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La baisse du chiffre d’affaires n’est pas le critère principal du licenciement économique. Procéder à ce type de licenciement n’est pas compatible avec l’acquisition d’un portefeuille clients, la distribution de dividendes aux actionnaires et un résultat comptable bénéficiaire et en hausse sur les périodes ayant précédé le licenciement.
En l’espèce, l’érosion du chiffre d’affaires d’une société de production, compensée par des résultats comptables en hausse était insuffisante pour justifier de l’existence des risques économiques anticipés par l’employeur.
Pour rappel, il résulte de l’article L. 1233-3, 3° du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, que la réorganisation de l’entreprise, si elle n’est pas justifiée par des difficultés économiques ou des mutations technologiques, constitue un motif économique de licenciement si elle est nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ou de celle du secteur d’activité du groupe auquel elle appartient.
L’employeur a échoué dans l’administration de la preuve de l’existence d’une menace pesant sur sa compétitivité et le licenciement avait pour seul objectif de réaliser une économie de salaire en allégeant la charge salariale au profit d’une prestation de services et de privilégier ainsi son niveau de rentabilité.
SOC.
HP
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 octobre 2023
Rejet
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1046 F-D
Pourvoi n° Z 22-10.690
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 18 OCTOBRE 2023
La société Artmédia, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Z 22-10.690 contre l’arrêt rendu le 25 novembre 2021 par la cour d’appel de Paris (pôle 6, chambre 5), dans le litige l’opposant :
1°/ à Mme [W] [S], épouse [B], domiciliée [Adresse 1],
2°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 4],
[Localité 3],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Grandemange, conseiller, les observations de Me Ridoux, avocat de la société Artmédia, de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de Mme [B], après débats en l’audience publique du 19 septembre 2023 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Grandemange, conseiller rapporteur, M. Seguy, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 25 novembre 2021), Mme [B] a été engagée par la société Artmédia (la société), en qualité d’employée de bureau, à compter du 2 juillet 1990.
2. La salariée a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé le 6 septembre 2017, au cours duquel lui a été remis une lettre précisant le motif économique de la mesure envisagée. Son contrat de travail a été rompu le 27 septembre suivant par son adhésion au contrat de sécurisation professionnelle.
3. La salariée a saisi la juridiction prud’homale en contestation de cette rupture.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première à quatrième branches
4. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui sont irrecevables.
Sur le moyen, pris en ses cinquième à onzième branches
Enoncé du moyen
5. L’employeur fait grief à l’arrêt de dire que le licenciement de la salariée est dépourvu de cause réelle et sérieuse, de le condamner au paiement d’une somme à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de lui ordonner le remboursement aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées à la salariée, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités et après déduction de la contribution versée par l’employeur à Pôle emploi pour financer le contrat de sécurisation professionnelle, alors :
« 5°/ que la réorganisation de l’entreprise constitue un motif de licenciement si elle est effectuée pour sauvegarder la compétitivité de l’entreprise ou du secteur d’activité du groupe dont elle relève, en prévenant des difficultés économiques à venir et leurs conséquences sur l’emploi ; que devant la cour d’appel, la société Artmédia a fait valoir que sa compétitivité était étroitement liée à la présence en son sein de deux agents artistiques, Mme[H] présente depuis 1987 et M. [T] depuis 1975, dirigeant et actionnaire majoritaire, lesquels, compte tenu de leur renommée professionnelle dans le secteur des agences artistiques, généraient en 2015, à eux seuls, 45 % du chiffre d’affaires de la société ; qu’il en résulte que le départ de ces deux agents (en 2015 pour Mme [H], et en 2017 pour M. [T]), ainsi que de Mme [P], pour fonder ou développer des agences concurrentes (l’agence Time art et l’agence VMA), constituait une menace grave pour la survie économique de la société Artmédia ; que l’arrêt constate à cet égard qu’à partir de 2015, année du départ de Mme [H], la société Artmédia a vu son chiffre d’affaires chuter (6 000 339 euros en 2014, 5 254 534 euros en 2015, 4 720 512 euros en 2016) quand celui de son concurrent principal augmentait (CA de la société Adequat : 5 189 000 euros en 2015, 5 370 000 euros en 2016), entraînant par là même un recul de sa part de marché ; que cette baisse se poursuivait à la suite du départ de M. [T], le chiffre d’affaires réalisé par la société Artmédia s’établissant en 2017 à 3 722 133 euros, soit une baisse de 20 % par rapport à 2016, et de 38 % sur les quatre derniers exercices ; qu’en jugeant néanmoins que la menace sur la compétitivité de l’entreprise, pourtant corroborée par la baisse du chiffre d’affaires réalisé par la société en 2017, n’était pas caractérisée, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l’article L. 1233-3 du code du travail ;
6°/ qu’en statuant comme elle l’a fait, à la faveur de motifs inopérants relatifs au résultat comptable bénéficiaire de l’entreprise et à la distribution de dividendes aux actionnaires sur les périodes ayant précédé le licenciement, ainsi qu’à la prétendue négligence de l’employeur dans le recouvrement de ses créances non constitutive cependant d’une légèreté blâmable, la cour d’appel a violé l’article L. 1233-3 du code du travail ;
7°/ que devant la cour d’appel, la société Artmédia a fait valoir non seulement la baisse des commissions générées par chacun des agents suite à leur départ, mais également la baisse, dans les mêmes proportions, du chiffre d’affaires global de l’entreprise, attestée par les comptes de la société ; qu’en ne s’expliquant pas sur cette diminution, concomitante et dans les mêmes proportions, des commissions générées individuellement par chacun des agents suite à leur départ et du chiffre d’affaires global de la société Artmédia, laquelle démontrait la perte du chiffre d’affaires consécutivement aux départs de Mme [H], de M. [T], et de Mme [P], la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 1233-3 du code du travail ;
8°/ que l’arrêt constate que les commissions perçues par la société Artmédia en cas de transfert d’artistes présentent un caractère dégressif (100 % au titre des projets initiés avant le départ, 50 % au titre des projets initiés durant l’année suivant le départ) et temporaire (aucune rétrocession au-delà) ; qu’en jugeant néanmoins que ces commissions permettaient de pallier les difficultés économiques causées par le départ de Mme [H], de M. [T] et de Mme [P], la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l’article L. 1233-3 du code du travail ;
9°/ qu’il n’appartient pas au juge de se substituer à l’employeur quant au choix qu’il effectue pour faire face à la situation économique de l’entreprise ; qu’en jugeant sans cause réelle et sérieuse le licenciement, nonobstant la dégradation continue du chiffre d’affaires de l’entreprise à la suite du départ de Mme [H], de M. [T] et de Mme [P] pour fonder ou développer des agences concurrentes, au motif que le recrutement de nouveaux agents est de nature à améliorer ses performances économiques, la cour d’appel, qui s’est immiscée dans la gestion de l’entreprise, a excédé ses pouvoirs et violé l’article L. 1233-3 du code du travail ;
10°/ que le motif économique est apprécié à la date de la rupture du contrat de travail ; qu’en se fondant, pour dire sans cause réelle et sérieuse le licenciement, sur le recrutement, postérieurement au licenciement, de nouveaux agents artistiques, ainsi que sur la prise de participation minoritaire par la société Adequat en avril 2020, soit sur des événements purement éventuels à la date du licenciement et qui, dès lors, ne pouvaient permettre d’en apprécier le bien-fondé, la cour d’appel a encore violé l’article L. 1233-3 du code du travail.
11°/ que s’il appartient au juge de contrôler le caractère réel et sérieux du motif économique du licenciement, de vérifier l’adéquation entre la situation économique de l’entreprise et les mesures affectant l’emploi ou le contrat de travail envisagées par l’employeur, il ne peut se substituer à ce dernier quant au choix qu’il effectue dans la mise en oeuvre de la réorganisation ; qu’en reprochant à l’employeur d’avoir fait le choix, pour faire face à la situation économique de l’entreprise, d’externaliser le poste de la salariée et de recourir à un prestataire extérieur, la cour d’appel a excédé ses pouvoirs et violé l’article L. 1233-3 du code du travail. »
Réponse de la Cour
6. Il résulte de l’article L. 1233-3, 3° du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, que la réorganisation de l’entreprise, si elle n’est pas justifiée par des difficultés économiques ou des mutations technologiques, constitue un motif économique de licenciement si elle est nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ou de celle du secteur d’activité du groupe auquel elle appartient.
7. La cour d’appel, après avoir rappelé que la société invoquait pour justifier la nécessité de sauvegarder sa compétitivité, une baisse de son chiffre d’affaires, l’existence d’une concurrence exacerbée par l’émergence de nouveaux talents et enfin les restrictions budgétaires concernant le financement public, a, par une appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, d’abord relevé, s’agissant de la diminution du chiffre d’affaires attribuée au départ de trois de ses agents artistiques, que le remplacement de ces derniers était de nature à améliorer les performances économiques de l’entreprise par le recrutement de nouveaux artistes, qu’ainsi l’entreprise avait fait l’acquisition, le 2 février 2016, d’un portefeuille clients pour le prix de 85 000 euros, qu’en outre elle avait distribué des dividendes aux actionnaires entre 2015 et 2016 ce qui était révélateur d’une situation sociale saine, que de même le résultat comptable restait bénéficiaire et était en hausse sur les périodes ayant précédé le licenciement, de sorte que l’érosion du chiffre d’affaires, compensée par des résultats comptables en hausse était insuffisante pour justifier de l’existence des risques économiques anticipés par l’employeur.
8. Elle a ensuite retenu, d’une part, que l’employeur ne justifiait pas, suite aux départs successifs, en 2015 et 2016, de deux de ses agents artistiques, du nombre d’artistes maintenus en son sein affectés aux agents restants ainsi qu’aux nouveaux agents recrutés à cette occasion, qu’il ne fournissait aucun élément sur les commissions générées par leurs placements qu’il continuait de percevoir intégralement, ou sur les mandats prouvant que les artistes prétendument perdus étaient représentés par ses soins au moment des faits ni les lettres de rupture établissant la date à laquelle lesdits artistes avaient quitté l’agence, d’autre part, que les nouveaux agents recrutés en remplacement de ceux ayant quitté l’agence avaient apporté une partie de leur clientèle et signé de nouveaux mandats avec de nouveaux artistes. Elle a également retenu que les agences concurrentes visées par l’employeur avaient été créées en 2004 et 2007 de sorte que la concurrence qu’elles représentaient existait de longue date sans affecter sa compétitivité, que les éléments comptables concernant la société Adequat étaient tronqués et que le bilan afférent à l’année 2017, année du licenciement, n’était pas produit.
9. Enfin, elle a relevé que l’employeur était défaillant à démontrer que le plafonnement des salaires des artistes avait pu représenter un danger pour son chiffre d’affaires et constituer un quelconque manque à gagner et, qu’en tout état de cause, les mesures prises par le Centre national du cinéma et de l’image animée concernaient l’ensemble des professionnels de la production cinématographique et ne sauraient constituer une menace sur la compétitivité de l’entreprise, ses concurrents étant soumis à la même réglementation et subissant les mêmes restrictions budgétaires, de sorte que l’invocation d’une dérégulation de la profession comme constitutive d’une menace sur la compétitivité n’était pas fondée.
10. Après avoir constaté que l’employeur avait décidé d’externaliser le poste de la salariée pour le confier à un prestataire extérieur, elle a déduit de l’ensemble de ces éléments que l’employeur échouait dans l’administration de la preuve de l’existence d’une menace pesant sur sa compétitivité et que le licenciement avait pour seul objectif de réaliser une économie de salaire en allégeant la charge salariale au profit d’une prestation de services et de privilégier ainsi son niveau de rentabilité.
11. Elle a pu en déduire, sans se substituer à l’employeur dans ses choix de gestion, que le licenciement de la salariée était sans cause réelle sérieuse.
12. Le moyen, qui en ses sixième et dixième branches est inopérant en ce qu’il critique des motifs surabondants, n’est pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Artmédia aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Artmédia et la condamne à payer à Mme [B] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit octobre deux mille vingt-trois.