Responsabilité contractuelle d’une régie publicitaire

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Responsabilité contractuelle d’une régie publicitaire
5/5 – (1 vote)

 

Une société a notifié la résiliation du contrat aux torts exclusifs d’une régie publicitaire. Cette résiliation a été motivée par l’irrespect des modalités tarifaires stipulées, des actes de concurrence déloyale (captation de clientèle, non-respect de la clause d’exclusivité), l’irrespect des stipulations relatives à la facturation et au paiement de la publicité. La juridiction a exclu toute responsabilité contractuelle de la régie, cette dernière n’ayant commis aucune faute, a pu obtenir une indemnité en raison de la rupture anticipée du contrat.

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE POITIERS

1re Chambre Civile

ARRÊT DU 15 OCTOBRE 2019

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 17/03287

Décision déférée à la Cour : jugement du 05 septembre 2017 rendu par le Tribunal de Commerce de LA ROCHE SUR YON.

APPELANTE :

SASU T U V exerçant sous l’enseigne ‘T U’ venant aux droits de la SARL D E

[…]

[…]

ayant pour avocat postulant Me Anne-H FREZOULS de la SCP BEAUMONT-FREZOULS, avocat au barreau de POITIERS, et pour avocat plaidant Me BINE FISCHER, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE :

SAS Y Z venant aux droits de la STE Y D

[…]

[…]

ayant pour avocat postulant Me Jérôme CLERC de la SELARL LEXAVOUE POITIERS – ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS et pour avocat plaidant Me TERTRAIS, avocat au barreau de La Roche Sur Yon

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 05 Septembre 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :

  1. Thierry MONGE, Président de Chambre

Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller

Monsieur Philippe MAURY, Conseiller

qui en ont délibéré

GREFFIER, lors des débats : Mme Elodie TISSERAUD,

ARRÊT :

— CONTRADICTOIRE

— Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

— Signé par M. Thierry MONGE, Président de Chambre et par Mme Elodie TISSERAUD, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

La société D E créée en 1987 avait pour objet l’exploitation en E de la fréquence radiophonique Europe 2 devenue T U et la commercialisation des espaces publicitaires sur les fréquences de E.

Courant 1995, les activités U ont été séparées des activités de D. Celles-ci ont été confiées à la société Y D nouvellement créée. Le fichier clients de la société D E lui a été communiqué afin qu’elle puisse développer la commercialisation des espaces publicitaires et le chiffre d’affaires de la U. Un contrat de D de publicité a été conclu entre ces deux sociétés, en date du 18 décembre 1995. La même année, la société Europe 2 Entreprises est entrée au capital de la société D E. La société Europe 2 Entreprises a postérieurement acquis l’ensemble des parts de la société D E dont le patrimoine a été transmis à la société T U V. La Société Y D est devenue en 2015 la société Y Z.

Par acte du 3 novembre 2014, la société Y D et la société D E avaient conclu un nouveau ‘contrat de D publicitaire’ ayant pour objet principal de confier à la société Y D ‘la charge de prospecter, de recueillir et de promouvoir par tous les moyens à sa convenance la publicité à diffuser sur les fréquences de la société ‘D E’, de la facturer et d’en encaisser le montant auprès de sa clientèle’. Des tarifs ont été convenus. A en outre été stipulée une indemnité de 220.000 € hors taxes (264.000 € toutes taxes comprises) à la charge du cocontractant à l’initiative de la résiliation du contrat au profit de l’autre partie.

Par courrier recommandé en date du 30 juillet 2015, la société T U E (venant aux droits de la société D E) a notifié la résiliation du contrat aux torts exclusifs de la société Y Z, avec effet au 31 août suivant. Cette résiliation a été motivée par l’irrespect des modalités tarifaires stipulées, des actes de concurrence déloyale (captation de clientèle, non-respect de la clause d’exclusivité), l’irrespect des stipulations relatives à la facturation et au paiement de la publicité. Cette résiliation a été confirmée par courrier en date du 31 août 2015. Par courrier recommandé en date du 10 septembre 2015, la société Y Z a pris acte de cette résiliation et, en contestant les motifs, a sollicité paiement de l’indemnité convenue de 220.000 € (montant hors taxes), soit 265.320 € toutes taxes comprises.

Par courrier en date du 11 septembre 2015, le conseil de la société D E (T U V) a contesté ces prétentions soutenant que sa cocontractante était débitrice de l’indemnité à raison de ses manquements contractuels. Il a rappelé que cette dernière était redevable de ‘la somme de 51.997,00 € HT dont 10.000,00 € au titre de l’avance sur commission, le solde correspondant à la vente de ses espaces déduction faite de votre commission, étant dû au fur et à mesure de vos encaissements’.

Par acte du 25 septembre 2015, la société Y Z a demandé au tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon de condamner la société D E (T U V) au paiement en principal de la somme de 220.000 € hors taxes, soit 265.320 toutes taxes comprises. Par acte du 20 décembre 2016, elle a demandé de condamner la société T U V venant aux droits de la société D E à lui payer en principal ces mêmes sommes.

Par jugement du 5 décembre 2017, le tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon a statué en ces termes :

‘ORDONNE la jonction des affaires suivantes :

DEBOUTE la Société T U V de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

DIT que la Société T U V se trouvant aux droits de la Société D E est débitrice à l’égard de la Société Y Z de la somme de DEUX CENT VINGT MILLE EUROS (220.000,00 € HT), soit la somme de DEUX CENT SOIXANTE QUATRE MILLE (264.000,00 €) TTC, majorée des intérêts légaux à compter du 31 Août 2015, date de la résiliation du contrat telle qu’imposée par la Société D E.

DEBOUTE la Société Y Z de sa demande d’octroi de dommages et intérêts.

ORDONNE la capitalisation annuelle des intérêts dès lors qu’ils seront dus pour une année au moins.

ORDONNE eu égard à la nature de l’affaire, l’exécution provisoire de la présente décision.

DONNE ACTE à la Société Y Z de ce qu’elle se reconnait débitrice au bénéfice de la Société T U V se trouvant aux droits de la Société D E de la somme de SOIXANTE ET UN MILLE SIX CENT QUATRE VINGT QUINZE EUROS ET CINQ CENTS (61.965,05 €) TTC au titre du solde des encaissements opérés en exécution du contrat.

ORDONNE la compensation des sommes réciproquement dues.

EN CONSEQUENCE,

CONDAMNE la Société T U V se trouvant aux droits de la Société D E à payer à la Société Y Z, la somme hors intérêts de DEUX CENT DEUX MILLE TRENTE QUATRE EUROS ET QUATRE VINGT QUINZE CENTS (202.034,95 €).

CONDAMNE la Société T U V se trouvant aux droits de la Société D E à verser à la Société Y Z la somme de TROIS MILLE EUROS (3.000,00 €) en application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

CONDAMNE la Société T U V aux entiers dépens et frais de l’instance, dans lesquels seront compris les frais et taxes y afférents, et notamment ceux de Greffe liquidés à la somme de SOIXANTE DIX EUROS ET VINGT CENTS (70,20 €)’.

Il a considéré que si les tarifs pratiqués pour les publicités avaient été d’un montant moindre que ceux convenus, la durée des annonces était moindre de telle sorte qu’un plus grand nombre ayant pu être diffusé, la société T U V qui n’avait précédemment pas fait d’observation ne justifiait d’aucun préjudice. Il n’a pas qualifié d’actes de concurrence déloyale les difficultés rencontrées dans trois dossiers, la société T U V s’étant complu dans une attitude conflictuelle alors que sa cocontractante avait recherché l’apaisement. Il a retenu que la preuve d’une communication mensuelle incomplète des encaissements et ordres en portefeuille n’était pas rapportée, la société T U V ayant pu facturer sans faire d’observation.

La résiliation étant imputable à la société T U V, celle-ci est redevable de l’indemnité stipulée, déduction à faire de la somme de 61.695,05 € dont la société Y Z s’est reconnue redevable.

Par déclaration reçue au greffe le 4 octobre 2017, la société T U V exerçant sous l’enseigne T U et venant aux droits de la société D E a interjeté ‘appel partiel sur le débouté de l’intégralité des demandes formulées par SAS T U V qui tendaient à voir constater que la résiliation du contrat était la conséquence de manquements contractuels graves de la part de Y Z

/ voir condamner la société Y Z au règlement à titre d’indemnisation de la somme de 265 320 € TTC

/ voir condamner la société Y Z au règlement de la somme de 61 965,05 € TTC au titre du règlement du solde des ventes d’espaces publicitaires ainsi qu’à la communication de l’état des encaissements afin de pouvoir vérifier la réalité de la dette ainsi reconnue au regard des espaces vendus

/ voir condamner la société Y Z au règlement de la somme de 10 000 € au titre l’article 700 du code de procédure civile ; Ayant dit que la Sté T U V est débitrice de Y Z de 220 000 € HT SOIT 264 000 € TTC majorée des intérêts légaux à compter du 31 août 2015 date de la résiliation du contrat telle qu’imposée par la société D E

/ ordonné la capitalisation des intérêts

/ ordonné la compensation des sommes réciproquement dues / condamné T U V à payer à Y Z la somme hors intérêts de 264 000 € TTC ramenée à 202 034,95 € après compensation

/ condamné T U V à payer à Y Z la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile

/ condamné T U V aux dépens’.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 19 août 2019, la société T U V a demandé de :

‘Vu les articles 12, 1134 et 1147, 1156 du code civil tels qu’applicables à l’époque des faits

Déclarer T U V recevable et bien fondée en son appel et ses conclusions.

Infirmer le jugement entrepris sur les chefs contestés.

Statuant à nouveau,

Dire et juger que la résiliation est la conséquence directe des fautes graves commises par Y Z.

Dire et juger que Y Z doit assumer les conséquences de ses agissements fautifs et, en conséquence la responsabilité de la résiliation du contrat.

En conséquence :

Condamner Y Z au remboursement de la somme de 210 126,13 euros TTC.

Condamner Y Z au paiement d’une somme de 264 000 € TTC.

Condamner Y Z au paiement du solde des achats d’espace fixé en première instance à 61 965,05 € TTC sous réserve de la communication de l’état des encaissements afin de pouvoir vérifier la réalité de la dette ainsi reconnue au regard des espaces vendus.

Subsidiairement, en tant que de besoin,

Désigner tel expert qu’il plaira à la Cour afin d’établir le solde du prix de vente des espaces dû par la D.

Sur l’appel incident :

Débouter Y Z de sa demande en paiement de la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts.

Condamner Y Z au paiement d’une somme de 15 000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamner Y Z aux entiers dépens.’.

Elle a rappelé que l’acte du 30 novembre 2014 convenait d’une part de la résiliation du contrat exclusif de D de publicité en date du 18 novembre 1995 et de ses avenants, d’autre part d’un nouveau contrat de D publicitaire. Elle a exposé que l’exclusivité n’avait été maintenue que pour des clients anciens limitativement énumérés, que les activités de commissionnaire étaient plus encadrées, que les tarifs avaient été précisés, ceux-ci devant être ceux fixés par la U concernant les nouveaux clients sous peine de résiliation, que les règles de facturation, d’encaissement et de recouvrement des campagnes publicitaires avaient de même été précisées. Elle a indiqué que les factures émises par la société de U devaient être réglées par la société Y D (Y Z) en fonction des encaissements, une avance mensuelle sur facturation de 10.000 € hors taxes (12.000 € toutes taxes comprises) étant toutefois due jusqu’en septembre 2015, qu’en raison de ce décalage entre l’émission des factures, les encaissements et les avances, un bordereau des insertions devait être mensuellement établi par la société Y D afin de permettre à chacune des parties de faire le point et de vérifier l’équilibre de l’accord.

Selon elle, la société Y D n’a communiqué ce bordereau qu’à compter de février 2015, qu’à deux reprises avant la notification de la résiliation du contrat, les suivants n’ayant été transmis que postérieurement et les sommes versées ayant été inférieures à ce qu’elles auraient dû être (120.000 € au lieu de 130.882,48 € au vu du bordereau transmis le 2 octobre 2015).

Elle a précisé que les deux sociétés partageaient les mêmes locaux, loués à une société dont le gérant est celui de la société Y D, que celle-ci avait usurpé la boîte postale de la U et interdit l’accès de celle-ci à son agent commercial et aux auditeurs à partir du mois d’août 2015.

Elle a maintenu que malgré un effacement de dette et la générosité paternelle (celui-ci ayant créé les sociétés D E et Y D et permis le maintien d’un contrat de D publicitaire), l’intimée avait délibérément manqué aux obligations souscrites au contrat du 30 novembre 2014. Elle a soutenu que cette société avait vendu à Mr X des spots à un prix inférieur au tarif contractuel, qu’elle avait tenté de détourner la clientèle de la Communauté de communes du Pays né de la mer et de percevoir le prix des campagnes à venir, l’un lui ayant été versé par erreur, et qu’elle s’était faussement présentée comme interlocuteur exclusif envers de nouveaux clients. Selon elle, la société Y D avait déstabilisé son marché publicitaire et indiqué postérieurement à la résiliation aux annonceurs afin de capter la clientèle que la U ne diffusait plus de publicités locales.

Elle a exposé que le contrat conclu était de commissionnaire, n’emportant pas représentation de la société D E, que les fautes de la société Y D fondaient la résiliation du contrat et que l’indemnité de résiliation lui était en conséquence due par la société Y D responsable de la rupture, à l’initiative de celle-ci au sens du contrat.

Elle a maintenu sa demande en paiement de dommages et intérêts complémentaires et du solde des achats d’espace publicitaire, reconnu pour un montant toutes taxes de 61.965,05 €.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 31 juillet 2019, la société Y Z venant aux droits de la société Y D a demandé de :

‘Vu les articles 1134 et 1147 du Code civil dans leurs rédactions vigueur au moment de la résiliation du contrat,

Vu les articles 1104 et 1231-1 du Code civil,

Vu le contrat de D publicitaire signé le 3 novembre 2014 et notamment son article 11,

Vu le jugement du Tribunal de commerce de LA ROCHE SUR YON du 5 septembre 2017

Débouter la SAS T U V de toutes ses demandes, fins et conclusions.

Sur l’appel principal :

Confirmer le jugement du Tribunal de Commerce de LA ROCHE SUR YON en ce qu’il a :

DEBOUTE la Société T U V de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

DIT que la Société T U V se trouvant aux droits de la Société D VENDRE est débitrice à l’égard de la Société Y Z de la somme de DEUX CENT VINGT MILLE EUROS (220.000,00 € HT), soit la somme de DEUX CENT SOIXANTE QUATRE MILLE (264.000,00 €) TTC, majorée des intérêts légaux à compter du 31 Août 2015, date de la résiliation du contrat telle qu’imposée par la Société D E.

ORDONNE eu égard à la nature de l’affaire, l’exécution provisoire de la présente décision.

DONNE ACTE à la Société Y Z de ce qu’elle se reconnait débitrice au bénéfice de la Société T U V se trouvant aux droits de la Société D E de la somme de SOIXANTE ET UN MILLE SIX CENT QUATRE VINGT QUINZE EUROS ET CINQ CENTS (61.965,05 €) TTC au titre du solde des encaissements opérés en exécution du contrat.

ORDONNE la compensation des sommes réciproquement dues.

EN CONSEQUENCE,

CONDAMNE la Société T U V se trouvant aux droits de la Société D E à payer à la Société Y Z, la somme hors intérêts de DEUX CENT DEUX MILLE TRENTE QUATRE EUROS ET QUATRE VINGT QUINZE CENTS (202.034,95 €).

CONDAMNE la Société T U V se trouvant aux droits de la Société D E à verser à la Société Y Z la somme de TROIS MILLE EUROS (3.000,00 €) en application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

CONDAMNE la Société T U V aux entiers dépens et frais de l’instance, dans lesquels seront compris les frais et taxes y afférents, et notamment ceux de Greffe liquidés à la somme de SOIXANTE DIX EUROS ET VINGT CENTS (70,20 €).

ORDONNE la capitalisation annuelle des intérêts dès lors qu’ils seront dus pour une année au moins.

ORDONNE eu égard à la nature de l’affaire, l’exécution provisoire de la présente décision.

DONNE ACTE à la Société Y Z de ce qu’elle se reconnait débitrice au bénéfice de la Société T U V se trouvant aux droits de la Société D E de la somme de SOIXANTE ET UN MILLE SIX CENT QUATRE VINGT QUINZE EUROS ET CINQ CENTS (61.965,05 €) TTC au titre du solde des encaissements opérés en exécution du contrat.

Sur l’appel incident,

Le réformer uniquement en ce qu’il a :

DEBOUTE la Société Y Z de sa demande d’octroi de dommages et intérêts.

Et statuant à nouveau,

Condamner la SASU T U V à verser ladite somme de 10.000 € de dommages et intérêts à la SAS Y Z

En tout état de cause,

Condamner la SASU T U V à verser à la SAS Y Z la somme de 10.000 € en application de l’article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.’.

Elle a soutenu que la résiliation n’était pas fondée et que l’indemnité de résiliation lui était due, l’appelante ayant été au sens du contrat à l’initiative de la rupture. Elle n’a pas contesté être redevable de la somme de 61.905,05 €. Selon elle, le groupe Lagardère ayant repris la société exploitant la U n’avait pas eu l’intention de poursuivre le contrat, préférant s’inscrire dans son schéma d’exploitation commerciale. Elle a rappelé que le contrat avait transactionnellement apuré la situation antérieure et avait fixé les règles entre les parties. Selon elle, la société T U V ne justifiait pas d’un préjudice relatif à la commercialisation de la publicité et le contrat litigieux avait été conclu afin de libérer la société Y D du poids de certaines charges de la société D E qu’elle supportait.

Elle a contesté la valeur probante des attestations produites par l’appelante, écartée par le premier juge, l’opposabilité du courrier de résiliation du contrat signé de Monsieur A B, gérant de la société D E et père de C B, gérant de la société Y D, selon elle ayant à cette date déjà cessé ses fonctions. Elle a soutenu que son gérant avait manifesté la volonté de voir se poursuivre l’exécution du contrat dans un contexte apaisé.

Elle a rappelé que la boîte postale avait été commune et prioritairement affectée à l’activité de D, que cette utilisation commune était sans incidence, les deux structures étant implantées dans un même bâtiment.

Elle a soutenu que la société D E, qui avait souhaité une modification des modalités de facturation, n’avait pas donné suite à ses demandes relatives à l’établissement d’un avenant et au contenu des factures, celles-ci ne devant être réglées qu’après encaissement des fonds des clients. Elle a précisé que les deux sociétés avaient le même expert-comptable, ce qui excluait un défaut d’information de l’appelante et qu’un tableau des encaissements avait été adressé mensuellement.

Elle a contesté tout manquement tarifaire, les commandes passées par son intermédiaire ayant toutes été acceptées par la société D E qu’elle fréquentait quotidiennement puisque les deux sociétés étaient implantées dans le même bâtiment et aucune remarque n’ayant été formulée antérieurement au courrier de résiliation. Elle a fait observer que la facturation des 11 clients visés au courrier de résiliation était d’un montant de 5.151,71 € (montant hors taxes) et que la société D E avait été déloyale dans l’exécution du contrat les liant, la dénigrant insidieusement auprès de la clientèle. Elle a soutenu que la société D E avait été régulièrement tenue informée par la communication des bons de commande et avoir été de bonne foi.

La résiliation étant survenue sans motif valable, la société D E (T U V) est selon elle tenue au paiement de l’indemnité de résiliation stipulée. Elle n’a pas contesté la créance de 61.965,05 € de la société T U V.

Elle a maintenu sa demande de dommages et intérêts complémentaires en réparation des préjudices subis à raison de la résiliation brutale et violente du contrat, non couverts par l’indemnité contractuelle, résultant d’une brusque cessation partielle d’activité et d’une perte de clientèle.

L’ordonnance de clôture est du 8 août 2019.

MOTIFS DE LA DECISION

A – SUR L’INDEMNITE DE RESILIATION

1 – rappel des stipulations contractuelles

L’article 11 du contrat en date du 30 novembre 2014 stipule que :

‘En cas de résiliation du présent contrat ou ne non-renouvellement du contrat à l’initiative de LA U, LA D aura droit a une indemnité de clientèle d’un montant forfaitaire de 220 000 € hors taxes.

En cas de résiliation du présent contrat ou de non-renouvellement du contrat à l’initiative de LA D, LA U aura droit à une indemnité de clientèle d’un montant forfaitaire de 220 000 € hors taxes’.

Le courrier de résiliation en date du 30 juillet 2015 a été signé de Monsieur A B, gérant de la société D E. Il n’est pas établi que ce dernier avait à la date de ce courrier perdu cette qualité, la cessation de fonction n’ayant été constatée que par délibération de l’assemblée générale ordinaire, certes du même jour que le courrier mais postérieure à sa signature. Aucune cause d’irrégularité ou d’inopposabilité de ce courrier ne peut dès lors être retenue.

Il convient de rechercher si les fautes imputées à la société Y Z étaient de nature à fonder la résiliation notifiée par la société T U V, la privant de son droit à l’indemnité au profit de cette dernière.

2 – sur les publicités

L’article 3 du contrat de D publicitaire stipule que :

‘Les prix à appliquer à la clientèle sont ceux qui figurent au tarif annexés la présente convention, ce tarif s’appliquant uniquement aux nouveaux clients, et pas à ceux listés en annexe pour lesquels les conditions tarifaires et de paiement préalablement conclues historiquement et « spots partenariat » continueront à s’appliquer.

De même, la SARL “D E’ pourra proposer en cours d’année des modifications des tarifs et conditions publicitaires à LA REGlE.

Les parties se rencontreront pour envisager une modification de ces conditions dans l’intérêt des deux parties.

Par contre, pour les nouveaux clients, tout spot offert ou échange, LA D devra consulter au préalable LA U.

De même, tout spot offert en échange, par D E, à ses clients donnera lieu à information.

Il est expressément convenu entre les parties que les tarifs publicitaires et les conditions de commercialisation devront impérativement être identiques entre les nouveaux clients de la société Y D et les clients de la société D E. Le non-respect de cette disposition par la société D E entrainera la résiliation du présent contrat aux torts de la société D E.

De même, le non-respect de cette disposition par la société Y REGI entrainera la

résiliation du présent contrat aux torts de la société Y D’.

La société T U V a indiqué au courrier de résiliation :

‘Compte tenu de la suppression de l’exclusivité pour les nouveaux clients, nous avions précisé avec la plus grande clarté que les prix et conditions de vente des espaces à ces nouveaux clients devait impérativement correspondre aux tarifs et conditions figurant en Annexe, que les tarifs publicitaires et les conditions de commercialisation devaient être identiques entre les nouveaux clients prospectés par Y D et les clients de D E.

Nous avions pris soin de préciser à l’article 3 que le non respect de cette disposition déterminante « entrainera la rési1iation du contrat aux forts de 1e société » contrevenante.

Or. nous avons constaté que vous avez violé les termes de ce nouveau contrat de règle. En effet, lors de la remise des bons de commandes de campagnes publicitaires vendues par Y D depuis octobre 2014, les conditions tarifaires stipulées à l’article 3 de notre contrat de D n’ont pas été respectées.

En effet. les tarifs appliqués aux nouveaux clients que vous avez prospectés sont inférieurs à la grille tarifaire contractuelle. ce qui constitue une violation de vos engagements contractuels.

Vous trouvez ci-après plusieurs bons de commande concernés…’.

Le courrier vise 10 bons de commande d’annonces publicitaires d’une durée chacune de 20 secondes à un prix unitaire hors taxes variant de 9,78 à 15€, et un bon de commande de 64 annonces de 30 secondes chacune (Mr X) au prix unitaire hors taxes de 12 €.

La fiche tarifaire annexée au contrat pour la campagne 2014-2015 prévoyait des spots d’une durée maximale de 30 secondes, des frais techniques de réalisation de 70 €, et des prix selon le nombre de passages à l’antenne variant de 18 € (50 passages sur 1 semaine) à 11,50 € (200 passages pour 28 jours à l’antenne).

La société T U V n’a antérieurement au courrier de résiliation opposé qu’un refus de diffusion d’annonces placées par la société Y Z. Elle a par courriel en date du 2 juillet 2015 avisé le gérant de la société France cuisines que ses annonces ne seraient pas diffusées, le tarif pratiqué n’étant pas celui de la U. Les autres bons de commande n’ont pas appelé d’observation de sa part et les annonces publicitaires ont été diffusées.

L’analyse de la tarification figurant à ces bons de commande laisse apparaître un coût à la seconde de l’annonce supérieur à celui résultant de la grille tarifaire, de telle sorte que la société T U V ne justifie d’aucun préjudice. La résiliation aux torts de l’intimée n’est pour ces motifs pas fondée de ce chef.

3 – sur des actes de concurrence déloyale

La société T U V a exposé au courrier de résiliation pour justifier celle-ci :

‘Par ailleurs. notre agent commercial, Monsieur F G, nous a alerté sur plusieurs agissements de votre part, constitutifs tout a la fois d’une violation délibérée de vos engagements contractuels et de concurrence déloyale :

– Notre agent commercial a vendu le 27 février 2015 une campagne à un nouveau client « Mr

X » qui s’est vu immédiatement démarcher par les commerciaux de Y D qui lui ont proposé le 26 mars 2015 une nouvelle campagne à un prix inférieur au tarif contractuel, soit un tarif unitaire du spot vendu au prix de 12 € au lieu de 18 € (cf. votre bon de commande n° 00032 du 26 mars 2015).

Notre agent commercial a signé un bon de commande le 23 février 2015 pour une campagne de publicité diffusée du 2 au 15 mars 2015 avec un nouveau client « la Communauté de commune du Pays né de la Mer » de Saint-Michel en l’Herm. Le règlement de cette campagne a été versé par erreur à Y D et la comptable de ce client vous a demandé le remboursement de ce montant versé indûment.

Non seulement. Madame H B lui a certifié qu’il n’y avait pas d’erreur, et que la facture correspondante allait lui être adressée par Y D, mais encore ayant pris connaissance de ce que d’autres campagnes avaient été signées avec D E, Madame H B lui a demandé que le règlement de ces campagnes, qui n’avaient pourtant pas été commercialisées par Y D, soit effectué rapidement afin que Y D puisse lui envoyer les factures correspondantes.

Une telle pratique est purement et simplement constitutive de détournement de clientèle. Elle est purement et simplement inacceptable.

– Votre commerciale, K L a démarché le nouveau client, déjà signé en octobre 2014 par notre agent commercial, « France Cuisines » à la Roche-sur-Yon, en lui vendant un couplage publicitaire sur vos panneaux vidéo et notre U. Votre tarification de couplage n’a fait l’objet d’aucun accord de notre part, d’aucun avenant au contrat de D et ne correspond pas du tout au tarif contractuel que vous devez appliquer. Votre bon de commande comporte 56 spots à 10.30 €. au lieu de 10 € (cf. votre bon de commande n° 00053 du 30 juin 2015).

Non seulement. vos services n’ont pas appliqué la tarification en vigueur, mais ils ont également assuré à ce client, Monsieur M N, que vous étiez son interlocuteur commercial exclusif et qu’il faisait partie de la liste réservée à Y D ! Cette affirmation est totalement fausse et mensongère. Ni « France Cuisines ». ni même « Intérieur class » ne sont listés.

De tels agissements nous causent un préjudice tant en termes de chiffre d’affaires non perçu, qu’en termes d’image vis-à-vis de nos clients et de responsabilité vis-à-vis de notre agent commercial.

Le contrat de D signé le 3 novembre 2014 ne vous a accordé l’exclusivité que sur vos anciens clients mentionnés en Annexe dudit contrat et a fixé les règles de bonne cohabitation entre la D et notre agent commercial, en particulier, concernant la grille tarifaire applicable et les conditions de diffusion.

Or. nous sommes contraints de constater que non content de démarcher les clients prospectés par notre agent commercial, vous proposez des tarifs inférieurs à la grille tarifaire contractuelle ce qui constitue un manquement grave et caractérisé a vos obligations contractuelles’.

La force probante des attestations de Monsieur O B (dit S), frère du gérant de la société Y Z, salarié de la société D E puis de la société T U V, de Madame P Q, salariée de la société D E puis de la société T U V, et de Monsieur F G, ancien salarié de la société Y D désormais salarié de la société T U V ne peut être retenue en raison de la proximité de leurs auteurs avec la société appelante.

La société T U V ne s’était réservée aucune exclusivité concernant la souscription de bons de commande d’annonces publicitaires, de telle sorte que celui signé par la société Mr X

par l’intermédiaire de la société Y Z ne peut être regardé comme un acte de concurrence déloyale.

Ne constitue de même pas un tel acte l’encaissement par l’intimée du prix d’une campagne publicitaire qui lui avait été versé par erreur par un annonceur.

Le couplage publicitaire (annonces radiodiffusées et affichage) proposé par la société Y Z à la société France Cuisine résulte d’un échange de courriels entre Monsieur O S et le gérant de la société France Cuisines, avisé que ses annonces ne seraient pas diffusées, le tarif pratiqué n’étant pas celui de la U. L’existence d’un tel couplage n’a par ailleurs pas été contestée en son principe par le conseil de la société Y Z qui dans un courrier en date du 3 août 2015 adressé à la société D E a indiqué : ‘force est de constater que le contrat ne prévoit strictement aucune exclusivité pour les clients en dehors, précisément de la liste annexée à l’annexe1 étant, en tout état de cause, observé, que la Société Y Z commercialise, parallèlement, vous le savez, des espaces publicitaires et que c’est à l’occasion de cette activité qu’elle a pu signer, ici ou là, un à deux clients devenus communs au titre de ce couplage’. Ce conseil a par la suite exactement soutenu que : ‘Il n’y a donc strictement aucun manquement de la Société Y Z à qui il ne saurait être interdit de commercialiser ses espaces publicitaires sur ses panneaux numériques et, le cas échéant et parallèlement, d’éventuels espaces publicitaires sur T U, sous le seul et unique prétexte qu’il ait pu s’agir en amont, de clients de la SARL D E’. L’existence de clients communs, un seul étant avéré, n’est, en l’absence de clause contractuelle la prohibant et de déloyauté de la société Y Z, pas constitutive d’un détournement de clientèle.

La résiliation aux torts de l’intimée n’est pour ces motifs pas fondée de ce chef.

4 – sur la transmission mensuelle d’un bordereau des insertions publicitaires

L’article 5 du contrat stipule que : ‘LA D s’engage à fournir un tableau de bord mensuel précisant pour l’exercice en cours le chiffre d’affaires facturé et le montant des ordres en portefeuille’ et l’article 8 que : ‘Chaque mois, LA D établira le bordereau des insertions publicitaires encaissées le mois précédent. Dans un délai de 15 jours suivants le début de chaque mois, elle transmettra ce bordereau à LA U qui établira une facture correspondant au montant total de ce relevé minoré de la commission prévue à l’article 7″.

La charge de la preuve de l’exécution de cette obligation incombe à l’intimée.

Ont été produits aux débats deux courriels de transmission de ces bordereaux en date des 4 février et 13 mars 2015. Dans un courrier recommandé en date du 9 avril 2015 adressé à la société D E, distribué le 13 avril suivant et demeuré sans réponse, la société Y D (Y Z) a indiqué : ‘Comme cela a été précisé, la SARL Y D accepte, pour faciliter votre comptabilité, une facture mensuelle globale à réception des bons de commande, étant précisé que cette facture est réglée chaque mois en fonction des encaissements des contrats relevés et reçus par la même SARL Y D conformément au tableau de bord mentionné à l’article 5 du Contrat de D de Publicité’. Le premier juge a par ailleurs pertinemment relevé que la transmission par la société T U E de ses factures à la société Y D supposait qu’elle avait au préalable eu communication des bons de commande et partant du chiffre d’affaires réalisé. Il n’a au surplus pas été contesté que les sociétés D E et Y Z avaient le même expert-comptable, de sorte que toute difficulté constatée n’aurait pas manqué de leur être signalée.

Il s’ensuit, les informations nécessaires ayant été mensuellement communiquées à l’appelante, que le grief formulé de ce chef est injustifié.

5 – sur l’usage de la boîte postale

La boîte postale était commune aux deux sociétés. Aucun manquement dans son utilisation n’a été mentionné au courrier de résiliation et aucune appropriation abusive de celle-ci au préjudice de l’appelante n’a été caractérisée.

6 – sur la débitrice de l’indemnité de résiliation

Il résulte des développements précédents que la société T U a au sens des stipulations contractuelles pris l’initiative de la résiliation et qu’en l’absence de faute de sa cocontractante, elle est redevable de l’indemnité de résiliation stipulée.

Le jugement sera en conséquence confirmé de ce chef.

B – SUR LA CREANCE DE LA SOCIETE T U

La société Y Z a produit les factures adressées par la société T U V qui ne conteste plus que lui reste due la somme de 61.965,05 € (montant toutes taxes comprises). Sera dès lors retenu ce montant dont la société Y Z s’est reconnue redevable, non contesté devant la cour par l’appelante.

Le jugement sera pour ces motifs confirmé.

C – SUR LA DEMANDE DE DOMMAGES ET INTERETS DE LA SOCIETE Y Z

La société Y Z ne justifie pas autrement que par affirmation que la rupture du contrat par la société T U V, contractuellement prévue en contrepartie du versement d’une indemnité, a été cause pour elle d’une préjudice économique ou financier.

L’article 1153 ancien alinéa 4 du code civil applicable en l’espèce (1231-6 nouveau) dispose par ailleurs que le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires de la créance’. La société Y Z ne justifie pas d’un préjudice subi indépendant du retard de paiement que viennent réparer les intérêts moratoires.

Sa demande de dommages et intérêts complémentaires n’étant en conséquence pas fondée, le jugement sera confirmé en ce qu’il l’a rejetée.

D – SUR LES DEMANDES PRESENTEES SUR LE FONDEMENT DE L’ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE

Le premier juge a équitablement apprécié l’indemnité due sur ce fondement par la société T U V.

Il serait par ailleurs inéquitable et préjudiciable aux droits de l’intimée de laisser à sa charge les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens d’appel. Il sera pour ce motif fait droit à la demande formée de ce chef pour le montant ci-après précisé.

[…]

La charge des dépens d’appel incombe à l’appelante.

PAR CES MOTIFS,

CONFIRME le jugement du 5 décembre 2017 du tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon ;

y ajoutant,

CONDAMNE la société T U V à payer à la société Y Z la somme de 4.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société T U V aux dépens d’appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


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