Rupture brutale de relation commerciale : 25 mai 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/15868

·

·

Rupture brutale de relation commerciale : 25 mai 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/15868
Ce point juridique est utile ?

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

PÔLE 5 – CHAMBRE 4

ARRET DU 25 MAI 2022

(n° , 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/15868 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCS6X

Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Octobre 2020 -Tribunal de Commerce de PARIS – RG n° 2020014933

APPELANTE

S.A.R.L. PL PLUS

prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social : [Adresse 1] [Localité 3]

immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 532 110 038

Représentée par Me Sandra OHANA de l’AARPI OHANA ZERHAT, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050,

Ayant pour avocat plaidant Me Catherine D’ESTAIS, avocat au barreau de PARIS, toque : D0124

INTIMÉE

S.A.S. PIERRE BALMAIN

prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social : [Adresse 2] [Localité 3]

immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 582 054 862

Représentée par Me Bruno REGNIER de la SCP SCP REGNIER – BEQUET – MOISAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050

Ayant pour avocat plaidant Me Alexandre GRUBER de l’AARPI LMT AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : R169,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 22 Mars 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant Mme Camille LIGNIERES, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Marie-Laure DALLERY, Présidente

Mme Sophie DEPELLEY, Conseillère

Mme Camille LIGNIERES, Conseillère,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Mme Meggy RIBEIRO

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Mme Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre, et par Mme Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

****

La société PL plus a pour principale activité le conseil en affaires et la fourniture de toutes prestations de services non réglementées. En 2011, elle a absorbé la société Apolo, prestataire en matière de transport.

La société Balmain est spécialisée dans le prêt-à-porter de luxe. En mars 2017, elle a absorbé la société [P] [W], son façonnier.

Depuis 2006 il a existé un flux d’affaires entre la société Apolo et la société [P] [W], concernant des prestations de service dans le domaine du transport, sans qu’un contrat écrit soit conclu.

A partir de juillet 2019, la société Pierre Balmain a proposé à la société PL Plus de participer à divers appels d’offres.

Le 23 septembre 2019, la société Pierre Balmain a informé la société PL plus de sa volonté de réduire le volume d’affaires existant avec elle.

Le 27 novembre 2019, la société Pierre Balmain a demandé à la société PL plus de lui communiquer l’identité de la personne détenant la capacité de transporteur ou de commissionnaire de transport au sein de la société PL plus et de justifier de son immatriculation au registre des commissionnaires de transports ainsi que des explications sur les tarifs pratiqués.

Le 11 décembre 2019, la société PL Plus a envoyé une lettre recommandée à la société Pierre Balmain afin d’acter la rupture brutale partielle de la relation commerciale établie et de l’informer de son intention de mettre en ‘uvre les procédures judiciaires utiles pour obtenir réparation du préjudice subi suite à la brutalité de la rupture.

Par une lettre de son conseil du 21 février 2020, la société Pierre Balmain a notifié à la société PL Plus la cessation de toute relation commerciale en exposant les manquements reprochés.

La société PL plus a assigné à bref délai la société Pierre Balmain par acte extra-judiciaire signifié en date du 9 mars 2020 devant le tribunal de commerce de Paris.

Par jugement du 9 octobre 2020, le Tribunal de commerce de Paris a :

– Débouté la SARL PL PLUS de l’ensemble de ses demandes

– Condamné la SARL PL PLUS à verser à la SAS PIERRE BALMAIN la somme de 5.000 euros, en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– Ordonné l’exécution provisoire du présent jugement,

– Rejeté les autres demandes, plus amples ou contraires au présent dispositif.

– Condamné la SARL PL PLUS aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 € dont 12,20 € de TVA.

Par des dernières conclusions de la société PL plus, déposées et notifiées le 17 février 2022, il est demandé à la cour d’appel de Paris de :

Vu l’article L 442-1, II du Code de commerce, les pièces produites et les moyens exposés, de déclarer la Société PL PLUS recevable en son appel et :

– INFIRMER le jugement prononcé le 9 octobre 2020 par le Tribunal de commerce de PARIS;

Statuant à nouveau,

– CONDAMNER la SAS PIERRE BALMAIN à payer à la SARL PL PLUS la somme de 1 465 141 euros à titre d’indemnisation du préjudice résultant de la brutalité de la rupture;

– CONDAMNER la SAS PIERRE BALMAIN à payer à la SARL PL PLUS la somme de 10 000 euros au titre de dommages intérêts pour comportement abusif de la Société PIERRE BALMAIN ;

– CONDAMNER la SAS PIERRE BALMAIN à payer à la SARL PL PLUS la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure pénale ainsi qu’aux entiers dépens.

Par des dernières conclusions de la société Pierre Balmain déposées et notifiées le 21 février 2022, il est demandé à la cour d’appel de Paris de :

Vu les articles L 1411-1 et suivants du Code des transports,

Vu le contrat type pour la commission de transport (introduit par C. transp., art. D. 1432-3),

Subsidiairement,

Vu l’article L-442-1, II du Code de commerce,

‘ Débouter la société PL Plus de son appel, de ses demandes, fins et conclusions, EN CONSEQUENCE :

‘ Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 9 octobre 2020 par le Tribunal de Commerce de Paris,

Y ajoutant

‘ Condamner la société PL Plus à payer à la société Pierre Balmain la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

‘ Condamner la société PL Plus aux entiers dépens de l’instance, au titre des dispositions de l’article 699 du Code de Procédure Civile.

La clôture a été prononcée par ordonnance du 22 février 2022.

SUR CE, LA COUR,

Sur la durée de la relation commerciale établie

Selon la société PL plus, il convient de retenir comme point de départ le début de la relation continue entre les sociétés Apolo et [P] [W] en ce que la société Balmain a poursuivi la relation initiée en 2006.

Au contraire, la société Balmain soutient que le point de départ de la relation commerciale en cause doit être fixé en 2011, lorsque la société PL plus en faisant l’acquisition du fonds de commerce de la société Apolo a commencé à délivrer des prestations de transport.

Sur ce,

La société Balmain, par son acquisition-absorption de la société [P] [W], a repris l’activité de cette dernière y compris sa relation établie antérieure avec la société Apolo qui est suffisamment démontrée par la production des factures en pièces 3 et 5 de l’appelante.

La société PL Plus, par l’acquisition du fonds de commerce de la société Apolo, a repris l’activité de cette dernière dont sa relation avec la société [P] [W], aussi le début de la relation commerciale objet du litige doit être fixé en 2006.

Il n’est en revanche pas contesté que la relation entre les parties a pris fin en décembre 2019.

Sur les conditions et le régime de la rupture

Selon l’appelante, la rupture initiée par la société Balmain fin 2019 a été brutale à son égard et justifie une indemnisation sur le fondement des dispositions de l’article L 442-1, II du code de commerce.

La société Balmain, quant à elle, affirme que, d’une part, la relation s’était déjà précarisée par le lancement de plusieurs appels d’offres sur certains itinéraires à compter de juillet 2019 et, d’autre part, que la cessation de leur relation était justifiée par des manquements graves de la part de la société PL Plus en ce que cette dernière n’avait pas justifié de son enregistrement comme commissionnaire de transport et retenait des prestations de transport à des tarifs opaques et bien supérieurs à ceux du marché. L’intimée prétend qu’en tout état de cause, c’est le contrat type du commissionnaire de transport qui doit s’appliquer à leur relation, par dérogation au droit commun de la rupture brutale.

La société PL plus réplique en contestant avoir exercé la fonction de commissionnaire de transport et en soutenant avoir rempli le rôle d’un intermédiaire entre la société Pierre Balmain et les sociétés de transport. Elle indique que la société Balmain lui donnait des instructions pour le choix des transporteurs, qu’elle n’avait pas la liberté du choix des transports.

sur ce ;

L’article L.1411-1 du code des transports définit les commissionnaires comme « les personnes qui organisent et font exécuter, sous leur responsabilité et en leur propre nom, un transport de marchandises selon les modes de leur choix pour le compte d’un commettant », c’est notamment lui qui choisit le transporteur, c’est lui qui signe le contrat de transport et qui organise le transport de bout en bout.

La Cour doit analyser la prestation effectivement réalisée par la société PL Plus pour la société Balmain dans le présent litige.

Or, il résulte des éléments du dossier que la mission de la société PL Plus a consisté à représenter la société Balmain lors des opérations de transports, la société PL plus ayant contracté directement avec les sociétés de transport au vu des pièces produites (pièces 3 et 4 de Balmain). Le fait que la société Balmain ait pu donner des instructions à PL plus quant aux délais souhaités pour tel ou tel transport ne permet pas d’écarter la qualification de commissionnaire de transport, la société Balmain ne choisissant pas les transporteurs et ne prenant pas la responsabilité du transport.

Cette qualification de commissionnaire de transport induit, comme le soutient à juste titre l’intimée que la rupture est régie, à défaut de contrat prévoyant entre les parties un préavis pour cesser leur relation, l’application du contrat type pour la commission de transport (article D. 1432-3 du code du transport), selon le décret 2014-530 du 22 mai 2014, et plus particulièrement l’article 15-1 du contrat type qui prévoit un préavis de 3 mois pour une relation de plus d’un an.

En effet, l’article L-442-1, II du code de commerce qui instaure une responsabilité de nature délictuelle, ne s’applique pas dans le cadre des relations commerciales de transports publics de marchandise, lorsque le contrat-type prévoit, comme en l’espèce, une durée de préavis de rupture.

-le caractère brutal de la rupture partielle en septembre 2019 puis totale en décembre 2019

L’article 15 du contrat type du contrat de commission de transport dans sa version applicable aux faits de l’espèce issu du décret 2014-530 du 22 mai 2014 régit la durée et la résiliation  comme suit :

« 15.1. Dans le cas de relations suivies faisant l’objet d’une convention dont la durée est indéterminée, chacune des parties peut y mettre un terme par l’envoi d’une lettre recommandée avec avis de réception moyennant un préavis d’un mois quand le temps déjà écoulé depuis le début d’exécution du contrat n’est pas supérieur à six mois. Le préavis est porté à deux mois quand ce temps est supérieur à six mois et inférieur à un an. Le préavis à respecter est de trois mois quand la durée de la relation est d’un an et plus.
Pendant la période de préavis, les parties maintiennent l’économie du contrat.

15.2. En cas de manquements répétés de l’une des parties à ses obligations, malgré un avertissement adressé par lettre recommandée avec avis de réception, l’autre partie peut mettre fin au contrat de commission, qu’il soit à durée déterminée ou indéterminée, sans préavis ni indemnité, par l’envoi d’une lettre recommandée avec avis de réception. »

-sur la rupture partielle :

Le tribunal de commerce saisi en première instance a jugé, par des motifs pertinents que la Cour adopte, qu’au vu du chiffres d’affaires de la société PL plus tiré de sa relation avec la société Balmain (pièces comptables de PL plus en pièces 16 et 21), il n’y a pas eu de diminution sur la période de septembre 2019 à décembre 2019 en comparaison à la moyenne du chiffre d’affaires réalisé sur 2016 et 2018.

L’existence d’une rupture partielle brutale alléguée par la société PL plus à partir de septembre 2019 n’est donc pas prouvée par cette dernière.

-sur la rupture totale :

Pour s’opposer au caractère brutal d’une rupture qui lui serait imputable, la société Balmain invoque le fait que la relation était déjà précarisée depuis juillet 2019 avec le lancement d’ appels d’offres.

Il est en effet démontré que par courrier du 23 septembre 2019, la société Balmain a informé la société PL plus de son intention de réduire le volume d’affaires existant après avoir émis plusieurs appels d’offres dès juillet 2019 concernant des prestations d’organisation de transport futures qui étaient assurées auparavant par PL plus.

Néanmoins, ces appels d’offres ne portaient que sur une partie des prestations assurées par la société PL plus et il n’est pas contesté que la relation a cessé totalement en décembre 2019 alors que la société Balmain n’avait pas notifié par écrit un délai de préavis avant rupture tel que prévu par l’article 15 du contrat type régissant leur relation.

Pour expliquer le défaut de préavis, la société Balmain invoque des manquements graves commis par la société PL Plus dans ses obligations contractuelles pour lesquels elle a demandé des explications par lettre recommandée avec accusé de réception du 27 novembre 2019 (pièce 7 PL plus), soit le défaut d’immatriculation au registre des commissionnaires de transport et le manquement à son devoir de conseil en retenant des prestations de transport à des prix opaques et prohibitifs en comparaison à ceux du marché.

Si la défaillance dans le devoir de conseil du fait de prestations de transport retenues à des tarifs prohibitifs et opaques peut expliquer la fin d’une relation commerciale, cela ne peut justifier en soi une rupture immédiate dispensant le cocontractant de notifier un préavis écrit.

En revanche, le défaut d’immatriculation en qualité de commissionnaire de transport est un délit dont les sanctions sont prévues par l’article L1452-3 du code des transports, et constitue en soi un manquement grave. En l’espèce, la société PL plus ne conteste pas avoir dû régulariser sa situation, à la demande de la société Balmain, avec l’embauche d’un commissionnaire (M. [R]) le 2 décembre 2019 lequel a annoncé avoir démissionné dès le 18 décembre 2019 de PL plus (pièce 9 de PL Plus et pièce 8 de Balmain). Il était donc légitime que la société Balmain prenne acte de la fin de la relation du fait de ce défaut d’immatriculation, n’ayant pas reçu de réponse satisfaisante à sa demande formulée par courrier LRAR du 27 novembre 2019 conformément aux dispositions de l’article 15-3 du contrat type. Le manquement grave de son cocontractant le dispensait donc de préavis et justifiait une rupture immédiate. Peu importe que l’appelante argue du fait que ce commissionnaire a finalement rejoint PL plus postérieurement, l’appréciation du manquement grave devant se faire au moment de la rupture et non au regard des événements intervenus postérieurement (emails de M. [R] à PL plus en pièce 20 de l’appelante).

Le jugement qui a débouté la société PL plus de ses demandes en indemnisation pour rupture brutale sera donc confirmé, sauf en ce que le texte applicable n’est pas l’article L-442-1, II du code de commerce mais l’article D. 1432-3 du code de transport dans sa version issue du décret 2014-530 du 22 mai 2014.

Sur le préjudice moral du fait d’un comportement abusif de la société Balmain

Sera également confirmé en appel le rejet de la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral du fait d’un comportement allégué d’abusif de la société Balmain en ce que cette dernière aurait cherché à lui nuire, ne lui aurait pas payé des factures et lui aurait fait accroire qu’elle allait continuer leur relation d’affaires, mais qui n’est nullement démontré.

Sur les frais et dépens

Le jugement du tribunal de commerce sera confirmé en ce qu’il a condamné la société PL Plus aux dépens et aux frais irrépétibles de la première instance.

En cause d’appel, la société PL plus succombant totalement, supportera les entiers dépens de l’appel.

L’appelante participera en outre à hauteur de 5000 euros aux frais irrépétibles complémentaires que la société Balmain a dû engager pour se défendre en appel.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement,

Confirme le jugement entrepris dans toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la société PL plus à payer à la société Balmain la somme de 5000 euros, en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société PL plus aux entiers dépens de l’appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x