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ARRET N°
du 17 mai 2022
R.G : N° RG 21/02272 – N° Portalis DBVQ-V-B7F-FDC4
Société FCA ITALY S.P.A
c/
S.A.S. CEVA LOGISTICS FRANCE
CL
Formule exécutoire le :
à :
la SCP HERMINE AVOCATS ASSOCIES
la SCP SCP ACG & ASSOCIES
COUR D’APPEL DE REIMS
CHAMBRE CIVILE-1° SECTION
ARRET DU 17 MAI 2022
APPELANTE :
d’une ordonnance rendue le 10 décembre 2021 par le Président du TC de CHALONS-EN-CHAMPAGNE
Société FCA ITALY S.P.A
[Adresse 3]
[Localité 1]/ITALIE
Représentée par Me Florence SIX de la SCP HERMINE AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS, ayant pour conseil Maître IVERNEL avocat au barreau de PARIS
INTIMEE :
S.A.S. CEVA LOGISTICS FRANCE Agissant poursuites et diligences de son Président, domicilié en cette qualité audit siège,
[Adresse 5]
[Localité 2]
Représentée par Me Gérard CHEMLA de la SCP SCP ACG & ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS ayant pour conseil Maître PICHON DE BURY avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
Madame Elisabeth JUNGBLUTH, président de chambre
Monsieur Cédric LECLER, conseiller
Mme Sandrine PILON, conseiller
GREFFIER :
M. Abdel-Ali AIT AKKA, Greffier Placé lors des débats et Monsieur MUFFAT-GENDET greffier lors du prononcé
DEBATS :
A l’audience publique du 29 mars 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 17 mai 2022,
ARRET :
Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 17 mai 2022 et signé par Madame Elisabeth JUNGBLUTH, président de chambre, et Monsieur Nicolas MUFFAT-GENDET, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
Depuis 1995, la société par actions simplifiée Ceva Logistics (la société Ceva) a réalisé des prestations logistiques pour la société Fca Italy Spa (la société Fca).
Le 4 septembre 2018, les parties ont conclu le dernier contrat afférent à ces prestations, pour une durée initiale de 18 mois, et qui a été renouvelé pour la même durée venant à expiration au 31 décembre 2021.
Par courrier en date du 29 juin 2021, la société Fca a fait savoir à la société Ceva qu’elle n’entendait pas renouveler le contrat après son terme prévu au 31 décembre 2020, et l’a informée qu’un plan de transition opérationnel lui serait communiqué, tout en indiquant envisager de maintenir les relations contractuelles jusqu’au 31 mars 2022.
Par courrier en date du 13 juillet 2021, la société Ceva a pris acte de la décision de la société Fca, de rompre le contrat à échéance, et a exposé ses conditions quant à la poursuite de ses propres prestations jusqu’au 31 mars 2022.
Par courrier en date du 9 août 2021, la société Ceva a mis en demeure la société Fca de reprendre les salariés de son site de [Localité 4] par application de l’article L. 1224-1 du code du travail.
Par ordonnance du président du tribunal de commerce de Châlons-en-Champagne en date du 2 décembre 2021, la société Fca a été autorisée à assigner d’heure à heure la société Ceva.
La société Fca a assigné en référé d’heure à heure la société Ceva devant le président du tribunal de commerce de Châlons-en-Champagne.
En dernier lieu, la société Fca a demandé au tribunal de:
– se déclarer compétent pour statuer sur les demandes qu’elle présentait;
– ordonner à la société Ceva de reprendre les livraisons de pièces de la société Fca selon les ordres de livraison qu’elle avait reçus et ce sous astreinte de 300’000 euros par jour de retard à compter de la signification de l’ordonnance intervenir;
– condamner la société Ceva à lui payer la somme de 5000 euros au titre des frais irrépétibles.
En dernier lieu, la société Ceva a demandé de:
A titre principal,
– dire irrecevables les demandes de la société Fca en raison de la fin de non-recevoir soulevée par elle-même;
A titre subsidiaire, si le tribunal dût s’estimer compétent pour statuer sur le présent litige,
– dire n’y avoir lieu à référé;
– débouter la société Fca de l’ensemble de ses demandes;
A titre très subsidiaire,
– réduire à des plus justes proportions le montant de l’astreinte;
En tout état de cause,
– condamner la société Fca à lui payer la somme de 10’000 euros au titre des frais irrépétibles.
Par ordonnance contradictoire en date du 10 décembre 2021, le président du tribunal de commerce de Châlons-en-Champagne a:
– dit irrecevable les demandes de la société Fca en raison de la fin de non-recevoir soulevée par la société Ceva;
– condamné la société Fca à payer à la société Ceva la somme de 10’000 euros au titre des frais irrépétibles.
Le 21 décembre 2021, la société Fca relevé appel de cette ordonnance.
Par ordonnance du premier président de la cour de céans du 3 janvier 2022, la société Fca a été autorisée à assigner à jour fixe à l’audience de la cour du 28 février 2022.
L’affaire a été renvoyée à l’audience de la cour du 8 mars 2022, puis à l’audience du 29 mars 2022
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES:
Pour plus ample exposé, il sera expressément renvoyé aux écritures déposées:
– le 28 mars 2022 par la société Fca, appelante;
– le 24 mars 2022 par la société Ceva, intimée.
Par voie d’infirmation, la société Fca demande de voir dire que ses demandes sont parfaitement recevables, et de voir ordonner à la société Ceva de reprendre les livraisons de ses pièces selon les ordres de livraison qu’elle avait reçus, sous astreinte de 300 000 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir, à tout le moins à hauteur d’un nombre de pièces totalisant 9 millions d’euros à charge pour elle de justifier de cette valorisation.
En tout état de cause, la société Fca demande de déclarer irrecevable la demande reconventionnelle de condamnation provisionnelle de la société Ceva, d’en débouter cette dernière, de rejeter l’ensemble des prétentions formées par celle-ci, et de la condamner à lui payer la somme de 15 000 euros au titre des frais irrépétibles des deux instances.
A titre principal, la société Ceva demande la confirmation intégrale de l’ordonnance déférée.
A titre subsidiaire, la société Ceva demande de déclarer l’action de la société Fca irrecevable en raison de la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée par le juge de l’exécution de Châlons-en-Champagne.
A titre subsidiaire, la société Ceva demande de dire n’y avoir lieu à référé, et de débouter la société Fca de l’ensemble de ses prétentions.
A titre infiniment subsidiaire, la société Ceva demande de réduire à de plus justes proportions le montant de l’astreinte.
A titre reconventionnel, si la cour devait estimer disposer du pouvoir juridictionnel de statuer sur le présent litige, la société Ceva demande de condamner la société Fca à lui payer à titre de provision une somme de 3 millions d’euros.
En tout état de cause, la société Ceva demande la condamnation de la société Fca à lui payer la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel.
MOTIVATION:
Sur la recevabilité des prétentions de la société Fca:
Selon l’article L. 442-1 II du code de commerce,
Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant les activités de production, distribution ou de service de rompre brutalement, même partiellement une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce et aux accords interprofessionnels.
En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d’une durée insuffisante dès lors qu’il a respecté un préavis de 18 mois.
Selon l’article L. 442-4 du même code,
I. Pour l’application des articles L. 442-1, L. 442-2, L. 442-3, L. 442-7 et L. 442-8, l’action est introduite devant la juridiction civile ou commerciale compétente par toute personne justifiant d’un intérêt, par le ministère public, par le ministre chargé de l’économie ou par le président de l’Autorité de la concurrence lorsque ce dernier constate, à l’occasion des affaires qui relèvent de sa compétence, une pratique mentionnée aux articles précités.
…
Le juge des référés peut ordonner, au besoin sous astreinte, la cessation des pratiques abusives ou toutes autres mesures provisoires.
III. Les litiges relatifs à l’application des articles L. 442-1, L. 442-2, L. 442-3, L. 442-7 et L. 442-8 sont attribués aux juridictions dans le siège et le ressort sont fixées par décret.
Selon l’article D 442-2 du même code, s’agissant des actions relevant du ressort de la cour d’appel de céans, le tribunal de commerce désigné en application des textes précédents est celui de Tourcoing.
Il résulte des articles L. 442-6, III et D. 442-3 du code de commerce et R. 311-3 du code de l’organisation judiciaire que seules les juridictions du premier degré spécialement désignées par le deuxième de ces textes sont investies du pouvoir de statuer sur les litiges relatifs à l’application du premier, que les recours formés contre les décisions rendues par ces juridictions spécialisées sont portées devant la cour d’appel de Paris, et que ceux formés contre les décisions rendues par des juridictions non spécialement désignées, quand bien même auraient-elles statué sur de tels litiges, sont portées devant la cour d’appel dans le ressort de laquelle elles sont situées.
Il incombe à la cour d’appel, saisie conformément à ces règles, d’examiner la recevabilité des demandes formées devant le tribunal, puis le cas échéant, de statuer dans les limites de son propre pouvoir juridictionnel (Cass. com., 29 mars 2017, n°15-17.659, Bull. 2017, IV, n° 49).
La spécialisation juridictionnelle en matière de pratiques anti-concurrentielles emporte renvoi obligatoire aux juridictions spécialisées, dès lors que les règles induisant la spécialisation sont invoquées, y compris comme moyen de défense à une demande (Cass. com. 9 novembre 2010, n°10-10.937, Bull. 2010, IV, n°169).
Il ressort des écritures concordantes des parties que la société Ceva a assuré des prestations de service logistique de pièces détachées automobiles au profit de la société Fca depuis 1995, et que suite à appel d’offre, le dernier contrat liant les parties a été conclu le 4 septembre 2018 pour une durée de 18 mois.
Il est constant entre parties que ce contrat a été renouvelé avec un terme au 31 décembre 2021.
Il en résulte donc l’existence de relations commerciales établies entre les deux parties.
Par courrier en date du 29 juin 2021, la société mère de la société Fca a fait savoir à la société Ceva qu’elle ne prolongerait par le contrat venant à expiration du 31 décembre 2021 pour les services réalisés à l’entrepôt de [Localité 4], tout en sollicitant le maintien des prestations contractuelles dans les mêmes termes pour une période courant jusqu’au le 31 mars 2022 au plus tard, cette période étant selon elle nécessaire pour assurer une bonne transition et ne pas compromettre sa propre activité.
Par courrier en date du 13 juillet 2021, la société Ceva a accusé réception de la résiliation contractuelle.
S’agissant de la demande de prolongation des prestations jusqu’au 31 mars 2022, la société Ceva a demandé des précisions sur la stratégie de réduction de ses activités par la société Fca, afin de sécuriser le transfert des activités de cette dernière, et d’évaluer ses propres frais y afférents.
La société Ceva a aussi fait savoir que son bailleur ne pouvait accepter de prorogation de la durée du bail que sur une seule année civile pleine du 1er janvier 2022 au 31 décembre 2022, sans possibilité de résiliation anticipée.
La société Ceva a demandé une confirmation écrite avant le 31 juillet 2021 d’acceptation de ces nouvelles conditions.
Enfin, la société Ceva a demandé ce qui était prévu par la société Fca pour les employés du site.
Par courrier en date du 9 août 2021, la société Ceva a mis en demeure la société Fca de reprendre les contrats de travail de ses salariés affectés sur son site de [Localité 4], constituant à son sens une entité économique autonome transférée.
Par courrier en date du 28 septembre 2021, le conseil de la société Fca a récusé que le site de la société constituerait une entité économique autonome devant lui être transférée ensuite de la cessation des relations contractuelles.
Il ressort notamment des courriers de la société Fca et des sociétés de son groupe ainsi que de leurs conseils des 29 octobre 2021, 3 novembre 2021, 10 novembre 2021 que la société Fca fait grief à la société Ceva d’avoir cessé ses prestations contractuelles depuis le 25 octobre 2021sur son site de [Localité 4], et de ne pas lui permettre de mettre en oeuvre la reprise du stock de marchandises lui appartenant, alors que les relations contractuelles devaient expirer le 31 décembre suivant.
En réponse, dans son courrier du 5 novembre 2021, le conseil de la société Ceva fait valoir la gravité des conséquences économiques et sociales de son chef résultant de la décision adverse de cessation des relations contractuelles, invite la société Fca d’apporter des indications sur les modalités de livraison des stocks et sur la cessation des opérations réalisées pour son compte de manière exclusive, par elle, en se fondant sur les stipulations de l’article 12 du contrat.
Dans ce courrier, la société Ceva intime la société Fca de désigner le lieu où devront être transférés les produits stockés dans ses propres locaux, ce dont cette dernière s’est abstenue malgré ses propres démarches réitérées pendant près de 4 mois, et ce selon elle aux fins d’échapper à son obligation de reprise des salariés de son propre site par application de l’article L. 1224-1 du code du travail.
Dans ce courrier, la société Ceva a rappelé avoir, au cours de deux réunions bilatérales des 20 et 21 octobre 2021 entre équipes opérationnelles respectives, indiqué clairement qu’elle devrait stopper toutes ses opérations à compter du 25 octobre 2021, afin que le site puisse être vidé des équipements, stocks et matériels appartenant à la société Fca, et que les racks et mezzanines puissent être démantelés, en vue d’une restitution impérative des locaux à son propre bailleur le 31 décembre 2021.
La société Ceva a aussi ajouté ne pas pouvoir, dans le même temps, et pour des raisons de sécurité, effectuer ses prestations logistiques habituelles.
Elle avance notamment que le commencement des opérations de démantèlement constitue un frein à la réalisation d’opérations logistiques.
Dans son courrier du 29 novembre 2021, la société mère de la société Fca rappelle à la société Ceva lui avoir proposé le 29 juin 2021 de poursuivre la relation contractuelle jusqu’au 31 mars 2022, lui avoir fait des propositions d’accompagnement, pour finir par lui proposer de poursuivre la relation commerciale jusqu’au 31 décembre 2022.
Il ressort du tout que les parties étaient en relations commerciales depuis 1995, et qu’après notification par la société Fca de la rupture contractuelle à effet au 31 décembre 2021, des pourparlers ont été engagés par les parties quant à la prolongation éventuelle de ses prestations par la société Ceva à compter du 1er janvier 2022, que la société Fca fait grief à la société Ceva d’avoir cessé ses prestations contractuelles depuis le 25 octobre 2021 sur son site de [Localité 4], et de ne pas lui permettre de mettre en oeuvre la reprise du stock de marchandises lui appartenant, alors que les relations contractuelles devaient expirer le 31 décembre suivant; à l’inverse, la société Fca, qui reconnaît la cessation de ses prestations depuis le 25 octobre 2021, excipe de ces circonstances par la brièveté du préavis de rupture de 6 mois, fût-il contractuel, ainsi que par l’absence de communication de plan de transfert de l’activité et les modalités de fin de contrat par la société Fca, la contraignant notamment à initier dès cette date le démantèlement du site de [Localité 4] pour rendre les locaux à son bailleur au 31 décembre 2021.
Il s’en déduira que le litige a trait à la rupture brutale de relations commerciales établies entre les parties au sens de l’article L. 441-6 du code de commerce, dont le contentieux est exclusivement attribué aux juridictions spécialisées désignées par l’article D. 442-3 du même code.
Dès lors, il appartenait à la société Fca de saisir de ce litige le tribunal de commerce de Tourcoing.
La demande de la société Fca, introduite devant le tribunal de commerce de Châlons-en-Champagne, sera donc déclarée irrecevable, et le jugement sera confirmé de ce chef.
Et le surplus des prétentions de la société Fca à hauteur de cour sera lui aussi déclaré irrecevable.
*****
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné la société Fca aux dépens de première instance et à payer à la société Ceva la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance.
Il sera ajouté que la société Fca sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles de première instance.
Y ajoutant, la société Fca sera condamnée aux entiers dépens d’appel, sera déboutée de sa demande de frais irrépétibles d’appel, et sera condamnée à payer au même titre à la société Ceva la somme de 10 000 euros.
PAR CES MOTIFS:
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi;
Confirme l’ordonnance déférée en toutes ses dispositions;
Y ajoutant:
Déclare irrecevable le surplus des prétentions de la société Fca Italy Spa;
Déboute la société Fca Italy Spa de sa demande au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel;
Condamne la société Fca Italy Spa aux entiers dépens d’appel et à payer à la société par actions simplifiée Ceva Logistics la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel.
Le greffier La présidente