lui avait indiqué le contraire, l’informe de la réaction très négative du client final et la somme de restituer l’ordinateur fourni par [N] [A] tout en lui rappelant la nécessité d’être a minima en copie des échanges avec [N] [A].

Par un courriel virulent du 4 octobre 2018, Mme [S] estime bénéficier d’une certaine liberté étant prestataire et non salariée et s’insurge contre l’accusation de vol de matériel tout en précisant reprendre sa prestation à compter du lundi 8 octobre 2018 « ayant un empêchement impondérable aujourd’hui et demain » et la poursuivre jusqu’au terme fixé du 26 octobre 2018. Par courriel du 5 octobre 2018, M. [Y] [L], directeur technique de Skill Expert confirme le blocage de l’accès du site par [N] [A] et la nécessité de restituer l’ordinateur, essaie d’arranger la situation en dépêchant un consultant en urgence pour la remplacer et souhaite que Mme [S] réponde à toutes demandes du client afin de faciliter la passation. Mme [S] conteste la situation ainsi décrite et notamment l’obligation de se rendre chaque jour dans les locaux du client [N] [A] [Z]. Le même jour M. [K] confirme à Mme [L] que Mme [S] ne s’est pas présentée à son poste depuis le 3 octobre 2018, considérant cela comme un abandon et coupe alors ses accès aux systèmes informatiques. Mme [S] s’est ensuite présentée chez [N] [A] le 8 octobre 2018, accompagnée d’un huissier de justice.

La chronologie des événements ainsi relatée témoigne d’une décision unilatérale adressée directement non à son cocontractant par la société Uqode mais au client final, lui signifiant la rupture du contrat sous une semaine et sa volonté, dans ce délai restant, d’effectuer des jours de télétravail.

Les compte-rendus d’activité de la société Uqode de novembre 2017 à septembre 2018 sont produits : il en résulte que sauf congés, Mme [S] a toujours été présente sur site chez le client final, dès le début de sa mission. La société Uqode en la personne de sa présidente ne peut donc arguer de sa liberté quant au télétravail alors qu’elle n’a jamais obtenu l’accord ni de la société Skill Expert, son cocontractant, ni de la société [N] [A] [Z], quant à cette modalité de travail au mois d’octobre. Elle a donc imposé non seulement la rupture du contrat en ne laissant qu’un préavis d’une semaine au lieu du préavis d’un mois prévu contractuellement puis, après refus de son cocontractant Skill Expert en raison de la position de [N] [A], s’est octroyée unilatéralement des journées de télétravail. Enfin, alors que son cocontractant était la société Skill Expert, la société Uqode a adressé son courriel de rupture anticipée au client final qui s’en est d’ailleurs étonné. La société [N] [A] [Z], client important de la société Skill Expert, lui a fait part immédiatement de son important mécontentement. Compte-tenu des manquements graves et répétés aux obligations contractuelles de la société Uqode, le contrat a finalement été rompu avant l’exécution du préavis mensuel, aux torts de la société appelante. Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a débouté la société Uqode de sa demande à hauteur de 12.852 euros TTC au titre du préjudice lié à la brutalité de la rupture du contrat et au défaut d’exécution du préavis.

La société Uqode réclame en outre l’indemnisation de son préjudice lié à la perte d’un nouveau contrat, à hauteur de 42.720 euros TTC. En première instance, elle évaluait cependant son préjudice à concurrence de 14.040 euros TTC. Elle soutient, en produisant deux courriels datés des 16 et 17 octobre 2018 témoignant d’échanges avec une société T Professional Services, qu’elle a subi une perte de chance d’exécuter une nouvelle mission. Dans son courriel du 16 octobre elle indique à son interlocuteur qu’elle peut se libérer avant le 29 octobre 2018 soit avant la fin de son préavis. La société adverse lui répond « Malheureusement, votre délai de préavis n’était pas acceptable pour mon client, il a donc décidé de ne pas poursuivre avec vous. ». La cour est bien en peine de trouver une quelconque faute de la société Skill Expert à l’origine d’un préjudice pour l’appelante. La société intimée a en effet seulement réclamé l’exécution du préavis contractuel et a dû subir une rupture anticipée en raison des manquements graves de la société Uqode. Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a débouté la société Uqode de sa demande au titre de la perte d’un nouveau contrat.

Sur les demandes reconventionnelles de la société Skill Expert

La société Skill Expert sollicite en premier lieu l’indemnisation du manque à gagner dû à la non-réalisation du préavis. Elle expose, justificatifs à l’appui, avoir dû dépêcher en urgence la société J-Sec Consulting les 8 et 9 octobre au tarif journalier de 700 euros sur lequel elle n’a facturé aucune marge, sa marge journalière étant habituellement de 70 euros. Le remplaçant de la société Uqode, M. [H] [J], n’étant arrivé que le 12 novembre 2018, la société Skill Expert estime avoir subi une perte de chiffre d’affaires à hauteur de 700 euros x 20 jours ouvrés et une perte de marge à hauteur de 70 euros HT x 20 jours ouvrés.

Il est en effet établi que la société Uqode facturait 630 euros HT par jour et que la société Skill Expert refacturait 700 euros HT par jour à [N] [A]. C’est à bon droit que les premiers juges ont décidé que la société Skill avait été privée à compter du 8 octobre et pour une durée de 20 jours de sa marge. Le préjudice subi s’élève donc à la somme de 1.400 euros HT et le jugement sera confirmé sur ce point, la société Skill ‘ qui évoque des montants TTC dans ses motifs mais des sommes HT dans son dispositif qui seul doit être pris en compte ‘ ne justifiant pas devoir être indemnisée d’une perte de chiffre d’affaires au titre de la non-réalisation du préavis.

La société Skill Expert indique en deuxième lieu que la société J-Sec Consulting était affectée à la société Accorhôtels et facturait 583 euros HT par jour. Cette société n’ayant pu réaliser sa prestation les 8 et 9 octobre, l’intimée estime avoir subi un préjudice à hauteur de 1.166 euros HT. Cependant, comme l’a justement relevé le tribunal de commerce, la société Skill ne fait état que d’une perte de chiffre d’affaires sans donner d’éléments sur sa marge brute qui correspond au préjudice réellement subi. Les premiers juges seront par conséquent confirmés en ce qu’ils ont appliqué, faute d’éléments justificatifs supplémentaires, la marge retenue pour le contrat [N] [A], soit 140 euros (2 x 70 euros HT).

La société Skill Expert explique avoir facturé à [N] [A] au titre de la prestation de M. [J] la somme journalière de 650 euros HT au lieu des 700 euros HT habituels. Si la tarification appliquée résulte effectivement des factures produites, l’intimée ne démontre cependant pas que cette baisse de prix serait liée aux manquements de la société Uqode et à son remplacement en urgence. Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté la société Skill Expert de sa demande à ce titre.

La société Skill Expert réclame enfin l’indemnisation de l’atteinte à son image causée par la société Uqode auprès de son client [N] [A] [Z].

Il est notable que malgré la fin de son contrat, la société Uqode en la personne de Mme [S] s’est présentée le 8 octobre 2018 sur le site du client [N] [A] accompagnée d’un huissier de justice. Cette démarche osée auprès du client alors qu’elle n’agissait qu’en qualité de sous-traitante de la société Skill Expert ne pouvait que tendre les relations entre cette dernière et son client alors que la société Skill tentait par tous moyens d’apaiser la situation. Mme [D] [S] est en outre, par un long courriel détaillé du 13 novembre 2018 adressé au Directeur des systèmes d’information de [N] [A] [Z], revenue sur le différend l’opposant à la société Skill Expert. La société [N] [A] luia répondu le 16 novembre 2018 en lui rappelant que son seul interlocuteur était Skill Expert également unique donneur d’ordre de la société Uqode.

Les termes des précédents courriels de [N] [A] à Skill sont éloquents quant à l’exaspération du client. En effet le 3 octobre 2018 M. [K] écrit « Il faut urgemment faire le point avec elle avant que je lance l’artillerie lourde… » puis le 5 octobre 2018 « Je vous notifie que Mme [D] [S] ne s’est pas présentée à son poste depuis le 3 octobre 2018 et n’a fourni aucune raison pour ses absences. Je considère donc cela comme un abandon de poste et, au vu du risque posé par ses accréditations et sa fonction liée à prestation, je coupe ses accès aux systèmes informatiques ainsi que l’accès à nos locaux. Je vous notifie également qu’elle a en sa possession un PC qui est la propriété de [N] [A]. Merci donc de nous le restituer rapidement. ».

L’attitude du sous-traitant de la société Skill Expert a fortement contrarié la société [N] [A] [Z]. La société Skill a dû ‘uvrer pour calmer le jeu et éviter de perdre son client. Elle a donc du fait du comportement « cavalier » – selon les termes mêmes de la société [A] ‘ de son sous-traitant auprès de son client subi une atteinte à son image dont elle a essayé de minimiser les effets. Ce préjudice sera raisonnablement fixé à hauteur de 5.000 euros. Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu’il a débouté la société Skill Expert de sa demande de ce chef.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

La société Uqode succombant à l’action, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles et statuant de ces chefs en cause d’appel, elle sera aussi condamnée aux dépens. Il apparaît en outre équitable de condamner la société Uqode à payer à la société Skill Expert la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a débouté la société Skill Expert de sa demande de dommages-intérêts au titre de l’atteinte à son image ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

CONDAMNE la société Uqode à payer à la société Skill Expert la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour atteinte à son image ;

CONDAMNE la société Uqode aux dépens ;

CONDAMNE la société Uqode à payer à la société Skill Expert la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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