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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 9
ARRÊT DU 27 SEPTEMBRE 2023
(n° , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/01442 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDEED
Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Décembre 2020 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – Section Encadrement chambre 1 – RG n°F 19/03990
APPELANT
Monsieur [N] [I]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Laurent CAILLOUX-MEURICE, avocat au barreau de PARIS, toque : J086
INTIMÉE
SAS SRT FRANCE
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Aurélien LOUVET, avocat au barreau de PARIS, toque : K0020
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 24 Mai 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Philippe MICHEL, président, chargé du rapport, et M. Fabrice MORILLO, conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Philippe MICHEL, président de chambre
M. Fabrice MORILLO, conseiller
Mme Nelly CHRETIENNOT, conseillère
Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats
ARRÊT :
– contradictoire
– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
– signé par Monsieur Philippe MICHEL, président et par Monsieur Jadot TAMBUE, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La SAS SRT France, exerçant sous le nom commercial Stuart, exploite une application consistant en une plate-forme de mise en relation par voie électronique permettant de mettre en relation une personne physique ou morale ayant un besoin de service de course pour une livraison de marchandise avec un coursier disponible pour l’effectuer.
Le 5 octobre 2016, M. [I] s’est inscrit au Registre du Commerce et des Sociétés en qualité d’entrepreneur individuel afin d’exploiter une activité de coursier indépendant.
Le 11 octobre 2016, M. [I] a signé les conditions générales d’utilisation de l’application Stuart de SRT France afin de pouvoir réaliser des prestations de transport de marchandises en qualité de coursier à vélo.
M. [I] a débuté sa première course le 15 octobre 2016 et a cessé de fournir des prestations auprès de la société SRT France le 22 janvier 2017.
Soutenant que sa relation contractuelle avec la société SRT France s’analyse en un contrat de travail, M. [I] a saisi le Conseil de prud’hommes de Paris le 13 mai 2019 afin de l’entendre, sous le bénéfice de l’exécution provisoire :
– Condamner la société SRT France à lui payer les sommes suivantes assorties des intérêts au taux légal capitalisés :
° 2 974,35 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires ;
° 562,50 euros à titre d’indemnité des titres-restaurants ;
° 13 558,68 euros à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;
° 839,92 euros à titre de congés payés ;
° 225 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice pour privation de remise de titres-restaurants ;
° 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner la société SRT France à lui remettre un solde de tout compte, une attestation Pôle emploi, un certificat de travail, des bulletins de salaire pour la période du 11 octobre 2016 au 22 janvier 2017 ;
– Condamner la société SRT France aux dépens.
La société SRT France a conclu à l’irrecevabilité de l’action de M. [I] pour prescription, subsidiairement, au débouté de l’ensemble des demandes de ce dernier et à sa condamnation à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.
Par jugement du 22 décembre 2020, le conseil de Prud’hommes de Paris a :
– Dit les demandes de M. [I] irrecevables pour cause de prescription ;
– Débouté M. [I] du surplus de ses demandes ;
– Débouté la société SRT France de ses demandes reconventionnelles ;
– Réservé les dépens.
Le 28 janvier 2021, M. [I] a interjeté appel de ce jugement dont il a reçu notification le 31 décembre 2020.
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le14 avril 2023, M. [I] demande à la cour de :
– Infirmer le jugement entrepris sauf en ce qu’il a débouté la société SRT de ses demandes reconventionnelles ;
– Requalifier la relation contractuelle en un contrat de travail à durée indéterminée ;
– Condamner la société SRT à lui payer les sommes suivantes, assorties des intérêts au taux légal capitalisés :
° 13 558,68 euros à titre de travail dissimulé ;
° 839,92 euros à titre de congés payés ;
° 2 974,35 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires ;
° 562,50 euros à titre des titres-restaurants ;
° 225 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice pour privation de remise de titres-restaurants ;
° 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner la société SRT à lui remettre un solde de tout compte, une attestation Pôle emploi, un certificat de travail et des bulletins de salaire pour la période du 11 octobre 2016 au 22 janvier 2017 ;
– condamner la société SRT aux dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 17 avril 2023, la société SRT demande à la cour de :
Avant tout débat au fond,
– Rejeter les conclusions et pièces adverses notifiés le 14 avril 2023.
A titre principal,
– Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [I] de l’intégralité de ses demandes ;
– Condamner M. [I] à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens’;
A titre subsidiaire,
– Débouter M. [I] de sa demande de requalification et de l’intégralité de ses demandes afférentes ;
– Condamner M. [I] à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que les dépens.
A titre infiniment subsidiaire,
-Limiter le montant des éventuelles condamnations dans les limites suivantes :
° revenu de référence : 1 068,33 euros bruts mensuels ;
° travail dissimulé : 6 409,98 euros ;
° congés payés : 320,50 euros bruts.
L’instruction a été clôturée le 18 avril 2023 et l’affaire fixée à l’audience du 24 mai 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la prescription
Selon l’article L. 1471-1 du Code du travail, toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit et toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.
La société SRT France soutient qu’en vertu de ce texte M. [I] qui a cessé de réaliser des courses le 22 janvier 2017 aurait dû saisir le conseil de prud’hommes au plus tard le 22 janvier 2019 et qu’en conséquence, son action introduite le 13 mai 2019 est prescrite.
M. [I] réplique que la prescription de son action est régie par l’article 2224 du code civil selon lequel les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
Cela étant, il résulte de la combinaison des articles 2224 du code civil et L. 1471-1, alinéa 1 du code du travail dans sa version antérieure à l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, que l’action par laquelle une partie demande de qualifier un contrat, dont la nature juridique est indécise ou contestée, en contrat de travail revêt le caractère d’une action personnelle et relève de la prescription de l’article 2224 du code civil.
La qualification dépendant des conditions dans lesquelles est exercée l’activité, le point de départ de ce délai est la date à laquelle la relation contractuelle dont la qualification est contestée a cessé. C’est en effet à cette date que le titulaire connaît l’ensemble des faits lui permettant d’exercer son droit.
En l’espèce, les parties s’accordant pour situer la cessation de leurs relations contractuelles au 22 janvier 2017, l’action de M. [I] n’était pas prescrite à la date de la saisine du conseil de prud’hommes le 13 mai 2019 car introduite dans le délai de cinq ans de l’article 2224 du code civil.
Le jugement sera donc infirmé.
Sur la demande tendant à écarter les pièces et conclusions de l’appelant
Si la cour estime légitime les protestations de l’avocat de la société SRT France concernant la communication par l’avocat de M. [I] de 25 pages de conclusions supplémentaires et surtout de 593 pages de pièces nouvelles deux jours ouvrés avant la clôture des débats et plus de trois ans après la déclaration d’appel, elle doit néanmoins observer que le conseil de la société SRT France, dans la réussite d’un exercice de célérité, a pu utilement faire valoir ses moyens de défense sur les éléments nouveaux de l’appelant tant dans ses conclusions que par la production d’un tableau synthétique en pièce 30 en invoquant un moyen tiré du manque de valeur probante des pièces nouvelles et en présentant ses arguments à l’appui de celui-ci.
Il n’y a donc pas lieu d’écarter des débats les pièces C1 à C13 et la partie des conclusions de M. [I] s’y rapportant.
Sur la relation contractuelle entre les parties
Selon l’article L. 8221-6, I du code du travail, les personnes physiques, dans l’exécution de l’activité donnant lieu à immatriculation aux registres ou répertoires que ce texte énumère, sont présumées ne pas être liées avec le donneur d’ordre par un contrat de travail. L’existence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque ces personnes fournissent des prestations dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard du donneur d’ordre.
Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné, le travail au sein d’un service organisé pouvant constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail.
En l’espèce, M. [I] a été immatriculé en qualité d’entrepreneur individuel pour exercer l’activité principale répertoriée sous le code APE 5320Z : « Autres activités de poste et de courrier’».
Il lui appartient donc de combattre la présomption de non salariat de l’article L.8221-6 rappelé ci-dessus en prouvant l’existence d’un contrat de travail l’ayant lié à la société SRT France.
À l’appui de sa demande en requalification des relations contractuelles avec la société SRT France en contrat de travail, M. [I] fait valoir les éléments suivants :
Il réalisait des prestations de travail pour la Société Stuart.
En contrepartie de ces prestations, il percevait une rémunération selon des modalités fixées unilatéralement par la société, à savoir, les critères et le montant des rémunérations, leur fréquence, les modalités de paiement et les systèmes de primes, le tout sans facture de sa part.
Il se trouvait à l’égard de la société dans un lien de subordination caractérisé par :
– l’organisation unilatérale de l’ensemble des modalités d’exécution des prestations par la société qui fixait les modalités de recrutement, les règles de travail et d’organisation, les règles de détermination de la rémunération, la fixation des horaires, les règles de contrôle de l’activité, les motifs des sanctions qu’elle applique,
– le contrôle particulièrement important et permanent que la société exerçait sur son activité, notamment le suivi en temps de réel de l’exécution de ses prestations par le biais d’un système de géolocalisation ;
– le large pouvoir de sanction qu’avait la société à son égard par la possibilité de suspendre provisoirement l’activité du coursier ce qui revient à ne plus lui attribuer de mission, voire de mettre un terme à l’activité du coursier du jour au lendemain en coupant son accès à l’application sans se justifier, d’invalider le paiement d’un bonus en cas de non présentation à un « BMG’» (bonus minimum garanti), de diminuer les rémunérations en cas de pauses trop longues et de sanctionner l’oubli du matériel.
Il ajoute que la réunion d’indices supplémentaires d’une relation salariale se déduit de l’absence de clientèle propre des coursiers, de l’existence de classements et statistiques, de l’obligation d’accepter toutes les courses même en mode « free » et de l’existence d’un « esprit d’entreprise ».
La société SRT France réplique que l’appelant a toujours collaboré en toute indépendance et au profit d’autres plate-formes et qu’il est incapable de démontrer un lien de subordination au cours de ses 369 courses.
Cela étant, il doit être rappelé que l’existence ou non d’un contrat de travail s’apprécie au regard des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité du travailleur.
Il se déduit de ce principe que, dans le cas d’un litige individuel du travail, les conditions de fait dans lesquelles s’exerce ou s’est exercée l’activité du travailleur sont uniquement celles de ce dernier, et ne peuvent être la transposition de situations d’autres personnes liées à la même société à des époques différentes et parfois dans des conditions différentes.
Or, la lecture des pièces C1 à C13 démontre que celles-ci, à l’exception de certaines d’entre elles qui se rapportent à M. [I] et à sa période d’activité et qui sont la suite ou la répétition de pièces déjà versées sous les numéros 1 à 58, sont des pièces relatives à la situation d’autres travailleurs liés ou ayant été liés, pour la plupart, à la société SRT France postérieurement à la période contractuelle de M. [I] ou des documents et des messages à caractère général provenant de la société SRT France émis après la période d’activité de M. [I].
En effet, M. [I] a fourni des prestations à la société SRT France du 15 octobre 2016 au 22 janvier 2017 et produit divers messages, extraits de discussions Whats’App, principalement datés de 2019 à 2022 comme par exemple, un message du 20 janvier 2020 (pièce en C6), postérieur de trois ans à la cessation de ses prestations, échangé avec un livreur en voiture alors qu’il était livreur à vélo et un message du 24 janvier 2020 poursuivant la même discussion indiquant’: «’Stuart est devenue très stricte là-dessus’», impliquant que ce n’était pas forcément le cas précédemment. Il produit également des échanges de mails sur la désactivation du compte de certains coursiers intervenue en 2022, des échanges de messages par l’application Whats’App de 2020 à 2021…
Cela observé, il doit être rappelé que la rémunération et un certain contrôle du travailleur ne sont pas des critères propres à un contrat de travail mais sont également des éléments caractéristiques d’un contrat de prestation de service, un donneur d’ordre étant légitime à définir la nature et les modalités de la prestation de service commandée et de vérifier si la réalisation de celle-ci est conforme à ses attentes au regard du prix payé.
Il appartient dès lors à la cour de vérifier s’il résulte des pièces produites par M. [I] que ce dernier fournissait des prestations pour le compte de la société SRT France dans des conditions qui le plaçaient dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard du donneur d’ordre.
En l’espèce, les conditions générales d’utilisation (CGU) de la plate-forme Stuart définissent les conditions dans lesquelles la société SRT France concède aux utilisateurs et aux coursiers une licence d’utilisation de l’application destinée à permettre aux utilisateurs de confier aux coursiers des livraisons de marchandise, d’en suivre l’exécution et de les rémunérer. «’L’utilisateur’» est défini comme la personne physique majeure et capable ou personne morale représentée par une personne physique dûment habilitée, recherchant un service de livraison de marchandise et de mise en relation, par le biais de l’application, avec un coursier. «’Le coursier’» est défini comme une personne physique ou morale qui propose ses services via l’application afin d’effectuer des livraisons de marchandise pour le compte des utilisateurs qui en font la demande.
Il résulte de ces conditions générales d’utilisation que le coursier’:
– est libre de choisir la forme juridique de son activité puisqu’il est désigné en page 2 des CGU comme pouvant être une «’personne physique ou personne morale’»,
– est libre du procédé de transport (Page 3 des CGU’: «’Procédé de transport’»’: transport à pied, transport à vélo, transport à scooter/moto ou transport par véhicule terrestre à moteur de moins de 3,5 tonnes PTAC (voitures, utilitaires ou camionnettes), (Page 29′: art. 1.2 des conditions particulières applicables aux coursiers),
– a la possibilité de réaliser des livraisons de marchandises pour son compte ou pour le compte de tiers à son seul profit, ou au profit de tiers, selon la fréquence et l’amplitude de son seul souhait et de sa responsabilité (art.16),
– est libre de décider de ses périodes de disponibilité ou d’indisponibilité, libre de refuser une livraison même lorsqu’il apparaît disponible sur l’application, libre d’accepter une nouvelle livraison de marchandise sur l’application alors qu’il est déjà en train d’effectuer une autre livraison de marchandise, (art. 16), libre de l’itinéraire qu’il choisit pour effectuer une livraison (art.6.2.3),
– est libre du choix de ses clients (utilisateurs) et des fournisseurs de son matériel et notamment du procédé de transport qu’il renseigne pour son compte et utilise dans le respect des conditions générales d’utilisation (art.16).
Les pièces versées et les explication données dans ses conclusions par M. [I] ne démontrent pas que l’appelant exerçait son activité dans des conditions autres que celles énumérées ci-dessus qui sont exclusives d’un lien de subordination et même d’un lien de dépendance économique.
Ainsi, contrairement à ce qu’affirme M. [I], les captures d’écran du site internet de la société SRT France énonçant les conditions pour devenir coursier partenaire Stuart n’imposent pas au coursier un statut d’auto entrepreneur, mais lui demandent simplement de justifier d’un statut d’entrepreneur individuel quelque soit la forme juridique retenue, selon des exemples donnés de façon non limitative entre parenthèses «'(EIRL, auto entrepreneur…)’». L’article 1.2 décrit les démarches légales et administratives imposées au coursier selon le choix de la forme juridique de son activité. Il ne peut être donné à telles stipulations une portée autre que le respect de l’obligation imposée à un donneur d’ordre de s’assurer de la régularité des conditions d’exercice professionnel de son prestataire.
Le mode de transport reste du libre choix du coursier qui reste propriétaire de son véhicule, la seule contrainte imposée à ce sujet étant de respecter par la suite le transport initialement choisi lors de l’inscription du coursier sur la plate-forme. Le message «’La livraison c’est à vélo, tout autre mode de transport est proscrit’» indiquant par ailleurs qu’il «’est interdit de livrer à scooter’» ne fait que rappeler une exigence liée au choix personnel du livreur et à l’engagement de ce dernier de s’y tenir lors de son inscription sur la plate-forme alors que de son côté la société SRT France s’est engagée auprès de «’l’utilisateur’» à lui laisser le choix du mode de livraison et, une fois ce dernier arrêté, à le respecter.
Le coursier détermine son itinéraire comme le confirme un échange de mails entre M. [I] et la société SRT France par lequel le coursier se plaint de la distance imposée par une course et la société lui répond qu’il existe un autre itinéraire plus court, sans pour autant le lui imposer (pièce appelant 18 ‘Je suis sur une course de plus de 7 km est-ce normal ” – « la distance la plus courte de votre mission à vélo est de 5,7 km’»).
En outre, le coursier peut effectuer ses prestations selon deux modalités’:
– le mode free qui lui permet de se connecter à l’application afin de recevoir des courses sans avoir à préciser en amont un créneau particulier sur lequel il entend réaliser ses livraisons,
– le mode BMG qui lui permet de s’inscrire sur des créneaux horaires associés à une grille tarifaire prévoyant des compléments de tarification dits bonus minimum garanti.
Comme justement relevé par M. [I], le mode BMG est plus contraignant puisqu’il impose de s’inscrire lors de l’ouverture des créneaux horaires, de rester à disposition de Stuart durant ceux-ci et à l’intérieur d’une zone géographique définie, d’accepter un maximum de courses, de ne pas dépasser les temps de pause maximum fixés par la société SRT France à l’intérieur du créneau horaire et d’avertir la société d’éventuels retards, indisponibilité ou difficultés.
Il n’en demeure pas moins, que le coursier est libre d’accepter ou non ces BMG et leurs contraintes particulières assorties de bonifications tarifaires, plutôt que le mode free. En tout état de cause, le coursier peut annuler un BMG à la seule condition de respecter un délai de prévenance de 24 heures au minimum, une telle clause pouvant également être insérée dans un contrat de prestation de service, et le non respect de ce délai de prévenance a pour effet de faire apparaître le coursier en «’no show’» sans que M. [I] explique qu’elles auraient pu être les incidences réelles de cette mention sur ses relations avec la société SRT France (pièce 50 de l’appelant). Sur ce point, il doit être noté que M. [I] verse une communication intitulée «’NO SHOW EN PÉRIPHÉRIQUE’» qui informe les livreurs qu’un no show entraîne la perte définitive aux BMG de la zone. Mais, ce message ne s’applique qu’aux livraisons dans les villes de la petite couronne de la banlieue parisienne et à partir du 5 novembre 2018 alors que M. [I] a exercé à [Localité 5] jusqu’en janvier 2017.
De même, les opérations spéciales dites «’Ampoules’», «’petit déjeuner’» ou «’option caddie’» qui correspondent à des services supplémentaires offerts aux clients et qui sont assorties de rémunérations plus favorables pour les coursiers vélo sont simplement proposées et ceux-ci sont libres de s’y inscrire, sans incidence en cas de refus sur leurs relations avec la société SRT France (exemple’: mail de présentation de l’option caddie ‘ pièce appelant 52′: «’Les coursiers sans cette option’: impossibilité de recevoir les courses «’caddie’» pas d’incidence sur la réception des autres courses’»)
M. [I] ne peut utilement plaider que les horaires et les zones de travail sont fixés unilatéralement par la société SRT France dans la mesure où il était libre de s’inscrire ou non dans les créneaux horaires BMG proposés par la société et où, en second lieu, la zone géographique est celle que le coursier a fixé lui-même en choisissant le créneau BMG correspondant. (pièce appelant 55, mails du 27 octobre 2016′: «’- Pas d’activité depuis 30 mn. Ça va si je me rapproche un peu du centre de [Localité 5]” – Tout dépend si vous êtes sur un BMG. En free, je vous conseille de vous rapprocher du centre. En BMG, restez dans votre zone s’il n’y a pas de mission’»)
Il ne peut davantage utilement conclure à l’existence d’une relation contractuelle de travail au seul motif que le mode planning deviendrait obligatoire par rapport au mode free en ce que ce dernier ne donne pas accès à toutes les courses, que les opérations spéciales comme l’opération Ampoules et petits déjeuners ne se font qu’en mode planning, que les coursiers en mode free ne sont pas prioritaires et que le mode free ne permettrait pas d’en vivre puisque de tels arguments reposent en partie sur une appréciation subjective du coursier sur son niveau de revenus mais surtout n’auraient de portée que dans le cadre de relations contractuelles exclusives, ce qui ne correspond pas au cas présent.
En ce qui concerne le pouvoir de sanction prêté à la société SRT France, la possibilité de suspendre ou de priver définitivement l’accès à la plate-forme prévue par l’article 9.3 «’Manquements’» des dispositions particulières des CGU applicables aux coursiers n’est pas spécifique à ces derniers car elle n’est que la traduction de l’article 14 des CGU «’Durée ‘ suspension- résiliation’» qui indique que le contrat peut être suspendu ou résilié par la plate-forme en cas d’inexécution des obligations contractuelles par l’un ou l’autre des co-contractants, c’est-à-dire le coursier mais aussi l’utilisateur.
Le message de la société SRT France selon lequel «toute absence à son créneau entraînera une semaine de coupure d’inscription à Staffomatic», (pièce appelant 22) ne concerne, d’après les pièces versées que l’opération «’Ampoules’» et est sans incidence sur les autres prestations du coursier au profit de la société.
Ce que M. [I] qualifie par ailleurs de sanctions est en réalité soit la perte du bonus pour non respect par le livreur des conditions ouvrant droit à la gratification supplémentaire des BMG (le coursier qui ne respecte pas ces contraintes supplémentaires acceptées en toute connaissance de cause perdant en toute logique la gratification qui leur est associée), soit l’absence de rémunération pour prestation non réalisée ou non conforme, ce qui dans ce cas, est commun à un contrat de service.
Le système de géolocalisation, outre qu’il a été librement accepté par le coursier, et les modalités de contrôle décrites par M. [I] dans la partie de ses conclusions relatives aux conditions d’exécution des livraisons (pp. 30 et 31)’:
«’- le coursier se rend au point de récupération indiqué et récupère le colis en veillant à respecter les éléments de langage indiqués lors des journées de formation ;
– le coursier valide la récupération sur l’application mobile STUART pour déverrouiller l’information relative au lieu de livraison (ce système mis en place par la Société STUART a pour objectif de maintenir les livreurs dans l’incertitude quant au lieu de livraison final pour être s’assurer qu’ils ne refuseront pas la course si le lieu de livraison final ne leur convient pas);
– le coursier se rend ensuite au point de livraison du colis, le remet au client et lui fait signer un accusé de réception sur l’application mobile de la Société STUART ;
– le coursier a l’obligation d’en référer à STUART pour toute difficulté (notamment réclamer l’autorisation pour partir en cas de client absent) ;
– une fois le créneau terminé, le coursier se déconnecte de l’application mobile STUART’»
ne se distinguent pas des modalités de contrôle de la bonne exécution des prestations exercées par un donneur d’ordre, surtout dans le domaine de la livraison où la prise en charge de la marchandise auprès de l’expéditeur et sa remise au destinataire dans les conditions que ceux-ci sont en droit d’attendre sont des éléments essentiels au contrat qui imposent au prestataire de rendre compte de sa mission.
En ce qui concerne la rémunération, les conditions générales et les conditions particulières d’utilisation précisent que le coursier est payé à la course selon une grille tarifaire accessible sur demande et disponible, pour les coursiers, dans la rubrique «’aide’» de l’application.
Il s’ensuit que M. [I] connaissait la grille tarifaire appliquée, que la fixation unilatérale des tarifs est sans rapport avec un quelconque lien de subordination puisque l’appelant pouvait accepter ou refuser en toute connaissance de cause de contracter en fonction de la rétribution proposée.
De même, l’absence d’édition de facture par M. [I] est sans incidence sur une éventuelle requalification du contrat en contrat de travail dès lors que ces mêmes CGU prévoient qu’en les acceptant et en s’inscrivant sur l’application, le coursier consent un mandat d’encaissement et de facturation à la société SRT France, cette dernière rappelant à juste titre que ce système de facturation par un tiers est expressément et légalement prévu par l’article 289 du code général des impôts selon lequel « tout assujetti est tenu de s’assurer qu’une facture est émise, par lui-même, ou en son nom et pour son compte, par son client, par un tiers’».
La seule circonstance que le livreur porte pendant les livraisons une tenue de nature à participer à la promotion de l’entreprise ne suffit pas à caractériser l’intégration au sein d’un service organisé alors qu’il n’est pas justifié d’un contrôle et d’une possibilité de sanctions s’agissant du seul port de la tenue vestimentaire arborant le nom Stuart. Au contraire, M. [I] produit un message de communication de la société SRT France qui contredit ses assertions sur le port obligatoire d’une tenue Stuart puisque ce message rappelle des règles essentielles en matière de présentation (vêtement neutre, sans marque pour éviter de heurter le client en arborant une marque concurrente), d’équipements adaptés à la sécurité du cycliste (casques et lumières) et à la livraison y compris de produits alimentaires (sac à dos, sac isotherme) en recommandant les équipements Stuart sans pour autant les exiger («’idéalement une veste Stuart, sinon une veste neutre’»’; «’de préférence un sac Stuart’»’; «’un casque et des lumières (fournis par Stuart ou non)’») .
De même, l’organisation de sessions d’information, d’événements de promotion de l’entreprise et de fidélisation destinées aux coursiers ne peut caractériser un lien de subordination dès lors que la présence du coursier à de telles réunions est facultative selon les messages (pièces appelant 30 et 31), étant relevé que M. [I] ne démontre pas que l’absence à de telles manifestations est sanctionnée au delà de la privation des éventuels cadeaux, repas et autres plaisirs festifs que le coursier aurait pu obtenir à ces occasions.
Enfin, il ne peut être tiré aucune conséquence de la notification mensuelle faite pas la société SRT à chaque coursier de ses kilomètres parcourus, de ses heures de connexion à l’application et de son pourcentage de courses acceptées (pièce appelant C2-4, message du 2 janvier 2017 : «’81 % des courses reçues acceptées. Encore un effort : vous acceptez un peu moins de courses que la moyenne des coursiers partenaires. N’oubliez pas qu’être ON signifie être dispo pour vos clients est donc prêt à accepter les courses’! Soyez vigilant’: la semaine dernière 85 %’»). En effet, le suivi de l’activité du travailleur est une simple information permettant aux parties au contrat de vérifier les éléments de facturation. La notification du taux d’acceptation des courses pour incitation du coursier à augmenter ce dernier ne porte que sur les plages de disponibilités que le coursier a lui-même déterminées comme cela ressort d’un autre message adressé à un autre coursier et ne fait que rappeler à ce dernier la portée de son engagement librement consenti («’Merci de ne vous mettre en ON que lorsque vous êtes prêt à accepter les courses’»).
Ainsi, il apparaît des éléments ci-dessus que M. [I] ne démontre pas l’existence d’un lien de subordination juridique permanente l’ayant lié à la société SRT France.
En conséquence, il sera débouté de l’ensemble de ses demandes.
Sur les frais non compris dans les dépens
Conformément aux dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, M. [I] sera condamné à verser à la société SRT France la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par l’intimée qui ne sont pas compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour,
DIT n’y avoir lieu à écarter les pièces de M. [I] regroupées en rubriques C1 à C13 ni la partie des conclusions de M. [I] s’y rapportant,
INFIRME le jugement entrepris,
statuant à nouveau,
DÉCLARE non prescrite l’action de M. [I],
DÉBOUTE M. [I] de l’ensemble de ses demandes,
CONDAMNE M. [I] à verser à la société SRT France la somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. [I] aux dépens de première instance et d’appel,
LE GREFFIER LE PRESIDENT