Your cart is currently empty!
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Chambre commerciale internationale
POLE 5 – CHAMBRE 16
ARRET DU 26 SEPTEMBRE 2023
(n° 75 /2023 , 19 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/20965 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEYDH
Décisions déférées à la Cour : sentence arbitrale « Award » rendue le 13 septembre 2021 et sentence arbitrale « Decision on Correction of the Award » rendue le 27 octobre 2021 dans l’affaire CIRDI n° ARB(AF)/17/1 par le tribunal arbitral composé de M. le Professeur [X] [B], du Dr. [D] [K] et de Mme [U] [L].
DEMANDERESSE AU RECOURS :
REPUBLIQUE BOLIVARIENNE DU VENEZUELA
représentée par le Procurador General de la República Bolivariana de Venezuela
ayant son siège : [Adresse 2] (VENEZUELA)
Ayant pour avocat postulant : Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018
Ayant pour avocat plaidant : Me Alfredo DE JESUS O. de la SELEURL ALFREDO DE JESUS O.TRANSNATIONAL ARBITRATION & LITIGATION, avocat au barreau de PARIS, toque : D0790
DEFENDERESSE AU RECOURS :
Société AIR CANADA
ayant son siège social : [Adresse 1] (CANADA)
prise en la personne de ses représentants légaux,
Ayant pour avocat postulant : Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Ayant pour avocats plaidants : Me Agnès BIZARD et Me Marc-Olivier LANGLOIS, du cabinet KING & SPALDING, avocats au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 12 Juin 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Daniel BARLOW, Président de chambre
Mme Fabienne SCHALLER, Présidente de chambre
Mme Laure ALDEBERT, Conseillère
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur [N] [I] dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Najma EL FARISSI
ARRET :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Daniel BARLOW, président de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* *
*
I/FAITS ET PROCEDURE
1. La cour est saisie d’un recours en annulation contre deux sentences arbitrales rendues à [Localité 3], sous l’égide du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), les 13 septembre et 27 octobre 2021, dans un litige opposant la société Air Canada à la République Bolivarienne du Venezuela (affaire CIRDI No. ARB(AF)/17/1).
2. Le différend à l’origine de ces sentences porte sur des demandes d’autorisation d’acquisition de devises et de rapatriement de capitaux soumises par la société Air Canada à la République Bolivarienne du Venezuela, entre septembre 2013 et janvier 2014, la première reprochant à la seconde de n’avoir pas donné suite à ses demandes, en violation de l’Accord entre le Gouvernement du Canada et le Gouvernement de la République du Venezuela pour la Promotion et la Protection des Investissements (ci-après : « le traité » ou « le TBI »).
3. En 1989, la société Air Canada a établi une succursale au Venezuela afin de promouvoir ses vols entre des destinations nord-américaines. Le 25 juin 2004, l’Institut National de l’Aéronautique Civil du Venezuela (« INAC ») a émis une ordonnance administrative Providencia No. 60 l’autorisant à exercer ses activités de transporteur aérien commercial au Venezuela et à offrir des services de transport réguliers entre Caracas et Toronto, en vertu de l’Accord sur le Transport Aérien conclu entre le Gouvernement du Canada et le Gouvernement du Venezuela (« ATA »).
4. À compter de 2003, le Venezuela a mis en place un régime de contrôle des changes applicable à la distribution, à l’achat et à la vente de devises étrangères. La Commission pour l’administration des devises (« CADIVI ») a été créée afin d’administrer ce contrôle des changes, en tenant compte de la disponibilité des devises étrangères et des directives de la Banque centrale du Venezuela. Dans le cadre ainsi institué, il lui appartenait de définir et de contrôler la procédure régissant les demandes d’autorisation d’acquisition de devises étrangères formulées par les différents acteurs de l’économie vénézuélienne.
5.C’est à ce titre que, le 8 avril 2003, la CADIVI a émis l’ordonnance administrative Providencia No. 23 régissant les autorisations d’acquisition de devises (« AAD ») par les sociétés étrangères de transport aérien international.
6. À partir de juillet 2004, la société Air Canada a régulièrement présenté des demandes d’AAD à la CADIVI, par l’intermédiaire de la Banco Mercantil, afin d’échanger en dollars américains les recettes en bolivars générées par la vente de billets au Venezuela, et de les rapatrier.
7. Jusqu’en novembre 2012, Air Canada a présenté 91 demandes d’AAD, pour un montant total de 91 millions USD, qui ont été approuvées par la CADIVI.
8. Entre septembre 2013 et janvier 2014, elle a formulé 15 demandes d’ADD supplémentaires, pour un montant total de 50 millions USD. Aucune n’a reçu l’approbation de la CADIVI.
9. Le 17 mars 2014, Air Canada a communiqué à l’INAC sa décision de suspendre ses vols de Toronto vers Caracas jusqu’à nouvel ordre.
10. Le 15 juin 2016, elle a adressé à la République Bolivarienne du Venezuela une notification de controverse, sur le fondement de l’article XII(2) du TBI qui prévoit que l’investisseur en cause peut soumettre le différend à l’arbitrage du mécanisme supplémentaire du CIRDI à condition que la partie contractante adverse ou la partie contractante de l’investisseur soit signataire de la Convention relative au CIRDI.
11. Le 16 décembre 2016, elle a déposé une requête d’arbitrage à l’encontre de la République Bolivarienne du Venezuela sur le fondement du TBI et du Règlement du Mécanisme Supplémentaire du CIRDI.
12. Par la sentence querellée du 13 septembre 2021, le tribunal arbitral a statué en ces termes :
1. Le présent différend relève de la compétence du Tribunal Arbitral et est recevable.
2. La Défenderesse a violé ses obligations au titre de l’article VIII et de l’article II(2) du TBI.
3. Il est octroyé à la Demanderesse la somme principale de 20.790.574 USD, augmentée d’intérêts simples au taux reflétant le coût de la dette d’Air Canada, courant à partir du 17 mars 2014 jusqu’au paiement complet de la somme principale.
4. La Défenderesse doit supporter 75 % (soit 693.791,59 USD) et la Demanderesse doit supporter 25 % (soit 231.263,86 USD) des honoraires et frais du CIRDI et du Tribunal. La Défenderesse devra supporter ses propres frais et débours et il est octroyé à la Demanderesse 75 % de ses frais et débours (soit 4.834.129,39 USD).
5. Toutes les autres demandes sont rejetées.
13. Le 12 octobre 2021, la République Bolivarienne du Venezuela a soumis au CIRDI une demande de rectification d’une erreur dans la sentence, conformément à l’article 56 du règlement d’arbitrage.
14. Par une décision du 27 octobre 2021, le tribunal arbitral a corrigé le point 3, section C, page 193 de la sentence, comme suit :
« La Demanderesse se verra accorder 20,790,574 USD, avec des intérêts simples au taux reflétant le coût de la dette de la Demanderesse à partir du 26 mai 2014 et jusqu’à son paiement intégral ».
15. Le 29 novembre 2021, la République Bolivarienne du Venezuela a formé un recours en annulation contre la sentence arbitrale et sa décision de rectification.
16. Les parties ont adhéré au protocole de procédure CCIP-CA.
17. La clôture a été prononcée le 16 mai 2023 et l’affaire appelée à l’audience de plaidoiries du 12 juin 2023.
II/ PRETENTIONS DES PARTIES
18. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 24 janvier 2023, la République Bolivarienne du Venezuela demande à la cour, au visa des articles 1520-1° et 1520-3° du code de procédure civile, de bien vouloir :
À titre principal,
– ANNULER la Sentence arbitrale dans son intégralité.
À titre subsidiaire,
– ANNULER PARTIELLEMENT la Sentence arbitrale et notamment les décisions suivantes :
o les chefs de décision 2, 3 et 4 de la section C. de la Sentence arbitrale et les motifs fondant ces décisions, notamment les paragraphes 360 à 399, 450 à 471 et 534 ainsi que les Sections B.V et B.VII de la Sentence arbitrale ; ou
o alternativement, les chefs de décision 3 et 4 de la section C. de la Sentence arbitrale et les motifs fondant ces décisions, notamment les paragraphes 633 à 638, 646, 651 et 705 ainsi que la Section B. IV de la Sentence arbitrale.
En tout état de cause,
– CONDAMNER la société Air Canada à verser à la République Bolivarienne du Venezuela la somme de 100 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– CONDAMNER la société Air Canada aux entiers dépens ;
– REJETER les demandes de la société Air Canada. »
19. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 24 avril 2023, la société Air Canada demande à la cour, au visa des articles 1520, 1527 et 700 du code de procédure civile, de bien vouloir :
– JUGER mal fondés les moyens de la République Bolivarienne du Venezuela tendant à l’annulation de la Sentence arbitrale ;
En conséquence :
– REJETER le recours en annulation formé par la République Bolivarienne du Venezuela ;
– RAPPELER qu’en application de l’article 1527 du code de procédure civile, le rejet du recours confère l’exequatur à la sentence arbitrale intitulée « Award » rendue à [Localité 3] le 13 septembre 2021 et à la sentence arbitrale intitulée « Decision on Correction of the Award » rendue à [Localité 3] le 27 octobre 2021 ;
En tout état de cause :
– CONDAMNER la République Bolivarienne du Venezuela au paiement d’une somme de 100 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction à la Selarl Lexavoue [Localité 3]-[Localité 4].
III/ MOTIFS DE LA DECISION
20. La République Bolivarienne du Venezuela invoque deux moyens d’annulation tirés, le premier, de l’incompétence du tribunal arbitral (A), le second, du dépassement de sa mission (B).
A) Sur le premier moyen d’annulation tiré de l’incompétence du tribunal arbitral
21. La demanderesse au recours fait grief au tribunal arbitral de s’être à tort déclaré compétent alors que :
1° Air Canada ne s’est pas conformée à la condition d’initier l’arbitrage avant l’expiration du délai de trois ans prévue à l’article XII(3)(d) du TBI ;
2° Air Canada ne s’est pas conformée à la condition de renonciation à toute procédure prévue à l’article XII(3)(b) du TBI ;
3° Air Canada n’a pas démontré qu’elle avait réalisé un « investissement » au sens du TBI ;
4° Air Canada n’a pas démontré qu’elle était un « investisseur » au sens du TBI ;
5° L’ATA, en tant que lex specialis, exclut la compétence du tribunal arbitral sur le fondement du TBI.
1) Sur la première branche du moyen
22. La République Bolivarienne du Venezuela soutient que la condition de délai énoncée à l’article XII(3)(d) du TBI ne détermine pas la recevabilité de la demande d’arbitrage mais la compétence du tribunal arbitral, le respect de cette exigence conditionnant son consentement à l’arbitrage. Elle expose que :
– une interprétation du sens ordinaire des termes de l’article XII(3), conformément à la Convention de Vienne, établit clairement la volonté des États parties de conditionner le recours à l’arbitrage à la satisfaction de toutes les conditions énumérées dans cet article, en ce compris le délai de trois ans ;
– la lecture de l’article XII(5) du traité confirme cette analyse ;
– la solution retenue par la Cour de cassation dont se prévaut Air Canada, doit être écartée car elle ne respecte pas le sens ordinaire des termes du traité ;
– une offre d’arbitrage insérée dans un TBI peut énoncer une limitation ratione temporis à la compétence du tribunal arbitral ;
– le délai de trois ans est énoncé dans l’article définissant l’étendue de la compétence du tribunal arbitral, de sorte qu’il ne peut que s’agir d’une condition de compétence.
23. Elle retient, sur le calcul du délai, que :
– selon le traité, le délai s’apprécie au regard de la date à laquelle l’investisseur a eu ou aurait dû avoir connaissance d’une violation du TBI et du préjudice potentiel en résultant ;
– le tribunal arbitral a cependant ajouté une triple condition de clarté qui n’existe pas dans le TBI, en contradiction avec les principes de la Convention de Vienne.
24. Elle ajoute que le tribunal aurait dû décliner sa compétence dès lors que :
– Air Canada n’a jamais rapporté la preuve du point de départ du délai de trois ans pour établir la compétence du tribunal arbitral ;
– il résulte des propres allégations de la défenderesse que ses représentants avaient connaissance avant le 16 décembre 2013 de la cause de ses demandes ;
– les communications internes de la société confirment cette connaissance.
25. La société Air Canada réplique que le délai de trois ans énoncé à l’article XII(3)(d) du TBI n’est pas une condition de compétence mais de recevabilité en ce que :
– ce délai s’apparente à un délai de prescription dont le non-respect constitue une fin de non-recevoir ;
– il n’a aucune incidence sur le consentement à l’arbitrage donné par les parties, pour concerner l’action personnelle de l’investisseur ;
– analysant le même TBI, la Cour de cassation et la cour d’appel de Paris ont eu l’occasion de juger, dans d’autres affaires, que ce délai ne portait pas sur le consentement de l’État mais sur les conditions d’exercice de l’action de l’investisseur, et ont par conséquent confirmé que le moyen tiré de son irrespect ne constitue pas une exception d’incompétence mais une question de recevabilité.
26. Elle ajoute avoir, en toute hypothèse, respecté ce délai dès lors que :
– le délai de trois ans court à compter de la date à laquelle l’investisseur a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance pour la première fois de la prétendue violation et de la perte ou du préjudice qu’il a subi ;
– elle n’a, en l’espèce, pu avoir connaissance d’une violation du TBI par le Venezuela, au plus tôt, qu’à compter du 20 janvier 2014, date à laquelle le silence gardé par le Venezuela quant aux premières demandes d’AAD litigieuses pouvait être considéré comme valant refus d’y faire droit.
27. Elle soutient enfin que le Venezuela cherche, sur ce point, à faire rejuger le litige au fond.
SUR CE :
28. L’article 1520, 1°, du code de procédure civile ouvre le recours en annulation lorsque le tribunal arbitral s’est déclaré à tort compétent ou incompétent.
29. Pour l’application de ce texte, il appartient au juge de l’annulation de contrôler la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, qu’il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d’apprécier la portée de la convention d’arbitrage.
30. Lorsque celle-ci résulte d’un traité bilatéral d’investissements, la compétence du tribunal arbitral et l’étendue de son pouvoir juridictionnel dépendent de ce traité, le consentement de l’État à l’arbitrage procédant de l’offre permanente d’arbitrage adressée à une catégorie d’investisseurs que ce traité délimite pour le règlement des différends touchant aux investissements qu’il définit.
31. Le contrôle de la décision du tribunal arbitral sur sa compétence est exclusif de toute révision au fond de la sentence, le juge de l’annulation n’ayant pas à se prononcer sur la recevabilité des demandes ni sur leur bienfondé.
32. En l’espèce, l’offre d’arbitrage résulte de l’accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de la République du Venezuela concernant la promotion et la protection des investissements, conclu le 1er juillet 1996 et entré en vigueur le 28 janvier 1998, dont l’article XII relatif au « Règlement des différends entre un investisseur et la partie contractante d’accueil » énonce :
1. Tout différend entre une Partie Contractante et un investisseur de l’autre Partie Contractante, découlant de la demande de l’investisseur selon laquelle une mesure prise ou son omission par la première Partie Contractante, viole le présent Accord, et selon laquelle l’investisseur, ou une entreprise que l’investisseur détient ou contrôle directement ou indirectement, a subi une perte ou un préjudice en raison de, ou découlant de, cette violation, est dans la mesure du possible réglé à l’amiable par les intéressés.
2. Si un différend n’est pas réglé à l’amiable dans les six mois qui suivent la date à laquelle il a pris naissance, il peut être soumis à l’arbitrage conformément au paragraphe (4). Aux fins du présent paragraphe, un différend est considéré avoir pris naissance lorsque l’investisseur d’une Partie Contractante signifie à l’autre Partie Contractante un avis écrit selon lequel une mesure prise par la seconde Partie Contractante, ou son omission, viole le présent Accord, et selon lequel également l’investisseur, ou une entreprise que l’investisseur détient ou contrôle directement ou indirectement, a subi une perte ou un préjudice en raison de, ou découlant de, cette violation.
3. Un investisseur peut soumettre un différend tel que visé au paragraphe 1) à l’arbitrage, conformément au paragraphe 4), seulement si :
(d) Pas plus de trois ans ne se sont écoulés depuis la date à laquelle l’investisseur a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance pour la première fois de la prétendue violation et de la perte ou du préjudice qu’il a subi. [‘]
5. Chaque Partie Contractante octroie son consentement inconditionnel à la soumission d’un différend à l’arbitrage international conformément aux dispositions de cet Article.
33. Au soutien de son moyen selon lequel le respect du délai énoncé au (d) de cet article conditionne son consentement à l’arbitrage et détermine la compétence du tribunal arbitral, la demanderesse souligne que ce dernier a lui-même considéré que la prescription ainsi instituée était une condition de ce consentement.
34. La cour rappelle sur ce point que s’il appartient au juge de l’annulation de vérifier que les parties au litige sont liées par la convention d’arbitrage, le contenu de la motivation de la sentence échappe à son contrôle, qui s’exerce sans qu’il y ait lieu de s’arrêter aux dénominations retenues par les arbitres ou proposées par les parties.
35. L’interprétation des termes de l’article XII (3) (d) ci-avant rappelé, suivant le sens ordinaire qui peut leur être attribué, dans leur contexte et à la lumière de l’objet et du but du traité, fait à cet égard apparaître que l’exigence de délai énoncée par ce texte concerne l’exercice de l’action par le demandeur à l’arbitrage, ainsi qu’il résulte de la formule : « Un investisseur peut soumettre un différend [‘] à l’arbitrage [‘] seulement si [la condition de délai est satisfaite] ». Elle fait peser sur l’investisseur une obligation de célérité pour la saisine du tribunal arbitral, qui conditionne, non la compétence de ce dernier à connaître de la demande, mais la recevabilité de celle-ci.
36. Elle s’apparente en cela à une règle de prescription dont le non-respect ne relève pas du champ de l’article 1520, 1°, du code de procédure civile.
37. La référence faite au consentement à l’arbitrage, au paragraphe 5 de l’article XII, n’est pas de nature à remettre en cause cette lecture, dès lors que :
– la formule selon laquelle « Chaque Partie Contractante octroie son consentement inconditionnel à la soumission d’un différend à l’arbitrage international conformément aux dispositions de cet Article » n’a ni pour objet ni pour effet de subordonner le consentement d’une partie à l’arbitrage au respect de l’ensemble des dispositions de cet article, le renvoi opéré à ces dispositions concernant la soumission du différend à l’arbitrage, à laquelle se rapporte l’adverbe « conformément » [“in accordance with” dans sa version anglaise] non précédé d’une virgule ;
– cet article comporte des dispositions de diverse nature, traitant aussi bien de la compétence de l’arbitre que de la tentative préalable de règlement amiable, du droit applicable, des mesures provisoires, des pouvoirs du tribunal arbitral ou de l’absence d’appel possible contre la sentence, de sorte qu’il ne peut, en toute hypothèse, être déduit de cette formulation que l’institution du délai de trois ans prévue au paragraphe 3 concernerait la compétence des arbitres.
38. Cette exigence ne peut davantage s’assimiler à une règle de compétence ratione temporis, le champ d’application temporel du traité, dont dépend la compétence du tribunal arbitral, n’étant pas déterminée à l’article XII mais à l’article XVI(1), selon lequel le TBI s’applique aux investissements effectués avant ou après son entrée en vigueur, sans toutefois conférer le droit au règlement d’un différend relatif à des mesures prises et menées avant cette entrée en vigueur.
39. Il en résulte que la première branche du moyen manque en droit et ne peut prospérer.
2) Sur la deuxième branche du moyen
40. La République Bolivarienne du Venezuela soutient qu’Air Canada ne s’est pas conformée à la condition de renonciation à toute procédure prévue à l’article XII(3)(b) du TBI, en faisant valoir que :
– cette renonciation est une condition de compétence et non de recevabilité ;
– les exigences formelles de la renonciation s’appliquent à « tout type de procédure », en ce compris les procédures de négociation auxquelles l’investisseur ne peut recourir ;
– Air Canada n’a pas satisfait à cette condition pour avoir pris part à d’autres mécanismes de règlement des différends par l’intermédiaire de deux associations représentant ses intérêts relativement aux créances de devises étrangères qu’elle faisait valoir dans l’arbitrage.
41. La société Air Canada réplique que :
– la renonciation « à toute procédure » énoncée à l’article XII(3)(d) n’est pas une condition de compétence mais de recevabilité ;
– Air Canada a respecté cette renonciation, ainsi qu’a jugé le tribunal arbitral ;
– les négociations et discussions ne rentrent pas dans le champ de la renonciation de l’article XII(3)(b) ;
– les discussion auxquelles se réfère le Venezuela ont été conduites par des tiers qui n’agissaient pas au nom d’Air Canada.
SUR CE :
42. Aux termes de l’article XII(3)(b) du TBI :
3. Un investisseur peut soumettre un différend tel que visé au paragraphe 1) à l’arbitrage, conformément au paragraphe 4), seulement si : [‘]
(b) L’investisseur a renoncé à son droit d’engager ou de poursuivre toute autre procédure en lien avec la mesure qui selon lui prétendument viole le présent Accord, devant les cours ou tribunaux de la Partie Contractante en cause ou dans le cadre de tout type de procédure de règlement des différends ;
43. Il résulte là encore de l’interprétation des termes employés et de la formulation retenue, suivant le sens ordinaire qui peut leur être attribué, dans leur contexte et à la lumière de l’objet et du but du traité, que l’obligation de renonciation ainsi énoncée pèse sur la personne de l’investisseur et subordonne la possibilité pour celui-ci de soumettre sa demande au tribunal arbitral au respect de cette exigence, indépendamment de la compétence du tribunal à l’égard de cette demande.
44. Cette renonciation constitue dès lors une condition de recevabilité de la demande qui ne relève pas du contrôle du juge de l’annulation.
45. La deuxième branche du moyen, qui manque également en droit, sera elle aussi écartée.
3) Sur la troisième branche du moyen
46. La République Bolivarienne du Venezuela fait grief au tribunal arbitral d’avoir retenu sa compétence alors qu’Air Canada n’a pas démontré qu’elle avait réalisé un investissement au sens du TBI. Elle fait valoir que :
– l’investissement revendiqué par Air Canada ne satisfait pas aux critères du traité ni ne présente les caractéristiques inhérentes à tout investissement ;
– Air Canada n’a jamais été détentrice de créances de somme d’argent, ni de revenus au sens du TBI, ses prétentions reposant sur un prétendu droit d’obtenir des devises libellées en dollars US, dépourvu de fondement juridique ;
– elle n’a aucun droit absolu d’obtenir des devises étrangères ;
– le fait que l’investissement prétendument réalisé prenne la forme de revenus est inopérant puisque ces revenus, qui sont le résultat d’un investissement, ne peuvent constituer en tant que tels un « investissement » ;
– Air Canada n’a pas rapporté la preuve que l’investissement allégué présentait les caractéristiques objectives du « test Salini » inhérentes à tout investissement, à savoir : (i) une certaine durée pour la mise en ‘uvre du projet, (ii) une prise de risques, (iii) une contribution substantielle, financière ou sous forme d’actifs et (iv) une contribution substantielle au développement économique de l’État hôte de l’investissement.
47. Elle ajoute qu’Air Canada n’a pas réalisé un investissement « conformément aux lois » du Venezuela, comme l’exige l’article I(f) du TBI, l’activité de cette société au Venezuela violant le droit vénézuélien. Elle précise sur ce point que :
– la licéité de l’investissement est une question de compétence ;
– la condition de légalité de l’investissement est exigée à tout moment, et pas seulement au moment de sa réalisation ;
– le fait que la République Bolivarienne du Venezuela n’a jamais poursuivi la société Air Canada est sans incidence sur l’illégalité du prétendu investissement ;
– l’investissement allégué de la société Air Canada était illicite dès l’ouverture de la ligne aérienne Toronto-Caracas-Toronto en 2004 ;
– Air Canada a conclu des contrats de services avec des prestataires vénézuéliens en vertu desquels elle s’engageait à rémunérer en dollars US des services délivrés sur le territoire du Venezuela et des services délivrés par une société vénézuélienne en dehors du territoire du Venezuela. Or, de telles modalités de paiement violent le droit vénézuélien ;
– Air Canada a établi de faux contrats de travail et fait de fausses déclarations à l’inspection du travail sur l’embauche d’employés en charge de la sécurité ;
– elle n’était pas en droit d’annuler la ligne Toronto-Caracas-Toronto, ni d’interrompre la vente de billets d’avion en bolivars, ni d’arrêter d’opérer cette ligne car selon le droit vénézuélien de l’aviation civile, le transport aérien international est un service public.
48. La société Air Canada soutient en réponse avoir réalisé un investissement au sens du TBI. Elle fait valoir que :
– la Superintendance des Investissements Étrangers du Venezuela lui a délivré une certification de qualification d’entreprise lui reconnaissant ainsi le statut d’investisseur étranger, avec tous les droits que ce statut lui accordait ;
– les actifs invoqués devant le tribunal arbitral correspondent aux exemples donnés dans l’article I(f) du TBI ;
– Air Canada disposait ainsi de créances en ce qu’elle était en droit de recevoir des dollars américains en échange des bénéfices libellés en bolivars générés par ses activités aériennes, l’absence de « droit absolu à l’obtention de devises étrangères » concernant le bien-fondé de la demande ;
– elle avait le droit de fournir des services aériens entre le Canada et la République Bolivarienne du Venezuela au sens du (vi) de l’article I(f) ;
– elle avait le droit de convertir en dollars les profits générés localement et de rapatrier ces bénéfices au Canada ;
– les fonds déposés sur son compte bancaire au Venezuela constituent par eux-mêmes un investissement ;
– son activité globale au Venezuela constitue un investissement protégé, le recours au « test Salini » n’étant pas approprié dans le cadre d’un arbitrage non soumis à la Convention CIRDI ;
– le différend est en relation directe avec un investissement, l’exigence d’une relation directe entre le différend et l’investissement ne figurant pas dans le TBI.
49. Elle ajoute avoir réalisé ses investissements conformément à la législation vénézuélienne applicable au contrôle des changes et la législation sociale, la régularité de l’investissement étant une question de fond qui ne relève pas du contrôle de la Cour.
SUR CE :
50. L’article I(f) du TBI fournit, pour les besoins de son application, la définition suivante :
« investissement » signifie tout type de bien dont la propriété est détenue ou qui est contrôlé directement ou indirectement par un investisseur de l’une des Parties Contractantes, y compris par un investisseur d’un État tiers, dans le territoire de l’autre Partie Contractante, conformément aux lois de cette dernière. En particulier, bien que non-exclusivement, « investissement » inclut :
(i) la propriété de biens meubles et immeubles et tous droits de propriété s’y rapportant, tels que les hypothèques, privilèges ou nantissements ;
(ii) les actions, valeurs mobilières, bons et obligations ou toute autre forme de participation dans une société, une entreprise commerciale ou une coentreprise (« joint venture ») ;
(iii) une somme d’argent, les créances de somme d’argent et les créances d’obligation contractuelle ayant une valeur financière ;
(iv) la réputation et la clientèle (« goodwill ») ;
(v) les droits de propriété intellectuelle ;
(vi) les droits conférés par la loi ou un contrat d’exercer toute activité économique et commerciale, dont ceux d’explorer, de cultiver, d’extraire ou d’exploiter les ressources naturelles.
à l’exclusion cependant d’un bien immobilier ou autre propriété, corporelle ou incorporelle, qui n’est pas acquis ou utilisé aux fins d’en tirer un avantage économique ou à d’autres fins commerciales.
Tout changement quant à la forme de l’investissement n’affecte pas sa qualité d’investissement.
51. La cour relève à titre liminaire que si la demanderesse au recours fait grief au tribunal arbitral de n’avoir pas appliqué le test Salini pour caractériser l’existence d’un investissement protégé au sens du TBI, ce traité, pas plus que le règlement du Mécanisme Supplémentaire du CIRDI sous l’égide duquel est intervenu l’arbitrage litigieux, ne font référence ni ne renvoient à ce test pour caractériser l’existence de l’investissement. L’article I(f) du traité donne en effet une définition large de l’investissement, renvoyant à « tout type de bien dont la propriété est détenue ou qui est contrôlé directement ou indirectement par un investisseur de l’une des Parties Contractantes », la liste des actifs qu’il formule n’étant pas exhaustive mais illustrative. Il ne requiert aucune exigence de durée ou de prise de risque, pas plus qu’il ne se réfère à la notion de contribution substantielle. La référence au test Salini, qui conduirait à ajouter au traité des exigences qu’il ne prévoit pas, n’est dès lors pas pertinente pour apprécier la compétence du tribunal arbitral.
52. Au cas présent, il résulte de la sentence arbitrale querellée que la société Air Canada revendiquait en premier lieu des créances de sommes d’argent résultant de son droit de recevoir des dollars américains en échange des bénéfices libellés en bolivars générés par ses activités aériennes et détenus sur son compte bancaire vénézuélien. Elle invoquait à ce titre, d’une part, l’article XXI(2) de l’ATA aux termes duquel « [c]haque compagnie aérienne désignée a le droit de convertir et de transférer dans son pays sur demande les bénéfices réalisés dans le cours normal de ses activités », de l’autre, l’article 2 de la Providencia No. 23, qui énonce que « [l]es sociétés étrangères de transport aérien international dûment autorisés par [l’INAC] peuvent acquérir par l’intermédiaire d’opérateurs de change autorisés les devises nécessaires pour reverser à la maison mère de leur pays d’origine, le solde net de leurs recettes de vente de billets d’avion, de transport de marchandises et de services postaux réalisés à tous les points de vente, moins tous les coûts, dépenses et impôts dus par elle au Venezuela pour leur fonctionnement adéquat et sûr ».
53. Ainsi que l’a relevé le tribunal arbitral, les instruments fondant cette réclamation instituent bien un droit au paiement pouvant s’analyser comme une créance de somme d’argent au sens de l’article I(f)(iii) du TBI.
54. Le fait, mis en avant par le Venezuela, que les droits ainsi revendiqués ne constituent pas un « droit absolu à l’obtention de devises étrangères » est à cet égard indifférent au stade de l’examen de la compétence, pour concerner le bienfondé des demandes soumises au tribunal arbitral.
55. La société Air Canada invoquait, en deuxième lieu, le droit à la conversion et au rapatriement des revenus générés localement qui font partie intégrante de ses activités économiques et commerciales au Venezuela, tel que résultant des droits qui lui ont été accordés par l’ATA d’exploiter certains services aériens internationaux au Venezuela et de convertir et transférer les bénéfices issus de cette activité, ainsi que par la Providencia No. 60, l’autorisant à exercer ses activités en tant que compagnie aérienne commerciale au Venezuela.
56. Cette réclamation entre dans la catégorie des « droits conférés par la loi ou un contrat d’exercer toute activité économique et commerciale » énoncée au (vi) de l’article I(f) précité, le caractère non-absolu de ces droits étant, pour les raisons précitées, inopérant au stade de l’examen de la compétence.
57. Air Canada revendiquait enfin à titre d’investissement les fonds déposés sur son compte bancaire ouvert au Venezuela, lesquels constituent des « biens » au sens de cet article pour être traités comme un actif dans le bilan d’une société, ce que ne conteste pas la demanderesse au recours, qui fait reposer son argumentation sur la notion de « revenu », laquelle n’est pas de nature à remettre en cause la qualification précitée.
58. Il résulte de ce qui précède que la demanderesse à l’arbitrage a bien réalisé des investissements protégés au sens du TBI, propres à fonder la compétence du tribunal arbitral.
59. La cour relève, sur la contrariété alléguée des investissements ainsi revendiqués aux lois du Venezuela, que si l’article I(f) renvoie à la notion de bien détenu ou contrôlé « conformément aux lois » de la partie contractante concernée, cette exigence ne peut s’analyser comme conditionnant la compétence du tribunal arbitral, l’appréciation de la licéité de l’investissement relevant du fond du litige et échappant, comme telle, au contrôle du juge de l’annulation à qui il n’appartient pas, sous couvert d’un contrôle de la compétence, de se substituer à l’arbitre pour trancher le litige sur la régularité de l’investissement.
60. À cet égard, si un État est fonde’ a’ refuser d’accorder sa protection a’ un investissement illégal, en signant un traite’ bilatéral d’investissement comportant une offre permanente d’arbitrage, il accepte toutefois par avance de se soumettre a’ un tribunal arbitral pour statuer sur les litiges liés aux investissements réalisés par un ressortissant de l’autre partie contractante sur son territoire.
61. Il convient dès lors de considérer que cette offre permanente d’arbitrage est autonome et indépendante de la validité de l’opération qui a donné naissance a’ l’investissement ou qui la soutient, de sorte que l’acceptation de l’arbitrage, qui résulte de la notification de la requête d’arbitrage, suffit a’ justifier la compétence du tribunal arbitral pour statuer sur la licéité de cet investissement et la demande en réparation.
62. L’argumentation développée sur ce point par la demanderesse au recours est dès lors inopérante.
63. D’où il suit que le moyen pris en sa troisième branche sera rejeté.
4) Sur la quatrième branche du moyen
64. La République Bolivarienne du Venezuela soutient que la société Air Canada n’est pas un « investisseur » au sens du TBI car :
– elle n’a pas réalisé d’investissement au sens du TBI ;
– elle n’a ni démontré, ni discuté le fait qu’elle aurait réalisé un investissement localisé sur le territoire du Venezuela, ni que son prétendu droit d’acquérir des devises étrangères était en tant que tel constitutif de la réalisation d’un investissement au Venezuela.
65. En réponse, la société Air Canada fait valoir être un investisseur au sens du traité dès lors que :
– son investissement a été admis par la Superintendance des Investissements Étrangers du Venezuela ;
– les opérations qui le caractérisent ont été réalisées au Venezuela, la République Bolivarienne du Venezuela ne démontrant pas que l’investissement n’aurait pas été réalisé sur son territoire.
SUR CE :
66. Selon l’article I(g) du TBI :
« investisseur » désigne
dans le cas du Canada, [‘]
(ii) une entreprise dûment constituée conformément aux lois applicables au Canada,
qui effectue un investissement dans le territoire du Venezuela sans avoir la nationalité vénézuélienne
67. Il est acquis aux débats que la demanderesse à l’arbitrage est une société constituée en vertu des lois canadiennes et qu’elle n’a pas la nationalité vénézuélienne, les parties ne s’opposant que sur le point de savoir si cette société a effectué un investissement sur le territoire du Venezuela.
68. Il résulte sur ce point des considérations et développements qui précèdent que les demandes soumises par cette société au tribunal arbitral reposaient sur des revendications de droits et de biens répondant à la définition de l’investissement protégé par le TBI.
69. La localisation de ces investissements « dans le territoire du Venezuela » est établie, les droits revendiqués étant attachés au paiement et au rapatriement de devises générées localement et détenues sur un compte bancaire ouvert au Venezuela.
70. Le moyen d’annulation pris en sa quatrième branche est dès lors infondé et doit être écarté.
5) Sur la cinquième branche du moyen
71. La République Bolivarienne du Venezuela soutient que l’Accord entre le Gouvernement du Venezuela et le Gouvernement du Canada sur le Transport Aérien (ci-après : « ATA ») exclut, en tant que lex specialis, la compétence du tribunal arbitral sur le fondement du TBI. Elle retient à ce titre que :
– l’application du principe lex specialis derogant lex generalis est établie en droit international, y compris à l’intérieur même du droit conventionnel, entre accords spéciaux et conventions générales ;
– ce principe exclut la compétence du tribunal arbitral, en raison de l’application de l’ATA, traité conclu entre les mêmes parties que le TBI, ayant un champ d’application propre et un mécanisme de règlement des différends distinct ;
– au-delà de son mécanisme de règlement des différends distinct de celui du TBI, l’ATA prévaut sur le TBI en tant que lex specialis en raison notamment de l’incompatibilité de leur objet, de leur finalité, de leur champ d’application matériel, des acteurs concernés, et de leurs dispositions.
72. La société Air Canada conclut au rejet de ce moyen en ce que :
– l’ATA ne constitue pas une lex specialis qui supplanterait ou exclurait l’application du TBI, ces traités n’ayant pas le même objet, ne visant pas les mêmes entités et leur clause de règlement des différends ne s’appliquant pas aux mêmes situations ;
– le Venezuela et le Canada ont expressément choisi d’exclure du champ d’application du TBI certaines activités, sans que le TBI exclut les activités aériennes de son champ d’application ;
– les demandes formées par Air Canada étaient fondées sur des violations du TBI (libre transfert, traitement juste et équitable, expropriation), et présentaient un caractère indemnitaire, ce que ne permet pas l’ATA, le TBI constituant ainsi la lex specialis en ce qu’il gouverne l’investissement d’Air Canada.
SUR CE :
73. Signé le 26 juin 1990, l’Accord entre le Gouvernement du Venezuela et le Gouvernement du Canada sur le Transport Aérien se présente comme complémentaire à la Convention relative à l’Aviation Civile Internationale ouverte à la signature à Chicago le 7 décembre 1944. Il a pour but « d’établir des services aériens commerciaux » entre ses parties.
74. Il reconnaît à cette fin des droits accordés par chaque partie contractante à l’autre ainsi que des droits au profit des compagnies aériennes de chaque partie, parmi lesquels (art. XXI) :
le droit de convertir et de transférer dans son pays, sur demande, les bénéfices réalisés dans le cours normal de ses activités […] aux taux de change en vigueur sur le marché des devises étrangères au moment du transfert […] conformément à la législation nationale […] dans des conditions législatives et réglementaires non moins favorables que celles appliquées à tout autre compagnie aérienne étrangère exploitant des services aériens internationaux à destination et en provenance du territoire de l’autre Partie Contractante.
75.Son article XVIII institue une procédure de « Règlement des différends » ainsi définie :
1. Si un différend survient entre les Parties Contractantes concernant l’interprétation ou l’application du présent Accord, les Parties Contractantes s’efforcent de le régler par voie de négociation.
2. Ces négociations doivent commencer dès que possible et, en tout état de cause, au plus tard quarante-cinq (45) jours à compter de la date de réception de la demande de négociation, sauf accord contraire des Parties Contractantes.
3. L’absence d’accord satisfaisant dans un délai supplémentaire de cent quatre-vingts (180) jours constitue un motif d’application de l’Article VII du présent Accord, sauf accord contraire des Parties Contractantes.
76. Le TBI a quant à lui pour objectif de favoriser « la promotion et la protection des investissements effectués par des investisseurs de l’une des Parties Contractantes dans le territoire de l’autre Partie Contractante [afin de] de stimuler l’activité commerciale et d’établir des liens de coopération économique entre eux ».
77. Il prévoit le principe d’un « traitement juste et équitable » des investissements ou des revenus des investisseurs (art. II(2)), interdit l’expropriation des investissements ou des revenus des investisseurs, sauf si certaines conditions sont remplies (art. VII) et protège le « transfert sans restriction des investissements et des revenus » de l’investisseur « sans délai dans la devise convertible dans laquelle les capitaux ont initialement été investis ou dans toute autre devise convertible dont conviennent l’investisseur et la Partie Contractante en cause » et, « sauf accord contraire avec l’investisseur », « au taux de change alors en vigueur » (art. VIII).
78. Son article XII énonce, pour le « Règlement des différends entre un investisseur et la partie contractante d’accueil », une offre d’arbitrage au bénéfice de l’investisseur qui peut, en cas d’échec de la tentative de règlement amiable, soumettre le différend à l’arbitrage du CIRDI ou du Mécanisme supplémentaire du CIRDI. L’article XIV concerne des différends entre parties contractantes quant à l’interprétation ou l’application du TBI.
79. Il résulte de l’examen comparé de ces deux instruments que ceux-ci poursuivent des finalités différentes et ont des objets distincts, le TBI traitant, non de l’établissement de relations commerciales, mais de la protection des investisseurs. Leurs clauses de règlement des différends ne s’adressent pas aux mêmes catégories de personnes ni ne visent le même type de contestations, le TBI offrant un mode de résolution aux litiges opposant un investisseur privé à un État partie, quand l’ATA n’envisage qu’un mécanisme de règlement interétatique par voie de négociations.
80. En l’espèce, les demandes formées par la société Air Canada, qui revendiquait la qualité d’investisseur au sens du TBI, reposaient sur de prétendues violations de ce traité par le Venezuela concernant le libre transfert de fonds à l’étranger, le traitement juste et équitable de ses investissements et l’expropriation (art. VIII, II et VII). Elles s’inscrivaient bien en cela dans le champ d’application du TBI, qui n’énonce aucune exclusion à l’égard des investissements liés à des activités aériennes, à la différence d’autres activités, la seule réserve relative à « l’aviation » concernant la clause de la nation la plus favorisée.
81. Le fait que la demanderesse à l’arbitrage ait invoqué devant le tribunal arbitral des dispositions de l’ATA ne saurait à cet égard être regardé comme dirimant, celles-ci ayant vocation à s’appliquer pour le règlement du différend au titre de l’article XII(7) du TBI, qui exige que le tribunal arbitral « tranche les questions en litige conformément [au TBI] et aux règles applicables du droit international » dans le champ desquelles entre l’ATA.
82. La République Bolivarienne du Venezuela ne saurait enfin valablement conclure à la prévalence de la clause de règlement des différends de l’ATA, cette dernière, qui ne peut être mise en ‘uvre que par les États parties, n’ayant ni pour objet ni pour effet de permettre l’indemnisation d’un investisseur.
83. En quoi la cinquième branche du moyen est infondée.
84. Il résulte de l’ensemble de ces considérations que c’est à juste titre que le tribunal arbitral s’est déclaré compétent pour connaître des demandes qui lui étaient soumises par la société Air Canada, le moyen d’annulation tiré de la violation des dispositions de l’article 1520, 1° du code de procédure civile devant être rejeté.
B) Sur le deuxième moyen d’annulation tiré du non-respect par le tribunal arbitral de sa mission
85. La République Bolivarienne du Venezuela fait grief au tribunal arbitral de ne s’être pas conformé à sa mission pour avoir statué en amiable composition alors que les parties ne lui en avait pas donné le pouvoir. Elle expose que :
– l’article XII(7) du Traité prévoit qu’il relève de la mission du tribunal arbitral de décider des questions litigieuses conformément au TBI et aux règles de droit international public, l’article I(1)(f) imposant que l’investissement soit détenu ou contrôlé conformément au droit vénézuélien ;
– le tribunal arbitral n’en a pas moins statué en amiable composition pour l’appréciation du traitement des demandes d’Air Canada, en écartant le délai de quatre mois prévu par la loi vénézuélienne en cas de silence de l’administration au profit d’une pratique de l’administration, car les conséquences de l’application de la règle de droit lui paraissaient inéquitable ;
– il a également écarté le droit vénézuélien prévoyant l’application du taux de change en vigueur au jour du transfert de fonds pour déterminer les dates de transferts de fonds hypothétiques et se fonder sur le taux de change en vigueur en 2013.
86. En réponse, la société Air Canada fait valoir que :
– la République Bolivarienne du Venezuela ne démontre pas qu’il résulte des termes de la sentence que le tribunal arbitral aurait statué en équité, pas plus qu’il ne vise de passages de la sentence dans lequel le tribunal aurait fait prévaloir l’équité sur la règle de droit ;
– le tribunal n’a pas écarté les règles de droit normalement applicables car le droit vénézuélien n’est pas applicable, le TBI prévoyant que le tribunal décide des questions litigieuses conformément au TBI et aux règles du droit international ;
– les références faites aux règles de droit vénézuélien ne l’ont été que pour les besoins de l’analyse factuelle, pour apprécier le délai de traitement des demandes d’AAD par la CADIVI et la date à laquelle Air Canada pouvait être réputée avoir connaissance du refus de la CADIVI de traiter ses demandes.
SUR CE :
87. Selon l’article 1520, 3°, du code de procédure civile, le recours en annulation est ouvert si le tribunal a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée.
88. Cette mission, définie par la convention d’arbitrage, est délimitée principalement par l’objet du litige, lequel est déterminé par les prétentions des parties, sans qu’il y ait lieu de s’attacher uniquement à l’énoncé des questions figurant dans l’acte de mission.
89. L’amiable composition est une renonciation conventionnelle aux effets et au bénéfice de la règle de droit, les parties perdant la prérogative d’en exiger la stricte application, les arbitres recevant corrélativement le pouvoir de modifier ou de modérer les conséquences de cette règle dès lors que l’équité ou l’intérêt commun bien compris des parties l’exige.
90. L’arbitre ne s’écarte pas de sa mission s’il use de la liberté qui lui est accordée par le droit applicable au différend, l’usage par un tribunal arbitral d’une liberté d’appréciation que lui confère la règle applicable pour statuer sur une demande ne suffisant pas à qualifier ce pouvoir d’amiable composition.
91. Il est en l’espèce constant que les parties n’ont pas investi le tribunal arbitral du pouvoir de statuer en amiable composition.
92. L’article XII(7) du TBI énonce, s’agissant du droit applicable, que :
Le tribunal établi en application du présent Article tranche les questions en litige conformément au présent Accord et aux règles applicables du droit international. L’interprétation du présent Accord dont conviennent les deux Parties Contractantes lie le tribunal.
93. Son article I(f) renvoie néanmoins au droit national des parties pour l’appréciation des conditions de détention ou de contrôle de l’investissement, en énonçant que l’investissement doit être détenu ou contrôlé « conformément aux lois » de la partie contractante sur le territoire de laquelle il a été réalisé.
94. L’article VIII(4), relatif aux transferts de fonds, prévoit par ailleurs que :
Une Partie Contractante peut faire obstacle à un virement par l’application équitable, non discriminatoire et de bonne foi de ses lois se rapportant à :
a. la faillite, l’insolvabilité ou la protection des droits des créanciers,
b. l’émission et la négociation de valeurs mobilières,
c. les infractions criminelles ou pénales,
d. l’information concernant les virements de devises ou d’autres instruments monétaires, ou
e. l’exécution des jugements issus de procédures d’arbitrage.
Ce même article précise que les virements ont lieu « selon les taux de change alors en vigueur ».
95. Dans le cadre ainsi défini, la demanderesse au recours fait grief au tribunal arbitral d’avoir jugé en amiable composition en s’affranchissant des règles du droit vénézuélien issues des articles 4 et 60 de la Loi Organique sur les Procédures Administratives (LOPA), en vertu desquels le silence gardé par l’administration pendant quatre mois vaut rejet de la demande :
– pour considérer, au stade de l’appréciation de la responsabilité, que la CADIVI n’avait jamais « accepté, suspendu ou rejeté » les demandes d’AAD litigieuses et juger que le cadre temporel pertinent pour l’analyse du traitement de ces demandes par les autorités administratives vénézuéliennes devait s’apprécier à compter de la date de leur dépôt en 2013 jusqu’à la notification de la controverse d’Air Canada du 15 juin 2016, et
– au stade de l’évaluation de préjudice, pour déterminer le taux de change applicable aux demandes d’ADD.
96. Il résulte toutefois des développements qui précèdent que les dispositions de la LOPA n’entrent pas dans le champ des règles rendues applicables par le TBI pour le traitement des différends entre un investisseur et l’une des parties contractantes, faute de concerner la détention ou le contrôle des investissements ou d’entrer dans la liste des lois visées à l’article VIII(4) précité, de sorte qu’il ne saurait être fait grief au tribunal arbitral de s’en être affranchi.
97. Ce dernier a considéré, pour les besoins de son raisonnement, que « le TBI et le droit international régissent [le] différend » (sentence querellée, par. 146), en précisant que :
« Le droit interne, en l’occurrence le droit vénézuélien, “est susceptible [d’être] pertinent” quant à la détermination des demandes et des défenses en question. Ceci étant, le rôle du droit interne ne doit pas être confondu avec celui du TBI et/ou du droit international. En particulier, il ne fait pas partie du régime régissant le présent différend [‘].
Au contraire, il doit être examiné d’un point de vue factuel afin de déterminer, le cas échéant, la portée et l’étendue des droits et obligations des Parties dont il est allégué qu’ils donnent lieu à l’existence d’un « investissement » à des fins juridictionnelles, ainsi que ceux dont il est allégué qu’ils donnent lieu à des réclamations sur le fond. » (ibid., par. 147).
98. S’agissant de l’appréciation de la responsabilité, le tribunal arbitral a jugé que :
« Il ressort clairement de la formulation de [l’article VIII du traité] que les États Contractants n’ont pas fixé de délai précis dans lequel un transfert devait être effectué et n’ont pas défini les termes “sans délai” employés par le TBI. Il est cependant explicite que le délai commence à courir le jour où la demande de transfert a été faite. » (ibid., par. 360)
Ajoutant que :
« 361. Les faits suivants semblent pertinents dans le contexte du délai de traitement des Demandes d’AAD : [‘]
– La loi qui régit la pratique de la CADIVI ne fixe pas de délai pour la prise d’une décision formelle sur les demandes d’AAD. La Loi organique des procédures administratives (« LOPA ») – sur laquelle la Défenderesse s’appuie et qui s’applique à toutes les procédures administratives – stipule qu’en principe, toutes les requêtes doivent être résolues dans un délai de quatre mois et que si aucune décision n’est rendue dans ce délai, le silencio administrativo negativo s’applique. Par conséquent, en vertu de la LOPA, la partie intéressée peut supposer que la demande a été rejetée et peut entamer une procédure d’appel (après le délai de quatre mois), sans doute dans le but d’empêcher l’État de retarder indéfiniment une décision sans fournir de justification. Elle ne fixe pas en soi de délai ferme pour la prise de décisions et ne peut donc pas être considérée afin de déterminer l’élément temporel de l’article VIII du TBI.
362. Il ressort clairement de ce qui précède qu’il n’a pas été envisagé de définir le délai de mise en ‘uvre d’un transfert dans le TBI, étant donné qu’il est spécifique au régime des changes en vigueur dans l’État contractant. Cela signifie que le délai devrait refléter la période de temps normalement requise pour accomplir les formalités nécessaires liées au transfert demandé. »
99. Ces prémisses posées, le tribunal, après une analyse circonstanciée de la procédure suivie par la CADIVI et de ses pratiques, et notamment du fait que les décisions de cette commission étaient habituellement motivées et ses refus notifiés, la CADIVI ne restant pas silencieuse, a considéré que l’inaction du Venezuela à l’égard des demandes d’AAD litigieuses avait eu pour effet de priver Air Canada du droit de transférer librement ses fonds conformément au régime applicable.
100. Le tribunal arbitral a adopté une démarche analogue sur la question du traitement équitable des investissements (par. 450 et sq.), en faisant application des dispositions des articles II(2) et VIII du TBI confrontés aux circonstances de fait de l’espèce.
101. Il ne saurait être déduit de cette motivation que les arbitres se seraient institués en amiables compositeurs, en s’affranchissant du droit applicable au litige pour statuer en équité, le tribunal arbitral, qui a aucun moment ne se réfère à l’équité dans sa sentence, ni explicitement, ni de façon implicite, s’étant au contraire attaché à identifier les règles applicables au différend en vertu du TBI et à les mettre en ‘uvre en tenant compte des circonstances de l’espèce.
102. Il en va de même s’agissant de l’analyse du préjudice et de l’application du taux de change, le tribunal arbitral renvoyant sur ce point au raisonnement suivi dans les développements ci-avant analysés quant à l’application des règles de droit pertinentes.
103. La demanderesse au recours ne peut ici valablement faire grief au tribunal arbitral de s’être affranchi des dispositions de l’article VIII du traité selon lesquelles le taux de change applicable est celui en vigueur à la date du transfert dès lors qu’aucun transfert n’avait eu lieu en l’espèce, aucun élément de droit ne permettant par ailleurs de conclure que la date du transfert évoquée à cet article pour la détermination du taux de change applicable devrait être celle d’expiration du délai énoncé par la LOPA, la demanderesse invitant ici le juge de l’annulation à porter une appréciation sur le fond et à réviser la sentence, ce qui ne relève pas de son office.
104. Il s’ensuit que le deuxième moyen d’annulation invoqué par la demanderesse au recours est infondé.
105. Il y a lieu, dans ces conditions, de rejeter les recours en annulation formés par la République Bolivarienne du Venezuela.
C) Sur les frais et dépens
106. La République Bolivarienne du Venezuela, qui succombe en ses prétentions, sera condamnée aux dépens, la demande qu’elle forme au titre de l’article 700 du code de procédure civile étant rejetée.
107. Elle sera en outre condamnée à payer à la société Air Canada la somme de 100 000 euros en application du même article.
IV/ DISPOSITIF
Par ces motifs, la Cour :
1) Rejette les recours en annulation formés par la République Bolivarienne du Venezuela contre la sentence arbitrale « Award » rendue le 13 septembre 2021 et la sentence arbitrale « Decision on Correction of the Award » rendue le 27 octobre 2021 dans l’affaire CIRDI n° ARB(AF)/17/1 ;
2) Rappelle qu’en application de l’article 1527, alinéa 2, du code de procédure civile, le rejet du recours en annulation confère l’exequatur aux sentences arbitrales ;
3) Rejette la demande formée par la République Bolivarienne du Venezuela sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
4) Condamne la République Bolivarienne du Venezuela à payer à la société Air Canada la somme de cent mille euros (100 000,00 EUR) en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
5) Condamne la République Bolivarienne du Venezuela aux dépens.
LA GREFFIERE, LE PRESIDENT,